L’UNION LEGALE POUR TOUS,

socle d’égalité entre les citoyens.

- Réflexion.

Beaucoup d’explications sont données à l’habitude qu’ont une majorité, de plus en plus étroite cependant, de nos concitoyens à se marier.

Depuis le « ça c’est toujours fait » jusqu’à la « pression sociale », en passant par la volonté de procréation, aux avantages fiscaux et nous en passons car la liste serait longue.

Mais n’hésitons pas et soyons triviaux : il y a deux éléments fondamentaux consubstantiels au mariage : c’est le fric et le cul.

Un autre, moins fréquent mais croissant avec l’âge : ce sont les affres de la solitude.

Et un petit dernier, plus marginal, qui est le contournement des dispositions administratives, notamment dans le cas de l’adoption et de l’obtention d’un titre de séjour pour un conjoint étranger.

Un seul des quatre peut suffire, mais le cumul est fréquent.

Cependant, revenons aux deux principaux, mais comme la société se veut parfois policée, on emploie d’autres mots, parmi lesquels : intérêts mutuels, amour, affinités, sentiments, fondation d’une famille, etc.

C’est beaucoup plus soutenu que fric et cul.

Le mariage bourgeois traditionnel est d’abord affaire de fric.

Il copie en cela le mariage aristocratique, alliance de familles, c’est-à-dire de pouvoirs, de patrimoines, de territoires et, par effet, la procréation.

Si le cul – amour – sentiment y est aussi, c’est juste un bonus.

En effet, le jeune homme ou la jeune fille qui se refuse à l’arrangement risque gros, car la mésalliance est sévèrement punie par la classe sociale à laquelle on appartient.

Le mariage arrangé, encore courant de nos jours dans certains pays, est une vivante illustration de cette « tradition ».

Et notre bourgeoisie, même si elle a dû, il n’y a pas si longtemps, concéder un peu d’espace au cul – amour – sentiment, reste souvent vigilante sur la surface sociale des deux promis.

On peut choisir, c’est un progrès, mais le choix demeure limité.

Cependant, les bonnes âmes disent quelques arguments à faire valoir, mais une entente interclassiste, et plus encore interculturelle, ne va pas de soi, car éducations différentes, milieux amicaux ou professionnels distincts, que d’obstacles au bonheur de ces chers petits.

Parce que le mariage a été, et demeure en grande partie, un puissant outil de normalisation sociale, il a fait l’objet d’une particulière attention des pouvoirs tant séculiers que religieux, qui se sont confondus, ou entendus, à maintes reprises.

La religion chrétienne catholique romain lui a conféré une valeur sacrée (c’est l’un des sept sacrements de l’Eglise catholique) que, bizarrement, les pouvoirs civils, y compris post-révolutionnaires, ont en grande partie repris.

Pour l’épiscopat français, ceux qui ont une orientation sexuelle non conventionnelle sont promis aux feux de l’enfer, ajoutant aux dogmes affaiblis de l’Eglise certains psychanalystes : « les difficultés de notre société et sa violence sont dues au délire de mai 1968, aux pertes des valeurs de la famille, du rôle du père et non pas à la crise économique… ».

De même que la très grande majorité des catholiques pensent que l’enfant ne peut se construire une personnalité qu’avec un père et une mère, oubliant au passage la génération des orphelins de 1914/1918 et les mères célibataires (et donc les enfants sans père mais pas nécessairement sans référent masculin).

Et le grand retour de l’ordre moral, qui veut imposer sa bassesse, et prône la mort de millions d’habitants du tiers-monde, plutôt que l’utilisation du préservatif.

De même, la sujétion de la femme a longtemps été le corollaire du mariage.

Quelques décennies seulement (une broutille eu égard à l’histoire de l’humanité) nous séparent de l’époque où la femme mariée ne pouvait travailler, par exemple, ou avoir un compte bancaire, autre exemple, sans l’autorisation de son tyran de fait.

Voici moins longtemps encore, la femme, en se mariant, perdait une part de son identité : son nom.

Le changement législatif introduit à ce sujet par Yvette Roudy demeure largement ignoré, tant des impétrants que des employés de l’Etat-civil.

Quant au « devoir conjugal », ou plutôt le refus de l’accomplir, demeure une cause fréquente de divorce.

Les nombreuses revendications actuelles s’interrogent, concrètement mais surtout symboliquement, sur la conception de la famille et des rapports masculin/féminin.

Au-delà de la simple recherche d’égalité des droits devant la loi, l’ouverture du mariage au couple du même sexe met profondément à mal le modèle hétéro patriarcal.

En effet, le mariage est une institution conçue pour asseoir un modèle familial précis (le patriarche, sa femme et ses enfants), perçu comme le socle de l’organisation sociale sans la version initiale du Code Civil.

L’infériorité des femmes a longtemps prévalu sur le plan juridique, le mariage lui conférant un statut de mineure.

Les féministes se sont traditionnellement élevées contre cette institution, dénoncée comme un cadre aliénant pour les femmes.

Au cours du XXème siècle, le mariage a largement évolué face au mouvement d’émancipation des femmes.

Cependant, il reste bien une curieuse inégalité, toujours en vigueur depuis 1803 : les femmes peuvent se marier à partir de l’âge de 15 ans révolus alors que les hommes doivent attendre la majorité …

Aujourd’hui, les femmes n’ont plus besoin de l’autorisation de leur mari pour travailler ou ouvrir un compte en banque.

Dans le même temps, le lien entre mariage et procréation a été battu en brèche.

La majorité des naissances se fait aujourd’hui hors mariage et tous les couples mariés ne sont pas procréateurs.

Progressivement, l’institution du mariage perd, de fait, sa vocation initiale de normalisation sociale.

Pour autant, les politiques publiques – comme bien souvent en matière de famille – ne sont pas clarifiées.

Si l’on continue à fermer le mariage aux couples de même sexe, c’est parce que, fondamentalement, la supériorité de l’hétérosexualité sur l’homosexualité doit toujours prévaloir, avec son corollaire, les différences des sexes.

Or, ouvrir le mariage aux couples de même sexe, c’est dépasser le cadre étroit de la différence des sexes comme préalable au lien amoureux et comme cadre incontournable à la constitution d’une famille !

Le débat permet de poser une question simple, qui concerne tout un chacun : si le mariage n’est plus un régulateur social, à quoi sert-il ?

Même si le mariage fait primer la vie à deux sur le célibat

– c’est pourquoi l’abolition pure et simple du mariage n’est pas à exclure –

l’union légale permet d’instaurer des solidarités entre deux personnes qui s’aiment.

Dès lors, aucune raison de priver les couples de même sexe de ce droit.

Reste un argument bien répandu : « Pourquoi les homosexuels demandent-ils à se mouler dans une institution aussi ringarde et conformiste ? ».

D’abord, je ne vois pas pourquoi les gays et les lesbiennes devraient absolument être plus anti-conformistes que les autres.

Le mariage repensé peut radicalement changer de nature et d’objectif, l’institution n’a déjà plus grand-chose à voir avec ce qu’elle était au XIXème siècle.

Faisons-là encore évoluer et avec elle, la conception de la famille.

La subversion n’est donc pas toujours là où l’on croit…

Le mariage est devenu surtout un contrat mais, incidemment, il demeure un business : la robe, les cadeaux, le traiteur, etc.

Quel est donc le sens du mariage ?

Ce n’est pas un simple acte d’Etat-civil, ni un contrat ordinaire : c’est un rite de passage.

Pourquoi ce rite existe-t-il dans la quasi-totalité des sociétés ?

Parce qu’aucune société ne vit sans rite.

Pourquoi toutes les grandes religions célèbrent le mariage d’une manière ou d’une autre ?

Pour la raison de fond qu’il engage ce qu’il y a de plus fondamental

dans une vie humaine : sa reproduction.

Se marier ne se réduit plus à la décision de vivre ensemble.

De nos jours on vit très souvent ensemble sans être marié.

Ce n’est pas seulement choisir un partenaire amoureux.

Il y a des relations amoureuses hors mariage, et aussi des mariages de raison.

Non : se marier, c’est s’engager devant la société (ou devant Dieu, s’il s’agit d’un mariage religieux) à fonder une nouvelle famille.

C’est-à-dire à faire ensemble des enfants et à les conduire vers l’âge adulte.

C’est un rite de fécondité et de responsabilité vis-à-vis de sa descendance.

Au point que l’on parle de mariage blanc lorsque cette fécondité échoue.

Le mariage comporte indissolublement la promesse tacite de la procréation.

Il est donc forcément hétérosexuel puisque l’humanité n’est pas hermaphrodite.

La République reconnaît la liberté sexuelle des citoyens.

La République pose que les relations intimes ne relèvent pas du champ public

dès lors qu’elles sont passées entre des êtres adultes et consentants.

La République doit garantir l’égalité des droits et veiller à prévenir toute discrimination fondée sur des pratiques privées qui relèvent du choix de chacun.

Derrière cette affaire du mariage, c’est bien le droit de l’adoption qu’il y a lieu de réformer.

Cela vaut tant pour les couples gays ou lesbiens que pour les couples hétéros non mariés.

Après tout, un enfant « naturel » peut être reconnu par son père en dehors de tout lien conjugal !

Pourquoi n’en serait-il pas de même pour l’enfant adopté ?

Laissons donc le mariage aux amateurs de folklore ou aux quêteurs de sacré, aménageons le PACS et modifions le droit de l’adoption.

Il est si confortable de se raccrocher à l’ordre hétéro patriarcal, à l’ordre moral, plutôt que de réinventer une sexualité, un schéma familial.

Après tous ces arguments développés, les jeunes hommes de bonnes familles et socialement intégrés, propres sur eux ne leur restent qu’à revendiquer le dernier bastion petit bourgeois pour mieux se conformer à l’hétéro normativité, sans se rendre compte qu’ils flirtent avec les poncifs de la peste brune, avec en plus le soutien de l’extrême droite et de la droite extrême : il s’agit du mariage et de la famille.

La majeure partie des associations de défenses des droits des homosexuels avait ouvert la voie à la déconstruction, sinon du genre, au moins des valeurs bourgeoises, dont le mariage.

Ils avaient dissocié sentiment et sexualité, et rappelé que le mariage et ses liens ne sont là le plus souvent que pour aliéner, enchaîner et non libérer.

La gauche n’est pas traditionnellement favorable au mariage (pour cela il faut relire Léon Blum là-dessus).

La droite, elle, l’a toujours été, dans toutes ses composantes.

La situation a bien changé depuis 1898 où le libertaire René Chaughi publiait « Immortalité du mariage ».

Aujourd’hui, les mariages arrangés et les mariages d’intérêts n’ont plus trop souvent cours en France, sauf dans quelques secteurs marginaux marqués par des pesanteurs religieuses intégristes.

Il n’est plus le cadre social et moral obligatoire pour l’exercice d’une sexualité plus ou moins choisie, il n’est plus « un viol public préparé par une orgie » (Chaughi).

Le mariage est devenu un acte de plein consentement, même si la question de ses motivations conscientes et inconscientes demeure posée.

« Quelle chose stupide et misérable qu’un jour de noce ! » s’écriait George Sand, et de ce point de vue les choses ont peu évolué.

C’est pour la mariée, écrit Chaughi, « narguer les anciennes amies restées filles, c’est créer autour de soi des jalousies et des tristesses (…). A bien y réfléchir, tout cela est d’un cynisme révoltant. Puis la mairie [où] un monsieur quelconque [donne] la désolante lecture de quelques articles d’un code idiot (…). La journée, si bien commencée, finit encore mieux. On prélude à l’accouplement prochain par une soûlographie général (…). A mots couverts, toute la délicieuse pornographique qui fleurit au sol de France triomphe ».

Tout ceci a donc peu changé.

Dans une société où le nombre de personnes seules est si importante où la recherche de la fameuse « âme sœur » est un marché, le jour de noces semble bien un exhibitionnisme indécent, un moment où les mariés jettent leur bonheur à la face des autres sans se soucier de leur condition.

« Pour vivre heureux, vivons cachés » semble totalement désuet à l’heure de la télé-réalité…

Que le mariage soit devenu cet objectif consensuel, ce Graal social, si valorisé, illustre certainement la crise des valeurs progressistes.

Le mariage, par son caractère public, solennel et institutionnel, répond sans doute à un besoin de repère stable dans un monde de précarité généralisée.

Il est aussi présenté et vécu comme une preuve de réussite sociale et personnelle à une époque où les succès collectifs se sont faits rares et où le fameux repli sur la sphère privée a fait son œuvre.

On sait trop quelle arche perdue les couples mariés finiront par atteindre, puisque les conditions de travail et de vie, la libéralisation des mœurs et la sensualisation (pour ne pas dire plus) de l’espace public et médiatique ont raison d’une bonne majorité des couples mariés.

Que signifie ce serment de fidélité que nul ne croit plus pouvoir, ni même vouloir tenir ? Quelle est la valeur d’une institution qui ne se résume plus qu’à un avantage fiscal et une jolie robe ?

Pourquoi le succès d’une illusion supplémentaire ?

Peu nous importe que les gens se marient ou non.

Mais reprenons le chemin des conquêtes politiques et sociales, vidons les poches d’individualisme repu, et nous verrons alors, sans robe virginale ni marche nuptiale, qu’il nous faut du bonheur et rien d’autre.

- Propositions.

1 – Abrogation du mariage civil (le religieux ne nous concernant pas) ;

2 – Elargissement du Pacte Civil de Solidarité par la création d’une convention dite « composée » (par rapport à la convention simple actuellement en cours), réservée aux couples désirant un rapprochement matrimonial, dans les mêmes dispositions plus ou moins similaires que le mariage.

[Les nouveaux mariés s’appelant désormais les « pacsés » (règle devenant la référence et l’exception française)] ;

3 – Maintien de la priorité du passage devant les autorités publiques civiles (mairie ou tribunal d’instance) avant la cérémonie religieuse ;

4 – Transfert des droits et avantages du couple que prévoyait le mariage sur le Pacte Civil de Solidarité dans le cas de souscription d’une convention à caractère composée ;

5 – Suppression de la condition inégalitaire de la femme qui était prévu une fois le mariage contracté (du moins le peu de statut qu’il reste le prévoyant).

6 – Création dans le Pacte à convention composée des régimes de la communauté de biens et de la séparation des biens réduite aux acquêts ;

7 – Place plus importante de la part de succession, quelque soit la convention, en cas de décès du (ou de la) partenaire, au conjoint restant à partir d’au moins cinq ans de vie commune sur les droits de succession du conjoint en l’absence de testament* ;

8 – Annulation des délais annuels existant (2 ans), prévue actuellement par la loi, pour les Pacs à convention simple, en matière d’avantages successoraux (abattement fiscal et donations) ;

9 – Avantages fiscaux quasi similaires au concubinage pour les couples avec enfants à charge** liés par une convention composée, dans le cas d’une situation fiscale qui peut être désavantageuse comme le prévoie actuellement dans certaines situations le contrat de mariage ;

10 – Pour les pacsés à convention composée, modification de la situation actuelle prévue par le contrat de mariage en procédant à l’annulation des avantages fiscaux pour les couples sans enfants*** avec deux revenus importants & au rajout d’avantages en matière de fiscalité en cas de disparité des revenus entre les partenaires ;

11 – Ouverture aux pacsés, quels qu’ils soient, du droit à l’adoption.

12 – Le terme « divorce » (de son étymologie « se séparer ») est maintenu pour la rupture d’un pacte composé ;

Note : il est à remarquer que la droite a engagé une réforme en profondeur sur le divorce, à savoir :

- Simplification de la procédure juridique du divorce : le délai de réflexion (de trois mois depuis le 1er janvier 2005 et six mois auparavant) n’étant plus à envisager en cas de demande de séparation conjointe ;

- Fin du divorce aux torts partagés : ce qui rend la situation plus équitable et moins culpabilisante qu’antérieurement, car, avant le 1er janvier 2005 le juge devait statuer sur la répartition des torts si l’autre époux reconnaissait les faits ;

- Les époux devront justifier devant les autorités compétentes de plus de deux ans de vie séparée de fait avant d’envisager le divorce (six ans avant le 1er janvier 2005) ;

Il est à noter en plus que depuis le 4 avril 2006 les femmes sont autorisées à se marier dès leur majorité, comme les hommes, les mettant au même niveau d’égalité. Cette mesure met fin à plus de 200 ans de différence de traitement.

Stéphane RIZZO

    * PACS : pas de droit d’usufruit ;

       Mariage : option entre usufruit et pleine propriété. Le conjoint hérite en l’absence d’héritiers réservataires.

  ** PACS : à partir de la troisième année (supprimé depuis 2005), les avantages et les désavantages sont les mêmes que pour les couples mariés ;

       Mariage : peut être moins avantageux que le concubinage ;

       Concubinage : l’un des parents compte l’enfant à sa charge et l’autre déduit une pension de ses revenus.

*** PACS ou concubinage : peut être avantageux s’il y a disparité de revenus entre les partenaires ou deux revenus faibles ;

       Mariage : avantageux si le couple n’a qu’un seul revenu, deux revenus moyens ou deux revenus importants.

 

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