De Ijmuiden (Amsterdam) à Cleveland, à bord d'ISA,
cargo vraquier de la compagnie polonaise PZM
(contactée par le biais de l'agence Mer et Voyage)
photos (à l'exception de celle-ci) et commentaires : Rémi
OUDIN
(les photos présentées ici sont volontairement de taille
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Lundi 30 octobre 2006, 22h, Ijmuiden, à bord de l'ISA
Arrivé confortablement jusqu'à Amsterdam vers 17h15 : le Thalis est bien un TGV jusqu'à Bruxelles, mais un vrai tortillard omnibus au-delà ; mais enfin, en première (après y avoir été obligé en dernière minute pour avoir une place à la date voulue), le voyage est confortable avec service qualité avion ; on y mange même honnêtement.
Parvenir jusqu'à l'ISA fut une autre affaire : le taxi pour y aller (30 km environ) finit par me coûter une fortune. Mais il aurait été difficile de faire autrement vu le désert et les km à faire à l'arrivée. Le chauffeur, d'origine indonésienne probablement, tout à fait aimable, ne connaissait pas les lieux ; et le GPS de bord était en panne : radioguidage laborieux par téléphone, par son papa apparemment ; mais il fallut tout de même s'arrêter devant un plan à l'entrée de la ville ; puis au premier poste de police rencontré, avant de trouver le poste de police où on m'avait indiqué de me rendre. Police de l'immigration m'avait-on dit : en fait rien moins que la "Koninklijke Marechaussee". Après avoir vérifié mon passeport, ils ont fourni très aimablement au chauffeur des explications pour se rendre jusqu'au dock : elles m'ont paru longues et plus que compliquées, mais il les a collationnées avec soin... et s'est empressé de se perdre au bout de 2 km. À nouveau radioguidage, mais en rappelant cette fois-ci la "Marechaussee", puis rencontre avec une voiture des vigiles du port qui a fini par passer devant pour nous montrer la route. De là enfin, nouveau contrôle de passeport, puis une autre voiture est venue me chercher... pour me laisser devant une autre barrière en m'indiquant que l'ISA était là juste derrière le bâtiment : il y était !
L'ISA appartient à la Polszka Zegluga Morska, "PZM", ou Polish Steamship Company, "POLSTEAM", basée à Szczecin. Tout son équipage est polonais même s'il navigue sous pavillon chypriote. Le Polonais est la langue du bord, mais pour ce qui me concerne, ainsi qu'avec les pilotes, les échanges se feront en anglais.
Embarquement sur une passerelle branlante, et quasi horizontale, de sorte que c'est sur la tranche des marches qu'il faut marcher !... Pas très commode en portant un sac de voyage, mais le filet de sécurité obligatoire est bien là.
On m'emmène chez le capitaine, 2 étages plus haut : la quarantaine très aimable ; il lui manquait mon lieu de naissance sur ses papiers. Il commençait à être inquiet de ne pas me voir arriver, me dit-il, car l'appareillage est prévu dans la nuit. Bonne nouvelle, car vue la difficulté pour arriver jusqu'ici, je ne me serais pas lancé à retourner faire du tourisme à Amsterdam au cas où l'attente se serait prolongée.
Puis il m'emmène jusqu'à ma cabine, encore à l'étage au-dessus : grande avec deux fenêtres, un canapé, table basse et fauteuil, et un bureau ; je comprends qu'on m'a donné la cabine "de l'armateur", la seule à cet étage, qui est celui de la passerelle, dont la porte est juste en face de la mienne. Quelques mots d'accueil du premier lieutenant rencontré ensuite me le confirmeront : je suis "leur" passager !
Il m'indique que le petit déjeuner est servi de 7h30 à 8h30, et qu'il me montrera les lieux à ce moment-là. Appareillage prévu vers 3 ou 4 h, selon le vent ajoute-t-il. Je lui demande si je pourrai me glisser discrètement sur la passerelle sans déranger.
Même si le navire m'a paru assez peu enfoncé en arrivant, toutes les soutes sont déjà fermées, à l'exception de la première, à l'avant, où une énorme grue portique du port charge encore quelques rouleaux d'acier.
Mardi 31 octobre, en mer du Nord
J'ai mis mon réveil à 4h en vue d'assister au départ. Mais je suppose que j'entendrai un peu d'activité, d'accès à la passerelle et de manoeuvre. Le niveau de bruit est élevé (un peu de vibration, mais surtout une ventilation puissante), et en fait je me réveille plusieurs fois... rien ne bouge ; à 4h, aucun signe d'activité, je remets mon réveil à 6 h ; toujours aucun signe d'activité. À 6h30, je suis réveillé par le tintement de quelques cintres dans le placard : je m'aperçois que les lumières ne sont plus comme la veille... et elles bougent : nous sommes partis, et je n'ai rien entendu !...
Le temps de sauter dans mes vêtements et de prendre mon appareil photo, et me voici sur la passerelle ; quatre ombres, parlant peu ; le commandant me demande si j'ai bien dormi ; cette autre ombre doit être le pilote. Nous arrivons rapidement aux dernières jetées ; jusque-là sans aucun mouvement perceptible, le navire commence à bouger un petit peu.
Vingt minutes encore et le pilote prend congé de la passerelle ; il embarque sur tribord sur sa vedette qui bientôt déborde et retourne vers le port.
Cap à l'ouest pour dégager de la côte dans un chenal étroit
Le jour pointe, les feux sont encore visibles et on commence à apercevoir les silhouettes des navires.
7h30, petit-déjeuner au mess ; ma place sera à la table du commandant, du chef mécanicien et du premier lieutenant : on me propose des oeufs, ce qui ne m'inspire guère ; pain, charcuterie, beurre et fromage à disposition. Je me sers de café... du moins un liquide qui en a la couleur : en fait c'est une sorte de thé très fort... et il est froid ... On m'apporte un petit pot de confiture, ça ira déjà mieux. Et puis j'ai repéré des corn flakes : hélas la brique de lait s'avère chaude, et le fromage blanc que j'essaie finalement pour accompagner les corn flakes se révèle plus fromage que blanc... me voilà prévenu pour demain !
Le commandant m'indique qu'il prévoit 10 jours pour être à Montréal et 12 pour Cleveland : si c'est bien le cas, je n'aurai donc même pas à déplacer mon billet d'avion malgré le départ retardé par rapport au programme initial.
Dans l'immédiat, me dit-il, du mauvais temps est annoncé mais il glissera vers le nord tandis que nous partons vers le sud-ouest : on devrait donc éviter le plus gros, et le subir encore sous la protection des cotes anglaises.
Pour le moment nous sommes à 10 noeuds, mais nous pourrons marcher jusqu'à 14 avec ce chargement, me précise-t-il. À propos de chargement, il me confirme que le navire n'est sensiblement qu'à mi-charge, ceci pour ne pas dépasser les 8m de tirant d'eau maximum pour la voie maritime du Saint-Laurent. Je n'avais donc pas rêvé en le trouvant peu enfoncé.
Il m'indique également que pour éviter les mauvaises conditions, nous resterons au sud de l'orthodromie, et nous entrerons dans le golfe du Saint-Laurent par le sud de Terre-Neuve, et non par le détroit de Belle-Isle qui serait la route la plus directe.
Dehors le trafic est important ; nous passons une plate-forme pétrolière, et sa torchère.
11h30, début du service du déjeuner. Nous faisons maintenant route au 220 à 11 noeuds, le vent est de 15 à 20 noeuds WSW, levant une mer assez courte qui arrose gentiment la proue, et nous fait bouger à peu près comme un train, sans roulis ni tangage général, mais avec de petites accélérations latérales, suffisantes pour vous déséquilibrer si on n'est pas vigilant. Ces mouvements sont plus sensibles en haut (passerelle et cabine) qu'au niveau du pont principal, quatre étages plus bas, où se trouvent les mess.
Les mess officiers et équipages sont distincts mais accolés et ouverts l'un sur l'autre. On y parle peu, et chacun engloutit son repas en un quart d'heure. Le déjeuner est moins surprenant (potage, poisson, salade, fruit) mais servi sans pain et avec pour tout liquide une tasse d'une sorte de sirop de fruits avec le fruit, en l'occurrence une framboise cuite.
Un panneau dans le mess indique (en anglais, heureusement) qu'il faut retarder les montres d'une heure cette nuit (les horloges du bord, elles, seront toutes réglées automatiquement depuis la passerelle).
L'après-midi, nous sommes en route à 13 noeuds dans le rail descendant, donc avec de nombreux autres cargos descendants : un peu plus rapide ou un peu plus lents, ils restent visibles très longtemps.
Des fous de bassan jouent longuement au vent de la coque et des mats de charge.
Un des appareils de la passerelle détaille le fonctionnement de la machine : nous consommons 900 litres à l'heure, soit 70 litres par mille parcouru.
Vers 17h, beau coucher de soleil nous laissant apercevoir les falaises de Douvres à droite, puis quelques minutes plus tard la côte française avec le cap Blanc-Nez. Le pas de Calais sera donc franchi pendant le dîner : le dîner est à 17h30, les soirées seront longues !...
Mercredi 1er novembre, en Manche
Pour le petit déjeuner, je progresse : à côté du thé très fort et froid se trouve un récipient d'eau chaude : un savant mélange des deux produit donc du thé à température de consommation ! Mais il est vrai que j'ai d'abord profité du confort de ma cabine où se trouve une bouilloire électrique, du café, du thé, et du sucre.
Au petit-déjeuner, discussion avec le premier lieutenant, qui vient de finir son quart. Il m'explique le système de quarts, sans surprise : les trois lieutenants tournent avec chacun deux quarts de quatre heure ; le tableau est d'ailleurs affiché dans les coursives. Par contre il n'y a pas le même système en machine, mais du travail dans la journée, une vérification vers minuit, et le reste du temps, un des officiers mécaniciens est de service, susceptible d'être alerté par les différents systèmes d'alarme, et le chef mécanicien est alerté ensuite si le premier n'a pas rapidement acquitté le dispositif.
Aujourd'hui est jour férié, en Pologne et à bord, comme en France. Le prochain jour férié est le 11 novembre, fête nationale correspondant au retour de l'indépendance il y un siècle (le régime communiste n'en avait pas fait la fête nationale, m'explique-t-il). Et comme quelquefois chez nous également, ce jour férié tombant un samedi, le lundi sera chômé en compensation.
Il aime bien les grands lacs et la voie maritime du Saint-Laurent, même si cela leur demande beaucoup de travail, en particulier le canal Welland (qui contourne les chutes du Niagara) avec ses cinq écluses successives. A l'entendre, la durée du voyage est loin d'être garantie : l'approche de la fermeture de la voie suscite pas mal de trafic, ce qui pourrait nous retarder (encore que nous sommes à plus d'un mois et demi de la fermeture, d'après les dates que j'ai vues sur ces dernières années). Il leur est également arrivé de devoir mouiller l'ancre devant Cleveland sans pouvoir venir à quai ; motif : le quai se trouve très proche du stade, et s'il y a un match (ou meeting électoral comme il l'a vu une fois), tout le secteur est transformé en parking et leur accostage est repoussé. Le mauvais temps peut aussi perturber la navigation, mais sur les plus grands des lacs, où la mer peut lever suffisamment pour les empêcher de faire route dans les secteurs où ils n'ont que quelques mètres sous la quille.
Le vent s'est calmé dans la nuit en tournant au nord-est, la mer est belle. Nous marchons à plus de 15 noeuds, sans aucun mouvement. Vers 9h, nous passons Start Point et voyons s'ouvrir la baie de Plymouth.
Par ce temps superbe, après en avoir demandé l'autorisation par acquit de conscience, je parcours le navire jusqu'à la proue. Le bulbe d'étrave en partie émergé pousse une puissante vague ; j'ai la chance d'apercevoir un groupe de dauphins qui viennent jouer dans la vague, mais ils repartent aussi vite qu'ils sont arrivés.
Nous approchons de deux bâtiments militaires qui évoluent devant nous. L'un d'entre eux tire : sans rien entendre, peut-être à cause du bruit de la vague d'étrave, on voit distinctement les gerbes d'eau que soulève son tir.
Il a le bon goût de s'arrêter à notre approche. Le capitaine me confirmera qu'il s'est demandé quand ils voudraient bien s'arrêter ; de la passerelle, ils n'entendaient pas non plus les tirs mais ils les avaient vus comme moi.
Vers midi, nous arrivons au cap Lizard, à 10 milles par le travers, et vers 16h, les Scillys et Bishop Rock sont passés.
Nous voici en Atlantique, mer plate ; une légère houle, à peine perceptible à l'oeil, commence à nous faire rouler de quelques degrés.
Au dîner, le commandant m'interroge sur mon métier, ce qui nous amène à évoquer les terribles inondations que la Pologne a connues à la fin des années 90.
Jeudi 2 novembre, en Atlantique
Réveil un peu tardif, je risque de rater le petit-déjeuner... mais non, un coup d'oeil à l'horloge de la cabine : elle a été retardée d'une heure encore cette nuit, mais cette fois-ci, ce n'était pas annoncé. J'ai finalement tout le temps avant de descendre pour le petit-déjeuner, et pour commencer, le temps de remettre ma montre à l'heure !
Le vent s'est établi au SSE, 15 à 20 noeuds, la pression à 1032 hpa, les cartes météo reçues montrent que nous sommes en partie sud d'un vaste anticyclone ; un autre le prolonge jusqu'au Canada : la traversée se présente donc calme. Le soleil ne sera pas aussi régulier que la veille, mais nous le verrons souvent.
À 9h, nous sommes par 49° N et 13° W, l'Irlande est déjà sur notre hanche tribord. Nous faisons route à un peu plus de 14 noeuds, cap au 265, soit 20° plus sud que la route orthodromique qui nous mènerait au sud de Terre-Neuve, et déjà à 70 milles au sud de cette route.
Toujours à peine perceptible, une légère houle nous fait rouler jusqu'à 5° d'un bord sur l'autre.
Chacun se félicite de ces conditions. Le capitaine m'indique que l'Isadora, sister-ship de l'Isa, et qui fait la même route avec une petite semaine d'avance, a rencontré du gros temps au sud du Groenland. Il me montre, ainsi qu'aux deux lieutenants présents sur la passerelle, des photos d'un navire de la compagnie qui a vu son canot de sauvetage pulvérisé par des lames de l'arrière dans le Pacifique : impressionnant quand on sait que ces canots à mise à l'eau automatique qui équipent la plupart des bâtiments modernes sont placés à plus de 10 mètres au-dessus de l'eau et qu'ils sont certainement conçus pour être des plus robustes.
Sur le pont, le travail a repris et l'équipage est occupé à différentes taches d'entretien et de peinture. Bien que prévenu et méfiant, je ne tarderai pas à m'en mettre sur les mains !
Ce sont maintenant quelques goélands qui jouent avec les effets du vent sur le navire, mais je remarque aussi plusieurs oiseaux manifestement terrestres, certains de la taille de moineaux et d'autres de la taille de gros merles : ils semblent partis pour faire le voyage avec nous, c'est en tout cas le mieux qu'ils aient à faire maintenant.
Ce soir à table échange avec le commandant au sujet de la compagnie PZM : il s'agit d'une compagnie importante, avec plus de 80 navires ; bien qu'elle soit restée compagnie d'état, aucun de ses navires ne navigue sous pavillon polonais. Une commande de 5 nouvelles unités pour cette ligne des grands lacs vient d'être passée, mais ils seront construits en Chine, après la série actuelle qui a été construite au Japon. Il s'inquiète de l'avenir de la Pologne d'où, dit-il, deux millions de personnes ont émigré ces dernières années, essentiellement des jeunes.
Vendredi 3 novembre, en Atlantique
A9h30, nous sommes par 48° 45 N et 21° 50 W, toujours cap au 265, qui est simplement la loxodromie, c'est à dire la route qui nous mène à notre but à cap constant : l'orthodromie nous aurait fait passer jusqu'à 150 milles plus au nord (sur les 1800 miles de Lizard à Terre-Neuve) et aurait été plus courte de l'ordre de 30 milles seulement.
Le temps reste beau, le vent toujours SSE 10 noeuds et la mer est belle. Une couverture supérieure laisse de larges apparitions du soleil. Sur la carte météo du jour, l'anticyclone s'étend sur les trois quarts de l'Atlantique à notre latitude !
Le roulis atteint une dizaine de degrés par moments, assortis de quelques degrés de tangage ; pour autant il reste difficile de déceler ne serait-ce que la direction de la houle.
Le commandant m'indique avec satisfaction qu'il a obtenu la "clearance" du Canada ; mais les formalités avec les USA sont, elles, bien plus laborieuses ; il passera d'ailleurs dans la journée me demander à nouveau mon passeport.
Ils reçoivent toutes les semaines de la compagnie un résumé d'informations : la tempête que nous avons évitée au départ a atteint force 12 sur l'Allemagne et la Scandinavie : une plate-forme pétrolière a connu des difficultés, et un porte-conteneur a sombré en Baltique, faisant un disparu et un homme mort d'hypothermie après son sauvetage.
Samedi 4 novembre, en Atlantique
Cette nuit, nous avons encore reculé nos montres d'une heure ; il restera 3 heures à passer, sur un total de 6. A9h30 locales, nous sommes par 48° 13 N et 30° 46 W, soit à mi-chemin de Terre-Neuve, toujours cap au 265, à 14 noeuds. La pression est stable à 1032 hpa, température 14°C, et nous roulons à peine. Le vent est de SE 10 noeuds ; la carte d'analyse météo nous situe dans un vaste anticyclone à 1035 hpa ; d'après les prévisions à 24 et 48h, nous allons traverser un léger thalweg vers 1000 à 1010 hpa puis arriver sur Terre-Neuve dans un autre anticyclone à 1024 hpa : les émotions fortes ne devraient pas être pour ce voyage !
Les cartes reçues à bord sont celles du Met-Office britannique :
Dans la matinée, j'accompagne le premier lieutenant qui va faire une inspection du propulseur d'étrave ; en fait cela se limitera pour moi à une visite du gaillard d'avant, car il disparaît dans un puits, équipé de combinaison, casque, détecteur de gaz et VHF, et il n'est pas question pour moi de le suivre. Le gaillard d'avant comporte un atelier et constitue un magasin à aussières et matériels divers, dont les pièces des portiques spéciaux qui seront gréés pour la voie maritime du Saint-Laurent.
Un peu plus tard, vérification du canot de sauvetage "chute libre", manoeuvre du portique et essais du moteur : il démarre au quart de tour, tout va bien. À l'intérieur, un poste de pilotage, et une trentaine de siège, dos à la marche... et surtout, naturellement, dos au choc du plongeon initial !
Au déjeuner, le commandant me prévient qu'il y aura des exercices d'alarme et d'alerte pollution à 13h. Nous discutons de la formation des équipages et de l'assistance médicale ; pour la Pologne, c'est l'hôpital de Szczecin qui assure l'assistance aux navires, comme le fait l'hôpital Purpan de Toulouse pour la France. Ils ont à bord un équipement qui permettrait de transmettre un électrocardiogramme pour faciliter des diagnostics à distance.
Dimanche 5 novembre, en Atlantique
Réveillé par le roulis, je dois me lever pour aller ranger ou caler objets et documents qui prennent un peu trop de liberté. La pression est tombée à 1011 hpa, il s'agit du thalweg qui était prévu, mais ça ne devrait pas durer, puisque c'est à nouveau un anticyclone à 1030 hpa qui nous attend à l'embouchure du Saint-Laurent. Le vent est au SW pour 20 noeuds, temps bouché. La vitesse a été réduite à 10, puis 9 noeuds, et nous roulons parfois à 15° d'un bord sur l'autre.
En posant des questions sur certains instruments, j'apprend que nous sommes équipés d'une hélice à pas variable : les manoeuvres se font à régime constant (90 tours/minute), et c'est sur le pas que l'on agit pour faire varier la vitesse : pour battre en arrière, il n'y a pas lieu d'inverser la rotation de l'hélice, ce qui prend nécessairement du temps, mais simplement d'inverser le pas, ce qui est obtenu plus rapidement ; en régime de croisière, le régime est poussé à 110 ou 120 tours/minute. J'avais d'ailleurs remarqué qu'il y avait sur le pont supérieur, non pas une hélice de rechange comme souvent, mais une pale seulement.
Vers midi, nous passons le front : le vent bascule au WNW, le baromètre commence à remonter, la température descend à 9°C, la visibilité s'améliore et rapidement des éclaircies se dessinent. Le commandant fait reprendre une vitesse de 13 noeuds.
On aperçoit maintenant derrière nous un navire qui nous suit, apparemment un gros pétrolier chargé : sur la passerelle un instrument (AIS), devenu obligatoire pour les bâtiments d'un certain tonnage, donne, outre la position relative du navire, toute son identification, position, vitesse, destination, disponibilité moteur... Il s'agit bien d'un pétrolier de 280m de long, le Glenmare Hope, qui se rend aux Etats-Unis ; sa vitesse est également de 13 noeuds, donc il nous aura rattrapé pendant la matinée seulement.
La carte en service sur la passerelle s'arrête à "Flemish Cap", haut fond de 200 m qui marque le début des Grands Bancs de Terre-Neuve : nous devrions y arriver dans la nuit.
On s'habitue sans trop de mal à la cuisine polonaise : les petits-déjeuners varient d'un jour à l'autre, avec des oeufs, ou une saucisse, ou charcuterie et fromage ; les déjeuners sont le repas le plus copieux, avec un potage, un plat, une salade et un dessert, et toujours accompagnés d'un sirop de fruit ; les dîners sont en revanche légers, avec un seul plat, généralement sans même de dessert. Mais aujourd'hui pour la première fois, mauvaise pioche : déjà en approchant l'odeur est suspecte... le plat unique ce soir est une soupe de tripes ! le steward comprend et me propose une assiette de fromage ; mais je ne suis pas le seul, le premier lieutenant aura droit également à ce régime de faveur. De plus, comme nous sommes dimanche, il y a en abondance depuis midi des éclairs à la crème. De quoi attendre des jours meilleurs !...