- Science et technique -
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Il est courant de confondre la science et la technique, de les prendre l'une pour l'autre, d'employer indifféremment le mot science à la place du mot technique tout comme il est courant de les associer l'une à l'autre. 

Ex : parler du progrès de la science alors qu'on veut parler d'innovations technologiques, parler des progrès de la science alorsqu'on pense à l'amélioration ou à la découverte d'une technique ou dire d'une prouesse technique qu'elle est une réussite de la science. 

Compte tenu de cette confusion ou de cette association, la question se pose de savoir si, comme on a l'air de le dire, science et technique sont non seulement proches mais finalement confondues, indicernables, voire identiques ou  ou si, au contraire, elles se distinguent de telle sorte que la confusion est impossible ou maladroite. Ce qui dans ce cas nous mettra dans la nécessité d'expliquer pourquoi cette confusion existe, malgré les différences. 

De deux choses l'une en effet, ou bien la science et la technique sont une seule et même réalité dotée de deux noms ou bien elles sont effectivement distinctes. 
 

 1 - La technique est-elle la même chose que la science ?

Pour le savoir, il convient bien sûr de les définir l'une et l'autre. 


 
    1.1- Qu'est-ce que la technique ?
Lalande : "Les techniques sont des procédés bien définis et transmissibles destinés à produire certains résultats jugés utiles". 

Explicitation : 

  • Procédés : moyens, ensemble de moyens, conduite ou comportement déterminé, recette…
  • Bien définis : que l'on peut décrire, exposer, par opposition à ce qui relève de la chance ou du hasard.
  • Transmissibles : que l'on peut apprendre à quelqu'un, que l'on peut transmettre par apprentissage, par opposition à ce qui relève du talent, du génie ou de la chance.
  • Résultats jugés utiles : les moyens mis en œuvre le sont en vue d'une fin, déterminée à l'avance, et qui ne peut être atteinte que par ces moyens. Les fins visées ne s'imposent pas d'elles-mêmes : on se les donne après les avoir jugées utiles pour nous.
Ce qui signifie que chaque fois que dans une activité quelconque, on peut distinguer un but des médiations qui permettent de réaliser ce but, on a affaire à une activité technicisée, c'est-à-dire une activité qui emploie des techniques. Chaque fois donc que l’on rencontre un "pour…, il faut alors… ", on a affaire à une technique. Une technique est un moyen ou un ensemble de moyens utilisés en vue de réaliser une fin déterminée. 

On le voit donc, cette définition de la technique repose toute entière sur l'opposition moyen/fin. Elle est ce rapport même. 

Seulement peut-on s'en tenir à cette définition générale de la technique pour saisir exactement ce qu'elle est? 

Si on s'en tient à elle en effet, on ne fait pas de différence entre par exemple une machine à calculer et des techniques de calcul mental, puisque toutes les deux répondent à la définition, alors qu'il apparaît qu'on a ici affaire à deux types de technique nettement distincts. C'est pourquoi il est nécessaire de préciser cette définition, de faire des distinction au sein des techniques, au sein de l'ensemble des moyens techniques. 

Par ailleurs, si on s'en tient à cette définition de la technique, on ne sait pas non plus ce qui caractérise exactement une fin visée par une technique. En effet, il existe des fins qui ne sont pas en rapport avec une technique : chercher la vérité par exemple est une fin que l'on peut viser et atteindre sans recourir à des techniques. 

D'où deux questions : ne faut-il pas au sein des techniques faire des distinctions entre des techniques de nature différentes? Tous les moyens techniques sont-ils de même nature? Et, qu'est-ce qui caractérise une fin visée par la technique? 
 

      1.1.1. Toutes les techniques se ressemblent-elles?
On peut distinguer parmi elles deux types : les visibles et les invisibles ou mieux, les objectives et les subjectives, les objets techniques et les techniques qui sont présentes dans un sujet, un être. 
    - Objets techniques ou moyens matériels employés en vue de la réalisation d’une tâche. Il s'agit des outils et des machines, ainsi que des instruments. Qu'est-ce qui les distingue? Un outil est mis en mouvement par la force musculaire de l'homme, il est un prolongement spécialisé de sa main ou de son corps. Il est comme un organe amovible. L'instrument est une opération de l'esprit : il ne sert pas à transformer le monde, mais à le mesurer, à y déposer des traces. Le compas, le cordeau, le sextant, le fil à plomb, la règle… La machine quant à elle est mise en mouvement par une énergie non humaine, mais naturelle, soit brute comme celles d'un animal, le vent, le courant d'une rivière, soit elle-même obtenue à partir de la transformation, par des machines, d'une énergie naturelle, comme c'est le cas pour l'électricité. Il faut distinguer deux grand types de machines : les machines qui se définissent par le couple énergie/mouvement et les machines qui ont l’information pour objet. Les machines énergie/mouvement sont celles qui transforment des énergies naturelles fossiles et nucléaire ou des mouvements naturels ou encore de l’énergie sous une forme non naturelle en d’autres mouvements ou en énergie sous une autre forme. Les machines qui ont l’information pour objet sont celles qui permettent la transmission, la gestion et le traitement d’informations sous une forme quelconque. 

    - Procédés ou méthodes non-objets qui sont autant de moyens en vue d’une fin fixée à l’avance. Techniques purement intellectuelles comme les techniques de gestion, de concentration, de calcul mental, de dissertation, mais aussi techniques inscrites par apprentissage dans le corps : les techniques du corps dont parle Mauss (manger, s'asseoir, marcher, faire l'amour, …) , la technique d'un instrumentiste, d'un sportif, d'un danseur, et enfin, les savoir-faire, l'habileté manuelle ou technique comme la dactylographie, la conduite d'une voiture, les techniques de réanimation pour un pompier,… Ces techniques peuvent être dites invisibles en cela qu'elles sont incorporées au cours d'un apprentissage et de telle sorte qu'elles ne se voient pas en celui qui la possède, sinon lorsqu'il en use et encore. Notons que ce sens correspond à l'étymologie du mot technique qui vient du grec techné, qui signifie habileté acquise ou art au sens de savoir-faire. 

    - Notons par ailleurs que si une technique est par définition transmissible, les modes de transmission des objets techniques différent profondément des modes de transmission des techniques subjectives : on hérite d'un objet technique comme d'un bien, on apprend les techniques subjectives par imitation, par essai et erreur, c'est-à-dire toujours avec quelqu'un qui maîtrise une technique et qui l'enseigne à quelqu'un qui ne la maîtrise pas encore.

Or, d'une part ces apprentissages peuvent connaître des défauts ou ne pas pouvoir s'effectuer ou ne plus s'effectuer parce qu'elles sont devenues caduques, ce qui va se traduire par une perte technique, mais d'autre part, les techniques transmises peuvent faire l’objet d’améliorations d’une génération à l’autre. Ceci est vrai des techniques objectives comme des techniques subjectives. Ce qui signifie que la technique est historique : qu’elle devient au cours de l’histoire et qu’elle peut même avoir une influence décisive sur l’histoire des hommes. 

Cela a une conséquence remarquable : puisque tous les objets techniques supposent des savoir-faire et des techniques invisibles, il est possible d’hériter d’objets techniques qu’on ne saura pas utiliser faute de savoir comment le faire. Ainsi, les Gallo-romains avaient créent des machines comme la faucheuse et la moissonneuse qui cesseront d’être employées au Moyen-Age. Cela se produit parce que les modes de transmission des objets technique n’est pas le même que celui des savoir-faire et des techniques invisibles : leur apprentissage exige des conditions politiques, sociales et même culturelles qui ne sont pas toujours réalisées. 

    Quels sont les rapports qui existent entre ces deux types de techniques?
  1. D'un point de vue génétique, les objets techniques sont souvent conçu comme prolongement ou comme substitut du corps et des savoir-faire dont il dispose. Le marteau remplace le poing, la machine à calculer le calcul mental…
  2. Du point de vue de l'usage des objets techniques, il est presque toujours nécessaire de posséder un savoir-faire pour mettre en marche ou utiliser un tel objet.
Ce qui est remarquable ici c'est que cette distinction passe le plus souvent inaperçue parce que les techniques subjectives passent elles-mêmes le plus souvent inaperçues. Pourquoi? A la fois parce qu’elles sont partout et parce qu’elles sont le plus souvent cachées par la fin qu’elles permettent d’atteindre qui a toujours plus de valeur et d’importance que les moyens employés. C'est pour cette raison qu'il est si courant de confondre toute la technique avec une partie seulement des techniques, à savoir les techniques visibles que sont les outils, les machines et les instruments. 

Il apparaît donc qu'il faut au sein des techniques établir une différence entre des techniques de nature différentes : celles qui sont objectives et celles qui sont subjectives. 

      1.1.2. - Qu'est-ce qui caractérise une fin visée par la technique?
Puisqu'il existe des fins qui peuvent être visées et atteintes sans technique, qu'est-ce qui défini une fin technique, une fin que l'on atteint par la mise en œuvre de technique? 

Dit autrement : la technique, à quoi ça sert, quelle fin spécifique ça vise? 

Les techniques servent essentiellement à mettre à notre disposition quelque chose qui ne se présente pas spontanément à nous, qui n'est pas immédiatement à notre portée et dont on a besoin ou dont on juge avoir besoin. Elle sert essentiellement à transformer ce qui est donné, présent, le réel, la nature. 

Transformer au sens précis de faire changer de forme, donner une forme déterminée à une chose qui immédiatement en a une autre ou qui n'en a pas. C'est-à-dire : produire une chose qui n'existe pas avec des éléments qui eux existent, créer quelque chose, faire produire par quelque chose un objet, un effet, un service… Transformer ou informer au sens d'imposer une forme à ce qui spontanément n'en a pas, comme c'est le cas avec les techniques du corps. 

Une fin visée par la technique consiste toujours à ajouter quelque chose au réel en le transformant, en le modifiant, en infléchissant son cours spontané ou naturel. La technique a donc un rapport au réel ou à la nature qui est essentiellement un rapport de transformation. 

On parlera donc de technique pour désigner dans toutes les activités humaines soit les moyens de produire des objets qui ne sont pas naturels, soit les moyens de résoudre un problème que l’homme rencontre dans son existence. 

 

Mais cela signifie que la fin visée et atteinte par une technique n'est une fin que pour elle et qu'elle est un moyen à un autre point de vue : ce que la technique produit ou obtient, sa fin donc, sert à quelque chose ou à quelqu'un qui en a besoin et pour lequel le produit de la technique n'est qu'un moyen. Si la technique est définie comme moyen par rapport à une fin, les fins visées par la techniques sont ensuite des moyens en vue d'autres choses. Ex : la construction d'une maison suppose la mise en œuvre d'un grand nombre de techniques, mais la fin de ces techniques ne sera qu'un moyen pour ceux qui vivront dans cette maison : un logement. Le caractère utile des fins visées par la technique signifie que ces fins sont utiles à quelque chose ou à quelqu'un qui va les employer comme moyens de faire autre chose. Autre exemple : demander à des techniciens de concevoir une bombe atomique n'a de sens que par rapport à l'utilité de la possession d'une telle bombe. 

Tout cela signifie que la technique, les techniciens et les ingénieurs sont toujours ou presque soumis à quelqu'un ou à quelque chose : à la nécessité de satisfaire des besoins naturels ou sociaux, c'est-à-dire une demande, un marché ou à des pouvoirs, sociaux, économiques, politiques qui déterminent les fins qu'ils doivent poursuivre. Ce ne sont pas eux qui décident de l'opportunité de la poursuite d'une fin quelconque. D'autres personnes ou d'autres choses fixent pour eux les fins. 

 

Ce qui ne va pas sans poser un problème qui n'a rien de technique (un problème technique se formule toujours sous la forme suivante : une fin étant posée, comment faire pour l'atteindre, par quels moyens est-il possible de l'atteindre?), mais qui est moral ou éthique : si la technique doit réfléchir sur les moyens à mettre en œuvre pour atteindre une fin donnée ou imposée, elle ne réfléchit pas comme telle sur les fins, sur la valeur des fins. 

Or, chaque fois que l'on néglige la réflexion sur les fins ou qu'on considère que cette réflexion n'est pas de notre ressort, que ce n'est pas à nous de nous prononcer sur leur valeur, on prend le risque de mettre sa personne, ses talents, ses compétences au service de fins qui ne sont pas bonnes. 

 

Exemples : Vinci cherche à concevoir des machines de guerre comme des machines qui permettraient de voler… 

La mort est mon métier, Robert Merle : se vivre et se penser comme technicien aux ordres de quelqu'un dont on suppose qu'il a réfléchi sur les fins qu'il ordonne et qui pour cette raison saurait répondre de la poursuite de ces fins, saurait en rendre raison, rendre des comptes. Les seuls problèmes que rencontre le responsable du camp d'extermination sont des problèmes techniques : comment traiter tant d'unités par jour de la réception à la destruction des corps, et jamais de problèmes de conscience : si on lui demande de faire une chose pareille, c'est qu'on doit avoir de bonnes raisons de le faire. Seulement, celui qui le commande ne répond finalement pas des ordres qu'il a donné puisqu'il se suicide : sorte d'aveu de l'illégitimité des fins qui plonge dans la stupeur celui qui se pensait comme technicien. L'exécutant zélé, celui qui se vit comme moyen ou comme technicien est toujours dangereux. 

Mais cet état de fait ne doit pas les empêcher de réfléchir sur la valeur des fins qu'on leur demande de poursuivre : ils ne sont pas que des techniciens, ils sont aussi des hommes, capables donc autant qu'ils s'efforcent de la faire, de juger la valeur des fins. 
 

      1.2 - Qu'est-ce que la science ?
              (Définition rapide) 
La science est l'activité qui a pour but de connaître ce qui est. Elle a différents objets : un par science et elles ont toutes en commun un esprit : celui de rechercher des lois qui régissent les rapports entre les objets qu'elles considèrent. Les sciences dites dures, celles qui traitent d'objets durs par opposition aux sciences humaines ont en commun le recours à des expérimentations comme moyens de tester les hypothèses, les théories conçues pour expliquer le réel. 
 
 
      1.3- La science est-elle la même chose que la technique ?

Il apparaît qu'il n'est pas possible de confondre la science et la technique parce qu'elles n'ont rien en commun : chercher à connaître le réel n'est pas la même chose que chercher à le maîtriser ou à le modifier d'une manière déterminée à l'avance par la mise en œuvre de moyens appropriés. Le rapport qu'elles entretiennent avec le réel n'a rien à voir. 

Pour rejoindre une vieille distinction, la science est contemplative, elle est de l'ordre de la théorie, c'est-à-dire étymologiquement du regard, la technique est de l'ordre de l'action, de la production, de la transformation, de la volonté de maîtrise. 

Autre distinction : découvrir et inventer. Un découvreur est un scientifique, un inventeur est un technicien. Newton découvre la loi de la gravitation universelle, Pascal invente la machine à calculer. 

Mais, s'il n'y a entre elles aucun point commun, comment se fait-il qu'on les confonde, qu'on les prenne pour la même chose ? Parce que dire qu'elles n'ont rien de commun, qu'elles ne sont pas la même chose, cela ne signifie pas qu'elles sont sans rapport entre elles. Or, des rapports, elles en ont. Mais lesquels ? 

2. - Quels sont les rapports qui existent entre la science et la technique ?

Si la science n'est pas la technique, on peut en revanche soutenir que la technique suppose la science, qu'elle n'est possible que grâce à la science, qu'elle est l'application technique des découvertes scientifiques. 

Cette thèse est un lieu commun : lorsqu'on ne les confond pas purement et simplement, on pense en effet d'ordinaire la technique comme l'application de la science. 

Elle a par ailleurs une vieille histoire : elle naît avec Bacon : cf. : "on ne commande à la nature qu'en lui obéissant.", et avec Descartes. Cf : l'arbre de la connaissance, décrit dans la préface des Principes de la Philosophie, a, parmi ses trois branches, deux branches techniciennes : la mécanique et la médecine. Cf : Discours de la méthode : l'homme, par la connaissance, peut devenir "comme maître et possesseur de la nature". 

Seulement, cette thèse qui passe pour évidente n'est pas des plus claires : comment peut-on dire que la technique applique les découvertes scientifiques ? Comment la technique utilise-t-elle les résultats scientifiques ? Comment peut-on passer de la connaissance de la réalité à la mise en œuvre de techniques qui elles ont pour but de modifier cette même réalité? 
 

    2.1 - En quoi la technique est-elle la mise en œuvre de la science ?
Avant même de se demander s'il est parfaitement exact de dire que la technique dépend nécessairement de la science et qu'elle n'est que de la science appliquée, il s'agit d'abord de se demander comment il est tout simplement possible que deux choses aussi différentes entretiennent de pareils rapports ? Comment passe-t-on de la science à la technique? 

Affirmer que la technique dépend de la science, c'est affirmer qu'elle dépend d'une connaissance de la réalité. En quoi donc dépend-elle de cette connaissance ? 

La technique a été définie comme l'ensemble des moyens qui dans une activité donnée permet d'atteindre une fin déterminée à l'avance et jugée utile. Elle se ramène donc au couple de notions moyen/fin. Une fin étant posée, la technique consiste à trouver et mettre en œuvre les moyens qui permettront de l'atteindre. En quoi ces opérations exigent-elles des connaissances de la réalité ? 

En cela qu'il n'est possible de découvrir et de mettre en œuvre des moyens en vue d'une fin que si on sait par ailleurs que telle ou telle chose peut avoir tel ou tel effet, telle ou telle conséquence, tel ou tel rapport avec une autre. 

Ex : si on pose comme fin la cuisson d'un aliment, cette fin ne sera réalisée que si on dispose des moyens de les cuire, c'est-à-dire d'une source de chaleur. Cela va de soi lorsqu'on dispose de ces moyens et qu'on en use sans même y penser. Mais ces moyens dont nous disposons, il a fallu les inventer ou les maîtriser. Il a fallu domestiquer le feu, inventer des fours, des cuisinières à bois, au gaz, électrique, des fours à micro-ondes… 

Or, comment aurions-nous pu parvenir à inventer tous ces moyens si, au préalable, nous n'avions pas remarqué que le feu dégage une chaleur capable de cuire des aliments, que certains gaz peuvent s'enflammer et pas d'autres, des certains champs magnétiques dégagent de la chaleur ? En somme, sans certaine connaissance relative à la réalité, il n'aurait pas été possible de concevoir de techniques. Si on veut atteindre certaines fins par les moyens qui conviennent, il faut d'abord savoir comment dans la réalité certaines choses se produisent et par quelles causes. La relation moyen/fin propre à la technique correspond à la connaissance que nous avons de la relation cause/effet dans la réalité. Un champ magnétique avec telle longueur d'onde est la cause d'un dégagement de chaleur. On va utiliser cette propriété comme moyen en vue de chauffer des aliments en parvenant à maîtriser la production de ce type de champ magnétique. 

Il apparaît donc que la technique est inséparable de la connaissance, qu'elle suppose une connaissance du réel qui rend possible la mise en œuvre de technique. 

Rq : Que la technique suppose des connaissances qui la rendent possible ne signifie pas que le passage de la connaissance à la mise en œuvre technique est comme immédiat, loin s'en faut. Rien n'est plus étonnant que ce passage : savoir par expérience que le feu brûle, que le tranchant d'une pierre coupe n'a rien de très élaboré puisque même les animaux peuvent atteindre ce niveau de savoir, mais faire usage de ces savoirs en fabriquant des pierres tranchantes ou en maîtrisant le feu, voilà qui est étonnant. 

Puisque la technique suppose des connaissances du réel et que la science délivre précisément une connaissance du réel, on comprend que la technique puisse dépendre de la science. Certes, mais comment? 

Cf : Auguste Comte. "Science d'où prévoyance, prévoyance d'où action ; telle est la formule très simple qui exprime, d'une manière exacte, la relation générale de la science et de l'art, en prenant ces deux expressions dans leur acception totale." Cours de philosophie positive, Leçon II. 

Commentaire : 

  1. La science découvre des relations constantes entre des phénomènes, par exemple que deux corps exercent l'un sur l'autre une attraction qui est fonction de leur masse respective : plus un corps est massif, plus sa force d'attraction est grande. C'est ce qui explique la gravité, c'est-à-dire le fait de peser.
  2. Ces relations constantes sont exprimées par des lois, les lois de la nature, lesquelles lois sont elles-mêmes exposées sous la forme mathématique d'une fonction.
  3. Ces lois ou fonctions permettent de faire des prévisions. Par exemple, si on connaît l'état du système solaire à un moment donné, on peut prévoir une éclipse grâce aux lois de la physique qui s'appliquent aux mouvements des astres. Autre exemple : si on connaît les rapports qui existent entre la masse d'un corps et l'énergie qu'il peut dégager, rapports mis en évidence par Einstein, on peut prévoir selon quelle quantité de chaleur dégagera une désintégration nucléaire.
  4. Puisque l'on peut prévoir des événements à partir de la connaissance des rapports qu'ils ont avec d'autres, si on peut créer, produire ou reproduire les conditions qui en sont à l'origine, on peut alors concevoir une technique qui produira tel effet déterminé. Par exemple, lorsqu'on connaît les rapports entre masse d'un corps et énergie, on peut concevoir ou bien des bombes atomiques ou bien des centrales nucléaires. On provoque alors des désintégrations nucléaires en chaîne d'atomes radioactifs instables, soit de manière massive pour les bombes, soit de manière contrôlée pour les centrales.
La connaissance des lois de la nature permet donc de concevoir des techniques. C'est ainsi que sont apparus deux types de profession nouvelle, dont, ce n'est pas un hasard, Comte dit qu'ils sont promis à un brillant avenir : les techniciens et les ingénieurs. Ils sont l'articulation entre la science et la technique : ils disposent de connaissances scientifiques qui leur servent à concevoir des techniques et à les entretenir. Ils s'opposent en cela aux chercheurs ou scientifiques en cela qu'ils ne cherchent pas à augmenter la masse des connaissances, mais ils s'opposent aussi à ceux qui dans une entreprise effectuent des tâches d'exécution ou de production avec les objets techniques ou selon les techniques mises au point par les ingénieurs. 

Entre la science et la technique, les rapports sont donc simples : la science fait des découvertes, met en évidence des lois de la nature, et ce faisant, elle permet de prévoir ce qui va ou peut se produire si telles ou telles conditions sont remplies. Du coup, elle indique aussi ce qui est techniquement possible. En effet, si on sait que tel effet peut être obtenu par telle ou telle cause, il est possible d'obtenir cet effet de manière artificielle, provoquée si on peut créer les conditions adéquates. Si on connaît des moyens qui permettent de mettre en place d'autres moyens en vue d'obtenir tels effets, on peut les provoquer. A partir de là, les ingénieurs et les techniciens, grâce à leurs connaissances, mettent au point des techniques. 

C'est par exemple la fonction de tous les ingénieurs qui travaillent au sein du service dit abusivement de recherche d'une entreprise : c'est dans ce service que l'on met au point techniquement les nouveaux produits et les moyens de les fabriquer. 


 
 
 
2.2 - La technique dépend-elle bien de la science ? Cette thèse est commune, mais est-elle exacte ? A-t-on attendu l'existence des sciences expérimentales avant de concevoir des techniques ? Non : la technique est historiquement aussi vieille que l'homme : n'appelle-t-on pas homo habilis, c'est-à-dire l'homme habile de ses mains, nom qu'il doit aux outils que l'on a retrouvés avec lui, le plus vieil ancêtre de l'homme? 

Voilà qui pose un problème : la technique est d'un côté tenue pour la mise en application des découvertes scientifiques, mais de l'autre, elle apparaît comme telle bien avant la science. 

Quels sont donc exactement les rapports entre la science et la technique ? 

Texte de Ellul. La technique ou l'enjeu du siècle

"Chacun sait que la technique est une application de la science, et, plus particulièrement, la science étant spéculation pure, la technique va apparaître comme le point de contact entre la réalité matérielle et le résultat scientifique, mais aussi bien comme le résultat expérimental, comme une mise en œuvre des preuves, que l'on adaptera à la vie pratique. 

Cette vue traditionnelle est radicalement fausse. Elle ne rend compte d'une catégorie scientifique et d'un bref laps de temps : elle n'est vraie que pour les sciences physiques et pour le 19 ième siècle. On ne peut donc absolument fonder là-dessus soit une considération générale, soit, comme nous tentons de le faire, une vue actuelle de la situation. 

Sous l'angle historique, une simple remarque détruira la sécurité de ces solutions : historiquement, la technique a précédé la science, l'homme primitif a connu des techniques. Dans la civilisation hellénistique, ce sont les techniques orientales qui arrivent les premières, non dérivées de la science grecque. Donc, historiquement, ce rapport science-technique doit être inversé. 

(…) D'ailleurs, on sait que dans certains cas, même en physique, la technique précède la science. L'exemple le plus connu est celui de la machine à vapeur. C'est une réalisation pure du génie expérimental : la succession des inventions et perfectionnements de Caus, Huyghens, Papin, Savery, etc., repose sur des tâtonnements pratiques. L'explication scientifique des phénomènes viendra plus tard, avec un décalage de deux siècles et sera très difficile à donner. Nous sommes donc loin de l'enchaînement mécanique de la science et de la technique. La relation n'est pas aussi simple ; il y a de plus en plus d'interaction : toute recherche scientifique met aujourd'hui en avant un énorme appareillage technique (c'est le cas pour les recherches atomiques). Et bien souvent c'est une simple modification technique qui va permettre le progrès scientifique. 

Lorsque ce moyen n'existe pas, la science n'avance pas : ainsi Faraday avait eu l'intuition des découvertes les plus récentes sur les constituants de la matière, mais il n'avait pas pu arriver à un résultat précis parce que la technique du vide n'existait pas à cette époque : or, c'est par cette technique de raréfaction des gaz que l'on est arrivé à des résultats scientifiques. De même la valeur médicale de la pénicilline avait été découverte en 1912 par un médecin français, mais il n'y avait aucun moyen technique de production et de conservation, ce qui a entraîné la mise en doute de cette découverte et, en tout cas, son abandon." 

  • Réfutation d'une opinion commune, celle selon laquelle la technique dépend de la science de telle sorte qu'elle en serait l'application. Cette opinion est la généralisation abusive d'une situation historique à la fois récente et caduque.
  • Arguments historiques : la technique peut ou bien précéder la science ou être indépendante d'elle. Exemples de la technique chez les hommes primitifs, chez les Grecs et celui de la machine à vapeur qui ne doit rien à la science, à la thermodynamique, découverte beaucoup plus tard et avec peine. En retour, c'est vrai, l'élaboration progressive de la machine à vapeur s'est faite par tâtonnements. Autre exemple : on a fait voler des avions avant de savoir comment cela était physiquement possible.
  • Des rapports complexes : la science peut être comme en retard sur la technique, ce qui rend ses progrès plus hasardeux, mais la science a besoin de la technique pour progresser. Elles interagissent l'une sur l'autre de telle sorte qu'on ne peut pas dire que la technique dépend de la science exclusivement, parce que le contraire est aussi vrai.
  • La science dépend en effet triplement de la technique : d'abord pour les procédures expérimentales - la technique met à la disposition des sciences des machines, des outils, des dispositifs qui rendent testables expérimentalement des hypothèses - ensuite parce que la science a besoin des progrès de la technique pour progresser, enfin parce que les problèmes techniques, les échecs techniques permettent souvent de mettre en évidence des problèmes scientifiques, comme c'est le cas par exemple avec les pompes à vide de Florence qui ne permettent pas d'aspirer de l'eau au-delà de 10,30m. L'échec d'une technique pose un problème scientifique lorsqu'il est la mise en évidence d'un échec théorique. 

    Ce que soutient Comte est en réalité faux parce que partiel : les rapports science/technique ne sont pas unilatéraux comme il le dit, mais bilatéraux, interactifs. 

    Seulement, cette thèse n'est pas sans poser un problème : si on dissocie la technique de la science, comment expliquer que la technique soit tout simplement possible puisqu'elle dépend de la connaissance que nous avons de la réalité ? 

    2.3. - Comment peut-on concevoir des techniques sans la science ?  

    Si la technique requiert toujours des savoirs, elle n'a pas nécessairement besoin de savoirs scientifiques pour être conçue : des savoirs empiriquement acquis, c'est-à-dire par induction, par généralisation d'observations singulières, sont suffisants pour inventer des techniques simples ou complexes, comme la machine à vapeur ou l'avion. La technique ne dépend pas de la science exclusivement parce que tous les savoirs qui sont nécessaires à l'élaboration d'une technique ne sont pas nécessairement scientifiques, si par connaissances scientifiques, on entend des connaissances expérimentalement testées. 

    C'est d'ailleurs tout le problème posé par le texte de Comte : si par science, on entend n'importe quel énoncé général, alors certes, la technique dépend d'elle, mais si par science on entend les sciences expérimentales, alors il a tort. Encore que l'on peut soutenir que certaines réalisations techniques ne doivent pas moins au hasard, au tâtonnement aveugle, à l'essai, à l'erreur même, plutôt qu'à des connaissances, empiriques ou non. 
     

    Conclusion

    Quelles sont les conséquences de l'affirmation selon laquelle les rapports entre la science et la technique sont complexes, interactifs ? 

    1- C'est parce que la technique et la science entretiennent des rapports complexes qu'on ne peut pas savoir à l'avance qu'elles sont les retombées technologiques qu'une découverte scientifique pourra avoir (Einstein, en concevant la relativité générale, n'avait pas prévu que cette découverte rendrait possible l'invention de la bombe atomique par exemple. Il aurait dit que s'il l'avait su, il aurait hésité à publier ses résultats). De même, la mise au point d'une nouvelle technique, que ce soit grâce à la science ou non, pourra avoir des conséquences en matière de recherche scientifique tout à fait imprévisibles (l'invention du microscope, destinée à voir ce qui était invisible à l'œil nu, a eu des conséquences imprévisibles sur la biologie par exemple). 

    2- C'est parce que la technique n'a pas besoin nécessairement de connaissances scientifiques mais qu'elle a fini par beaucoup dépendre d'elles qu'on a inventé un nouveau mot : technologie pour désigner les techniques qui ont été conçues à partir de connaissances scientifiques et pour les distinguer des techniques nées avant ou sans elles. 

    3- Ce sont ces rapports complexes entre la technique et la science qui expliquent la confusion entre elles : on les prend l'une pour l'autre parce qu'elles ne vont plus l'une sans l'autre. La confusion va si loin qu'on appelle scientifiques des personnes dont on ne sait pas si ce sont des chercheurs ou des ingénieurs, des scientifiques ou des techniciens, des découvreurs ou des inventeurs : c'est le cas tout spécialement de ceux qui travaillent dans le domaine médical (mise au point d'un vaccin, clonage, déchiffrage de la carte génétique de telle ou telle espèce…) Mais, c'est aussi vrai en physique : on récompense par un prix Nobel un français qui a mis au point une technique nouvelle d'accélération des particules et un autre pour ses travaux sur les colles… Les modes de financement de le recherche scientifique n'y sont pas pour rien : l'industrie comme les Etats ont tendance à ne financer que les recherches dont on peut à l'avance espérer des retombées technologiques, donc des intérêts financiers, militaires ou en matière de santé publique… Remarque à mettre en parallèle avec l'observation faite plus haut : dans les entreprises, on appelle services de recherche les services chargés de la mise au point de nouveaux produits et de nouvelles techniques de production. On ne sait plus très bien où se trouve la recherche : dans les laboratoires et centres de recherche, on peut rencontrer des ingénieurs qui s'ignorent, et, dans les services techniques d'une entreprise, on peut avoir affaire à des découvreurs, comme c'est le cas dans l'industrie pharmaceutique. 

    4- C'est enfin en raison de cette imbrication de plus en plus poussée entre science et technique qu'on se met à parler d'elles comme d'un tout avec le vocable de techno-science. Ce qui indique combien est compréhensible, quoiqu'elle soit peu claire comme telle, la confusion commune entre science et technique.

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