A) Langage, langues et parole.
Il s'agit ici de préciser
le sens des termes en jeu ainsi que leurs relations.
1 ) Qu'est-ce qu'un langage ?
On a vu qu'il faut distinguer
le langage des langages ou langues : le langage comme tel est une faculté
: celle de s'exprimer et de communiquer, faculté sans laquelle la
parole serait impossible. Cette faculté est l'objet d'étude
de diverses sciences : psychologie, humaine et animale, neurologie, (étude
des aphasies qui sont ou bien liées à l'absence d'apprentissage
de la langue ou à des traumatismes psychiques ou bien à des
lésions neurologiques), sciences cognitives, mais aussi du point
de vue de sa formation, de la paléontologie (Science des êtres
vivants ayant existé au cours des temps géologiques fondée
sur l'étude des fossiles.)
Les langages ou langues
sont des systèmes de signes différenciés qui permettent
l'expression et la communication d'informations, de messages.
Mais qu'est-ce qu'un
signe ?
La définition
d'un signe en général est déterminée par sa double
fonction d'exprimer et de communiquer : pour exprimer, il doit rendre
présent sous une forme quelconque quelque chose qui n'est pas
présent ou pas perçu comme tel et pour communiquer, il doit
pouvoir être perçu et identifié comme signe.
Un signe donc est d'une
manière générale une chose, un objet, un être,
peu importe quoi pourvu que cela soit sensible, c'est-à-dire susceptible
d'affecter nos sens, qui exprime, représente ou seulement indique
autre chose, et cette fois peu importe quoi, sans aucune restriction. Il est
donc une réalité sensible qui en signale une autre, qui n'est
que pour en indiquer une autre, dont la fonction est d'en signaler une autre.
Il établit donc une relation.
Toutes les réalités
qui répondent à cette définition peuvent ou doivent
être considérées comme des éléments, qui
avec d'autres dont ils se distinguent, composent des langues ou langages.
A savoir : les langues
naturelles auxquelles on réserve le mot langue par opposition au langage
(elles doivent cette différence terminologique à ce qu'elles
supposent spécifiquement le langage comme faculté.), ainsi
que tous systèmes de signes différenciés : langages informatiques,
des signes, signalisation routière, des fleurs, le morse, les signaux
de fumée, les codes vestimentaires, les blasons… On peut en fait se
demander s'il existe des réalités qui échappent totalement
au statut de signe…
Rq : Cet ensemble est
l'objet d'une science spécifique, non encore totalement constituée
: la sémiologie, c'est-à-dire la science des signes, au sein
de laquelle figure à titre de partie une science constituée
qui s'occupe spécifiquement des langues naturelles, c'est-à-dire
des langues humaines : la linguistique, fondée par de Saussure au
début du siècle dans le Cours de linguistique générale,
paru en 1916, soit 3 ans après sa mort. C'est d'ailleurs à
lui que l'on doit les distinctions entre langue, langage et parole ainsi
que l'idée de la sémiologie.
Mais, on le comprend,
une pareille extension pour les signes et les langages renvoie à une
diversité qualitative et à une multiplicité quantitative
telles qu'il est nécessaire de procéder à des distinctions,
à une typologie des signes et donc des langages. En voici quelques-uns
uns.
L'indice
: signe naturel dont la présence indique la présence d'autre
chose qui est passé ou qui est présent, mais qui n'est pas
directement perçu ou qui n'est pas de l'ordre du perceptible. C'est
par exemple la fumée comme l'indice du feu, la fièvre comme
indique d'une attaque virale (et d'une manière générale
ce qu'on appelle les signes cliniques ou symptômes qui font l'objet
d'une lecture médicale qu'on appelle le diagnostic : voir ou lire à
travers, définie par ce qu'on appelle la sémiologie médicale),
les cendres qui indique à S. Holmes qu'elle est la marque du cigare,
etc. … La lecture de ce type de signe repose sur le principe de causalité
: le signe est un des effets visibles de quelque chose qui en est la cause
et qu'on identifie par lui. Ce qui comporte toujours un risque d'erreur qui
fait de toute lecture de signes naturels un art délicat…
Le signal :
signe naturel ou conventionnel qui déclenche un comportement et qui
est destiné à cela, comme un feu rouge, un ordre donné
à l'armée ou la sonnerie à la fin du cours. La lecture
consiste en un comportement adapté au signal émis, en une réaction
déterminée, le plus souvent apprise, acquise par apprentissage.
Un signal n'est en effet pas un stimulus auquel on répond de manière
réflexe.
Le symbole
: signe qui indique une chose par analogie ou par métaphore avec
elle, comme c'est le cas des symboles de la justice par exemple. Le rapport
entre le symbole et ce qu'il symbolise n'est pas naturel, mais conventionnel
ou culturel. La lecture des symboles suppose donc une certaine connaissance
des repères culturels en cours là où il est employé.
Sans la connaissance de cet arrière-fond culturel, la lecture des
symboles est impossible ou difficile.
Les signes linguistiques
: le mot signe est donc nom du genre et de l'espèce
la plus éminente des signes. Il s'agit des signes qui composent les
langues naturelles ou humaines. Les signes linguistiques entretiennent avec
ce qu'ils signifient, indiquent un rapport conventionnel. Le rapport est
institué et reconduit ou modifié par le groupe social qui en
fait usage en parlant. Ce qui signifie qu'il n'existe aucune relation intrinsèque
entre les signes linguistiques et ce qu'ils indiquent, que le lien entre
le signe et ce qu'il indique est arbitraire : il aurait pu être autre.
(Cf : Saussure, Le cours de linguistique générale :
l'idée de sœur n'est liée par aucun rapport avec la suite de
sons qui composent le mot sœur. La preuve en est les différentes langues
humaines : si un lien naturel par exemple existait entre les sons des mots
et ce qu'ils désignent, il n'y aurait qu'une seule langue humaine.
Mais que les signes aient un sens institué, conventionnel, cela signifie
aussi que les individus n'ont pas le loisir de prendre un mot pour un autre
: ce ne sont pas les individus qui décident, mais le groupe, les usages
collectifs, l'adoption collective des signes et de leurs sens, y compris
de leur glissement, leur métamorphose. Avec justesse, Saussure suggère
de ne pas dire arbitraire, mais immotivé : il n'y a aucune raison
ou motivation pour que tel signe signifie ceci plutôt que cela, mais
c'est ainsi pourtant. La lecture des signes de cette nature suppose la connaissance
du sens des signes, c'est-à-dire un apprentissage ignoré et
rapide avec la langue maternelle, long, volontaire et souvent difficile avec
les autres langues. La pluralité des groupes sociaux explique la
pluralité des langues.)
2 ) Tous les langages sont-ils parlés ?
Ces définitions des
langues ou langages et des signes permettent de comprendre que toutes les
langues ne sont pas parlées, et donc ne supposent pas le langage comme
faculté. C'est du reste pour cette raison que la question de savoir
si tous les êtres qui communiquent au moyen d'un langage parlent.
En effet, il apparaît
que certaines langues ne sont pas parlées mais utilisées
par nous pour exprimer quelque chose et le communiquer mais en dehors de
toute verbalisation, comme toutes les langues symboliques (envoi de fleurs,
code vestimentaire) ou les codes de signaux (signalisation routière).
Ces langages peuvent être conçus et interprétés
dans les langues naturelles, mais elles ne sont pas parlées comme
telles puisque c'est impossible.
Rq : Il faut distinguer
la parole de la seule phonétisation, de l'utilisation de la voix :
les sourds-muets parlent sans phonétiser en ce qu'ils disent bien
quelque chose à quelqu'un. Ce qu'on appelle le langage des signes
est donc une langue parlée.
Mais, il y a plus :
on peut détecter la présence de langues comme telles en dehors
même d'une quelconque intention expressive et communicationnelle, c'est-à-dire
sans qu'un être décide par des signes de dire quelque chose,
y compris sans parler. C'est le cas par exemple des langages "naturels"
que sont les indices : ils ne sont des signes que par un être qui sait
qu'ils sont les effets de telles ou telles causes. Par exemple, la lecture
des symptômes cliniques, celle de la gestuelle de quelqu'un comme
expression de ses états intérieurs. Dans tous ces cas, on
a affaire à des signes expressifs et lisibles, différenciés
et porteurs d'une signification en dehors de toute intention expressive et
communicationnelle.
Rien ne parle : on
fait parler des choses après avoir compris qu'elles ne sont pas
que des choses, mais des signes en tant qu'elles sont les effets visibles
qui accompagnent toujours et spécifiquement certains événements
qui en sont la cause. Comme les boutons qui révèlent la rougeole.
Mais, on peut aller
encore plus loin en éliminant toute subjectivité : entre deux
ordinateurs, il peut y avoir de la communication qui utilise un langage commun
dans lequel l'information est codée par l'émetteur et interprétée
par le récepteur sans que cela ne suppose une intention expressive
de la part du récepteur et une intention interprétative de
la part du récepteur.
C'est pourquoi on peut
légitimement se demander à quelles conditions un langage n'est
pas qu'un moyen d'expression et de communication, mais aussi un ensemble
de signes avec lesquels quelqu'un s'exprime et communique, c'est-à-dire
parle. Ce qui revient à se demander quels sont parmi tous les êtres
qui expriment et communiquent par signes ceux qui parlent, et pourquoi
? Question qui concerne exemplairement le cas des animaux.
Disons le donc nettement
: l'expression par signes et la communication qu'on peut observer chez
les animaux manifestent-elles la présence d'une parole au sens strict
et donc celle du langage comme faculté d'expression et de communication
?
Encore faut-il préciser
et illustrer ce que l'on entend par observation de langages animaux, c'est-à-dire
d'expression et de communication chez les animaux. Des exemples :
Chez
les animaux sociaux qui ont des prédateurs, le plus souvent, certains
individus ont pour tâche de guetter et d'alerter le groupe, par des
cris par exemple, en cas de danger. Les cris d'alerte sont parfois très
fortement différenciés selon la nature du danger ou la direction
d'où il surgit. Ainsi certains singes arboricoles ont-ils un cri pour
signaler un danger qui vient du sol, un autre pour ceux qui viennent des
arbres et un dernier pour ceux qui viennent du ciel. On comprend que cela
permette de savoir dans quelle direction il faut fuir.
On connaît par
ailleurs l'existence de signes de reconnaissance entre parents et petits
ou mâles et femelles ou de signes sociaux indiquant la soumission ou
la domination, c'est-à-dire des positions sociales précises,
qu'il s'agisse de cris divers, d'odeurs, de gestes, de postures, de phéromones.
Un exemple fameux
: celui de la danse des abeilles décrites par Karl von Frisch dans
Vie et moeurs des abeilles, (1960). Les danses des abeilles
butineuses qui ont découvert un gisement de pollen permettent d'indiquer
à celles qui ne le connaissent pas où il se trouve, c'est-à-dire,
et de manière précise, dans quelle direction et à
quelle distance par rapport à la position du soleil il est situé.
Des expériences faites par Frisch indiquent par ailleurs qu'elles
ne peuvent pas donner certaines informations, comme par exemple la hauteur
du gisement relativement au sol. Mais on a affaire là à un
système d'expression et de communication très riche et très
sophistiqué.
Mais la diversité
des langages, leur raffinement, leur complexité, leur efficacité
suffisent-ils pour pouvoir soutenir que les animaux parlent ? Est-ce parce
qu'ils communiquent qu'ils parlent ? On sait que ce n'est pas suffisant
pour l'affirmer.
On s'en convaincra en
songeant que parler ainsi de communication et d'expression spécifique
aux animaux est déjà une erreur en cela que presque tous
les moyens d'expression et de communication rencontrées chez les
animaux sont présents chez l'homme et même chez des plantes
! Pour les hommes, ce n'est guère surprenant puisque nous sommes
aussi des animaux.
Mais, du coup, on comprend
:
D'une
part qu'on ne peut vraiment pas imputer le langage et la parole aux animaux
au seul prétexte qu'ils expriment et communiquent quelque chose puisque
lorsque nous en faisons autant par les moyens qu'on rencontre chez eux, on
ne dit pas que nous parlons. Manifester notre état de santé
ou notre désir sexuel à quelqu'un par nos phéromones
ou nos mimiques et nos gestes ou l'éclat de nos yeux n'est pas lui
parler.
D'autre part que puisqu'il
faut faire la différence entre l'expression et la communication qui
relève de la parole et celles qui n'en relève pas, il nous
faut donc trouver ce qui les distingue et donc les conditions sans lesquelles
la parole ne serait pas possible.
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