I ) LE TRAVAIL : UN RAPPORT ENTRE L'HOMME ET LA NATURE
      A ) Pourquoi travaillons-nous ?
Puisque le travail passe souvent pour une activité pénible et mutilante, on peut se demander pourquoi on travaille. 

Si on interroge les individus à ce sujet, ils répondront qu'ils travaillent pour gagner leur vie, pour subvenir à leurs besoins. Mais, cela ne répond pas à la question que l'on pose si on se place du point de vue non pas des individus et des explications qu'ils donnent, mais plus fondamentalement, du point de vue de l'espèce humaine. "Pourquoi travaillons-nous?" voulant alors dire, "Pourquoi y a-t-il du travail, pourquoi le travail existe-t-il?" 

Le mythe de Protagoras, extrait du Protagoras de Platon, donne certes sous la forme d'un récit mythologique, une réponse à cette question en même temps qu'il développe une thèse à propos de l'origine de la technique. Ce qui indique que l'apparition du travail est liée à celle de la technique. 

        1 ) Le travail ou l'adaptation de la nature à nos besoins.
Commentaire du mythe. 

Autant les animaux sont adaptés au milieu naturel, autant l'homme lui est inadapté à ce milieu. L'animal est par nature et sous peine de disparition, adapté au milieu naturel : il dispose des moyens physiques et instinctuels nécessaires à sa survie et le milieu lui offre ce dont il a besoin. Toute inadaptation causée soit par une modification du milieu soit par une mutation se traduit par une disparition rapide de l'espèce. C'est la sélection naturelle des espèces. Qu'est-ce que cela signifie? Que chaque espèce est intégrée au sein d'un milieu spécifique appelé écosystème duquel elle est inséparable et en lequel elle a une fonction régulée et régulatrice précise. D'où le mot système. 

Or, en ce qui concerne l'homme, une telle adaptation ne s'observe pas. L'homme n'est pas chez lui dans la nature : il a des besoins auxquels il ne peut pas subvenir avec les moyens naturels dont il dispose. Comme le dit Protagoras, l'homme est nu, sans arme et sans couverture. Pourtant, il a survécu, il est une espèce viable. Comment est-ce possible? 

Grâce à Prométhée qui offre aux hommes la maîtrise du feu et des techniques qui vont leur permettre de travailler et ainsi de compenser cette inadaptation au milieu. Or, en offrant aux hommes des techniques, il leur offre aussi le travail puisqu'on ne peut les utiliser que dans le cadre d'un travail. On le voit, le travail et la technique sont liées en cela qu'il n'y a pas de travail sans technique. 

Mais, alors pourquoi travaillons-nous? Parce que la nature ou le milieu naturel et notre constitution ou notre nature ne sont pas spontanément en harmonie, parce que nous ne pouvons nous procurer ce dont nous avons besoin pour vivre qu'en le fabriquant. Est-ce à dire que nous travaillons pour nous adapter à la nature? Non puisque nous ne sommes pas adaptés à elle. C'est donc que nous travaillons pour au contraire adapter la nature à nos besoins. Le travail existe parce qu'il nous faut transformer la nature pour l'adapter à nos besoins et ainsi assurer notre survie. Telle est la raison d'être ou la raison suffisante du travail. Et le travail est cette activité de transformation adaptatrice de la nature à nos besoins. L'homme est l'être qui produit lui-même ses conditions d'existence parce qu'elles ne sont pas immédiatement présentes dans la nature. 

Ce qui nous donne une première définition du travail : il y a travail partout où rencontre une activité de transformation de ce qui est donné, que ce donné soit brut ou naturel ou qu'il soit déjà élaboré et ce en vue de la satisfaction d'un besoin ou d'une exigence.

Ainsi, toute activité transformatrice qui n'a pas pour but de satisfaire un besoin ou de répondre à une exigence n'est pas un travail : casser quelque chose pour le plaisir est faire subir à cette chose une transformation, mais n'est pas un travail. Ainsi, le travail dit intellectuel comme le travail scolaire par exemple est bien un travail puisqu'on élabore quelque chose qui n'est pas donné à partir d'éléments qui eux sont donnés. En outre, avec la travail scolaire s'opère un autre type de travail qui souvent passe inaperçu, mais qui lui est essentiel : le travail sur soi, au sens strict, la transformation de soi par exemple par acquisition de techniques ou par acquisition de nouvelles connaissances. 

Si tel est le sens ou la fin du travail en général, que produisons-nous au juste? En quoi consiste ce que nous produisons, si ce que nous produisons nous le produisons à partir de ce qui est naturellement donné et en vue de satisfaire nos besoins? 


 
        2 ) La production de valeur d'usage.
Adapter la nature à nos besoins, la transformer pour satisfaire nos besoins, c'est produire des valeur d'usage : la travail est l'activité par laquelle l'homme produit des valeurs d'usage. 

Qu'est-ce qu'une valeur d'usage? 
Une valeur d'usage est un bien ou un service, produit par un travail humain, qui nous est utile, qui permet de satisfaire un besoin qu'il s'agisse d'un besoin qu'on dit naturel parce qu'il est lié aux exigences de notre corps ou qu'il s'agisse de besoins dit sociaux parce qu'ils nous sont inspirés par notre appartenance à la vie sociale. 

Pourquoi parler de valeur? Parce que le produit du travail a non pas d'abord un prix, mais une valeur qui est fonction de l'importance du besoin qu'il permet de satisfaire. La valeur d'un produit du travail est donc déterminée par les besoins qu'il a pour but de satisfaire. Un prix lui est déterminé par un marché, par les rapports entre l'offre et la demande. C'est pourquoi les prix n'ont pas de rapport direct avec la valeur d'usage d'un produit ou d'une service. Un bien qui coûte cher peut ne pas avoir de valeur d'usage et inversement. 

On voit par là toute l'importance du besoin naturel ou social : c'est lui qui exige la réalisation d'un travail et c'est encore lui qui fixe la valeur du bien ou du service produit par ce travail. 

        3 ) Reformulation des contradictions.
Maintenant que l'on connaît la raison d'être du travail, il est possible de reformuler dans cette perspective les contradictions de telles sorte que l'on puisse les dépasser. 

Dire que la travail est une activité qui sert à adapter la nature à nos besoins signifie que nous n'avons pas le choix, qu'il nous faut travailler si nous voulons subvenir à nos besoins, mais cela signifie aussi que grâce au travail, il nous est possible d'acquérir une indépendance à l'égard de la nature, que ne pas dépendre d'elle pour assurer notre survie. Du point de vue du travail en tant que tel, puisqu'il est nécessaire, il est un contrainte indépassable, mais du point de vue de ce qu'il offre ou permet, il est libérateur : il ne permet pas seulement de subvenir à nos besoins, il nous permet aussi de devenir indépendant à l'égard de la nature, au point d'ailleurs de devenir un danger pour les équilibres écologiques. 

Maintenant, cela ne nous dit rien en ce qui concerne la question de savoir si le travail est une activité mutilante, dénaturante ou si au contraire il est une activité par laquelle il est possible de s'accomplir. 

Immédiatement c'est vrai, puisqu'il est contraint, on pourrait penser que le travail ne peut être qu'une activité mutilante, une perte de temps pour d'autres activités plus plaisantes ou plus riches en elles-mêmes, une cause de nos malheurs donc. Seulement, que la travail soit une contrainte ne signifie pas nécessairement qu'il soit aussi et nécessairement une activité mutilante parce qu'il est possible de penser aussi que quoiqu'il soit nécessaire, il puisse être vécu autrement que comme une activité pénible, mais au contraire comme une activité enrichissante, une activité qui nous permettrait de nous accomplir. Il est en effet toujours possible de prendre du plaisir à une activité que nous avons d'abord du accomplir par nécessité et en ignorant qu'elle était aussi plaisante. 

Or, il se trouve qu'il est possible d'observer dans la réalité ces deux aspects contradictoires : le travail vécu comme une activité seulement nécessaire mais sans autre intérêt que la subsistance ou au contraire comme une activité dont on ne pourrait pas se passer parce qu'elle nous apporte ce qu'aucune autre activité ne saurait apporter. 

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