Les Chemins de Porquerolles

Un choix de textes sur l'île de Porquerolles




Mémoire sur la rade et les îles d'Hyères

en réponse à la lettre que Monseigneur le Marquis de Montegnard a fait l'honneur de m'écrire le 7 du mois de juillet de la présente année 1771
Envoyé au Ministre le 9 septembre 1771
Milet de Mouville


Remarques préliminaires de PL :

          Le manuscrit d'origine est quelquefois difficile à lire, les mots dont la transcription est douteuse sont signalés par (?), Les annotations de l'auteur, écrites en marge du document ont été placées dans le corps du texte en caractères gras. L'orthographe du texte primitif à été conservée, ainsi que les unités de mesures. Les évaluations financières sont données en livres, sols et deniers. La livre vaut 20 sols et le sol 12 deniers. Pour les mesures de longueur nous trouvons le pied : 0,320 m, la toise qui vaut 6 pieds soit environ 2m (1,9488m), la brasse qui vaut 5 pieds (1,625m). La toise carrée qui vaut pratiquement 4m2 (3,7987 m2), la " journée de faucheur " représente environ 30 ares. Pour le vin on parle en boutes ou bouttes, la boute varie de 500 à 600 litres suivant les régions, dans un autre texte, l"auteur nous précise que la contenance de la boute est de 16 barils d'un pied cube, ce qui représente 525 litres. La mesure utilisée pour les grains reste ambiguë : " sac de 160 livres, mesure de Provence ", je suppose qu'il s'agit de la livre " poids de table " d'Aix, qui valait 379g, ce qui nous donne un sac de 60kg environ.


Rade d'Hyères et ses différentes passes.

          Rien ne serait plus important pour la sûreté de la navigation de la côte jusqu'à Antibes que d'ôter absolument à l'ennemi le moyen de profiter de la rade d'Hyères, mais la chose ne me paraît pas possible, particulièrement lorsqu'il sera en forces navales supérieures aux nôtres, et ce qui me fait penser ainsi, c'est que la grande passe, où passe du Sud entre l'île de Porquerolles et celle de Bagau qui couvre le fort de Portecros, a environ 4800 toises de largeur et la passe de l'Est entre le Château de Portecros et le fort de Brégançon est d'environ 5000 toises.

Ouvrages proposés à droite et à gauche de la passe du sud ou grande passe

          Il est vrai qu'en construisant une solide redoute sur l'Ile de Bagau, ainsi que je l'avais projeté et une forte tour sur le rocher isolé du Sereinier, éloigné d'environ 300 toises de l'île de Porquerolles, des vaisseaux qui, suivant la circonstance des vents, ne pourraient entrer dans la rade qu'en louvoyant sur cette passe, pourraient être exposés au feu, ou de la redoute ou de la tour projetée.
          À l'égard de la passe de l'Est on ne peut y porter des obstacles par l'artillerie du fort de l'Estissac dans l'Ile de Portecros et par celle du fort de Brégançon qui est, pour ainsi dire, en terre ferme et vis-à-vis, a moins que les vaisseaux ne se trouvent à portée en louvoyant, n'y ayant aucun point intermédiaire à occuper par des batteries.

Mouillages et Batteries relatives à cet objet en temps de guerre

          Mais comme le mouillage n'est pas de bonne tenue dans toute l'étendue de la rade d'Hyères, il faudrait en temps de guerre établir, comme on avait fait, quelques batteries armées de canons et de mortiers de 12 pouces à plaques sur la côte entre le fort de Brégançon et le cap Esterel de la presqu'île de Pontevés Giens et de plus une sur ce cap et une autre sur le cap des Mèdes de l'île de Porquerolles et ces diverses batteries auraient une découverte très avantageuse sur une grande partie du bon mouillage.

Mouillage de bonne tenue

          Il est de bonne tenue entre la côte est un alignement tiré depuis le fort Brégançon et la bastide des Pesquiers, et un autre depuis le cap de Conques au rocher du Sarreignier de l'île de Porquerolles allant à l'ouest mais le fond change de nature. Depuis cet alignement allant à l'est où il est blanchâtre et composé de parties de saffres irrégulières et saillantes qui scient et rongent les câbles dans le tangage des vaisseaux ; le fond se trouve sous 20 à 22 brasses d'eau ou l'algue marine ne croit pas.

Utilité particulière de la redoute proposée sur l'île de Bagau pour la défense de l'île de Portecros

          Quant à la redoute proposée sur l'île de Bagau, outre sa découverte sur la grande passe, on y trouverait plusieurs d'autres avantages. Savoir :
1° celui d'empêcher les Galiotes à bombes de mouiller à l'abri pour bombarder le château et les forts de l'Estissac et l'Eminence de l'île de Portecros, et sans cet abri elles ne pourraient bombarder que sous voile et conséquemment avec très peu de succès
2° de s'opposer à l'établissement des batteries contre ledit château et cette même redoute prendrait des revers sur la plage du Janet et sur celle de Malalengue qui n'est défendue par aucun fort et qui est susceptible d'un débarquement dans ladite île de Portecros du côté du large et vers la partie la plus étroite de la passe qui sépare les deux îles.

Passe de l'Ouest ou petite passe et sa défense

          Il reste à parler de la passe de l'Ouest ou petite passe du coté de Toulon
          Elle est fermée d'un côté par la presqu'île de Pontevés Giens en terre ferme et de l'autre par l'extrémité ouest de l'île de Porquerolles, où se trouve une petite île en avant où est le fort du petit Langoustier ; Cette passe a environ 1400 toises de largeur dans cette partie qui est traversée du côté de Toulon et à environ 400 toises de la côte de Pontevés par la petite île de Ribaudas où l'on voit des vestiges de fortifications, en sorte que la petite passe pour les gros vaisseaux est réduite à environ 5 à 600 toises entre Ribaudas et le fort du petit Langoustier et même moins à cause de rocher qui est en avant, nommé Jaume Gaine et par rapport à la proximité des côtes où il y a moins de fonds.
          L'on connaît par ce détail que les feux d'artillerie de la redoute du Pradeau, établis sur la presqu'île de Pontevés Giens et ceux des feux du petit et même du grand Langoustier se croisent sur la petite passe qui pourrait, je pense être plus sûrement interdite en rétablissant les fortifications qui avaient été construites sur la petite île du Ribaudas et en plaçant d'ailleurs la batterie que j'ai proposée ci-devant sur le cap Esterel en terre ferme et celle sur le cap des Mèdes à Porquerolles, parce que ces batteries et l'artillerie du fort de La Licastre et du château de ladite île auraient une grande découverte sur l'étendue de la petite passe dans sa plus grande largeur qui est du côté de la rade.

Iles d'Hyères

Comment elles étaient gardées avant l'établissement des états majors et des garnisons.

          Quoique l'érection en Marquisat des îles de Porquerolles et de celle de Portecros, par les forts qui y ont été construits et par les gouverneurs et les garnisons ordinaires qui y ont été autrefois établies il paraisse qu'on était persuadé de la nécessité de la garder contre les incursions des pirates et celle des ennemis de l'Etat ; cependant les forts avaient été extrêmement négligés et servaient, excepté le château de ces îles, de bergerie à leurs seigneurs ; c'est dans cet état que je les trouvais en 1741 quand je fus chargé en chef des fortifications des places du département de Toulon ; Il n'y avait dans ces îles qu'un garde d'artillerie presque sans munitions, peu de bouche à feu, et un concierge nommé par les gouverneurs qui prenait la qualité de commandant, et pas un soldat, et ce fut en suite d'une conversation que j'eus avec l'amiral Mathews commandant l'armée navale anglaise mouillée dans la rade d'Hyères, par laquelle il me témoigna l'envie qu'il avait de demander la permission d'établir un hôpital dans l'île de Portecros, si la mortalité continuait de régner sur ses vaisseaux ; que je me rendis près de M. le marquis de Mirefrois commandant alors en Provence pour lui rendre compte de ce projet et il y eut sur cet article une conférence le 8 juin 1744 vis-à-vis M. le Comte de Maurepas, Ministre et secrétaire d'état de la Marine, alors à Toulon où il fut unanimement décidé par les généraux de terre et de mer, qu'il ne fallait rien négliger pour la conservations des dites îles ; il fut conséquemment pris tout de suite des arrangements pour y faire passer plusieurs détachements et y établir tout ce qui était nécessaire à leur subsistance, ainsi que les munitions d'artillerie pour y être un état de quelque défense dans le cas d'une déclaration de guerre avec les Anglais ; C'est depuis cette époque qu'on a réparé les forts autant que la disette des fonds a pu le permettre et qu'on a établi des états-majors, en suite des représentations de M. le maréchal de Belle Isle et continué d'y envoyer des garnisons plus ou moins fortes suivant les circonstances, ce qui prouve de plus en plus l'indispensable nécessité de garder et munir les îles d'Hyères, quoique la rade ne puisse être absolument interdite au mouillage des vaisseaux ennemis.

Nécessité de peupler les Iles

          Rien de plus utile pour l'objet de leur défense et pour celui de quelque subsistance, que de trouver les moyens de peupler ces îles en y attirant des habitants proportionnellement aux terrains qu'on pourrait assigner et inféoder à un certain nombre de familles, indépendamment des privilèges et facilités dont il est indispensable de les faire jouir. et je vais en conséquence entrer dans le détail de chacune de ces îles.

Ile de Porquerolles

          L'on entre avec regret dans le détail long et ennuyeux de cette île, mais il parait nécessaire pour donner une juste idée de ce dont elle est susceptible et de la difficulté de trouver à qui elle appartient précisément en égard à ses parties démembrées et aux hypothèques dont elles sont chargées
          Cette île fut donné en bail amphitéose à M. d'Ornano, la dame Marguerite de Monlaur, sa veuve, la vendit 33 400 livres à M. Mathieu Molé chevalier de Malte et chef d'escadre des vaisseaux du roi du département de Toulon, en faveur duquel ladite île fut érigée en Marquisat 25eme de Provence et confirmé en faveur de François Molé, Maître de requêtes, frère et héritier du dit Mathieu par lettres patentes données à Dijon le mois de novembre 1659 par lesquelles lettres le Roi s'est réservé la grosse tour et son circuit et une rente annuelle de 150 livres payables les 25 Août de chaque année et qui est la seule charge et deniers royaux généralement quelconques que la dite île paye, excepté le dixième lors de son établissement ; Cette île relève directement du domaine de Provence.

Voir les titres de confirmation du dit Marquisat

          Il fut construit avant le règne de Louis XIII, dans cette île, outre la grosse tour, trois autres forts pour la défense de la province et contre les incursions des ennemis de l'état, M. de Lenoncourt prétendait que ces forts avaient été construits par M Molé, mais il a été prouvé que ça été au dépens de la province.
          Cette île à environ 10 milles toises de circonférence en suivant l'irrégularité de la côte qui, du côté du Nord, présente quatre petites plaines au pied des montagnes très accessibles entièrement couvertes de bois de pin blanc et pin sol sauvage, bruyères et autre bois, ces plaines, ainsi que les coteaux et vallons sont généralement propres pour planter de la vigne, des oliviers, câpriers, semer du froment, seigle, orge, avoine et légumes, ayant été cultivées autrefois. L'on peut semer annuellement, tant de la part du seigneur, son fermier ou habitants qu'on peut y établir au-dessus de 150 sacs de grains, mesure de Provence pesant l'une 160 livres qui ne produiront année commune que du 4 ou 5 ; presque toutes les terres de cette île etant légères et sableuses, par conséquent de petite production pour les dits grains exposés aux effets de la sécheresse qui y règne souvent.
          L'article le plus important et assuré est celui de la vigne qui y vient fort bien et produit beaucoup, n'étant exposé qu'à de moindres inconvénients, fort aisée à planter et à peu de frais ; Les vins sont de qualité supérieure et se vendraient toujours par préférence et sans aucun frais de transport par la facilité de l'abord des bâtiments de mer et l'on pourrait y en planter pour 200 boutes de vin.
          Il y a comme il est dit ci-dessus quatre petites plaines d'une étendue honnête, savoir : celle de Notre-Dame à l'est de ladite île où il y a un logement pour deux familles, une chapelle, un puis, un four, deux petits jardins clos et quelques plantations de vigne ; Cette partie dite Notre-Dame a été vendue par M. le chevalier d'Hendicourt propriétaire d'un quart de la totalité de l'île à M. la Croix de Mairargues lieutenant des vaisseaux du roi, il y a environ huit ans que cette vente est en contestation : de cette plaine de Notre-Dame, tirant au couchant et à un quart de lieu de distance, il y a la seconde plaine appelée la Courtade au bas de laquelle, sur le bord de la mer au nord, se trouve un espèce de petit pré ou terrain pour cinq à six journées de faucheurs et une source au milieu à fleur de terre ; Ensuite de cette plaine est la maison du Seigneur située dans le centre de l'île et en face du principal fort ayant à droite et à gauche des pièces de terre propre à produire du froment : la maison est d'environ 60 pieds le long sur 40 de large avec son rez-de-chaussée et premier étage seulement, avec les commodités pour loger un fermier ou ménage fort au large ; n'y ayant pas de cave, mais seulement un cellier ; L'on voit devant cette maison une écurie, et un grenier à foin assez vastes, tout cela est dans le plus mauvais état ainsi que quatre petites habitations par le défaut des réparations depuis bien des années ; et la chapelle du seigneur est entièrement écroulée ; la troisième plaine appelée Porquerolles alignée du nord au midi est entre deux coteaux dont la pente est très douce ; ils sont couverts de bois et bruyères et tous propre à défricher et à cultiver. Au pied de plaine, au nord est un assez grand terrain très bon pour jardinage et une source intarissable qui peut servir à arroser à la main ou par le moyen de quelques pompes.
          Il avait été planté dans cette plaine en 1747 et 1748 trente trois mille pieds de vigne qui avaient très bien réussi et qu'on a négligé et abandonné aux bestiaux, sans aucune culture, au point qu'il n'en reste presque plus.
          À l'égard des vignes qu'on plantera dans le terrain des îles d'Hyères, il faudra six années pour que le produit paye la culture qu'elles exigeront et elle ne pourraient être dans leur port qu'après douze années qu'elles auront été plantées et bien cultivées.
          Il faut dans un pareil terrain 1200 pieds de vigne pour produire une boutte de vin contenant seize barils ou 224 pots du pays faisant 672 bouteilles de Paris.
          Il y a encore environ 100 pieds d'oliviers qui rapporterait s'ils étaient cultivés. Quant à ces arbres il faut quinze années pour que leur produit paye la dépense de la culture qu'ils exigent, et en général 20 années après sa plantation un olivier peut produire un panal (?) d'olives dont seize donneront un baril d'huile pesant 75 livres
          Sur quoi, Il faut observer que les oliviers ne produisent qu'une fois tous les deux ans.
          En suivant la dite plaine à droite, l'on trouve une bergerie assez grande pour des troupeaux, elle menace ruine.
          En continuant au couchant l'on vient à la quatrième et dernière plaine appelée le Bon Renaut entièrement couverte de bruyères et ensuite aux deux forts des grand et petit Langoustier.

M. le Marquis du Luc est gouverneur de cette île

          Cette île est érigée en gouvernement duquel M. le Marquis du Luc est pourvu
Note de PL : Il s'agit de Charles-Emmanuel de Vintimille du Luc, né le 2 aout 1741 au chateau de Versailles , dit "Le Demi-Louis", fils de Louis XV et de Pauline de Nesle, Comtesse de Vintimille qui fut une des favorites du Roi . Il avait été nommé "Gouverneur de Porquerolles et de Lingoustier" le 4 novembre 1764

Port et mouillage autour de l'île.

          Il y a deux bons mouillages autour de cette île et particulièrement entre les forts du grand et du petit Langoustier où les bâtiments marchands sont en sûreté et à couvert.
          Cette île n'est presque point cultivée présentement par l'inconduite de M. M.. de Lenoncourt et les différentes contestations qui règnent entre eux et leurs créanciers ; elle est par conséquent d'un très petit revenu.
          En 1670 ou environ, elle fut affermée 4000 Livres par an, il y eut deux baux sur le même pied, après quoi elle fut négligée et vint en friche, et à presque continué d'être toujours dans le même état.
          Elle abonde en gibier lorsque la chasse est conservée comme elle doit l'être, soit en perdrix rouge, faisans, lapins, et oiseaux de passage ; il n'y a aucune bête fauve ni renard, et l'air y est très salubre.

Raisons de l'état ou se trouvent les terres de la dite île par l'inconduite de la maison de Lenoncourt à qui elle est parvenue par celle de Molé.

          Feu M. et Mme Sublet de Lenoncourt vinrent prendre possession de l'île et Marquisat de Porquerolles en 1740, qui avait été adjugé à leurs enfants mineurs de la succession vacante de Mme De Molé, leur aïeule maternelle, ils trouvèrent cette île en friche depuis nombre d'années, couvertes de bois de pin de plusieurs espèces, chênes verts et bruyères, il y avait alors 8 familles provençales qui défrichaient et contre lesquelles M. et Mme de Lenoncourt avaient pris de l'humeur avant d'arriver en Provence et sans les connaître, ils les obligèrent de sortir de cette île dans l'idée de la peupler de familles lorraines, ils y en envoyèrent 5 l'année suivante et huit à dix valets de travail pour former un ménage ; comme on ne continuera pas a faire les avances promises à ces familles, elles se dégoutèrent et retournèrent dans leur pays, ainsi que le prêtre, le chirurgien et le maréchal qu'ils avaient fait venir. L'agent qui avait été chargé de la régie de cette île, sans avoir égard au dégoût de M. et Mme de Lenoncourt pour les provençaux y en attira plusieurs familles et fit (ainsi qu'on a déjà observé) planter assez considérablement des vignes et quantités d'oliviers jusqu'en 1748, que Mme de Lenoncourt revint pour la seconde fois, mais malgré les plantations et quelques productions, elle obligea ces secondes familles provençales à sortir de son île, toujours plus industrieuse à consommer tous ses biens ainsi qu'on le voit aujourd'hui ; L'on peut conclure de cette façon d'agir de sa part, combien ladite île est discréditée et la difficulté d'y attirer des cultivateurs.
          M. et Mme de Lenoncourt et successivement leurs enfants ne furent occupés qu'à faire couper les bois, et ils en vendirent à Marseille ou à Toulon dans l'espace de cinq à six ans pour plus d'une somme de 120 000 livres non compris les souches de bruyères qu'ils ont toujours fait arracher et ce que l'on continue de faire actuellement pour en retirer quelques petits profits.

(On notera) que la dite île de Porquerolles fut adjugée en 1737 par arrêt de la 3eme chambre des requêtes à Paris pour 25500 livres aux enfants mineurs de M. et Mme de Lenoncourt

          La famille de M. de Lenoncourt était alors composée que quatre garçons et d'une demoiselle, morte depuis un an, chacun d'eux avait un cinquième pour sa part de cette île, les quatre frères cédèrent à leur sœur un contrat sur l'hôtel de ville de Paris et comme au moyen de cette cession elle renonça à son cinquième, elle resta entre les quatre frères qui l'ont chargée d'engagements et d'hypothèques, c'est-à-dire à feu le Comte de Lenoncourt, fils aîné qui a laissé un fils, à l'Abbé de Lenoncourt, au chevalier d'Hendicourt détenu actuellement dans les prisons des îles Sainte-Marguerite et au chevalier de Lenoncourt quatrième frère à présent marquis de Lenoncourt qui est le seul que l'on croit n'avoir contracté aucun engagement sur l'île et qui conséquemment doit en avoir la quatrième partie franche à lui.
          Il n'en est pas de même des autres trois frères, le chevalier d'Hendicourt ainsi qu'on a précédemment observé, vendit son quart il y a environ huit ans à M. de la Croix de Mairargue moyennant la somme de 18 000 livres. Cet acquéreur dit avoir payé plusieurs dettes du vendeur qui a d'ailleurs reçu différents acomptes et c'est en conséquence que mon dit sieur de la Croix a fait des défrichements et quelques plantations.
          M. le Chevalier d'Hendicourt a ensuite acheté le quart appartenant à feu le Comte son frère aîné au moyen de quoi il reste toujours propriétaire de ce quart. L'Abbé De Lenoncourt est possesseur du troisième quart, et enfin le marquis de Lenoncourt l'est du quatrième.
          Il y a nombre de saisies et arrétements par sentences, arrêts etc… de la part des différents créanciers indépendamment des procès entre ces messieurs et M. de la Croix acquéreur d'un quart de l'île. On ne peut exprimer le désordre qui y a régné et qui y règne, ni les chicanes qui naissent journellement.

Familles qui existent dans l'île et ce qu'elles donnent de cens au Seigneur

          Il y a trois à quatre familles qui recueillent quelques grains dont elles donnent le septième (?) ainsi que le tiers des souches de bruyères qu'elles arrachent et il serait très difficile de savoir qui retire cette redevance annuelle car attrape qui peut ; l'on peut cependant évaluer aujourd'hui le produit de ces articles et celui des herbes d'hiver pour les troupeaux, plus les fagots et bois de chauffage pour corps de Garde et la garnison à la somme de 2000 livres au plus. Il n'est cependant pas douteux et l'expérience a convaincu que l'Ile de Porquerolles est très susceptible des plantations dont on a parlé et de produire toutes sortes de grains en y laissant d'ailleurs croître la quantité de bois nécessaire en pins blancs et pins sols ou sauvages dont on ménagerait les coupes, et prenant toutes les précautions contre les incendies. Il faudrait aussi nécessairement bannir les troupeaux de chèvres et ne laisser à chaque ménage que deux ou trois de ces animaux qui seraient tenus à l'attache ou conduit au pâturage avec attention.
          Dans l'état actuel de l'île on peut y tenir depuis le mois d'Octobre jusque vers la fin du mois d'Avril chaque année, environ 600 moutons ou brebis qui rendront 5 à 600 livres, mais lorsqu'elle aura été cultivée on ne pourra tout au plus en tenir que 2 ou 300 prenant les mois ci-dessus et pendant les chaleurs tout aux plus 40 à 50 pour l'usage des habitants et de la garnison en les renouvelant successivement.

Nombre de familles qu'on pourrait établir dans l'île outre celles qui y sont

          S'il était possible d'attirer dans cette ville une vingtaine de familles outre celles qui y sont en leur distribuant et livrant à perpétuité elles et leurs postérités une portion sous une cens modique et combiné avec les dépenses à faire par elles, pour l'achat de quelques mulets ou bêtes asines pour les frais de diverses plantations et cultures et en égard à l'époque des productions, en leur construisant d'ailleurs des habitations proportionnées et les faisant et laissant jouir des privilèges accordés dans les titres d'érection en Marquisat de l'île de Port Cros ou île d'Or auxquels les privilèges pour le marquisat de l'île de Porquerolles sont rapportés.

L'on pourrait en peuplant et cultivant cette île en faire une terre de 9 à 10 000 livres de rente dans une vingtaine d'années environ

          S'il était, dis-je, possible à ces conditions d'attirer ces vingt familles, il est certain que l'on pourrait faire de ladite île dans une vingtaine d'années, une terre du produit de 9 à 10 mille livres de rente et même plus suivant les circonstances. Quoique je joigne à ce mémoire la copie des titres qui la concernent, je crois devoir rapporter ici l'article qui regarde les privilèges.
Extrait des titres du marquisat de l'île de port Cros ou île d'Or, accordés par le roi Henri au mois de décembre de l'année 1549 en faveur des habitants et dont les privilèges sont réversibles à ceux de l'île de Porquerolles par l'érection à marquisat de ladite île
signé Louis l'an 1658.


          En outre considérant que ceux qui y auront demeuré et eux habités es dites île auront des charges, peines, et travaux, périls et dommages à supporter tant pour faire les guets nécessaires pour défendre la descente des ennemis et a faire qu'ils aient meilleur vouloir d'eux et y habiter et demeurer, nous avons voulu et octroyé, voulons et octroyons et nous plait de grâce spéciale par les présentes signées de notre propre main, qui soient et demeurent à toujours francs, quittes et exempts de toutes tailles de, fouage, tributs et impôts, aydes et subsides et redevances quelconques mises et à mettre sur, pour quelque cause que ce soit et d'iceux les avons déclarés et déclarons francs, quittes et immunes et exempts.etc…

Nécessité de faire entrer cette île dans le domaine du roi et d'en inféoder les terres aux diverses familles qui sont établies

          Malgré le projet d'arrangements et les privilèges ci-devant détaillés, il est très certain que tant que cette île restera sous la domination de Seigneurs particuliers, il sera presque impossible d'y attirer des familles a cause du souvenir qui existera très longtemps, des vexations qui y ont été exercées par eux vis-à-vis le petit nombre d'habitants qu'on y avait introduits qui n'ont été que les tristes victimes de l'avidité la plus tyrannique, ce qui est de publique notoriété ; ainsi le seul moyen pour parvenir à la population et la culture de l'île de Porquerolles serait de la faire rentrer dans les Domaines du Roi, alors tous les obstacles seraient levés et les intérêts de sa Majesté se trouveraient successivement, dans les établissements dont elle procurerait la facilité, et dans ce cas la dite île serait bientôt peuplée.
          Quoique les terrains autour des forts ne soient pas propices au jardinage à l'usage des états-majors et des garnisons il sera possible de leur assigner un local à portée pour y faire quelques petits jardins à leur usage proportionnellement à la force des dites garnisons et ce sera l'affaire des arpenteurs et des estimateurs jurés de planter des limites.
          Quant à l'article qui consiste à la jouissance de certaine étendue de terrain à accorder à perpétuité à l'état major et aux troupes pour y cultiver des jardins, il sera facile de leur assigner un espace convenable, non autour des forts, où tout est roc et rocailles et où il n'y a pas d'eau pour l'arrosage ; mais le plus à portée de ces mêmes forts où les sources et les puits en fourniront assez abondamment pour arroser un petit espace de terrain ou à la main ou par le moyen d'une pompe. Savoir, à 160 toises sous le château prés la grande plage ou celle du château, à 60 toises du fort de la Lycastre et a 90 toises de celui du Grand Langoustier ; et la garnison du fort isolée du Petit Langoustier autour duquel il n'y a aucun terroir à cultiver, se fourniront l'herbage au jardin du précédent.
          Or pour remplir cet objet et celui des dédommagements aux Seigneurs de l'île lorsque le roi aura prononcé, il faudra nécessairement avoir recours à des arpenteurs et des estimateurs jurés qui distribueront une certaine quantité de terrains affectés à l'état-major et aux troupes proportionnellement à la force de la garnison qui plaira à sa Majesté d'entretenir dans cette île, ce qui dépendra des circonstances de paix ou de guerre, et l'on doit être persuadé dans ce dernier cas, qu'indépendamment des secours qu'on pourra tirer de ladite île en la supposant cultivée et peuplée relativement à ce mémoire, on sera toujours obligé d'approvisionner les forts de bien des choses, dont elle n'est pas susceptible, mais ce sera toujours un grand avantage de pouvoir disposer d'une certaine quantité d'habitants propres au service de l'artillerie, a porter les armes à l'occasion des mouvements militaires qu'il y aurait à faire et à servir de guide dans l'étendue de l'île dont ils seraient censés soldats garde-côte. Il me paraît convenir de finir l'article qui concerne cette île par la connaissance de la valeur des différentes qualités du terrain qu'on y trouve dans son état actuel. Savoir :
La première qualité de terroir défriché évaluée par un expert à 4s la toise au comme carrée.
Le terrain médiocre à trois sols.
La terre inférieure à un 1s 6d.
La terre en friche couverte de bois de pins à 2s et réduite à 1s 6d après la coupe du dit bois

La terre propre à quelques jardins à 6s la toise carrée.

          L'on conçoit que les prix ci dessus augmenteront régulièrement à proportion lorsque les terres seront plantées et cultivées.


Le mémoire donne ensuite des descriptions analogues pour les Iles de Portecros de Bagau et du Levant.

Source : Service Historique de la Marine de Toulon - Cote 4B1 Art 8