Si on s'en remet au
dictionnaire, on peut constater que l'Etat y est défini de deux
manières fort différentes.
1) Un Etat (au singulier
ou au pluriel) est un ensemble d'individus qui vivent sur un territoire
déterminé sous l'autorité d'un pouvoir politique et
qui peut être tenu pour une personne morale quant à ses rapports
avec les autres Etats. 2) L'Etat (au singulier
et avec un article défini), c'est l'autorité souveraine
qui s'exerce sur une population et un territoire déterminés.
Cette définition plus restrictive désigne spécifiquement
un des éléments de la définition précédente
: à savoir l'autorité politique ou le pouvoir politique qui
s'exerce sur une population et un territoire. L'Etat ainsi défini
est extérieur à la vie sociale, à la population sur
laquelle précisément il exerce son autorité.
Réduit à sa plus simple expression, l’Etat peut se définir par les pouvoirs régaliens, c’est-à-dire les pouvoirs qu’avait le régent, le monarque sous l’Ancien Régime, à savoir : la police, qui assure la sécurité publique, la justice qui tranche les différends, la défense nationale qui assure l’intégrité du territoire, l’émission de monnaie, monopole de l’Etat, de la Banque centrale de l’Etat. Tous ces pouvoirs étant à la disposition de l’Etat comme des instruments au service de certaines fins politiques. |
Que l'Etat réponde
à deux définitions dont l'une isole un élément
de l'autre doit nous laisser perplexe. Pourquoi une définition totalisante
et une autre restrictive ? Pourquoi, du point de vue des individus, une
définition qui exprime une relation d'appartenance, d'immersion même
et une autre, qui tout au contraire, traduit une distance et fait de l'Etat
quelque chose d'étranger, voire d'hostile ? Pourquoi une définition
chaude de l'Etat et une autre froide ? La chaleur du pays, de la patrie,
des réjouissances et célébrations collectives et la
froideur du monstre froid, de la matraque et du fisc ?
Problème calorifique et faussement dérisoire : l'Etat, c'est chaud ou c'est froid? |
Maintenant, si on se
concentre sur la seconde définition, ce qui est remarquable, c'est
qu'elle désigne l'Etat en parlant du pouvoir qu'il détient.
Or, précisément, il n'est pas rare qu'on associe ces deux mots
: l'Etat, tel qu'il vient d'être défini, et le pouvoir tout
court, de telle sorte que parfois on emploie le mot pouvoir pour parler de
l'Etat. Comme s'il était le seul à disposer du pouvoir ou de
pouvoirs.
Il va donc nous falloir
nous demander ce que vaut la superposition de ces deux termes : Etat et pouvoir,
et si elle est justifiée, si l'Etat dispose effectivement du monopole
du pouvoir, et, à partir de là en quoi consiste le pouvoir
de l'Etat, quels en sont la nature, les fins et les modalités.
Toutefois, quoiqu'on associe généralement l'Etat avec le pouvoir ou l'idée de pouvoir, il est vrai qu'on associe également l'idée de liberté à certains Etats et l'idée d'oppression à d'autres. Que veut-on dire par là? Et d'abord de quelle liberté parle-t-on? De la liberté des individus : les Etats réputés libres sont ceux qui accordent aux individus des libertés, des droits pour être précis, que n'ont pas les individus qui vivent dans des Etats réputés dictatoriaux, oppresseurs ( liberté ou droit de circulation, liberté d'opinion, de confession, d'expression publique de ses opinions, droit de la presse, droit de vote ). La liberté dont on parle est donc celle des individus et elle se présente sous la forme de droits, de droits individuels ou subjectifs. Pourtant, peut-on soutenir que dans les Etats où règne la liberté, les individus ont le droit de faire tout ce qu'ils veulent ? Non, même dans ces Etats, il existe des restrictions qui sont précisément imposées par l'Etat. Il existe en effet à la fois des interdictions légales : polygamie, vol, crime, monopole, travail non déclaré, voter pour les mineurs ou ceux qui sont privée de leur droit civiques... ( assorties de sanctions civiles ou pénales pour les contrevenants : amendes, dommages et intérêts, emprisonnement ) et des obligations légales : déclarer une naissance, un décès, passer devant le maire pour être déclaré marié, scolarisation, vaccination, fiscalité,... ( dont l'irrespect expose aussi à des sanctions légales : redressement fiscal, impossibilité d'être scolarisé...) Il n'est pas possible d'y faire tout ce qu'on veut. A l'inverse, dans les Etats qui sont tenus pour oppresseurs, peut-on soutenir qu'il n'y existe aucune espèce de liberté? Pas davantage. Même dans ces Etats, les individus disposent de certains droits qui précisément garantissent aux individus la liberté de faire certaines choses. On y a moins de libertés, de droits, mais on en a quand même. En définitive, quelle que soit la forme du régime politique, on peut observer que la réalité de l'Etat et son influence sur la vie des individus sont ambiguës et contradictoires. L'Etat en tant que tel, quel que soit son régime, est la source de contraintes sur les individus et néanmoins il leur accorde des droits. Ce qui nous invite à nous demander ce qui différencie un Etat qu'on dit libre d'un Etat qu'on dit oppresseur et donc un Etat qu'on tient pour légitime d'un autre qu'on tient pour dénué de toute légitimité. Est-ce simplement le nombre et la nature des libertés ou des droits qu'on y a qui fait la différence ? Il semble que ce soit le cas, mais alors pourquoi trouver légitime des Etats dans lesquels on est loin d'avoir tous les droits et illégitimes certains autres (certes, pas tous loin s'en faut) dans lesquels on ne manque pas de jouir de certains droits ? Mais il y a plus. Il ne fait pas de doute que dans tous les Etats, on trouvera toujours des individus qui tolèrent mal les limitations imposées par l'Etat et qui souhaiteraient avoir plus de droits. Seulement, à l'inverse, n'y a-t-il pas des limitations que le plus grand nombre s'accorde à trouver justifiées et auxquelles on se soumet assez volontiers ? Comme la vaccination obligatoire ou le respect général du code de la route par exemple. Et, n'y a-t-il pas des droits que nous n'avons pas qui ne sont pourtant pas revendiqués ou qui ne seraient pas tolérés par l'ensemble du corps social ? Comme la consommation de drogues, la suppression du revenu minimum ou les contraintes administratives relatives au marché du travail. Pourquoi les individus sont-ils opposés à certaines libertés et favorables à certaines contraintes? Pourquoi ces contraintes passent-elles pour justifiées, pour légitimes tandis que ces libertés passent elles pour injustifiées et illégitimes? Ce qui nous invite à nous demander qu'est-ce qui explique que contre toute attente certaines restrictions sont très bien tolérées tandis que certains droits qu'on n'a pas ne sont pas exigés ? Parce que par ailleurs, on peut aussi constater et comprendre que ce soit l'inverse qui se produise : qu'on réclame plus de droits et moins des restrictions. |
Le plan
I ) L’Etat est-il
la seule réalité du pouvoir? De l’idée de pouvoir à la réalité de l’Etat. A ) Qu’est-ce que le pouvoir ? B ) L’Etat est-il le seul détenteur du pouvoir? II ) Avons-nous à nous soumettre ou à désobéir à l’Etat?1 ) Où trouve-t-on du pouvoir ? Comment poser le problème de la légitimité de l’Etat? A ) Dans quelles conditions l’Etat est-il légitime et l’obéissance exigible? 1 ) L’intérêt général. B ) A quoi reconnaît-on la perte de légitimité d’un Etat?III ) Par quels moyens est-il possible d’établir ou de garantir l’existence d’un Etat légitime?1 ) Les atteintes aux libertés individuelles. A ) Comment pacifier et harmoniser la vie sociale? 1 ) Les libertés individuelles contre la paix civile. B ) Comment réconcilier l’autorité de l’Etat avec les libertés individuelles?1 ) L’autorité de l’Etat contre les libertés individuelles. |
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