PROMETHEE

Les grands mystères de l'univers

Chacun traîne derrière lui des gamelles comme une voiture de jeunes mariés un lendemain de noces. Ces casseroles résonnent régulièrement à vos oreilles lors de repas familiaux à la faveur de la présence d'un nouveau ou d'une nouvelle venu(e), votre ami(e) de préférence.

Le trait d'union entre cette personne et votre famille, c'est vous. C'est tout naturellement sur vous que portera la conversation. Alors, le recueil de vos exploits, de vos bons mots et de vos coups de génie trop vite épuisé, l'évocation de la mémorable perle, commise bien avant l'invention de Vidéo Gag, ne vous sera pas épargnée.

C'est l'histoire d'un enfant auquel se pose le problème suivant. Soient deux vélos en parfait état de marche : un vélo d'homme et un vélo de femme. Le premier, muni d'un dérailleur, possède une barre transversale qui rend sa chevauchée fantastiquement périlleuse. Le second cumule les avantages et les inconvénients inverses.

La solution envisagée consiste à conjuguer les attributs des deux systèmes en greffant l'appendice mâle sur le sujet du sexe opposé. C'est lors de la mise à exécution de cette idée audacieuse que le sort lui met des bâtons dans les roues. Le projet déraille plus en raison de son inexpérience en matière de manipulation génétique qu'à cause d'interdits éthiques ou moraux pesant à cet endroit.

Un véritable casse-tête se pose à lui et s'oppose à son dessein, brisant une vocation toute neuve d'apprenti sorcier. Le dérailleur est enchaîné au cadre. Rien à faire. Le précieux accessoire reste obstinément solidaire d'une chaîne, elle-même très attachée à la bicyclette.

Bien que jugeant l'idée curieuse, l'enfant pense alors que les deux éléments ont été fabriqués ainsi en usine, lui-même ayant été conçu assemblé et non pas livré en kit à monter soi-même.

Dans ces conditions, comment rompre ce lien intime ? Scier la chaîne ou le cadre ? Tel est le dilemme auquel l'accule le sort. Or, la chaîne doit accompagner le dérailleur. Une fois coupée, elle ne serait plus d'aucune utilité. Alors ce sont les cadres qui subissent, silencieux et résignés, la funeste conséquence non pas tant de l'ignorance mais surtout de l'obstination de l'enfant à soumettre la matière afin que la hiérarchie de l'univers soit respectée.

Jusque là, il n'y a pas d'erreur. Dieu ne s'est pas encore manifesté. Le pauvre misérable ne sait pas qu'il en est un. Au contraire, parcours sans faute, pense-t-il, brillante analyse de la situation, prise de décision rapide, passage à l'action sans état d'âme, travail net et sans bavure. Content de lui, le petit malin a pensé à tout. Le vélo d'homme inutilisable ? Il y trouvera un remède quand il sera grand. L'autre vélo hors service ? Mais non ! Il a pris le soin de le scier à un endroit où il est possible de le rafistoler avec du fil de fer.

Alors à lui les nouvelles sensations : plus de vélocité sans augmentation du risque en cas de chute grâce à un meilleur rapport vitesse / énergie consommée et à la réduction du couple  poids X hauteur du cycliste. Génial, non?

Non ! Les essais du prototype prévus sur-le-champ sont annulés. Les tests d'homologation n'auront même jamais lieu. Le céleste démenti résonne comme le jugement dernier. Sans prononcer un mot plus haut que l'autre, son père, survenu sur le lieu du forfait, l'interroge sur les mobiles de son acte. Mains vêtues de gants immaculés, avec la dextérité d'un chirurgien et la minutie d'un horloger, l'auteur de mes jours dévoile à son fils impubère les secrets de l'attache rapide qui est à la chaîne de vélo, ce que l'agrafe est au soutien-gorge.

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