Les loups dans le Morvan
Dans "Notes
on Burgundy",
édité en 1869
par sa veuve,
Charles
Richard Weld
consacre un chapitre au Morvan où il est question, notamment, des loups.
Vous en trouverez ci-contre un passage qui fait écho au récit d'Henri
De Crignelle, (auteur de "Le Morvan, une région de France")
traduit ci-après. |
Durant l’hiver, quand
le loup est "Cruel
comme la mort et affamé comme une tombe - Assoiffé de sang, osseux,
décharné et sinistre"
ses attaques dans les
cours de ferme sont aussi audacieuses qu’elles sont fréquentes, et durant
l’été il souffre si sévèrement de la soif en raison du manque d’eau dans les
forêts qu’il se précipite dans les vignobles dévorer une grande quantité de
raisin. L’effet de ce fruit, quand il est mangé en grande quantité, est,
comme j’en étais sûr, d’intoxiquer les loups. Le jus fermente dans leur
estomac et les vapeurs affectant leur esprit, ils peuvent quelques fois
être vus titubant d’une façon très peu féroce ; dans un moment pareil, ils
sont souvent pris dans le traquenard, un puissant piège d’acier dont
la fuite est presque impossible. Comme ce piège serait fatal à la jambe d’un
homme s’il était attrapé, il est généralement posé seulement de nuit et il
est coutume d’indiquer sa proximité en suspendant des morceaux de ficelle
aux branches des arbres voisins. Plusieurs histoires d’accidents survenus à
propos de ces traquenards sont racontées. Un des plus terribles
arriva près de Vézelay. Un malheureux individu fut pris par la jambe dans
les dents d’acier et, de toutes ses forces, il ne réussit pas à les ouvrir.
Ses cris d’appel n’attirèrent aucun être humain mais une bande de loups qui
le dévora ; tout ce qui fut retrouvé du pauvre misérable fut un morceau d’os
de sa jambe encore bien attaché au piège. [...]
Sangliers sauvages,
truies et renards ont aussi un faible pour le raisin et ainsi, quand le
millésime approche, les propriétaires de vignobles proches de la forêt
passent un mauvais moment à tenir à distance ces voraces quadrupèdes. Le
fait que de nombreux animaux s’accordent avec l’homme pour apprécier le
fruit de la vigne est à remarquer. Cependant, c’est probablement aussi
nouveau pour le lecteur que pour l’écrivain d’apprendre que la volaille est
du nombre. Mais, dans ce cas, quelques compensations sont données au
propriétaire du vin ; non seulement les volailles mangeuses de raisin sont
des pondeuses plus abondantes que celles manquant de cette alimentation,
mais leurs œufs sont généralement supérieurs en qualité.
Dumas père, dans sa
divertissante « Histoire de mes Bêtes », le confirme. A Saint-Bris en
Bourgogne, il était frappé par les magnifiques volailles appartenant à un
monsieur de cette ville. En enquêtant, il découvrit que leur excellente
condition était due au fait qu’elles étaient autorisées à manger du raisin
dont elles étaient friandes. « Le succès de l’alimentation à base de fruit,
ajoute-t-il, avait dépassé l’espérance de Monsieur Charpillon [leur
propriétaire] lui-même. On m’avait servi, à mon déjeuner, des œufs,
couleur nankine, dont j’avais, avec la délicatesse d’un véritable gourmet,
apprécié les qualités supérieures. » S'agissant de l’opinion de l’auteur
de « Monte Cristo », vous pouvez être sûrs que les œufs pondus par
des volailles nourries avec du raisin sont un met raffiné. |
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Dans
"Le Morvan, une région de France", publié 18 ans auparavant à Londres, Henri De Crignelle
raconte ceci :
Ces
loups, pendant les chaleurs ardentes d'août, souffrent terriblement de la
soif et, ne trouvant aucune eau, la prenne aux vignes, font tout leur
possible pour la soulager en mangeant de grandes quantités de raisins, très
frais et sans aucun doute très délicieux alors, mais le jus très dangereux
fermente, les vapeurs bachiques infectent bientôt leur cerveau et pendant
plusieurs heures ces messieurs sont, un certain temps, entièrement privé de
leurs sens. Quel terrain pour le père
Mathew
(*) ; mais je suis certain que jamais le digne apôtre de la sobriété n’a
rêvé de promettre aux loups du Morvan le ruban pour suspendre la médaille
autour des cous de ces adorateurs de Bacchus de la forêt. |
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(*)
Theobald Mathew
(1790-1856). La médaille de la société d'abstinence totale et de secours
mutuel de saint Jean, émise en 1858, porte l’inscription : "Je m’engage,
avec l'aide divine, aussi longtemps que je serai membre de cette société, à
m’abstenir de toutes les boissons alcoolisées intoxicantes à moins que ce
soit dans des buts médicaux ou religieux et je découragerai l'abus chez les
autres." |
La chasse au loup avec
des pièges a ses inconvénients, et le traquenard doit être employé
avec une grande prudence. Chaque matin il doit être visité et fermé, sinon
un homme, un cheval, un chien ou un autre animal peut tomber dedans et être
pris. Afin donc d’empêcher, autant que possible, les accidents, nos paysans,
fermiers et braconniers, quand ils utilisent ce genre de piège, attachent
toujours des pierres ou des petits morceaux de bois mort aux buissons et aux
branches des arbres près de l’endroit où il est posé ; ils placent également
le même genre de signal à l'extrémité du passage qui mène au piège, comme
avertissement pour ceux qui pourraient prendre ce chemin et les paysans, qui
savent ce que signifient ces signaux dansant dans le ciel à chaque souffle
de vent, se détournent et font très attention à la façon dont ils
poursuivent leur route.
Malgré toutes ces
précautions, cependant, de très tristes affaires arrivent parfois dans nos
forêts. Il y a quelques années un piège a été placé sur une piste abandonnée
et les précautions habituelles étaient prises [...]. Le même jour, un jeune
homme du voisinage [...] quitte sa maison avant le coucher du soleil [...]
dans son agitation
et sa hâte[...],
il ne remarque pas que plusieurs petits morceaux de corde se balancent,
d’avant et en arrière dans la brise, au bout des branches d'un bosquet près
de lui. Ce fut en effet épouvantable pour lui de ne pas les remarquer car il
sentit subitement un choc terrible, accompagné d’une douleur plus intense,
les os de sa jambe étant apparemment broyée. Il était pris dans le piège à
loup ! Les premiers moments de douleur et de souffrance passés, [...] il
essaye d'ouvrir les mâchoires de fer dentelées qui l'ont pris, mais bien
qu'on dise que le désespoir double la force d'un homme, le piège refuse de
renoncer à sa proie et comme au moindre mouvement les dents de fer
s’enfoncent de plus en plus profondément dans sa jambe [...] il cesse toute
autre tentative pour se libérer. Se sentant dans cette situation, il
commence à crier à l'aide, mais personne ne répond et lorsque la nuit arrive
il est silencieux, craignant que ses cris n’attirent l’attention de quelques
loups qui pourraient rôder dans le voisinage et se résout à attendre [...]
le lendemain quand le Père Séguin, la malheureuse personne qui avait placé
le traquenard, est venu pour l'examiner, il a trouvé le piège au pied
du chêne inondé de sang, l'os d'une jambe humaine dressé entre les dents de
fer... |
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