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génial sur le papier, un peu moins sur la route |
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Le moyeu Rohloff Speedhub fait rêver beaucoup de cyclotouristes, et si l'on en croit les arguments du constructeur allemand il a tout pour les séduire : quatorze vitesses qui couvrent la même plage d'utilisation qu'une transmission à dérailleur, une progression constante entre les rapports, une grande fiabilité, et peu de maintenance. Mais qu'en est-il réellement ? N'a-t-il aucun point faible ? Est-il vraiment adapté au cyclotourisme ? Son prix, huit à dix fois plus élevé que celui de ses concurrents, est-il justifié ? Cet article n'utilise aucun terme technique mais une meilleure connaissance des vitesses dans le moyeu et une réelle familiarisation avec les braquets et développements facilitent sa lecture. Les arguments qui y sont developpés reflètent les diverses mesures et observations relevées par son auteur, ainsi que son expérience personnelle.
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Le début de l'histoire | |||
Les années 90 sont marquées par un engouement sans précédent pour les vélos tout terrain. Les fourches suspendues leur offrent de nouveaux terrains de jeux, et les premiers cadres tout suspendus repoussent encore les limites et leur permettent d'aller littéralement partout. Les transmissions héritées des vélos de course deviennent inadaptées pour ces terrains irréguliers. Suntour puis Shimano introduisent des pédaliers dit compacts, avec de plus petits plateaux et des cassettes à grands pignons. En 1998, quand Rohloff présente son moyeu Speedhub, la transmission typique de ces nouveaux vélos était constituée d'un pédalier 22-32-42 dents et d'une cassette 11-30 dents. A une époque où le marché des vtt n'était pas encore segmenté et on faisait un peu de tout avec le même vélo, cette transmission permettait justement de tout faire, grimper les obstacles les plus droits en pédalant comme un malade et l'instant d'après dévaler les pentes les plus folles en accélérant encore. La plage totale d'utilisation de cette transmission, c'est-à-dire le rapport du plus petit braquet sur le plus grand, était de l'ordre de 520%. En d'autres termes, le plus grand développement d'un vélo était égal à 5,20 fois son plus petit développement.
Dans une transmission à dérailleur les croisements de chaîne ou les combinaisons petit plateau/petits pignons et grand plateau/grands pignons sont à proscrire, car elles ne servent à rien pour les braquets mais augmentent l'usure de la transmission et sont mécaniquement instables. Ca réduit le nombre de braquets réellement utilisables. Et de tous ces braquets qui restent, certaines combinaisons plateau/pignon donnent des valeurs pratiquement identiques. Ça réduit encore le nombre de braquets vraiment différents. Ainsi, avec une transmission 3x8 vitesses on se retrouvait avec seulement 14 ou 15 braquets utiles. 520%, 14 vitesses, c'est le genre de chiffres qu'avaient en tête les inventeurs du Rohloff. Il a été conçu pour offrir aux nouveaux baroudeurs qui voulaient en faire toujours plus avec leur vtt une boîte de vitesses protégée contre les chocs et le sable auxquels sont sensibles les transmissions à dérailleur. Il n'a même pas été pensé pour concurrencer les autres fabricants de moyeux à vitesses intégrées, et encore moins les cyclotouristes. Malgré tout on le présente aujourd'hui comme le must pour le cyclotourisme chargé. |
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Une plage d'utilisation trop grande | |||
Standardisation et réduction des coûts obligent, les transmissions 3x8 et 3x9, et 3x10 vitesses avec des plages de plus de 500% se sont aujourd'hui généralisées à la majorité des vélos de ville et de grande randonnée, même si leur plage d'utilisation est superflue pour ce type d'utilisation. Et il en est de même pour le Rohloff. Dans un monde de surconsommation où plus on en a et mieux c'est, dire que la plage d'utilisation du Rohloff (526%) est trop importante peut paraître surprenant. Pourtant, il ne s'agit que de bon sens, et la raison est très simple : le corps humain, lui, travaille dans une plage de couple très limitée, disons plus ou moins 400% !. Autrement dit pour un usage spécifique un/une cycliste n'a pas besoin de plus pour rouler partout, grimper facilement et aller vite. Pour vraiment apprécier un plage aussi vaste que celle du Rohloff (et maintenant Pinion) il faudrait utiliser un même vélo à la fois en mode ultra-light (traduisez "tout nu"), et ultra-chargé (traduisez "très long voyage à vélo"). En pratique c'est illusoire de penser que ce moyeu sera parfait dans ce rôle, ne serait-ce que parce qu'un vélo ne peut pas être bon partout : selon le cas on le trouvera beaucoup trop lourd et équipé pour les sorties où on cherche vitesses et performance, ou pas assez équipé pour le cyclo-camping (à moins de démonter et remonter la moitié de ce qu'il y a dessus pour changer de configuration...). Sans même parler de leur Sans même parler de leur géométrie respective qui ne devrait pas être la même... Prenons un exemple concret.
Supposons que le plus petit développement d'un vélo est d'1,5m, qui correspond au plus petit développement d'un vélo équipé d'une transmission classique avec pédalier 22-32-44 dents et cassette 11-32 dents et chaussé de de pneus 37-622. Cette combinaison permet à un(e) cycliste en bonne condition physique mais pas nécessairement très musclé(e), peut-être un peu fatigué(e), de grimper une côte assez pentue avec un vélo chargé de bagages à une vitesse acceptable. En pédalant à 50tr/min on atteint une vitesse de 4,5 km/h, certes faible mais réaliste dans ce genre de situation. A l'autre extrémité le Rohloff donnerait un développement de 1,5 x 5,26 soit 7,9m. En pédalant à 50 tr/min seulement, bien en dessous des cadences préconisées en cyclotourisme, on roule déjà à 36 km/h. C'est une vitesse peut-être courante sur un vélo léger et dépouillé ou peu chargé mais irréaliste en grande randonnée où on fait tout pour préserver ses ressources énergétiques, sachant qu'on doit rouler parfois toute la journée. L'allure habituelle généralement constatée dans ces conditions se situe à 18-22 km/h. Un développement de 7,9m correspond à un braquet 44/12 sur notre vélo à dérailleur, une combinaison rarement sélectionnée. En pratique le grand plateau sert plutôt à améliorer la ligne de chaîne ou pinailler pour trouver la meilleure cadence. J'entends déjà la critique des sportifs aux gros mollets familiers des grands braquets. Quoi, comment, ils ne serviraient à rien ?!?! Ne vous énervez pas Messieurs : si on a la musculature nécessaire pour rouler longtemps avec 8m de développement on n'a pas besoin d'un petit développement d'1,5m pour grimper un col avec deux paires de sacoches. Par contre, si on a vraiment besoin de ce petit développement, alors franchement il y a peu de chances d'avoir aussi l'opportunité de se retrouver à 80 km/h dans une descente avec le même vélo bien chargé comme le permettrait le grand rapport du Rohloff. Ce n'est pas un braquet particulier qui me paraît superflu, c'est la différence entre le mini et le maxi, donc la plage totale d'utilisation. |
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Une progression constante n'est pas la panacée | |||
Quand la progression entre les rapports est trop grande le changement dans la fréquence de pédalage se fait sentir plus brutalement. Parfois les "trous" entre les rapports empêchent de trouver sa cadence préférée, celle qui est si confortable qu'on peut la tenir plus longtemps sur un parcours habituel. La progression des braquets sur le Rohloff est pratiquement constante d'un rapport à l'autre, et égale à 13,5%.
Cette conception mécanique, évidente pour des ingénieurs rationnels et logiques, se heurte dans les faits à la biomécanique et à la pratique du cyclotourisme. En effet, au fur et à mesure qu'on passe d'un braquet à un autre plus grand on appuie de plus en plus sur les pédales. Les contraintes sur les articulations augmentent, en particulier dans les genoux et les hanches, et le corps humain devient sensible au moindre changement d'intensité de l'effort. Dans ce cas une très faible progression des braquets permet de mieux jouer sur l'équilibre entre effort, performance, et douleur. A l'autre extrémité c'est le contraire : au fur et à mesure qu'on passe sur les petits braquets, l'effort sur les pédales diminue, ce ne sont pas les muscles qui sont sollicités mais la capacité à pédaler vite. Les cyclotouristes qui se trouvent face à une longue ascension savent que de toute manière ils vont être fatigués assez vite en essayant de tenir le coup sur des grands braquets. Ils ont tendance à "s'installer" rapidement dans une configuration de "survie", c'est-à-dire rester bien calés dans leur selle et mouliner sur un petit développement en prenant leur mal en patience. Ils ne vont pas chercher la nuance, une chute brutale des braquets leur convient si elle leur permet de trouver rapidement leur rythme. Dans ce cas une progression constante des braquets n'est pas très importante, en fait on accepte une chute brutale de la vitesse d'ascension pour optimiser le ratio effort/durée. |
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Le moyeu à vitesses intégrées idéal pour le cyclotourisme | |||
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Il s'avère que plus on est dans le cyclotourisme pur et dur (entendez par là voyages très longs avec un vélo très chargé) et moins on a besoin d'une plage d'utilisation importante. Pour rouler à une vitesse de 22 km/h en pédalant à 60 tr/min avec notre bécane chaussée des mêmes pneus 37-622 on a besoin d'un développement de 6m, soit quatre fois plus seulement que le plus petit. En fait la très grande majorité des cyclotouristes trouveront tout ce dont ils auront jamais besoin avec des plages de cet ordre ( par exemple 425% avec un pédalier 26-36-48 et une cassette 13-30), voire n'auront pas besoin de plus de 330-340% avec un vélo très chargé. On peut souhaiter voir un jour un moyeu à vitesses intégrées adapté au cyclotourisme avec une plage de seulement 400% et 10 ou 12 vitesses. Quelque chose entre le Speedhub (526% et 14V) et le Nexus 8 (307% et 8V) *. On ne peut s'empêcher de rêver qu'une conception mécanique moins ambitieuse que le Rohloff actuel le rendrait plus léger, plus compact, moins cher, mais aussi plus fiable et plus convivial, car de ce côté le Rohloff n'est pas si irréprochable qu'on le pense. La cerise sur le gâteau serait une progression des braquets non linéaire adaptée à la pratique du cyclotourisme, avec, pourquoi pas, des valeurs inférieures à l'équivalent d'une dent sur une cassette. Enfin, on peut vivement souhaiter de voir proposer un levier de vitesse/frein compatible avec les cintres route, malgré le tirage de câble important.
Depuis la parution de cet article Shimano a introduit un moyeu Alfine 11 vitesses très proche du moyeu idéal proposé ici, techniquement plus modeste que le Rohloff, mais qui colle mieux à la réalité sur le terrain. Il est discuté plus en détail dans l'article consacré aux vitesses dans le moyeu. |
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Pourquoi s'embêter avec tout ça ? | |||
On pourrait très bien se contenter du Rohloff, dont les qualités ne sont pas négligeables non plus. Le seul problème est son prix, entre huit et dix fois celui de ses concurrents les plus proches ! Avant de consentir à pareil sacrifice mieux vaut savoir qu'en pratique il ne sera pas bien supérieur aux Shimano Alfine/Nexus 8 et Sram i-motion. Ces derniers ont certes une progression des braquets moins harmonieuse que le Rohloff, mais conviennent presque autant pour la randonnée. En fait, peu de cyclistes se servent de toutes les vitesses de leur Rohloff alors qu'ils ont payé le prix fort pour ça, et toujours pour les mêmes raisons : quand on fait de la randonnée chargée on n'a pas besoin d'un développement de 8m, et quand on roule souvent à 50 km/h sans bagages on n'a pas besoin d'un ... Rohloff. On pourrait se dire qu'il suffit de choisir la taille du plateau avant et du pignon arrière pour décaler toute la plage du Rohloff de sorte à obtenir un développement maxi de 6m, mais on se retrouve alors avec des petits développements si petits qu'il vaut mieux descendre du vélo et marcher que mouliner follement pour rester en équilibre sur un vélo qui avance à très faible vitesse. Pour ces mêmes raisons équiper un vélo pliant d'un Speedhub est une aberration, car en plus du raisonnement ci-dessus qui s'applique aussi à eux ils ont des contraintes supplémentaires dues à leur comportement dynamique à haute vitesse. | |||
Les fantasmes et la réalité | |||
Payer dix fois le prix d'une transmission classique à dérailleur ne met pas automatiquement à l'abri des problèmes mécaniques. Entendre parler de moyeux Rohloff qui ont 50000 km au compteur, voire plus, ne veut pas dire qu'on n'aura pas de soucis avec avant. La loi des probabilités veut que ce soit le cas, pour toutes sortes de raisons. Il faut garder à l'esprit le fait que le moyeu n'est qu'un maillon d'une transmission qui comporte plusieurs maillons souvent plus faibles.
Sur la route. Le Speedhub est en général très fiable, mais si par malchance il a un problème il sera quasi impossible à réparer sur le bord de la route, y compris dans un pays civilisé. Un grand voyageur sponsorisé se fera envoyer une roue par DHL, les autres auront un problème majeur sur les bras. Et si le moyeu est lui-même très solide ce n'est pas le cas des éléments autour. Une jante qui s'est fissurée ou qui a subi un voile sévère impossible à rattraper aura les mêmes conséquences sur la suite du voyage : il y a peu de chances de trouver la même jante en 32 trous pour utiliser les mêmes rayons et refaire une nouvelle roue avec le Speedhub, et les rayons d'une autre jante risquent d'être d'une longueur peu courante non stockée en magasin. Encore une fois, DHL ou longue immobilisation (depuis 2012 Rohloff propose des moyeux 36 trous comme Shimano avec le Alfine 11). Pour cette raison je recommande aux grands voyageurs de prévoir une patte de dérailleur classique sur le cadre des vélos équipés de Speedhub, y compris ceux qui ont des glissières spécifiques. Il trouveront partout des roues toutes faites avec cassette ou roue libre qui leur permettront de reprendre la route.
Rétrofit. Le Rohloff peut être monté en rétrofit sur des cadres qui n'ont pas été prévus pour lui mais il y a des contraintes. Là où Shimano, Sram, ou Sturmey Archer utilisent des rondelles anti rotation pour éviter que l'axe du moyeu tourne sur lui-même le Rohloff fait appel à un bras de rappel de force comme les freins à tambour ou à rétropédalage. Ce bras doit être fixé sur le cadre du vélo et rend le démontage de la roue plus laborieux. Une solution plus élégante existe pour les cadres qui acceptent un frein à disque IS2000 mais la résistance des pattes de fixation n'est pas garantie.
Utilisation. A l'usage le Rohloff souffre de quelques défauts irritants, voire inacceptables pour certains. Sans rentrer dans les détails techniques, les changements de vitesse et les bruits de fonctionnement laissent à désirer, en particulier sur les sept derniers rapports. Les choses s'améliorent après le rodage mais la différence avec les sept premiers rapports ne disparaît pas entièrement. Les changements de vitesse sous charge, c'est-à-dire quand on appuie sur les pédales, sont difficiles. Logique et souhaitable pour des disciplines comme l'enduro ou la descente pour lesquels il a été conçu, mais pénalisant quand on grimpe une côte : c'est dommage de devoir lever le pied dans ces moments où on a besoin de maintenir sa cadence et conserver son élan avec un vélo chargé. Et plus grave encore, lors du changement entre le 7ème et 8ème rapport le moyeu passe parfois de manière intempestive au 11ème, perturbant sérieusement les choses !
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Après le coup de foudre | |||
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Faire le tour du monde, traverser des contrées inhumaines, franchir des cols infranchissables, et surmonter des problèmes insurmontables, avec un fidèle compagnon de route (pardon, moyeu !) qui ne bronche pas et ne vous laisse jamais tomber, c'est ce que promet le Rohloff. Certains vont craquer pour la noble mécanique sans en avoir l'utilité, d'autres vont l'installer dans un Brompton et s'évertuer à le trouver utile. A part ces cyclotouristes en herbes et autres amoureux de beau matériel certains cyclistes trouveront une réelle utilité au Rohloff.
D'abord, le Speedhub est avant tout un moyeu à vitesses intégrées avec tous les avantages que cela implique. En particulier le changement de vitesse à l'arrêt est bien pratique pour les arrêts fréquents quand on voyage avec beaucoup de poids. Aussi, l'alignement constant de la chaîne signifie une usure moindre de toutes les pièces de la transmission (surtout sans tendeur de chaîne). Les grands voyageurs ne peuvent rester insensibles à la durée de vie exceptionnelle du Rohloff, surtout avec des vidanges régulières qui éliminent les particules abrasives de l'huile qui lubrifie les pièces en mouvement. Malgré sa sophistication et ses quatorze vitesses il reste à ce jour le moyeu de ce type le plus fiable, et satisfera les très gros rouleurs, en particulier s'ils ne sont pas à l'aise avec les transmissions à dérailleur et craignent les incidents techniques qui peuvent en découler. Autre bon point pour ces derniers : l'indexation des vitesses n'est pas laissée au hasard d'un ressort de rappel : on tire sur un câble pour monter les vitesses et on tire sur un autre pour descendre les vitesses. Cette double commande le rend moins sensible aux légers dérèglements que les transmissions classiques. Mais à moins de parcourir des dizaines de milliers de km d'affilée ou d'être fatalement attiré par le matériel haut de gamme, force est de constater que le Rohloff Speedhub n'est pas la panacée pour le cyclotourisme et n'apporte pas grand chose de plus que ses concurrents plus modestes comme les Shimano Nexus 8 ou Alfine 11, et la différence de prix conséquente pourrait servir à financer d'autres plaisirs. |
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* Le moyeu Sram i-motion 9 a une plage de 340% obtenue grâce à un grand saut entre les deux premiers rapports (souhaitable) et un autre entre les deux derniers (fort désagréable). En pratique il n'est pas plus utile qu'un Nexus ni plus convivial à l'usage, tout en étant moins fiable et plus lourd. | |||
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