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Le cours ]
Il est courant de confondre la science et la technique, de les
prendre l'une pour l'autre, d'employer indifféremment le mot science
à la place du mot technique tout comme il est courant de les associer
l'une à l'autre.
Ex : parler du progrès de la science alors qu'on veut parler d'innovations technologiques, parler des progrès de la science alorsqu'on pense à l'amélioration ou à la découverte d'une technique ou dire d'une prouesse technique qu'elle est une réussite de la science. Compte tenu de cette confusion ou de cette association, la question se pose de savoir si, comme on a l'air de le dire, science et technique sont non seulement proches mais finalement confondues, indicernables, voire identiques ou ou si, au contraire, elles se distinguent de telle sorte que la confusion est impossible ou maladroite. Ce qui dans ce cas nous mettra dans la nécessité d'expliquer pourquoi cette confusion existe, malgré les différences. De deux choses l'une en effet, ou bien la science et la technique
sont une seule et même réalité dotée de deux noms
ou bien elles sont effectivement distinctes.
1 - La technique est-elle la même chose que la science ? Pour le savoir, il convient bien sûr de les définir l'une et l'autre. |
Explicitation :
On le voit donc, cette définition de la technique repose toute entière sur l'opposition moyen/fin. Elle est ce rapport même. Seulement peut-on s'en tenir à cette définition générale de la technique pour saisir exactement ce qu'elle est? Si on s'en tient à elle en effet, on ne fait pas de différence entre par exemple une machine à calculer et des techniques de calcul mental, puisque toutes les deux répondent à la définition, alors qu'il apparaît qu'on a ici affaire à deux types de technique nettement distincts. C'est pourquoi il est nécessaire de préciser cette définition, de faire des distinction au sein des techniques, au sein de l'ensemble des moyens techniques. Par ailleurs, si on s'en tient à cette définition de la technique, on ne sait pas non plus ce qui caractérise exactement une fin visée par une technique. En effet, il existe des fins qui ne sont pas en rapport avec une technique : chercher la vérité par exemple est une fin que l'on peut viser et atteindre sans recourir à des techniques. D'où deux questions : ne faut-il pas au sein des techniques
faire des distinctions entre des techniques de nature différentes?
Tous les moyens techniques sont-ils de même nature? Et, qu'est-ce qui
caractérise une fin visée par la technique?
- Procédés ou méthodes non-objets qui sont autant de moyens en vue d’une fin fixée à l’avance. Techniques purement intellectuelles comme les techniques de gestion, de concentration, de calcul mental, de dissertation, mais aussi techniques inscrites par apprentissage dans le corps : les techniques du corps dont parle Mauss (manger, s'asseoir, marcher, faire l'amour, …) , la technique d'un instrumentiste, d'un sportif, d'un danseur, et enfin, les savoir-faire, l'habileté manuelle ou technique comme la dactylographie, la conduite d'une voiture, les techniques de réanimation pour un pompier,… Ces techniques peuvent être dites invisibles en cela qu'elles sont incorporées au cours d'un apprentissage et de telle sorte qu'elles ne se voient pas en celui qui la possède, sinon lorsqu'il en use et encore. Notons que ce sens correspond à l'étymologie du mot technique qui vient du grec techné, qui signifie habileté acquise ou art au sens de savoir-faire. - Notons par ailleurs que si une technique est par définition transmissible, les modes de transmission des objets techniques différent profondément des modes de transmission des techniques subjectives : on hérite d'un objet technique comme d'un bien, on apprend les techniques subjectives par imitation, par essai et erreur, c'est-à-dire toujours avec quelqu'un qui maîtrise une technique et qui l'enseigne à quelqu'un qui ne la maîtrise pas encore. Cela a une conséquence remarquable : puisque tous les objets techniques supposent des savoir-faire et des techniques invisibles, il est possible d’hériter d’objets techniques qu’on ne saura pas utiliser faute de savoir comment le faire. Ainsi, les Gallo-romains avaient créent des machines comme la faucheuse et la moissonneuse qui cesseront d’être employées au Moyen-Age. Cela se produit parce que les modes de transmission des objets technique n’est pas le même que celui des savoir-faire et des techniques invisibles : leur apprentissage exige des conditions politiques, sociales et même culturelles qui ne sont pas toujours réalisées.
Il apparaît donc qu'il faut au sein des techniques établir une différence entre des techniques de nature différentes : celles qui sont objectives et celles qui sont subjectives. |
Dit autrement : la technique, à quoi ça sert, quelle fin spécifique ça vise? Les techniques servent essentiellement à mettre à notre disposition quelque chose qui ne se présente pas spontanément à nous, qui n'est pas immédiatement à notre portée et dont on a besoin ou dont on juge avoir besoin. Elle sert essentiellement à transformer ce qui est donné, présent, le réel, la nature. Transformer au sens précis de faire changer de forme, donner une forme déterminée à une chose qui immédiatement en a une autre ou qui n'en a pas. C'est-à-dire : produire une chose qui n'existe pas avec des éléments qui eux existent, créer quelque chose, faire produire par quelque chose un objet, un effet, un service… Transformer ou informer au sens d'imposer une forme à ce qui spontanément n'en a pas, comme c'est le cas avec les techniques du corps. Une fin visée par la technique consiste toujours à ajouter quelque chose au réel en le transformant, en le modifiant, en infléchissant son cours spontané ou naturel. La technique a donc un rapport au réel ou à la nature qui est essentiellement un rapport de transformation. On parlera donc de technique pour désigner dans toutes les activités humaines soit les moyens de produire des objets qui ne sont pas naturels, soit les moyens de résoudre un problème que l’homme rencontre dans son existence.
Mais cela signifie que la fin visée et atteinte par une technique n'est une fin que pour elle et qu'elle est un moyen à un autre point de vue : ce que la technique produit ou obtient, sa fin donc, sert à quelque chose ou à quelqu'un qui en a besoin et pour lequel le produit de la technique n'est qu'un moyen. Si la technique est définie comme moyen par rapport à une fin, les fins visées par la techniques sont ensuite des moyens en vue d'autres choses. Ex : la construction d'une maison suppose la mise en œuvre d'un grand nombre de techniques, mais la fin de ces techniques ne sera qu'un moyen pour ceux qui vivront dans cette maison : un logement. Le caractère utile des fins visées par la technique signifie que ces fins sont utiles à quelque chose ou à quelqu'un qui va les employer comme moyens de faire autre chose. Autre exemple : demander à des techniciens de concevoir une bombe atomique n'a de sens que par rapport à l'utilité de la possession d'une telle bombe. Tout cela signifie que la technique, les techniciens et les ingénieurs sont toujours ou presque soumis à quelqu'un ou à quelque chose : à la nécessité de satisfaire des besoins naturels ou sociaux, c'est-à-dire une demande, un marché ou à des pouvoirs, sociaux, économiques, politiques qui déterminent les fins qu'ils doivent poursuivre. Ce ne sont pas eux qui décident de l'opportunité de la poursuite d'une fin quelconque. D'autres personnes ou d'autres choses fixent pour eux les fins.
Ce qui ne va pas sans poser un problème qui n'a rien de technique (un problème technique se formule toujours sous la forme suivante : une fin étant posée, comment faire pour l'atteindre, par quels moyens est-il possible de l'atteindre?), mais qui est moral ou éthique : si la technique doit réfléchir sur les moyens à mettre en œuvre pour atteindre une fin donnée ou imposée, elle ne réfléchit pas comme telle sur les fins, sur la valeur des fins. Or, chaque fois que l'on néglige la réflexion sur les fins ou qu'on considère que cette réflexion n'est pas de notre ressort, que ce n'est pas à nous de nous prononcer sur leur valeur, on prend le risque de mettre sa personne, ses talents, ses compétences au service de fins qui ne sont pas bonnes.
Exemples : Vinci cherche à concevoir des machines de guerre comme des machines qui permettraient de voler… La mort est mon métier, Robert Merle : se vivre et se penser comme technicien aux ordres de quelqu'un dont on suppose qu'il a réfléchi sur les fins qu'il ordonne et qui pour cette raison saurait répondre de la poursuite de ces fins, saurait en rendre raison, rendre des comptes. Les seuls problèmes que rencontre le responsable du camp d'extermination sont des problèmes techniques : comment traiter tant d'unités par jour de la réception à la destruction des corps, et jamais de problèmes de conscience : si on lui demande de faire une chose pareille, c'est qu'on doit avoir de bonnes raisons de le faire. Seulement, celui qui le commande ne répond finalement pas des ordres qu'il a donné puisqu'il se suicide : sorte d'aveu de l'illégitimité des fins qui plonge dans la stupeur celui qui se pensait comme technicien. L'exécutant zélé, celui qui se vit comme moyen ou comme technicien est toujours dangereux. Mais cet état de fait ne doit pas les empêcher de
réfléchir sur la valeur des fins qu'on leur demande de poursuivre
: ils ne sont pas que des techniciens, ils sont aussi des hommes, capables
donc autant qu'ils s'efforcent de la faire, de juger la valeur des fins.
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(Définition rapide)
Il apparaît qu'il n'est pas possible de confondre la science et la technique parce qu'elles n'ont rien en commun : chercher à connaître le réel n'est pas la même chose que chercher à le maîtriser ou à le modifier d'une manière déterminée à l'avance par la mise en œuvre de moyens appropriés. Le rapport qu'elles entretiennent avec le réel n'a rien à voir. Pour rejoindre une vieille distinction, la science est contemplative, elle est de l'ordre de la théorie, c'est-à-dire étymologiquement du regard, la technique est de l'ordre de l'action, de la production, de la transformation, de la volonté de maîtrise. Autre distinction : découvrir et inventer. Un découvreur est un scientifique, un inventeur est un technicien. Newton découvre la loi de la gravitation universelle, Pascal invente la machine à calculer. Mais, s'il n'y a entre elles aucun point commun, comment se fait-il qu'on les confonde, qu'on les prenne pour la même chose ? Parce que dire qu'elles n'ont rien de commun, qu'elles ne sont pas la même chose, cela ne signifie pas qu'elles sont sans rapport entre elles. Or, des rapports, elles en ont. Mais lesquels ? 2. - Quels sont les rapports qui existent entre la science et la technique ? Si la science n'est pas la technique, on peut en revanche soutenir que la technique suppose la science, qu'elle n'est possible que grâce à la science, qu'elle est l'application technique des découvertes scientifiques. Cette thèse est un lieu commun : lorsqu'on ne les confond pas purement et simplement, on pense en effet d'ordinaire la technique comme l'application de la science. Elle a par ailleurs une vieille histoire : elle naît avec Bacon : cf. : "on ne commande à la nature qu'en lui obéissant.", et avec Descartes. Cf : l'arbre de la connaissance, décrit dans la préface des Principes de la Philosophie, a, parmi ses trois branches, deux branches techniciennes : la mécanique et la médecine. Cf : Discours de la méthode : l'homme, par la connaissance, peut devenir "comme maître et possesseur de la nature". Seulement, cette thèse qui passe pour évidente n'est
pas des plus claires : comment peut-on dire que la technique applique les
découvertes scientifiques ? Comment la technique utilise-t-elle les
résultats scientifiques ? Comment peut-on passer de la connaissance
de la réalité à la mise en œuvre de techniques qui elles
ont pour but de modifier cette même réalité?
Affirmer que la technique dépend de la science, c'est affirmer qu'elle dépend d'une connaissance de la réalité. En quoi donc dépend-elle de cette connaissance ? La technique a été définie comme l'ensemble des moyens qui dans une activité donnée permet d'atteindre une fin déterminée à l'avance et jugée utile. Elle se ramène donc au couple de notions moyen/fin. Une fin étant posée, la technique consiste à trouver et mettre en œuvre les moyens qui permettront de l'atteindre. En quoi ces opérations exigent-elles des connaissances de la réalité ? En cela qu'il n'est possible de découvrir et de mettre en œuvre des moyens en vue d'une fin que si on sait par ailleurs que telle ou telle chose peut avoir tel ou tel effet, telle ou telle conséquence, tel ou tel rapport avec une autre. Ex : si on pose comme fin la cuisson d'un aliment, cette fin ne sera réalisée que si on dispose des moyens de les cuire, c'est-à-dire d'une source de chaleur. Cela va de soi lorsqu'on dispose de ces moyens et qu'on en use sans même y penser. Mais ces moyens dont nous disposons, il a fallu les inventer ou les maîtriser. Il a fallu domestiquer le feu, inventer des fours, des cuisinières à bois, au gaz, électrique, des fours à micro-ondes… Or, comment aurions-nous pu parvenir à inventer tous ces moyens si, au préalable, nous n'avions pas remarqué que le feu dégage une chaleur capable de cuire des aliments, que certains gaz peuvent s'enflammer et pas d'autres, des certains champs magnétiques dégagent de la chaleur ? En somme, sans certaine connaissance relative à la réalité, il n'aurait pas été possible de concevoir de techniques. Si on veut atteindre certaines fins par les moyens qui conviennent, il faut d'abord savoir comment dans la réalité certaines choses se produisent et par quelles causes. La relation moyen/fin propre à la technique correspond à la connaissance que nous avons de la relation cause/effet dans la réalité. Un champ magnétique avec telle longueur d'onde est la cause d'un dégagement de chaleur. On va utiliser cette propriété comme moyen en vue de chauffer des aliments en parvenant à maîtriser la production de ce type de champ magnétique. Il apparaît donc que la technique est inséparable de la connaissance, qu'elle suppose une connaissance du réel qui rend possible la mise en œuvre de technique. Rq : Que la technique suppose des connaissances qui la rendent possible ne signifie pas que le passage de la connaissance à la mise en œuvre technique est comme immédiat, loin s'en faut. Rien n'est plus étonnant que ce passage : savoir par expérience que le feu brûle, que le tranchant d'une pierre coupe n'a rien de très élaboré puisque même les animaux peuvent atteindre ce niveau de savoir, mais faire usage de ces savoirs en fabriquant des pierres tranchantes ou en maîtrisant le feu, voilà qui est étonnant. Puisque la technique suppose des connaissances du réel et que la science délivre précisément une connaissance du réel, on comprend que la technique puisse dépendre de la science. Certes, mais comment? Cf : Auguste Comte. "Science d'où prévoyance, prévoyance d'où action ; telle est la formule très simple qui exprime, d'une manière exacte, la relation générale de la science et de l'art, en prenant ces deux expressions dans leur acception totale." Cours de philosophie positive, Leçon II. Commentaire :
Entre la science et la technique, les rapports sont donc simples : la science fait des découvertes, met en évidence des lois de la nature, et ce faisant, elle permet de prévoir ce qui va ou peut se produire si telles ou telles conditions sont remplies. Du coup, elle indique aussi ce qui est techniquement possible. En effet, si on sait que tel effet peut être obtenu par telle ou telle cause, il est possible d'obtenir cet effet de manière artificielle, provoquée si on peut créer les conditions adéquates. Si on connaît des moyens qui permettent de mettre en place d'autres moyens en vue d'obtenir tels effets, on peut les provoquer. A partir de là, les ingénieurs et les techniciens, grâce à leurs connaissances, mettent au point des techniques. C'est par exemple la fonction de tous les ingénieurs qui travaillent au sein du service dit abusivement de recherche d'une entreprise : c'est dans ce service que l'on met au point techniquement les nouveaux produits et les moyens de les fabriquer. |
Voilà qui pose un problème : la technique est d'un côté tenue pour la mise en application des découvertes scientifiques, mais de l'autre, elle apparaît comme telle bien avant la science. Quels sont donc exactement les rapports entre la science et la technique ? Texte de Ellul. La technique ou l'enjeu du siècle. "Chacun sait que la technique est une application de la science, et, plus particulièrement, la science étant spéculation pure, la technique va apparaître comme le point de contact entre la réalité matérielle et le résultat scientifique, mais aussi bien comme le résultat expérimental, comme une mise en œuvre des preuves, que l'on adaptera à la vie pratique. Cette vue traditionnelle est radicalement fausse. Elle ne rend compte d'une catégorie scientifique et d'un bref laps de temps : elle n'est vraie que pour les sciences physiques et pour le 19 ième siècle. On ne peut donc absolument fonder là-dessus soit une considération générale, soit, comme nous tentons de le faire, une vue actuelle de la situation. Sous l'angle historique, une simple remarque détruira la sécurité de ces solutions : historiquement, la technique a précédé la science, l'homme primitif a connu des techniques. Dans la civilisation hellénistique, ce sont les techniques orientales qui arrivent les premières, non dérivées de la science grecque. Donc, historiquement, ce rapport science-technique doit être inversé. (…) D'ailleurs, on sait que dans certains cas, même en physique, la technique précède la science. L'exemple le plus connu est celui de la machine à vapeur. C'est une réalisation pure du génie expérimental : la succession des inventions et perfectionnements de Caus, Huyghens, Papin, Savery, etc., repose sur des tâtonnements pratiques. L'explication scientifique des phénomènes viendra plus tard, avec un décalage de deux siècles et sera très difficile à donner. Nous sommes donc loin de l'enchaînement mécanique de la science et de la technique. La relation n'est pas aussi simple ; il y a de plus en plus d'interaction : toute recherche scientifique met aujourd'hui en avant un énorme appareillage technique (c'est le cas pour les recherches atomiques). Et bien souvent c'est une simple modification technique qui va permettre le progrès scientifique. Lorsque ce moyen n'existe pas, la science n'avance pas : ainsi Faraday avait eu l'intuition des découvertes les plus récentes sur les constituants de la matière, mais il n'avait pas pu arriver à un résultat précis parce que la technique du vide n'existait pas à cette époque : or, c'est par cette technique de raréfaction des gaz que l'on est arrivé à des résultats scientifiques. De même la valeur médicale de la pénicilline avait été découverte en 1912 par un médecin français, mais il n'y avait aucun moyen technique de production et de conservation, ce qui a entraîné la mise en doute de cette découverte et, en tout cas, son abandon." Ce que soutient Comte est en réalité faux parce que partiel : les rapports science/technique ne sont pas unilatéraux comme il le dit, mais bilatéraux, interactifs. Seulement, cette thèse n'est pas sans poser un problème : si on dissocie la technique de la science, comment expliquer que la technique soit tout simplement possible puisqu'elle dépend de la connaissance que nous avons de la réalité ? |
Si la technique requiert toujours des savoirs, elle n'a pas nécessairement besoin de savoirs scientifiques pour être conçue : des savoirs empiriquement acquis, c'est-à-dire par induction, par généralisation d'observations singulières, sont suffisants pour inventer des techniques simples ou complexes, comme la machine à vapeur ou l'avion. La technique ne dépend pas de la science exclusivement parce que tous les savoirs qui sont nécessaires à l'élaboration d'une technique ne sont pas nécessairement scientifiques, si par connaissances scientifiques, on entend des connaissances expérimentalement testées. C'est d'ailleurs tout le problème posé par le texte
de Comte : si par science, on entend n'importe quel énoncé
général, alors certes, la technique dépend d'elle, mais
si par science on entend les sciences expérimentales, alors il a tort.
Encore que l'on peut soutenir que certaines réalisations techniques
ne doivent pas moins au hasard, au tâtonnement aveugle, à l'essai,
à l'erreur même, plutôt qu'à des connaissances,
empiriques ou non. Conclusion Quelles sont les conséquences de l'affirmation selon laquelle les rapports entre la science et la technique sont complexes, interactifs ? 1- C'est parce que la technique et la science entretiennent des rapports complexes qu'on ne peut pas savoir à l'avance qu'elles sont les retombées technologiques qu'une découverte scientifique pourra avoir (Einstein, en concevant la relativité générale, n'avait pas prévu que cette découverte rendrait possible l'invention de la bombe atomique par exemple. Il aurait dit que s'il l'avait su, il aurait hésité à publier ses résultats). De même, la mise au point d'une nouvelle technique, que ce soit grâce à la science ou non, pourra avoir des conséquences en matière de recherche scientifique tout à fait imprévisibles (l'invention du microscope, destinée à voir ce qui était invisible à l'œil nu, a eu des conséquences imprévisibles sur la biologie par exemple). 2- C'est parce que la technique n'a pas besoin nécessairement de connaissances scientifiques mais qu'elle a fini par beaucoup dépendre d'elles qu'on a inventé un nouveau mot : technologie pour désigner les techniques qui ont été conçues à partir de connaissances scientifiques et pour les distinguer des techniques nées avant ou sans elles. 3- Ce sont ces rapports complexes entre la technique et la science qui expliquent la confusion entre elles : on les prend l'une pour l'autre parce qu'elles ne vont plus l'une sans l'autre. La confusion va si loin qu'on appelle scientifiques des personnes dont on ne sait pas si ce sont des chercheurs ou des ingénieurs, des scientifiques ou des techniciens, des découvreurs ou des inventeurs : c'est le cas tout spécialement de ceux qui travaillent dans le domaine médical (mise au point d'un vaccin, clonage, déchiffrage de la carte génétique de telle ou telle espèce…) Mais, c'est aussi vrai en physique : on récompense par un prix Nobel un français qui a mis au point une technique nouvelle d'accélération des particules et un autre pour ses travaux sur les colles… Les modes de financement de le recherche scientifique n'y sont pas pour rien : l'industrie comme les Etats ont tendance à ne financer que les recherches dont on peut à l'avance espérer des retombées technologiques, donc des intérêts financiers, militaires ou en matière de santé publique… Remarque à mettre en parallèle avec l'observation faite plus haut : dans les entreprises, on appelle services de recherche les services chargés de la mise au point de nouveaux produits et de nouvelles techniques de production. On ne sait plus très bien où se trouve la recherche : dans les laboratoires et centres de recherche, on peut rencontrer des ingénieurs qui s'ignorent, et, dans les services techniques d'une entreprise, on peut avoir affaire à des découvreurs, comme c'est le cas dans l'industrie pharmaceutique. 4- C'est enfin en raison de cette imbrication de plus en plus poussée entre science et technique qu'on se met à parler d'elles comme d'un tout avec le vocable de techno-science. Ce qui indique combien est compréhensible, quoiqu'elle soit peu claire comme telle, la confusion commune entre science et technique. |
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