III ) Par quels moyens est-il possible d’établir ou de garantir l’existence d’un Etat légitime ?

On sait que l’Etat est légitime s’il exerce un pouvoir qui vise des fins d'intérêt général et s’il garantit et respecte les libertés individuelles sous la forme de droits attachés à la personne humaine.

Donc, se demander comment il est possible d’établir et de garantir la légitimité de l’Etat, c’est se demander par quels moyens il est possible de faire en sorte que l’Etat exerce un pouvoir qui vise des fins d’intérêt général et cela de telle sorte qu'il reconnaisse et garantisse des droits aux individus.

Rq : Dit autrement : il s'agit de savoir comment faire de la loi non pas un ordre que donnerait un groupe social à l'ensemble des individus afin qu'ils servent ses propres intérêts, mais une obligation en laquelle chaque citoyen pourrait reconnaître son bien propre à travers le bien commun. Comment faire de la loi non pas un moyen de domination appuyé par la force publique, mais une obligation ? Et tout cela de telle sorte que ce que la loi exige de tous ne porte pas atteinte aux libertés que chacun peut exiger d'avoir en tant qu'homme.

Or, ces deux exigences ne sont pas convergentes, mais au contraire peuvent se contrarier.
Pourquoi ?

    • Parce que la liberté ou les droits que l’individu exige de voir reconnus et respectés par l’Etat constituent autant de limites à la poursuite de fins d’intérêt général dans la mesure où dans cette perspective l'Etat ne reconnaît aux individus aucune liberté et aucun droit, mais leur impose des devoirs, des obligations en rapport avec les fins qu’il vise.
    • Parce qu’elles impliquent que l’Etat doit à la fois imposer des devoirs aux individus comme citoyens et leur accorder des droits comme hommes.

    • Parce que d’un côté, l'Etat doit traiter les individus comme des êtres à qui il faut sans cesse rappeler qu’ils appartiennent à un tout social qui les dépasse en raison de quoi il doit par la menace si nécessaire leur imposer des obligations, mais de l’autre, il est tenu aussi de voir en eux des absolus, des êtres qui ne sont pas seulement membres d’une collectivité ou d'une communauté, qui ne sont pas que relatifs à elles, mais des personnes, des hommes qui à ce titre méritent des droits ou qu'on respecte leur liberté.

 
C'est pourquoi tous les problèmes de la philosophie politique (moderne) tiennent dans celui-là : comment, pour être légitime, l’Etat doit-il s’y prendre pour simultanément exercer son pouvoir en vue de l’intérêt général, ce qui implique d’imposer des devoirs aux individus, tout en respectant et en faisant respecter les libertés individuelles et/ou les droits auxquels les individus ont droit en tant qu’hommes ?

Problème qui peut être posé de deux manières :

    • comment trouver un accord entre les exigences de l'intérêt général et celles des individus, entre devoirs et droits donc. C'est en ces termes que le problème de la légitimité de l'Etat est posé par les tenants de droits naturels individuels. Or, rien ne semble plus contraire que ces deux exigences.
    • comment parvenir à réconcilier l'autorité de l'Etat avec les libertés individuelles, l'exercice du pouvoir sur les individus et l'exercice des libertés individuelles. Le problème est posé en ces termes par ceux qui posent que l'homme a non pas des droits, mais une liberté inaliénable. Or, on ne voit pas comment il est possible d'être libre et soumis à un pouvoir, comment il est possible d'être libre tout en obéissant.
Pourtant, malgré cette double contradiction, il est vrai aussi que les deux conditions qui garantissent à l'Etat sa légitimité sont liées et même indissociables pour une raison majeure : la fin d'intérêt général la plus fondamentale de toutes est pleinement en accord avec la première exigence des individus : la paix et la sécurité civiles. Sans elles, les individus ne peuvent jouir d'aucune liberté et cela parce que l'Etat manque à sa première fonction.

C’est pourquoi, sous sa forme la plus élémentaire et la plus fondamentale, le problème que nous venons de soulever peut se formuler ainsi : comment pacifier la vie sociale sans nier les libertés individuelles et même si possible avec leur accord ?


 
 
 
A ) Comment pacifier et harmoniser la vie sociale ?
La paix sociale, la sécurité publique, celle des personnes et des biens, et la protection du territoire constituent les contenus les plus fondamentaux de l’intérêt général ainsi que la première exigence de tous. Ce sont là en effet les conditions même de la vie sociale, du vivre-ensemble et de la préservation de chacun mais aussi de toutes les autres fins d’intérêt général que l’on peut concevoir, comme la prospérité économique, le bien-être général, l’épanouissement des sciences et des arts, le rayonnement international...

C’est pourquoi établir la sécurité publique constitue toujours le premier souci de tous les Etats et la première comme la plus durable des exigences des individus à son égard.

C’est pourquoi aussi, pendant très longtemps, ce fut presque le seul contenu donné à l’intérêt général, en tout cas, son contenu le plus valorisé.

Seulement, si la paix civile est la première des exigences des individus, elle est aussi une des plus difficiles à satisfaire à cause des individus eux-mêmes.

1 ) Les libertés individuelles contre la paix et la sécurité civiles.

l'état de guerre de tous contre tous.

La vie sociale, le vivre-ensemble sont toujours menacés par des conflits, des tensions, donc par l’insécurité pour les personnes et les biens et par la guerre civile.

Pourquoi ?

Parce qu'une société est faite d'individus et de groupes sociaux qui ont tous des intérêts propres et que le libre jeu des intérêts particuliers sans intervention de l’Etat conduit nécessairement à une situation de chaos dans laquelle personne ne peut finalement trouver son intérêt. Puisqu'en société, chacun est lié aux autres, les agissements des uns ont presque toujours des conséquences sur les autres. C’est pourquoi, lorsque les individus ou les groupes sociaux n’agissent que selon leur bon vouloir, leurs intérêts immédiats, sans tenir compte des lois ou des autres, ils risquent de porter atteinte aux intérêts, aux biens, à l’intégrité physique ou psychologique ou même à la vie des autres.

Donc, les libertés individuelles, en l’absence de toute régulation par la loi ou par la conscience d’appartenir à un tout social, menacent toujours l’ordre social, la cohésion sociale de ruptures et de violences.

En somme, la vie sociale, en l’absence de toute régulation légale ou civique, est toujours menacée par l’état de guerre de tous contre tous.

L’état de guerre de tous contre tous est une expression que l'on doit à un philosophe anglais qui s'appelle Hobbes.

Cette situation se produit lorsque l’Etat n’existe pas encore ou n’existe plus, comme c’est le cas dans une guerre civile. Or, comme on appelle état de nature la situation dans laquelle l'Etat n'existe pas, on peut donc dire que pour Hobbes, l'état de nature est aussi un état de guerre de tous contre tous. Mais il n'est pas le seul à le penser : pour tous les penseurs qui parlent de l’état de nature, ou bien il consiste en un état de guerre ou bien il finit par le devenir.
Tout le problème est de savoir comment entrer dans l’état civil, mais de telle sorte que les moyens employés garantissent à l’Etat une légitimité.

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