Chapitre 3 :

L’héritage de Paul Robin

 

 

A partir du retrait du « patriarche » du mouvement en 1908, on peut penser que l’éducation intégrale ne fait plus partie des priorités des néo-malthusiens. Pourtant d’autres militants vont porter cette propagande de manières très diverses, certains ayant déjà participé à des expériences pédagogiques avant leur conversion au néo-malthusianisme.

Il faut tout d’abord remarquer que l’École rénovée bénéficie de la collaboration de nombreux néo-malthusiens comme G. Giroud, C.-A. Laisant, M. T. Laurin, S. Mac Say, et Paul Robin[1] lui-même pour les premiers numéros. Bien entendu, ça n’en fait pas une revue néo-malthusienne et le contenu reste purement pédagogique, mais cela montre qu’un certain nombre de disciples de Robin ont compris l’importance qu’il attachait à l’éducation. Il ne faut pas s’étonner de cette collaboration, car, comme nous l’avons vu, Ferrer était membre de la L.R.H. et il plaçait son expérience de l’École moderne dans la droite ligne de Cempuis. Mais l’École rénovée meurt en 1909, avec Ferrer qui la finançait.

De même pour l’Éducation intégrale, nous pouvons constater la collaboration de plusieurs néo-malthusiens, ce qui semble logique, la revue ayant été créée par Robin pour le public de Régénération essentiellement. Urbain Gohier, futur pilier du Malthusien, a participé à cette revue pédagogique, tout comme il avait annoncé sa collaboration à l’Éducation libertaire en 1900 en compagnie des néo-malthusiens André Girard, Clovis Hugues, Albert Lantoine, A. Daudé-Bancel, Laurent Tailhade et Georges Yvetot[2]. Urbain Gohier est pourtant un militant libertaire très occupé depuis l’affaire Dreyfus, pendant laquelle il fut accusé puis acquitté pour avoir attaqué l’armée dans une brochure intitulée « L’armée contre la Nation ». Il collabore au Libertaire puis au Matin, en 1906 et à l’Intransigeant en 1907. Il ira même jusqu’à collaborer à la Libre parole, sans cesser de se considérer comme anarchiste. Plusieurs de ses articles du Malthusien, durant les dernières années avant la grande guerre, laisse pointer un antisémitisme latent[3].

Charles-Ange Laisant[4] est plus impliqué dans les questions pédagogiques. Il est secrétaire de la Ligue internationale pour l’éducation rationnelle de l’enfance à son lancement en avril 1908 et devient vice-président peu avant la mort de Ferrer[5]. Mathématicien réputé, il s’est inquiété de l’enseignement des mathématiques et a publié « L’initiation mathématique » et une revue internationale, L’enseignement mathématique, qui fonctionne de 1899 à 1917. Il propose d’appliquer les exercices de mathématiques à la vie quotidienne pour les rendre plus intéressants aux enfants. A l’annonce de la parution d’un nouveau journal néo-malthusien et éducatif, Rénovation, en 1911, Laisant décide d’y collaborer et écrit un article sur l’éducation.[6]. Cet article comprend un exposé de l’éducation intégrale et une référence à Ferrer, qui fut assassiné pour ce programme. Il insiste surtout sur la nécessité d’une grande liberté pour l’enfant et l’emploi d’une autorité morale uniquement. Rien ne lie le concept d’éducation intégrale au néo-malthusianisme alors que Rénovation aurait justement été le meilleur endroit pour cela, comme nous allons le voir bientôt. Il est aussi l’auteur de brochures, « l’éducation de demain » et « l’éducation fondée sur la science ». Son militantisme pour l’éducation intégrale et rationnelle semble, pour lui, bien distincte de son adhésion au néo-malthusianisme. Pourtant, lorsqu’il traite de l’éducation physique, il lui fixe comme but de développer sainement le corps de l’enfant pour le rendre fort et résistant aux changements de son milieu naturel[7].

Ce n’est pas tout à fait la position de Manuel Devaldes[8]. Il s’est intéressé au néo-malthusianisme en même temps qu’à la pédagogie, suite à sa rencontre avec Paul Robin. Tout d’abord en parfait accord avec lui, il va s’en éloigner. Il fixera à l’éducation le rôle de développer la différence de chaque individu, différences qui sont presque toutes du domaine intellectuel et moral, les caractères communs étant d’ordre physique[9]. Il y a là une profonde divergence entre Devaldes et Robin. Pour Robin, nous l’avons vu, les différences entre individus, nécessitant des éducations différentes, découlent d’une inégalité physique en grande partie héréditaire. Pour Devaldes, la régénération de l’individu et l’amélioration de la race concernent l’eugénisme. Toutefois il va donner un rôle restreint à l’éducation dans la régénération. Il classe un certain type d’éducation, dans une « eugénique préventive »[10]. Il s’agit de « la protection des générateurs, soit dans l’adolescence, soit dans l’âge adulte, contre les poisons de la race : empoisonnements professionnels, maladies vénériennes, alcoolisme et autres éléments de dégénisme, c’est à dire de mauvaise naissance »[11].

 

Pour le G. Gastet, rédacteur régulier au Malthusien, il serait important que les néo-malthusiens s’occupent d’éducation car « ennemis du nombre, les néo-malthusiens doivent être exigeants sur la qualité de leurs enfants »[12]. Mais son important article, qui s’étale sur quatre numéros ne fait que citer et expliquer des éducateurs comme Sébastien Faure ou M. T. Laurin. Il espère ainsi amorcer « un débat sur les questions importantes d’enseignement et d’éducation » dans le Malthusien. En fait dans cet article, Gastet ne traite de l’éducation qu’en révolutionnaire et en libertaire, mais pas en néo-malthusien. Il demande en fait aux néo-malthusiens de s’intéresser à un autre domaine sans y apporter une approche particulière.

Edmond Potier, l’un des principaux rédacteurs du Malthusien participe aussi au projet d’Orphelinat général de France, structure mutualiste qui fournit une allocation aux enfants en cas de décès d’un parent, si les parents ont payé une cotisation de 6 francs par an[13]. Il est souligné que les enfants bénéficieront de l’allocation qu’ils soient légitimes ou non. Le même Edmond Potier prône une éducation coopérative, car seule apte à apprendre aux hommes à coopérer pacifiquement dans tous les domaines. Il prétend ainsi prendre le contre-pied des libertaires qui ne prônent qu’une éducation individuelle[14]. C’est à croire que Potier ne connaît pas Cempuis ou qu’il ne considère pas Robin comme un libertaire. On ne peut pas dire que Cempuis a été une œuvre d’éducation individuelle. En tout cas, la référence semble totalement oubliée par Potier. Il pense à un système éducatif basé sur des « Groupes » qui sont en fait des coopératives capables de palier aux déficiences des familles pauvres incapables d’éduquer leurs enfants[15]. Mais ces groupes ne remplacent pas l’école publique. Ce sont des œuvres post-scolaires, « fondées par des propagandistes désintéressés » qui soustraient l’enfant à la famille, mais pas à l’école publique. L’allusion aux propagandistes désintéressés vise à se démarquer des universités populaires que Potier accuse d’être des tremplins électoraux. Le rôle de ces « groupes », outre un enseignement intellectuel, est surtout moral. Il s’agit de « développer la notion de solidarité qui, pratiquement conçue, est à la fois un bouclier et une arme offensive dans la lutte pour la vie ». On est bien loin de l’éducation intégrale et de la régénération humaine. C’est tout juste si une allusion à la lutte pour la vie laisse entendre la possibilité d’une régénération par l’éducation.

Albert Lecomte, un autre pilier du Malthusien, précise qu’il ne faut pas oublier que le programme néo-malthusien comporte, après la bonne naissance, la bonne éducation. Mais il ne s’agit pas pour lui d’un moyen de régénération, mais juste d’un moyen de lutte contre les repopulateurs qui comptent sur l’ignorance pour repeupler la France[16]. Pour lui, le néo-malthusianisme se rattache à tout ce qui a « pour but l’instruction et l’éducation populaire » car le plus difficile pour les néo-malthusiens est de « faire pénétrer nos enseignements dans la partie la plus importante du peuple, chez ceux qui sont rebelles à toute étude ou à toute lecture »[17].

C’est aussi lui qui considère que « les instituteurs comprennent l’importance de la question [du néo-malthusianisme] ; eux qui sont en contact permanent avec les enfants d’ouvriers, voient de près le mal et savent quel est le remède ». Pour illustrer son propos, il cite un passage de la Revue d’enseignement primaire du 17 mai 1908, où l’auteur fait remarquer que les nations les plus développées réussissent à diminuer leur natalité.

 

En fait, l’intérêt des éducateurs pour le néo-malthusianisme semble plutôt venir de certains organes alternatifs d’éducation, tels que l’Éducation sociale ou le Réveil de l’esclave, qui annoncent régulièrement la parution de Régénération, puis de Génération consciente et parfois du Malthusien, en en citant occasionnellement des passages. La liste des journaux qui annoncent ainsi la parution des organes néo-malthusiens est surtout composée de journaux militants, soit généralistes comme le Libertaire, puis la Guerre sociale, soit plus spécifiques, comme le Progrès culinaire, qui s’occupe de réforme alimentaire ou les journaux d’éducation populaire.

Mais la Revue d’enseignement primaire a aussi très tôt demandé aux néo-malthusiens d’exposer leurs thèses dans ses colonnes pour que les lecteurs puissent se faire une opinion. C’est Gustave Téry qui écrira un article de présentation pour le numéro 20, début 1903. Mais cet article n’évoque pas l’éducation, il présente surtout le côté pacifiste de la limitation des naissances et insiste sur le rôle de l’alcoolisme dans la procréation inconsciente[18]. Si l’on en croit Albert Lecomte, cet article a réussit à convaincre au moins une partie de la rédaction de la revue. Plusieurs néo-malthusiens, dont Edmond Potier, collaboreront à cette revue.

Le Réveil de l’esclave, revue d’éducation libertaire, tenue par Georges Roussel s’intéresse de plus près au néo-malthusianisme. Roussel[19] écrit une lettre à Régénération pour expliquer la convergence des deux propagandes. Il explique que le problème qu’il rencontre est de conscientiser des gens qui ont toujours vécu en esclave et qui ont donc été déshabitués de l’effort intellectuel nécessaire pour apprendre. Il conseille donc un seul effort à ces gens : « Ne pas perpétuer la race des esclaves, diminuer au possible leur procréation ». Il conclut, fidèle à Robin, « Libre amour, libre maternité est le premier chapitre de matrilogie [sic] »[20].

Mais, de plus en plus, la question éducative est traitée par les néo-malthusiens comme n’importe quelle autre propagande révolutionnaire. Dans le Malthusien, un article anonyme critique la politique éducative de l’État qui ne parvient pas à empêcher les jeunes de tomber dans la criminalité, d’où le recours exclusif à la police face à une délinquance juvénile qui ne cesse d’augmenter[21]. A aucun moment l’auteur n’évoque l’éducation intégrale ou la régénération humaine qui permet de former des être justes et bons. Sa référence n’est manifestement pas à chercher du côté de Robin, mais plutôt du côté de pédagogues officiels tels qu’Ernest Lavisse, qu’il cite[22].

 

L’intérêt éducatif du néo-malthusianisme est en tout cas plus attrayant pour nombre de militants socialistes et libertaires que la loi de population à laquelle Robin revient constamment. Cette orthodoxie a éloigné du néo-malthusianisme nombre de militants, y compris des personnages de premier plan comme Madeleine Pelletier. Elle est favorable à la contraception, à la procréation consciente mais elle n’adhère pas au principe de population et n’estime pas que la limitation des naissances soit préparatoire à tout bouleversement social. Elle se bat plus pour la liberté sexuelle que pour un système démographique économique et politique qui serait basé sur la limitation des naissances[23]. Elle propage néanmoins certains principes d’un néo-malthusianisme qui « par son pouvoir éducatif, contribue à créer au sein du prolétariat une élite sans laquelle la révolution, si tant est qu’elle se fasse, n’aurait pas de lendemain »[24]. En ce qui concerne l’éducation, elle reconnaît le bienfait que peut apporter la limitation des naissances, mais uniquement dans les familles pauvres. Elle explique aussi que les derniers enfants des familles nombreuses sont nés dans des conditions défavorables et que, par conséquent, il est très difficile de faire leur éducation[25].

Quant à André Girard, dont nous avons vu le rôle important dans l’Éducation intégrale, il critiquait Paul Robin dans l’article nécrologique qu’il lui consacre dans les Temps nouveaux en 1912.

 

« Son erreur fut de vouloir donner à cette théorie [le néo-malthusianisme] purement régénératrice une extension telle qu’il y voyait la solution à la question sociale au point de vue économique. »[26]

 

Pour André Girard, l’influence prédominante est celle du milieu social, de l’exemple, plus que de l’hérédité[27].

Si Cempuis reste une référence pour nombre d’éducateurs innovants, les néo-malthusiens n’y voient généralement pas une expérience les intéressant directement. Lorsque Sébastien Faure créé la Ruche en 1905, ils s’y intéresseront peu. S’ils ne délaissent pas la question éducative, loin de là, ils n’en font tout de même pas une de leur tâche.

 

Mais parmi les néo-malthusiens, il en est certains qui se consacreront beaucoup plus à l’éducation, en se référant clairement à Paul Robin. Le meilleur exemple est encore celui de Sébastien Faure[28].

Né en le 6 janvier 1858 à Saint Etienne, dans une famille bourgeoise catholique, il a commencé par se destiner aux ordres après un séjour chez les jésuites, où son père, négociant en rubans, l’avait envoyé faire son éducation. Il fait un noviciat de 18 mois à Clermont Ferrand. Mais son père, en difficulté financièrement, meurt en 1875. Sébastien lui promet avant sa mort, de renoncer à la prêtrise pour s’occuper de sa mère et de ses 5 frères et sœurs. Il se lance dans le commerce, puis après son service militaire en 1878-1879, il part en Angleterre une année pour se perfectionner en anglais. Il s’installe ensuite à Saint Etienne comme agent d’assurance. Il épouse, en 1885, Blanche Faure, son homonyme, qui est pourtant protestante, ce qui ne plait pas à sa famille. Installé à Bordeaux, il commence à militer avec les socialistes guesdistes[29]. Blanche, qui n’apprécie pas son activité politique divorce en 1888. Sébastien s’installe à Paris, lit Kropotkine et Reclus et est convaincu par l’anarchisme. Il milite dans le groupe des Insurgés du dix-huitième arrondissement, qui regroupe des socialistes de diverses tendances. Son éloquence et sa rigueur intellectuelle toute jésuitique sont reconnues et il commence à faire de nombreuses conférences. Il faut le considérer comme un orateur et un vulgarisateur de l’anarchie plus que comme un théoricien. Accusé en 1894 au procès des Trente, il est acquitté. Après quelques réticences à soutenir un militaire, il milite activement pour Dreyfus dès 1898. Il crée un comité de coalition révolutionnaire qui regroupe les libertaires qui soutiennent Dreyfus, en opposition au comité de vigilance des socialistes. En février 1899, il lance un journal quotidien, le Journal du peuple, pour soutenir Dreyfus. Le journal disparaît en décembre de la même année. Cette affaire l’a fait connaître dans toute la France, par le grand public, notamment par ses conférences contradictoires où il invitait les antisémites à venir s’expliquer.

Après cette intense agitation, il ressent le besoin de concentrer son énergie et ses moyens financiers à une seule œuvre qui ferait avancer la cause. Il décide de créer une école sur des principes libertaires car « c’est en révolutionnant l’éducation qu’on révolutionne le milieu social »[30]. En 1905, il ouvre la Ruche au Pâtis dans la commune de Rambouillet en Seine-et-Oise. Il y met toute son énergie et les moyens financiers qu’il tire de ses tournées de conférences.

Dès 1914, il adoptera une position pacifiste, mais il doit céder, en 1915, au chantage du ministre de l’intérieur Malvy qui menace, s’il continue son agitation pacifiste, de s’attaquer à ses partisans qui sont sous les drapeaux. Excédé par la longueur et l’atrocité de la guerre, il recommence sa propagande en publiant le journal Ce qu’il faut dire en avril 1916. Mais la Ruche souffre de la guerre qui l’a privée de nombreux éducateurs partis sous les drapeaux ou en exil pour échapper à l’incorporation. Les conférences de Faure ne pouvant avoir lieu, le budget de la Ruche ne s’équilibre plus et elle est contrainte de fermer définitivement en 1917. Puis, dans l’entre deux guerres, il prend du recul vis à vis du mouvement libertaire. Il se fait le défenseur des « synthésistes », opposés à la plate forme proposée par le révolutionnaire russe Nestor Makhno pour réorganiser et discipliner le courant libertaire sur des bases politiques et structurelles plus précises. Il défend la coexistence dans une même organisation des anarcho-syndicalistes, des individualistes, des communistes libertaires et des illégalistes. Il rejoint l’Association des fédéralistes anarchistes mais soutient toute organisation qui se réclame de l’idéal libertaire. Au début des années 1930, il se marie à nouveau avec Blanche Faure. En 1940, gravement malade, il abandonne l’action politique et se réfugie à Royan, dans une petite maison, rue du Champ des oiseaux, où il meurt le 14 juillet 1942. Il est enterré au cimetière de Royan.

 

La Ruche correspond à un désir d’être efficace et de ne plus disperser une énergie militante considérable sur plusieurs terrains. Jean Marc Raynaud note qu’ « à 46 ans, S. Faure commença à ressentir sinon le poids de l’âge, du moins une certaine lassitude à l’égard d’un type de militantisme marqué au fer rouge de l’urgence et des rendez vous manqués. Il éprouva le besoin de souffler un peu. De concentrer son énergie sur quelque chose de plus palpable. De plus durable »[31]. En phase avec l’intérêt des anarchistes pour l’éducation après la période des attentats, il décide en 1904 de créer une école car, comme il le dira plus tard dans l’encyclopédie anarchiste, la tâche première des anarchistes doit être l’éducation, avant l’organisation et l’action. Par éducation, il entend une action sur soi-même comme sur les autres, devant déboucher sur une vigueur physique, une culture intellectuelle et une beauté morale[32]. Il sera membre fondateur de la Ligue internationale pour l’éducation rationnelle de l’enfance de Ferrer. Tout comme Ferrer, sa conception de l’éducation s’inspire directement de l’éducation intégrale de Robin, ce dont il ne se cache pas. Marcel Voisin, surveillant à la Ruche de 1912 à 1915, note l’influence de Robin dans la coéducation des sexes, « l’école au grand air » et la méthode musicale Galin-Paris-Chevé[33].

En 1904, Faure loue une maison et un terrain au Pâtis, à 3 kilomètres de Rambouillet et 48 de Paris. Le terrain de 25 hectares comprend une prairie, des bois, un jardin et une serre, et des terres cultivables. Il se situe à côté du château de Grange Colombe, propriété du comte Potocki, dans laquelle les adultes de la Ruche iront parfois braconner. Les travaux d’aménagements seront faits progressivement, soit gracieusement par des ouvriers militants voulant aider l’œuvre, soit financés par Faure ou des dons venant du mouvement ouvrier, mais aussi de la franc-maçonnerie. Faure nomme cette école « la Ruche », car, selon Ernest Berthier, pupille de la Ruche, il s’inspire des abeilles qui travaillent toutes pour le bien de la colonie entière[34].

L’école n’est pas déclarée car Faure ne la considère ni comme une école, ni comme un pensionnat, ni comme un orphelinat, mais comme une grande famille, dirigée par un individu à qui les parents ont délégué leur pouvoir. « Le législateur ignorait la Ruche et la Ruche ignorait le législateur »[35].

La Ruche vise l’autosuffisance alimentaire et comprend donc un potager et une ferme. Il y a aussi deux vaches, deux chevaux, quelques porcs et quelques poules. Il y a surtout une cinquantaine de ruches qui fournissent du miel en abondance. Le blé qui pousse à la Ruche est échangé à Rambouillet contre du pain. L’imprimerie, celle de Cempuis, sert à imprimer des tracts, affiches, brochures, livres pour tout le mouvement ouvrier, mais aussi, à imprimer des cartes postales, vendues au bénéfice de la Ruche. Elle fournit près d’un quart du budget. Les tournées de conférences de Faure et les profits réalisés lors de la fête annuelle au mois d’août, qui rassemblait plusieurs milliers de militants, constituent les autres principales rentrées d’argent. Il ne faut pas oublier les souscriptions lancées auprès des militants. En 1913, elles parviennent à représenter 37% des recettes[36]. Une partie non négligeable de cet argent vient des loges maçonniques, auxquelles Faure, franc-maçon comme certains de ses collaborateurs lançait un appel spécifique en 1906 dans la Revue maçonnique. Bien entendu, cela poussa plusieurs de ses adversaires à lui reprocher la provenance prétendument douteuse des fonds de la Ruche. S’il est vrai que des aides financières sont venues de la franc-maçonnerie, il s’agissait avant tout d’aides personnelles de frères intéressés par l’œuvre, mais pas d’une implication d’une loge entière. Il était aussi fréquent que, lors de voyages, les enfants soient hébergés dans les villes étapes par des frères, tout comme d’ailleurs, par des anarchistes. Faure n’a jamais caché son appartenance à la maçonnerie. Il serait par contre intéressant d’étudier l’intérêt de la maçonnerie pour l’éducation, et surtout l’éducation libertaire[37]. Dans les meilleures années, avant 1914, la Ruche compte une quarantaine d’enfants et une vingtaine d’adultes. Au total, ce sont près de 80 enfants qui sont passés à la Ruche entre 1905 et 1917[38]. Les enfants sont très imprégnés par l’atmosphère militante qui les entoure, par la venue régulière de socialistes et d’anarchistes, soit pour des travaux d’imprimerie, soit lors de la fête ou pour des visites pédagogiques. Ils se font remarquer dans la commune par leurs chants anticléricaux ou pacifistes et par leurs insultes contre les gendarmes et militaires de la région.

Chaque été, Faure essaye d’emmener, comme Robin, ses enfants en voyage à travers la France et même l’Algérie durant l’été 1914. Le but est de visiter les monuments et curiosités de chaque région. Le voyage est financé par les bénéfices des fêtes et spectacles que donnent les enfants dans chaque ville traversée. Faure reconnaît aussi l’influence de Robin pour la non-directivité de l’enseignement, pour la pratique des sports et l’importance de l’hygiène. Pourtant la Ruche n’a pas la même rigidité dans les emplois du temps que Cempuis. Il est incontestable que les enfants, moins nombreux, bénéficient de plus de liberté. Faure est, à peu près, à l’abri des critiques qui avaient été faites à Robin par des anarchistes. De plus les enfants participaient, dès 15 ans, aux réunions hebdomadaires qui décidaient de la gestion de la Ruche.

Les enfants, garçons et filles de 6 à 16 ans, étaient tous issus de familles pauvres, certains étaient orphelins. Certains étaient aussi enfants de militants anarchistes en difficultés graves ou contraints à l’exil. Les parents abandonnaient à Faure la responsabilité de l’éducation de leurs enfants jusqu’à 16 ans, pour permettre une réelle éducation et pas un simple passage, mais ne participaient financièrement que s’ils le pouvaient ou le souhaitaient. Les enfants entraient à la Ruche avant 10 ans, âge au-delà duquel Faure considérait qu’ils étaient trop imprégnés de la mauvaise éducation ambiante pour réussir à la Ruche. Les enfants passaient aussi une visite médicale avant l’entrée à la Ruche, Faure ne pouvant se permettre une assistance médicale lourde. De plus, il considérait la bonne santé physique et psychique comme nécessaire à la réussite de l’éducation intégrale. Il veillait aussi à ce qu’il y ait autant de filles que de garçons et autant d’enfants de chaque classe d’âge. Au total, Faure a du refuser près de 4 000 enfants[39]. Roland Lewin note qu’en ce sens, Faure reprend le principe de bonne naissance pratiqué à Cempuis, puisqu’il refuse tout enfant affligé d’une affection constitutionnelle, d’une tare originelle ou d’une maladie contagieuse car il est un poids mort pour la communauté et qu’il ne peut recevoir à la Ruche les soins et l’attention particulière dont il a besoin[40]. Faure précise le rôle de cette visite médicale à l’entrée.

 

« Nous n’exigeons pas que l’enfant soit particulièrement sain et robuste, mais nous exigeons que rien ne s’oppose à ce qu’il le devienne, et c’est une besogne dont nous nous chargeons. »[41]

 

Outre l’enseignement, réalisé par un à trois instituteurs selon les périodes, il y avait aussi à la Ruche des artisans qui enseignaient leur spécialité. Leur nombre a varié au cours des années, mais il y a eu, dans la meilleure période, un menuisier, un cordonnier, un tailleur, un couturier, un peintre, un forgeron serrurier, quatre imprimeurs, un relieur et un jardinier. Les enfants, comme à Cempuis, passaient dans chaque atelier, avant de choisir un apprentissage à 12 ans. Le personnel se composait aussi, sur la fin d’un surveillant, de deux cuisinières, de deux agriculteurs et d’un directeur, chargé de gérer l’ensemble lorsque Faure était absent, ce qui était fréquent. Il enseignait lui-même la musique et la chorale de la Ruche, de bon niveau, permettait de récolter un peu d’argent par les concerts qu’elle donnait.

L’essentiel de la philosophie de l’éducation mise en œuvre à la Ruche est hérité de Robin. Le principe est entièrement celui de l’éducation intégrale.

 

« Par la vie au grand air, par un régime régulier, l’hygiène, la propreté, la promenade, les sports et le mouvement, nous formons des êtres sains, vigoureux et beaux.

Par un enseignement rationnel, par l’étude attrayante, par l’observation, la discussion et l’esprit critique, nous formons des intelligences cultivées.

Par l’exemple, par la douceur, la persuasion et la tendresse, nous formons des consciences droites, des volontés fermes et des cœurs affectueux.

Ce programme est celui que nous n’avons cessé d’affirmer. Embrassant l’éducation dans son triple domaine : physique, intellectuel et moral ; tenant compte de la nécessité de développer intégralement le corps, l’intelligence et la conscience, en un mot, l’être tout entier, il comprend trois parties :

1-     L’éducation physique ;

2-     L’éducation intellectuelle ;

3-     L’éducation morale. »[42]

 

De même que Robin avec l’Éducation intégrale, Faure lance en 1914 un bulletin, paraissant le 10 et le 25 de chaque mois, qui n’aura que dix numéros. Ce Bulletin de la Ruche, prometteur, puisqu’il eut plus de mille abonnés[43], est interrompu par la guerre. Il contient des articles de Sébastien Faure, des chroniques pédagogiques rédigées par l’un des instituteurs et diverses contributions par des collaborateurs de Faure ou par des personnalités politiques comme C.-A. Laisant, André Girard, Urbain Gohier, Jean Marestan et Georges Yvetot. Il faut remarquer que toutes ces personnalités sont des militants néo-malthusiens. Il y a aussi à chaque numéro, une chronique d’hygiène scolaire signée par les docteurs Alfred Mignon de Tours, anarchiste, ou le docteur Fernand Elosu de Bayonne, militant néo-malthusien[44]. En bon régénérateur, C.-A. Laisant explique, dans le Bulletin de la Ruche, en quoi l’éducation doit préparer l’enfant à la lutte pour la vie[45].

L’intérêt pour l’hygiène est aussi présent à la Ruche, quoiqu’il n’atteigne le niveau d’exigence de Robin. La toilette des enfants est importante. Elle est encouragée et fait l’objet d’une inspection comme à Cempuis. En été, les enfants font régulièrement un peu d’exercice au grand air avant les cours. De plus, chaque semaine de l’année, ils font deux séances d’une demi-heure de gymnastique. En plus de cela, ils sont initiés à divers sports, sans esprit de compétition. Les dimanches d’été, de longues randonnées sont souvent organisées. L’hygiène s’applique néanmoins à tous les domaines de la vie quotidienne, comme en témoigne les notes sur l’hygiène et la médecine du Bulletin de la Ruche, dont le but est d’expliquer à tous les parents et éducateurs les pratiques saines, telles qu’elles sont mises en œuvre à la Ruche. On y parle d’hygiène enfantine, d’hygiène scolaire (concernant le matériel de travail, les locaux), d’hygiène sociale (concernant les activités professionnelles), d’hygiène familiale (pour ceux qui fondent un foyer, puériculture) et de médecine pratique (pour soigner les petites blessures de la vie quotidienne).

Pour la question de l’éducation physique, elle fait l’objet d’une attention toute particulière et est considérée, comme à Cempuis, comme le premier stade de l’éducation, sans lequel les autres sont impossibles. Léon Rouget, instituteur à la Ruche, en fait l’objet de la tribune pédagogique du premier Bulletin de la Ruche[46]. Il considère que l’éducation physique est oubliée par la pédagogie, alors même qu’elle détermine l’éducation intellectuelle. Elle permet aussi, par l’effort de former des volontés fermes, nécessaires à l’émancipation du prolétariat. Les organes qui permettent à l’enfant de penser, raisonner et apprendre doivent être formés par l’éducation physique pour que l’instituteur puisse faire son travail. Mais Léon Clément précise qu’il faut aussi changer le sport. Cette éducation physique doit aussi permettre la distraction et ne pas aboutir à un désintérêt de l’éducation intellectuelle. Le sport doit se faire dans un esprit d’élévation général et pas de concurrence. La concurrence pousse à être toujours meilleur dans un domaine au dépend des autres[47]. Pour Sébastien Faure, cette importance de la culture physique n’est que simple logique car « avant que de penser et de vouloir, l’enfant mange, boit, respire, se meut, dort ; il existe ; et il ne naît à la vie intellectuelle et morale que lorsque son corps a atteint un certain développement »[48]. Il n’évoque à aucun moment une idée de régénération humaine.

Faure avait aussi banni les punitions et les récompenses. Les excursions et le grand voyage de l’été n’étaient pas des récompenses comme à Cempuis. les enfants y participaient tous par petits groupes d’âge égal. La réprobation et l’approbation, autorité toute morale, semblaient suffire à assurer une certaine harmonie.

 

La conversion de Faure au néo-malthusianisme fut d’une grande importance. Il s’agit de la première personnalité connue par le grand public, après Paul Robin et avant Georges Yvetot, à avoir adopté cette théorie. A partir de 1903, Faure va donc exprimer ses positions pour la limitation des naissances lors de ses conférences, sans toutefois en faire une priorité. Il ne suit pas l’orthodoxie de Robin et parle toujours plus de pacifisme ou d’anticléricalisme. On peut expliquer aussi la divergence entre Faure et Robin par un point qui a son influence dans le système éducatif. Si Robin considère que le facteur le plus déterminant pour la qualité de l’enfant est l’hérédité, Faure considère qu’il s’agit du milieu ambiant. Il s’agit là d’une divergence qui existe au sein du mouvement néo-malthusien, selon Edmond Potier, entre darwiniens et lamarckiens[49]. Pour Faure, «  quand l’enfant naît, il est comme une page blanche sur laquelle rien de définitif n’est encore écrit »[50]. Il est donc logique que Faure se consacre plutôt à l’éducation qu’à l’eugénisme. Il n’empêche que, dans son rôle d’éducateur, Faure ne rejette pas l’hérédité. Il dit simplement que l’hérédité est un des trois facteurs qui forment l’enfant, avec le milieu et l’éducation. L’hérédité et l’éducation agissent en prédisposant fortement l’enfant « ou bien à subir le milieu social dans lequel évoluera sa vie d’adulte et à s’y adapter, ou bien à réagir contre ce milieu »[51]. Il fixe comme mission aux éducateurs de s’adapter à cette hérédité pour « modeler » l’enfant selon ses propres capacités naturelles.

 

« Le rôle de l’éducation, c’est, à la fois, de paralyser, chez l’enfant, d’étouffer, de tuer, si possible les prédispositions mauvaises, les tendances fâcheuses et de stimuler, de développer, de fortifier jusqu’à leur épanouissement intégral les heureuses dispositions, les aptitudes fécondes, les poussées généreuses, les nobles élans »[52]

 

En cela, Sébastien Faure se situe dans la droite ligne de ce qu’André Girard appelait « l’idée évolutionniste dans l’éducation ».

Le 16 novembre 1903, il annonce sa conversion dans une conférence très importante à la Salle des sociétés savantes, sous la présidence de Nelly Roussel. Le texte de cette conférence sera édité en brochure en 1912 par Génération consciente. On remarque que, quoiqu’il n’ait pas encore établi son projet de la Ruche, son argumentation néo-malthusienne est tournée vers l’enfance et vers l’éducation.

 

« Mais je vous dis : « N’en ayez que lorsqu’il vous plait d’en avoir [des enfants] », comptant que vous ne le voudrez, que vous ne désirerez être pères et mères que quand vous jugerez qu’il est à propos que vous le deveniez, et, surtout, comptant que vous aurez la sagesse de ne le vouloir que lorsque vous serez en situation de donner à cet enfant une constitution robuste et forte, d’en faire physiquement un être sain et vigoureux et lorsque, d’autre part, économiquement, vous aurez la quasi-certitude de pouvoir lui donner […] le développement intellectuel et moral auquel il a droit. »[53]

 

Il précise aussi que la limitation des naissances permet de donner à l’enfant plus d’attention, plus de nourriture et de lui offrir une meilleure santé et une meilleure instruction[54]. Il fait aussi de l’enfant non désiré la cause principale du malheur des familles nombreuses.

 

« Si dans la famille, les enfants sont trop nombreux, le salaire finit par devenir insuffisant, la misère s’installe au foyer. Le soir venu, lorsque, harassé, fourbu, le père rentre de l’atelier, il ne règne dans le logis qu’un morne silence, les visages expriment l’angoisse et l’anxiété, les cœurs sont pleins de détresse et de désespérance. »[55]

 

Quelques mois après cette conférence, Faure décide de créer la Ruche. Faut-il y voir une influence directe de Robin et du néo-malthusianisme, rien ne permet de le dire. Lorsque Faure explique ses motivations dans les diverses brochures sur la Ruche, il ne fait pas mention d’une telle influence.

Il expose tout de même des conceptions très proches de celle de Robin sur la hiérarchie des tâches. La révolution sociale ne peut venir que de jeunes gens bien formés, « de jeunes générations qui soient saines de corps et d’esprit », lesquelles ne peuvent se trouver « parmi les dégénérés, parmi les avariés, parmi ceux qui sont faibles de corps et d’esprit », produits de la surpopulation. Il conclut que la jeunesse ne peut se former à ces qualités qu’avec la bonne naissance d’abord et la bonne éducation ensuite[56].

 

Mais après cette conférence, la participation de Faure à la propagande néo-malthusienne ne sera jamais très importante. Ses réunions publiques consacrées à la question de population seront de petits événements dans la presse néo-malthusienne. Sa conférence à la salle des sociétés savantes en 1908, intitulée « Ayons peu d’enfants » est annoncée en première page de Régénération. Le texte d’appel fait clairement apparaître les slogans « Bonne naissance » et « Bonne éducation »[57]. Sa propagande reste toujours basée sur l’enfance et les moyens de la rendre heureuse. Un de ses très rares articles dans Génération consciente, occupant tout de même la première page, expose la misère de l’enfance dans les familles ouvrières nombreuses, entassées dans les faubourgs.

 

« Circulez à travers les villes et les campagnes ; pénétrez dans la chaumière du paysan, grimpez jusqu’au taudis du travailleur des cités ; parcourez les rues des centres ouvriers ; entrez dans les écoles où pullulent les enfants pauvres ; et partout vous aurez le spectacle qui vous étreindra le cœur d’une indicible émotion- de petits êtres, scrofuleux, rachitiques, alcooliques, tuberculeux, syphilitiques, rongés lentement par toutes les infections, ou encore, lentement assassinés par la misère, ou encore, exposés à toutes les incertitudes du lendemain, voués à l’ignorance, au travail dès l’âge de 10 ans, à la mendicité, au vagabondage, aux promiscuités épouvantables de la rue, aux contaminations de toute nature, tandis que les pères, désertant un foyer repoussant où piaille et grouille, le soir venu, la marmaille en haillons, demandant au cabaret l’oubli de leur misère et de leur déchéance et que les mères, flétries à 25 ans par les maternités successives, traînent dans le désespoir et la détresse une existence de douleur et de honte. » [58]

 

Il est certain que cette attention pour les enfants est l’une des premières motivations de Sébastien Faure, une motivation qui le pousse à la fois vers le néo-malthusianisme et vers l’éducation. De là à penser que c’est son adhésion au néo-malthusianisme qui le pousse à créer la Ruche, il y a un pas que rien ne permet de franchir. Jean Marc Raynaud remarque que rien ne semblait prédisposer Faure, qui « militait essentiellement dans l’espace politique » à créer une école. Il note toutefois qu’il « était bien placé pour connaître l’importance de l’éducation dans la formation de la personnalité », lui qui fut « victime de l’endoctrinement à la mode catholique »[59].

Il ne faut pas non plus voir en Faure un militant néo-malthusien orthodoxe, qui adhère totalement à la théorie de Robin. S’il est plus proche de Robin que Madeleine Pelletier ou André Girard, il n’a tout de même pas fait de la question de population le point déterminant de toute propagande. Albert Lecomte se trompe quand il considère que « quand Sébastien Faure eut connaissance de la découverte de Malthus et de ses conséquences logiques, il eut l’impression qu’il avait, avant cette dernière étude, négligé le point de vue le plus important de la question sociale »[60].

Faure a été néo-malthusien tout en dirigeant une école basée sur l’éducation intégrale. S’il a lié les deux, c’est avant tout pour exprimer son intérêt pour l’enfance, pour une nouvelle génération dont il attendait beaucoup au niveau politique. Il n’a pas justifié ses pratiques à la Ruche en référence à la régénération humaine contrairement à Robin. Pourtant Robin est clairement sa référence première. Il exprime son attachement à sa doctrine dans Génération consciente en expliquant sa vision des minorités révolutionnaires qui « ne sauraient se constituer ni accomplir leur mission tant que cette double règle de conduite sociale ne sera suffisamment appliquée : bonne naissance, bonne éducation »[61]. De même, il justifie l’existence de la Ruche par cette volonté de former des minorités révolutionnaires[62]. Il s’implique dans les questions d’éducation car la question de la naissance est bien traitée par les néo-malthusiens depuis longtemps. Il va sans doute un peu loin en prétendant que c’est dans la même optique que lui que la Ligue ouvrière de protection de l’enfance publie un journal pour enfants, Les petits bonshommes. Nous verrons que ce journal ne partage pas vraiment cette logique de régénération par la bonne naissance et la bonne éducation.

 

 

Le journal Rénovation, que nous avons déjà évoqué, tente en effet d’allier les propagandes pour la limitation des naissances, pour l’éducation populaire et contre l’alcoolisme.

Ce journal mensuel est l’organe de trois organisations. La Fédération des groupes ouvriers néo-malthusiens voit le jour durant l’hiver 1910-1911. Ces groupes sont créés par Verliac, syndicaliste de l’Union des mécaniciens et ancien membre de la L.R.H., Camille Cauvin, garçon coiffeur et collaborateur du Libertaire, et le Dr. Sicard de Plauzolles, membre de la Ligue des droits de l’homme et militant néo-malthusien connu. Ils sont clairement soutenus par le Docteur Legrain, militant antialcoolique et médecin chef de l’Asile de Ville Evrard, et par Georges Yvetot, qui bien qu’étant néo-malthusien, a préféré se tenir à l’écart des autres journaux. Il leur reprochait d’être des œuvres trop personnelles, trop liés au commerce des produits préservatifs. Pour lui, son néo-malthusianisme rejette l’avortement, trop dangereux, et se concentre sur la contraception et l’éducation sexuelle. Ceux qu’il accuse de faire du « commerce d’engins plus ou moins préservatifs », auraient le tort de ne pas faire l’éducation et de ne pas en appeler à la volonté des individus[63]. C’est clairement Génération consciente qui est visée. Pour ce qui est de l’antialcoolisme Yvetot le trouve urgent et nécessaire au syndicalisme. Il laisse par contre le problème de l’éducation à C.-A. Laisant, jugé plus expérimenté.

Comme Yvetot, Verliac souhaite faire une œuvre impersonnelle, pratiquant le centralisme démocratique, afin d’éviter les dérives et conflits qu’il a connus à la fin de Régénération. Charles-Ange Laisant les soutient aussi activement et se trouvera régulièrement au sommaire de Rénovation, essentiellement pour des articles éducatifs. Ces Groupes sont issus des syndicats, d’où l’épithète ouvrier. En 1913, le ministre de l’intérieur a une liste de 34 groupes ouvriers néo-malthusiens, dont 18 dans la région parisienne[64].

Madeleine Pelletier adhère aussi, ravie de trouver une organisation néo-malthusienne moins orthodoxe.

La Ligue ouvrière pour la protection de l’enfance est la deuxième organisation de Rénovation. Elle s’occupe de la partie éducation. La ligue publiera à partir de 1913 un journal pour enfants et pour éducateurs, nommé Les petits bonshommes, qui paraîtra les 1er et 15 de chaque mois. Ce journal, créé par Léon Clément, qui est l’un des enseignants de la Ruche, bénéficie de la participation régulière de Madeleine Vernet et donne régulièrement des nouvelles de l’Avenir social. Jean Wintsch y collaborera aussi occasionnellement. On note aussi qu’ils évoquent parfois la Ruche et reprennent un texte issu d’une publication de la Ruche. Mais globalement, les Petits bonshommes n’ont pas une orientation spécifiquement libertaire, quoiqu’ils considèrent la Ruche et l’Avenir social comme les seules écoles en France se recommandant de leurs idées. Bien que ce journal ait continuellement du mal à survivre, il bénéficie d’une diffusion internationale, ayant des abonnés aux États Unis, en Grande Bretagne ou dans les colonies françaises de Nouvelle Calédonie et d’Algérie. En France elle est bien diffusée en région parisienne et en Creuse. Il défend la coéducation, parle régulièrement d’hygiène enfantine, publie des poèmes, des textes pour enfants, des photos et reportages sur des groupes d’enfants affiliés à des coopératives ou des syndicats.

La Fédération des groupes ouvriers antialcoolique complète le trio. Il s’agit d’une organisation d’essence syndicale. En sont adhérents, la Fédération des cuirs et peaux, celle du livre, des coiffeurs, de la voiture, les syndicats des ébénistes, des coiffeurs, des artistes musiciens, des typographes, des égoutiers, de la chaussure, des cuisiniers, des mécaniciens, des tourneurs en optique, des menuisiers, des employés de la région parisienne, des camionneurs du Havre, des papetiers de Besançon et encore beaucoup d’autres. Elle publie le Réveil. Ses membres doivent être antialcooliques, pour l’abolition du salariat et syndiqués s’ils sont syndicables[65].

Le journal Rénovation est créé en mars 1911. Le premier numéro est publié en avril. L’objectif affiché est de « propager dans la classe ouvrière, les idées et les pratiques de prudence procréatrice, de tempérance et de bonne éducation »[66].

La limitation volontaire des naissances doit permettre d’empêcher la dégénérescence, de diminuer le chômage et le militarisme. Cela doit rendre la classe ouvrière plus forte, les actions syndicales plus efficaces et doit aussi permettre la bonne éducation. Le lien est clairement établi, sur le modèle de la L.R.H. entre ces deux propagandes. La lutte contre l’alcoolisme a aussi pour but d’empêcher la dégénérescence de la race et rendre l’ouvrier plus fort dans son combat syndical. Le rôle de l’alcoolisme dans la procréation inconsciente est aussi souligné.

L’éducation rationnelle est vue comme « complément naturel » aux deux autres propagandes, sans plus d’explication. Ce programme est très proche de celui de la L.R.H. Il s’inspire clairement du slogan de Robin, « Bonne naissance, bonne éducation bonne organisation sociale ». L’antialcoolisme est surévalué par rapport aux idées de Robin et la bonne organisation sociale est laissée dans l’ombre, comme pour la L.R.H. Ce programme doit contribuer « à former des générations conscientes qui sauront construire la société idéale que nous appelons de nos vœux »[67]. Pourtant le néo-malthusianisme ne sera traité à peu près que sous son angle individuel.

Cauvin acquiert du matériel de projection et fait des tournées de « cinéma social » où il montre des films révolutionnaires, néo-malthusiens, pacifistes, antialcooliques et syndicalistes. Le néo-malthusianisme n’y tient en fait qu’une petite place et ne traite que de l’aspect individuel : la procréation consciente, la contraception. Il n’évoque jamais la loi de population, les dangers de la surpopulation ou l’idée de régénération.

La polémique commence avec Gabriel Giroud, défenseur de l’orthodoxie, quand celui-ci parle au congrès international néo-malthusien de Dresde des deux périodiques néo-malthusien de France. Il oublie le Malthusien, mais ce n’est pas cela qui gène Rénovation. Ce serait plutôt sa manière de caractériser Rénovation comme « moins conforme à la doctrine »[68]. Claude Reilles répond dans Rénovation n°8 que « si le néo-malthusianisme dénonçait comme seule cause des maux dont le prolétariat souffre, l’excès de population, et préconisait comme seul remède la limitation des naissances, certes à « Rénovation » nous serions les premiers à répudier toute orthodoxie en la matière car nous pensons que le point de départ initial de la misère est l’exploitation de l’homme par l’homme, laquelle ne disparaîtra que par la suppression de la société capitaliste »[69]. En réponse, Giroud écrit une lettre à Rénovation pour leur reprocher leur méconnaissance de la loi de population. Il considère Rénovation comme « une feuille à tendance éducative, un excellent organe de propagande anti-alcoolique. Quand par accident, Rénovation traite du néo-malthusianisme comme doctrine, c’est en toute ignorance du sujet »[70]. Pour Giroud, l’exploitation de l’homme par l’homme est conséquence de la surpopulation et de la difficulté à produire suffisamment de subsistances.

Mais très vite l’alliance des principes de limitation des naissances, d’éducation et de tempérance est mise à mal dans les faits. Les articles restent basés sur leur domaine exclusif. Cela n’empêche pas des critiques. Une lettre envoyée à Rénovation par un certain Paul Bureau, accuse la Fédération ouvrière antialcoolique d’être néo-malthusienne[71]. Fernand Sellier, secrétaire de la Fédération répond que ce n’est pas le cas. Il présente sa fédération mais reste obscur sur les raisons d’un tel rapprochement au sein de Rénovation puisque la Fédération ouvrière antialcoolique publie déjà le Réveil, son propre organe. Un petit encart est inséré par la rédaction : « Chaque propagande menée par Rénovation est absolument distincte et n’engage que la fédération correspondante ». Mais la Fédération ouvrière antialcoolique manifeste aussi un certain intérêt pour l'hygiène et la puériculture. Elle organise une exposition d’hygiène à la Station d’études sociales pratiques pour apprendre « comment élever les bébés, comment devenir souple et fort, comment se loger, comment se nourrir, ce qu’il faut boire, ce qu’il ne faut pas boire, comment se préserver des maladies contagieuses, les lois relatives à l’hygiène et leur application »[72].

A la fin de 1913, un certain A. Dumont, collaborateur de Rénovation et de Génération consciente propose d’allier les deux journaux[73]. La réaction est vive. La rédaction a reçu plusieurs courriers inquiets de lecteurs qui ne semblent pas adhérer au néo-malthusianisme, ou au moins à la conception qu’en a Génération consciente. La rédaction rassure ses lecteurs, ce projet n’a jamais été vraiment envisagé, il ne s’agissait que d’une proposition individuelle.

En 1913, le succès semble important car une société coopérative de librairie, d’édition et d’hygiène appelée « la Rénovatrice » voit le jour, 49 rue de Bretagne à Paris, adresse de Rénovation. Mais des difficultés surviennent, notamment des conflits internes, et Rénovation fonctionne déjà mal lorsqu’il doit s’arrêter au début des troubles internationaux de 1914.

 

L’une des choses qu’il faut noter à propos de Rénovation, c’est que, contrairement à ce que son programme annonce, les trois propagandes menées sont bien distinctes. C’est ce qui lui permet de s’attacher la collaboration active de Madeleine Vernet. Si elle est convaincue par certains points du programme néo-malthusien, comme l’union libre, la nécessité de l’éducation sexuelle ou l’éducation intégrale, elle rejette la doctrine néo-malthusienne. Elle considère qu’à vouloir limiter les naissances, on en arrivera à les supprimer par facilité. De plus elle reproche aux néo-malthusiens de ne pas avoir de compassion pour les enfants malheureux. Pourtant, elle s’attache à faire la publicité de Rénovation et d’expliquer son but, sans oublier le néo-malthusianisme.

 

« En effet, avoir peu d’enfants pour les bien élever, et leur donner une éducation saine et forte ; vulgariser les questions éducatives, combattre l’alcoolisme ; tout cela c’est faire de l’éducation. C’est pour cette raison que je me suis attachée à ce petit journal si intéressant qu’est Rénovation et que je lui apporte le plus régulièrement possible ma modeste collaboration. […] je suis persuadée qu’avec un peu de propagande, il serait entre les mains de tous les militants, de tous les éducateurs, de tous ceux enfin qui apportent leur effort à la Rénovation humaine et sociale »[74]

 

Cette conception se rapproche beaucoup de la théorie de Robin, que ne partageait pourtant pas Madeleine Vernet. Mais, Rénovation, malgré de bonnes intentions, ne va pas investir le néo-malthusianisme dans le domaine éducatif. Il semble que les militants, et donc les abonnés, ne partagent pas la conception de l’un des fondateurs du journal, Verliac, ancien militant de la L.R.H., proche de Robin.

 

 

D’autres militants continuent néanmoins à propager la doctrine de Robin en insistant sur la nécessité de limiter des naissances pour mener à bien l’éducation intégrale. Pour Valentin Grandjean, militant néo-malthusien suisse et député de Genève, c’est justement la question éducative qui fait la force du néo-malthusianisme.

 

« Ainsi compris, le néo-malthusianisme prend une valeur éducative considérable. Il ne se cantonne plus dans l’enseignement des moyens anticonceptionnels, il réalise dans toute son ampleur la belle devise de Robin : Bonne naissance, bonne éducation. Point ne suffit en effet d’avoir peu d’enfants, encore faut-il savoir bien les élever, en faire des êtres raisonnables et libres, affranchis du curé, du pasteur, du rabbin. »[75]

 

Dans le Malthusien, le docteur Gottschalk reste fidèle, dans son article programme, aux divers points de la régénération humaine. La première partie est consacrée à la limitation des naissances. La seconde partie est consacrée à l’éducation dans une optique claire d’amélioration du genre humain[76]. Toujours, la surpopulation est considérée comme le premier obstacle à l’éducation car « les enfants de grandes familles sont forcés d’être de qualité inférieure, tant du point de vue physique qu’intellectuel ».

L’éducation intégrale, sous ses divers aspects, reste une référence générale chez les néo-malthusiens. C’est de ce concept que se réclame Jean Marestan quand il publie « L’éducation sexuelle ». Il s’agit pour lui d’un élément de régénération de l’espèce humaine, laquelle se fait par un enchaînement précis d’étapes :

 

« I Choix rationnel des couples reproducteurs ;

II Préparation de ces couples à la génération au moment le plus favorable ;

III Hygiène morale et physique de la femme enceinte

IV Culture physique de l’enfant, préparant la meilleure des éducations intellectuelles pour le développement de sa personnalité. »[77]

 

De même, Manuel Devaldes se réfère aux expériences d’éducation intégrale de Robin et Tolstoï. Pour lui ces tentatives ne peuvent réussir car Robin est trop autoritaire et Tolstoï, déiste, pervertit les enfants par des concepts métaphysiques, elles ne sont donc pas « des tentatives de régénération par l’éducation ». La régénération doit aboutir « à une conception supérieure à celle de Tolstoï et de Robin, en ce sens qu’elle prend ce qu’il y a de bon, de libertaire dans chacune d’elles et laisse de côté ce qu’il y a de mauvais, d’autoritaire »[78]. Ce qui intéresse Devaldes, c’est le côté libertaire, qui est la seule chose à ne pas jeter de ces expériences. Mais il doit reconnaître que le plus important est « que la matière à éduquer soit éducable. […] Seuls sont éducables des individus consciemment engendrés, sains et normaux, vivant dans un milieu qui ne soit pas, de par la surpopulation, en proie à une lutte pour l’existence, accaparant toute l’attention et toutes les forces des individus »[79]. L’objectif général de Devaldes étant « l’amélioration de l’humanité entière », il doit allier l’éducation avec la génération consciente. Mais il n’y a pas de hiérarchie car « la génération consciente travaille pour l’éducation comme celle-ci œuvre pour celle-là »[80].

 

Bien sûr le plus vigoureux défenseur de la régénération humaine est Gabriel Giroud, « gardien de l’orthodoxie théorique »[81]. Exerçant le métier d’instituteur, il commente donc dans les journaux néo-malthusiens les divers projets pédagogiques d’actualité et évoque la méthode Galin-Paris-Chevé, l’Esperanto, l’eugraphie et la pratique du dessin comme des moyens d’améliorer le bonheur de l’humanité[82]. Pour lui, les obstacles à la bonne éducation sont de deux ordres : le nombre et la mauvaise qualité des enfants. La bonne pédagogie, celle de l’éducation intégrale, est trop chère pour être généralisée à un si grand nombre d’élèves que celui dont s’occupe l’État.

 

« Soit 60 francs par an et par tête. Une dérision ! Les pédagogues chétifs qui fondèrent l’enseignement populaire peuvent se congratuler en contemplant leur œuvre « Laïque, gratuite et obligatoire » ! On sait, du reste, dans quelles misérables conditions s’exerce l’enseignement primaire : locaux étroits, malpropres, classes surchargées, matériel nul, collections inexistantes, maîtres surmenés et mal payés, etc. […]Aller jusqu’à demander la réalisation des vues émises par les pédagogues de l’Internationale, par Paul Robin entre autre, paraîtra sans doute exagéré. Mais nul ne considèrera comme outré le plan proposé par le parti radical, en 1909, au congrès de Nantes. »[83]

 

Ce plan évoqué comprend la révision des lois scolaires, l’assurance pour tous les enfants d’un droit égal à l’instruction, c’est à dire gratuité de l’enseignement à tous les degrés et enseignement primaire élémentaire base unique de toute l’éducation nationale. Il s’agissait aussi de prolonger la scolarité obligatoire jusqu’à 14 ans et de modifier les programmes. Pour Giroud, ce programme nécessite une augmentation du matériel scolaire fourni aux enfants, la constitution de collections scientifiques, la reconstruction des écoles pour les rendre plus larges, plus aérées, dotées d’ateliers, entourées d’espaces verts. Il faudrait aussi revoir la formation des enseignants, leur salaire et augmenter les embauches. Soit, pour cinq millions et demi d’enfants de 6 à 14 ans, une dépense égale au budget cumulé des ministères de la Guerre et de la Marine. Logiquement, cette éducation ne peut se faire qu’avec une diminution importante des naissances.

De plus l’éducation doit se faire sur le long terme et ne peut s’arrêter à 12 ou 13 ans. Or la majorité des enfants quittent l’école à cet âge car ils sont obligés de travailler pour nourrir leurs nombreux frères et sœurs.

 

« Quoiqu’en disent nos adversaires, l’instruction, l’éducation ne peuvent se poursuivre efficacement que dans des conditions de petit nombre et de choix de la graine. Une pédagogie rationnelle est incapable de donner des résultats sans la sélection. »[84]

 

En fait, Giroud, comme beaucoup d’autres, n’évoque que très peu la pédagogie. Il précise bien sûr que les pédagogies innovantes, rationnelles ne peuvent réussir si les enfants sont de mauvaise qualité. Leur élévation, objectif d’une vraie éducation, ne peut réussir que si leur hérédité et leur première éducation enfantine les y prédisposent. Ainsi la liberté des enfants, principe essentiel pour des libertaires, permettant l’apprentissage de la responsabilité, ne peut être pratiquée avec des enfants de mauvaise qualité. Mais globalement, Gabriel Giroud comme les autres néo-malthusiens parlent plutôt d’éducation et pas vraiment de pédagogie. Leur argument premier est celui du nombre trop important des enfants. Les principes pédagogiques ne sont que très peu évoqués.

Toutefois, si les néo-malthusiens considèrent, dans leur grande majorité que le nombre des enfants est un obstacle à l’éducation, c’est qu’ils ne se contentent pas de l’instruction publique telle qu’elle est faite par la Laïque. Ils aspirent à une autre éducation, et généralement, à d’autres principes pédagogiques.

 

 



[1] Voir René Bianco, Un siècle de presse anarchiste d’expression française (1880-1983), Aix Marseille, 1987, pp. 763-765.

[2] René Bianco, op. cit., pp. 847-848.

[3] Il se retirera de l’activité politique en 1931 puis collaborera au journal pétainiste La France au travail durant l’occupation.

[4] Charles-Ange Laisant (1841-1920) fut député, proche de Boulanger, de 1876 à 1893. Puis il devient anarchiste, sous l’influence de son fils Albert, proche de Sébastien Faure. Mathématicien réputé, il prône une éducation attractive des mathématiques, par les images. Il est aussi franc-maçon et espérantophone.

[5] C.-A. Laisant, « Francisco Ferrer » dans L’École émancipée n°3, 15 octobre 1910.

[6] Charles-Ange Laisant, « Éducation et liberté », dans Rénovation n°1, 15 avril 1911.

[7] Charles-Ange Laisant, L’éducation fondé sur la science, Paris, 1904, pp. 59-60.

[8] Manuel Devaldes (1875-1956), se son vrai nom Ernest Lohy est un anarchiste individualiste, qui a commencé par militer dans les milieux littéraires et artistiques, avec Zo d’Axa, Paul Verlaine ou Laurent Tailhade à la Revue rouge. Il publie en 1910 ses « réflexions sur l’individualisme » qui sont considérées comme le plus important écrit individualiste libertaire depuis Max Stirner.

[9] Manuel Devaldes, la maternité consciente. Le rôle des femmes dans l’amélioration de la race, Paris, 1927, p. 9.

[10] Manuel Devaldes, La maternité… op. cit., p. 18.

[11] Manuel Devaldes, La maternité… op. cit., p. 18.

[12] G. Castet, « l’Enseignement Primaire » dans le Malthusien n°33, août 1911.

[13] Un salaire ouvrier moyen est alors de 1200 francs par an, selon le Malthusien n°8, juillet 1909.

[14] Edmond Potier, « L’anarchie et l’ouvriérisme », dans le Malthusien n°59-60, octobre novembre 1913.

[15] Edmond Potier, « La décadence de la famille » dans le Malthusien n°62, janvier 1914.

[16] Albert Lecomte, chronique de Les naissances en France de Raoul de Félice, dans le Malthusien n°22, septembre 1910.

 

[17] Albert Lecomte, « L’ignorance de nos détracteurs » dans le Malthusien n° 47, octobre 1912.

[18] Cet article est reproduit dans Régénération n°22, mars 1903.

[19] Nous ne savons pas s’il y a un lien entre Georges Roussel et Nelly Roussel, la militante féministe néo-malthusienne.

[20] Régénération n°34, mars 1904.

[21] Le malthusien n°9, août 1909.

[22] « Nous avons créé des milliers d’écoles, nous y avons introduit toutes sortes d’enseignements, nous avons oublié l’éducation, nous l’avons oubliée ! »

[23] Madeleine Pelletier, l’éducation féministe des filles, Paris 1978, p. 114.

[24] Madeleine Pelletier dans le Libertaire, citée dans Génération consciente n°68, novembre 1913.

[25] Madeleine Pelletier, L’émancipation sexuelle de la femme, Paris, 1914, pp. 78-81.

[26] André Girard dans les Temps nouveaux du 14 septembre 1912, cité par Nathalie Bremand, op. cit., pp. 22-23.

[27] André Girard, Éducation et autorité paternelle, Paris, 1898, p. 9.

[28] Sauf indication contraire, les éléments biographiques sur Sébastien Faure sont issus du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, dir. Jean Maitron, notice « Sébastien Faure » par Y. Lequin.

[29] En 1885, Faure est candidat du Parti ouvrier de Jules Guesdes à Bordeaux aux législatives, mais n’obtient que 600 voix.

[30] Sébastien Faure, cité par Y. Lequin, op. cit.

[31] Jean Marc Raynaud, avant propos des Écrits pédagogiques de Sébastien Faure, Paris, 1992, p. 17.

[32] Sébastien Faure, « Anarchisme » dans l’Encyclopédie anarchiste, op. cit., p. 73.

[33] Marcel Voisin, C’était le temps de la Belle Époque, Claix (Isère), 1978, pp. 161-162. En 1912, Marcel Voisin, militant syndicaliste, est ouvrier raccordeur sans travail. Le secrétaire du syndicat de la voiture lui propose un travail bénévole de quelques jours à la Ruche. Il s’agit de repeindre et réparer un vieil omnibus qui sert au transport des enfants. Il accepte, en souvenir de son enfance malheureuse, pour aider des orphelins. Puis, il se plait et reste en tant que surveillant. A 20 ans, il est alors le plus jeune des adultes de la Ruche.

[34] Ernest Berthier, cité par Édouard Stephan, op. cit., p. 30.

[35] Faure Sébastien, « La Ruche », son but,… op. cit., p. 135.

[36] Chiffre cité par Roland Lewin, Sébastien Faure et la Ruche, op. cit., p. 133.

[37] Il faut rappeler que, tout comme Faure, Paul Robin, Francisco Ferrer, Charles-Ange Laisant ou Stephen Mac Say, collaborateur de la Ruche, ont été francs-maçons pendant des périodes plus ou moins longues.

[38] Chiffre cité par Roland Lewin, Sébastien Faure et la Ruche, op. cit., p. 212. Roland Lewin précise que sur la quarantaine d’élèves dont il a retrouvé la trace, beaucoup eurent du mal à s’adapter au monde à la sortie de la Ruche.

[39] Chiffre cité par Roland Lewin, Sébastien Faure et la Ruche, op. cit., p. 77.

[40] Roland Lewin, Sébastien Faure et la Ruche, op. cit., p. 79.

[41] Sébastien Faure, « la Ruche », son but,… op. cit., pp.141-142.

[42] Sébastien Faure, Propos d’éducateur, op. cit., p. 27.

[43] Chiffres de Roland Lewin, Sébastien Faure et la Ruche, op. cit., p. 145

[44] Fernand Elosu (1875-1941) milite pour l’union libre, la procréation volontaire et contre l’alcoolisme. Il écrira plusieurs articles pour l’Encyclopédie anarchiste de Sébastien Faure, dans l’entre deux guerre. Il meurt à Bayonne en 1941.

[45] C.-A. Laisant, « Éducation libératrice » dans le Bulletin de la Ruche n°1, 10 mars 1914.

[46] Léon Rouget, « l’Éducation physique » dans le Bulletin de la Ruche n°1, 10 mars 1914.

[47] Léon Clément, « Après l’école » dans le Bulletin de la Ruche n°2, 25 mars 1914.

[48] Sébastien Faure, Propos d’éducateur, op. cit., p. 27.

[49] Edmond Potier, « Le congrès eugénique » dans le Malthusien n°46, septembre 1912.

[50] Sébastien Faure, L’enfant, dans Écrits pédagogiques, op. cit., p. 89.

[51] Sébastien Faure, « Bonne naissance, bonne éducation » dans Génération consciente n°35, février 1911.

[52] Sébastien Faure, Propos d’éducateurs, op. cit., p. 26.

[53] Sébastien Faure, Le problème de population, conférence donnée à la salle des sociétés savantes le 16-11-1903 par Sébastien Faure, sous la présidence de Madame Nelly Roussel, Paris, 1912, p. 17.

[54] Sébastien Faure, Le problème de population, op. cit., p. 20.

[55] Sébastien Faure, Le problème de population, op. cit., p. 18.

[56] Sébastien Faure, Le problème de population, op. cit., p. 21.

[57] Régénération n°36 (2ème série), janvier 1908.

[58] Sébastien Faure, « Sans nous lasser » dans Génération consciente n°22, janvier 1910.

[59] Jean Marc Raynaud, avant propos des Écrits pédagogiques op. cit., pp. 16-17

[60] Albert Lecomte, « Malthus précurseur » dans le Malthusien n°67, juin 1914.

[61] Sébastien Faure, « Bonne naissance, bonne éducation », dans Génération consciente n°35, février 1911.

[62] Sébastien Faure, la Ruche, son but… op. cit., pp. 166-167.

[63] Georges Yvetot, « Mon appoint modeste » dans Rénovation n°2, 15 mai 1911.

[64] Chiffres cités par Francis Ronsin, La grève des ventres… op. cit., p. 99.

[65] Fernand Sellier, « Jésuitisme » dans Rénovation n°12 (3ème série), 15 mars 1913.

[66] « Ce que nous voulons » dans Rénovation n°1, 15 avril 1911.

[67] « Ce que nous voulons » dans Rénovation n°1, 15 avril 1911.

[68] Propos cité par Claude Reilles, « Néo-malthusianisme doctrinaire » dans Rénovation n°8, 15 novembre 1911.

[69] Claude Reilles, op. cit.

[70] Lettre de G. Hardy, dans Rénovation n°9, 15 décembre 1911.

[71] Fernand Sellier, « Jésuitisme » dans Rénovation n°12 (3ème série), 15 mars 1913.

[72] Annonce dans Rénovation n°3 (3ème série), 15 juin 1913.

[73] A. Dumont, « Entente possible ( ?) » dans Rénovation, n°5 (3ème série), 15 août 1913.

[74] Annonce pour Rénovation en quatrième de couverture de Madeleine Vernet, le problème de l’alcoolisme, Paris, 1913, 2ème édition.

[75] Valentin Granjean, « la Morale néo-malthusienne » dans Génération consciente n°30, septembre 1910.

[76] Dr. Gottschalk, « Sexualisme » dans le Malthusien n°21, août 1910.

[77] Jean Marestan, l’éducation sexuelle, Paris, 1910, p. 235.

[78] Manuel Devaldes, l’éducation et la liberté, op. cit., p. 170.

[79] Manuel Devaldes, la Maternité consciente, op. cit., p. 147.

[80] Manuel Devaldes, la Maternité consciente, op. cit., p. 147.

[81] Francis Ronsin, La classe ouvrière, op. cit., p. 108.

[82] « Notre synthèse » dans Régénération n°25, juin 1903. Cet article n’est pas signé, mais on devine que l’auteur est Giroud puisqu’il évoque son rôle à Cempuis.

[83] G. Hardy, « Impuissance de l’État » dans Génération consciente n°74, mai 1914.

[84] G. Hardy, « Éducation et néo-malthusianisme » dans Régénération n°18 (2ème série), juillet 1906.