HENRI IV (1553-1610)
Nul roi ne fut, de son vivant, plus passionnément
discuté. Nul non plus ne fut, mort, plus pleuré, adulé.
Nul crime politique n'a tant "choqué" les contemporains que
l'assassinat du 14 mai 1610. Personnalité complexe, Henri IV est entré
dans l'histoire française comme le symbole d'un monarque idéal,
tel que pouvait le rêver l'opinion française de 1789; de même,
il a servi de porte-drapeau à la Restauration.
En fait, ce Gascon était capable des pires coups de tête. Sceptique,
indulgent, politique sachant pardonner, chef de guerre avisé payant de
sa personne, il est, tout autant, l'autoritaire né. Peu porté
à croire aux hommes, il s'est tourné passionnément vers
les femmes, qu'il a aimées au point de leur donner, par moments, barre
sur sa politique. Il serait aisé de multiplier ces contradictions. Suivre
le destin de l'homme, le confronter à l'atmosphère générale
d'une France en pleine crise, dont la moins grave n'est pas celle des mentalités:
telle est la double nécessité qui, d'emblée, s'impose.
Plus que l'atavisme, plus que les doctrines, ce sont les circonstances qui ont
forgé le monarque. Et cependant, l'étonnant personnage qu'il s'est,
en partie et très complaisamment, forgé lui-même domine
une génération troublée.
Né à Pau en 1553, il tient de son père Antoine de Bourbon
(1518-1562) sa versatilité. Les trois conversions du roi ont été
précédées par celles de son père, d'abord passé
au protestantisme, puis retourné en 1560 au catholicisme. Mais il est
surtout marqué par sa mère, Jeanne d'Albret, huguenote énergique
et souveraine efficace d'une Navarre défendue contre vents et marées.
Dès 1568, elle emmène l'adolescent de quinze ans participer au
siège de La Rochelle, puis, en 1570, à la défense de la
Navarre, pour le conduire enfin, le 18 août 1572, à ce mariage
manqué d'avance avec Marguerite de Valois. Orphelin de père depuis
1562, sa mère morte peu de jours avant son mariage, Henri IV se retrouve
sans famille. Il finira par faire annuler en 1599 ce mariage raté, et
la raison d'État, ici financière, lui fera épouser l'année
suivante l'acariâtre Marie de Médicis. Son premier mariage eut,
du moins, l'avantage de le sauver de la Saint-Barthélémy, au prix,
il est vrai, d'une première abjuration et d'une longue captivité
dorée à la cour, dont il réussit à s'échapper
au bout de quatre ans, en 1576.
Il se retrouvait à vingt-trois ans chef du parti protestant écrasé
par l'événement de 1572, quand, en juin 1584, mourut le duc d'Alençon.
Henri IV devenait l'héritier virtuel du trône de France. La guerre
civile rebondit. Par-delà les épisodes de ce soubresaut suprême,
la décennie 1584-1594 marque l'apogée d'une Ligue hostile à
tout roi protestant. Le chef de guerre eut beau prouver son efficacité,
battre le duc de Joyeuse à Coutras (1587), s'allier aux protestants allemands
ou anglais, la Ligue, aidée par l'Espagne et la Savoie, bloquait l'accès
d'un trône au demeurant chancelant. D'où le rapprochement avec
Henri III qui, sur son lit de mort, le désignait comme seul héritier
légitime (1er août 1589).
Face à l'homme de trente-six ans mûri sur les champs de bataille,
la France se dresse divisée en trois partis: le protestant, le catholique,
le "mal content". Il fallait, dans une première étape,
souder catholiques et "mal-contents", transformer ces derniers en
catholiques loyaux, amalgamer ces éléments hétérogènes
en une armée cohérente. Les grands qui, presque par hasard, le
soutenaient, n'entendaient pas jouer perdant. Une aisance personnelle déconcertante,
un panache militaire éclatant , une prise directe sur les hommes lui
permirent de réussir. Au surplus, la déclaration de Saint-Ouen
lui avait rallié quelques évêques, dont celui de Nantes
et l'archevêque de Bourges. Politique partielle qui devait, pensait le
"roi titulaire", se décider par la prise de la capitale. Il
tenta trois fois l'aventure: deux sièges (1589, 1590) soldés par
un double échec, mal compensé par les brillantes victoires remportées
sur le duc de Mayenne à Arques (23 sept. 1589) et à Ivry (14 févr.
1590). La décision militaire se révélant impossible, il
fallait laisser jouer les divisions du parti adverse, attendre le moment propice.
La manœuvre fut double. D'une part, le roi gagna progressivement le monde
parlementaire et la haute bourgeoisie parisienne, épouvantés par
les excès de la Ligue. D'autre part, le roi abjura le 25 juillet 1593
à Saint-Denis, pour se faire sacrer à Chartres le 27 juin 1594.
Il pouvait, de ce fait, entrer enfin à Paris le 22 mars 1594.
On a longuement épilogué sur cette conversion. Qui ne connaît
la phrase fameuse: "Paris vaut bien une messe"? Il serait vain de
méconnaître le caractère politique de l'opération,
recommandée par Sully, lui-même protestant convaincu. Il serait
tout autant hasardeux de ne pas croire à la sincérité du
roi. Quoi qu'il en soit, la reddition de Paris, si elle ne signifia pas la fin
de la guerre, marquait cependant le début du règne effectif. Le
"roi de droit et fort peu de fait, monarque d'un double parti jaloux l'un
de l'autre" devenait le roi tout court.
La situation demeurait trouble. Toute une partie de l'opinion catholique ne
désarmait pas. Le 27 décembre 1594, Jean Châtel manquait
tuer le roi. L'absolution pontificale de Clément VIII (17 sept. 1595)
contribua à apaiser les consciences. Le calme ne fut, cependant, jamais
général. Les paysans, victimes des exactions militaires et accablés
de charges, se révoltaient (Croquants du Limousin, du Périgord,
du Languedoc, etc.). Les Espagnols, installés en Bretagne et dans le
Nord, restaient menaçants. Combiner la négociation avec l'achat
des "consciences", pardonner sans illusions, séduire toujours
ne suffisait pas. La victoire de Fontaine-Française (5 juin 1595), l'expulsion
par le maréchal d'Aumont des Espagnols hors de la presqu'île de
Roscanvel et, enfin, l'épuisement complet des deux adversaires en présence,
décidèrent de la paix. Le 2 mai 1598, le traité de Vervins
confirmait la paix de Cateau-Cambrésis. Une expédition militaire
eut raison de la dernière résistance du duc de Mercœur en
Bretagne, et la chevauchée royale s'acheva par l'acte hautement politique
de l'édit de Nantes, signé le 13 avril 1598 dans l'ancien château
des ducs.
La reprise en main du royaume devait, nécessairement, s'appuyer sur un
certain nombre de forces politiques. Apparemment, trois groupes coexistèrent:
le parti protestant, le groupe des catholiques royalistes, celui des catholiques
ligueurs ralliés à temps, composé des parlementaires parisiens
et des puissances "féodales", princes et grands nobles redoutables
par leurs clientèles. Il existait entre ces groupes un consensus politique
(l'urgence de la paix et de la reprise des affaires) et un support social commun
(propriétaires seigneuriaux et acquéreurs d'offices). Enfin, la
bourgeoisie d'affaires se retrouvait à la fois dans le camp protestant,
catholique et parlementaire. Les divergences de détail restaient innombrables,
les oppositions fondamentales profondes. Mais, momentanément, le dénominateur
commun de la paix intérieure incarnée en Henri IV, ressenti comme
une nécessité étatique par tous ceux qui étaient
sensibles au "bien public", allait dans le sens de l'action royale.
Le gouvernement de Henri IV représente donc une coalition de riches,
regroupant provisoirement tous les détenteurs de grandes fortunes, ce
qui explique la présence d'un entourage des plus composites. On y trouve
le fidèle Sully, entré en 1596 au Conseil des finances (en droit
seulement en 1601), grand voyer et grand maître de l'artillerie en 1599.
Il n'occupe pas encore la première place au Conseil. À ses côtés,
l'autre personnage protestant de marque est Barthélemy de Laffemas qui,
dès 1596, exposait ses vues mercantilistes à l'assemblée
des notables de Rouen. Face aux protestants, Villeroy, rallié de 1594,
est chargé des affaires étrangères. Il est secondé
par le président Jeannin, négociateur du traité de Vervins.
Ainsi s'établit un premier équilibre de forces, les catholiques
détenant le gage capital de la direction de la politique extérieure,
qu'ils infléchissent souvent dans un sens pro-espagnol. L'économie
et les finances reviennent aux protestants. Le personnage de premier plan est
Pomponne de Bellièvre. Chancelier en 1599, l'ancien conseiller du Sénat
de Savoie est devenu, pour un temps, une sorte de Premier ministre, marquant
l'accord avec les Parlements.
À l'hétérogénéité de cet entourage
politique correspond celui de la cour. Le mariage florentin, acte non seulement
financier, mais aussi d'engagement politique catholique, a renforcé le
groupe italien déjà solidement implanté depuis Catherine
de Médicis. Pourtant le raffinement de l'ancienne cour des Valois est
singulièrement compromis par l'arrivée en force des anciens chefs
de guerre, bretteurs, querelleurs, avides au jeu. Henri IV s'entoure d'un sérail
mêlé, où dominent les Gabrielle d'Estrées, Jacqueline
de Bueil, Charlotte des Essarts, la marquise de Verneuil, toutes sensibles aux
intrigues politiques. Cohabitant, sans trop de difficultés, avec ces
aimables pécheresses, la cohorte des réformateurs religieux, tribu
fort bien traitée, tente, non sans succès, d'influencer le roi.
Parmi eux, la figure exceptionnelle d'un François de Sales ou d'un Bérulle
annonce le "renouveau" de l'Église de France.
Il est difficile de qualifier cette politique. Elle est faite de pardons, de
générosités calculées au plus juste, d'achats de
consciences, tragi-comédie qu'interrompt parfois un indispensable coup
de force du maître. La finesse narquoise du prince excelle à ces
jeux subtils qui, cependant, l'impatientent de plus en plus. Partout "l'œuvre"
progresse.
Au-dehors, Lyon, deuxième ville du royaume, restait très exposée.
De plus, l'une des grandes voies royales de l'empire espagnol, conduisant de
Milan aux Flandres par l'intermédiaire de la Franche-Comté, longeait
la France. Une promenade militaire, amplement justifiée par la non-restitution
du marquisat de Saluces et les incessantes intrigues savoyardes, aboutit au
traité de Lyon (1601). La Bresse, le Bugey, le Valromey et le pays de
Gex parurent aux contemporains une médiocre compensation à l'abandon
du marquisat de Saluces. Mais Lyon était désormais mieux protégée,
et la route espagnole occidentale coupée.
À l'intérieur, Sully procédait aux trop classiques mesures
de rétablissement des finances: annulation des lettres de noblesse accordées
entre 1578 et 1598, économies, ventes d'offices, mais aussi diminution
progressive des tailles (1598-1609), entérinée par le règlement
de 1604. En même temps, il réussissait à reconstituer l'intégrité
du domaine royal, plus ou moins démantelé aux époques précédentes.
L'essentiel du règne se trouve cependant ailleurs. Les gouverneurs de
province, dont les guerres de la Ligue avaient révélé le
danger, voient se restreindre leurs prérogatives. Doublés par
des lieutenants généraux, quelques-uns regimbent. En 1602, il
fallut exécuter le maréchal de Biron, gouverneur de Bourgogne,
puis, plus tard, ramener à raison le duc de Bouillon: l'un était
catholique, l'autre protestant. La grande nouveauté est la systématisation
du procédé d'envoi de commissaires départis, ancêtres
des intendants. La monarchie centralisatrice s'installe.
Sur le plan économique, Henri IV fait appel à Olivier de Serres.
En 1601, vingt mille mûriers sont plantés dans les jardins des
Tuileries. Mieux encore - et ceci témoigne d'une conception nouvelle
de l'action administrative - le chapitre "sériciculture" du
Théâtre d'agriculture d'Olivier de Serres est tiré à
part, à raison de 16 000 exemplaires, un par paroisse. En 1599, Laffemas
fait venir l'ingénieur hollandais Humfroy Bradley. En douze ans, la petite
Flandre du bas Médoc et la partie aval des marais poitevins sont asséchées.
Les édits mercantilistes se succèdent, tout comme fleurissent
les essais d'industries nouvelles: tapisserie des Gobelins, verrerie de Melun,
soierie de Dourdan, dentelles de Senlis, draperies de Reims et de Senlis. Le
but est clair: diminuer les importations coûteuses d'étoffes de
luxe, faire du pays un exportateur de ces mêmes produits. En 1602, Laffemas
devient contrôleur général du commerce. Les corporations
elles-mêmes n'échappent pas à la réglementation,
limitée, il est vrai, par les privilèges et les monopoles accordés
aux artisans et aux manufacturiers novateurs (édit de 1597 sur l'extension
des maîtrises et des corporations).
L'équilibre précaire des forces antagonistes ne pouvait durer
longtemps. Dès 1602, les signes de crise se multiplient. En fait, les
ultras des deux bords s'accommodaient d'autant plus mal de l'état de
choses existant qu'il ne manquait pas, dans l'Europe, de boutefeux intéressés.
La paix avec l'Espagne faillit être rompue en 1604; Henri IV céda.
Mais l'allié hollandais, déçu, réclama un soutien
financier accru. Expéditions internes préventives, accroissement
de l'effort d'équipement militaire français, exigences financières
des alliés de l'intérieur et de l'extérieur ne pouvaient
que compromettre les effets du redressement financier. Dès 1603, il faut
de nouveau recourir aux expédients, aux traitants. Villeroy passe au
second plan tandis que s'impose l'autorité bougonne de Sully. Gouverneur
du Poitou en 1604, il prend la première place au Conseil l'année
suivante. Sa mission est de trouver de l'argent. Le plus spectaculaire des expédients
est, toujours en 1604, la création de la paulette, concession majeure
accordée aux parlementaires. À longue échéance,
la mesure marque tout aussi profondément la monarchie française
que celles qui concernent les commissaires départis. Elles sont contradictoires
entre elles et contiennent virtuellement quelques-unes des raisons majeures
de l'écroulement de l'Ancien Régime. Mais Henri IV pouvait-il
faire autrement? Face à l'instabilité de la situation extérieure,
face aux dangers intérieurs, le renforcement de la bureaucratie royale
et la diminution des pouvoirs traditionnels, il fallait lâcher du lest.
La garantie donnée par l'édit de la Paulette aux propriétaires
d'offices devenus propriété privée, constituait la concession
indispensable.
Le renforcement de l'autorité royale, inscrite dans les faits, correspond
bien à l'évolution de la personnalité du souverain. En
1604, Henri a cinquante et un ans. Il éprouve, après huit ans
d'exercice du pouvoir, une sorte d'impatience devant l'accumulation des obstacles.
Il s'accommode de plus en plus mal des réticences, discute moins, ordonne
plus. Bellièvre perd son poste de chancelier en 1605, quitte le Conseil
en 1607. L'étoile de Sillery, l'adversaire de Sully, monte. C'est vraisemblablement
le signe de la nécessité qu'éprouve le roi de donner des
gages. Le rappel des Jésuites, en 1603, procède de cette même
optique, tout comme le choix du père Coton comme confesseur. La pression
financière s'accentue. Les réserves sont constituées au
prix d'acrobaties financières discutables. Plus que jamais, les grands
financiers se tiennent dans l'ombre du trône, dont ils sont l'un des plus
sûrs soutiens. Les dépenses non politiques diminuent, l'effort
mercantiliste se ralentit.
On voit à quel point la réalité du règne correspond
mal aux images d'Épinal: la vision idyllique du paysan trouvant chaque
dimanche sa "poule au pot", la phrase fameuse "labourage et pâturage,
mamelles de la France". Contrainte à un jeu d'équilibre constant
entre deux idéologies toujours prêtes à s'affronter, toujours
méfiantes, s'appuyant sur une coalition temporaire d'intérêts
provisoirement attachés au même maître, la royauté
n'a guère la possibilité d'avoir une action profonde sur le pays.
Composer d'un côté, imposer de l'autre, à tour de rôle;
la victime de cette nécessité est le peuple des campagnes. Le
monde urbain, surtout le parisien, en souffre moins. Au relâchement du
mercantilisme créateur correspond (cause ou effet?) une véritable
politique de rénovation urbaine. La sensibilité artistique du
roi n'est probablement guère en cause. Il cherche, tout simplement, à
relancer la construction. D'où le plan grandiose de la place Royale,
conçue primitivement pour les ouvriers d'une manufacture de soie et de
fils d'argent; d'où encore l'aménagement de la place Dauphine,
la construction du pont Neuf (1609), du pont Marchant (1608) et des lotissements
des bords de Seine. Parallèlement, la vogue des châteaux privés
s'exaspère. La grande vague de pierre qui s'apprête à recouvrir
la France débute: signe qui témoigne de l'enrichissement des "classes"
nouvelles et de l'exploitation du monde rural. Le fragile équilibre politique
paraît s'être traduit par un abandon partiel de la masse rurale
aux politiques économiques rurales nouvelles, résumées
entre autres par la métairie. L'ambassadeur anglais Carew écrivait
en 1609: "On tient les paysans de France dans une telle sujétion
qu'on n'ose pas leur donner des armes [...]. On leur laisse à peine de
quoi se nourrir." Pour sombre que paraisse l'affirmation, elle ne laisse
pas de correspondre à quelque réalité. Il convient donc
de ramener l'importance des mesures prises par la royauté en faveur des
paysans à de plus justes proportions; ce sont des mesures de circonstances
destinées à pallier les effets des abus les plus criants: abaissement
de la taille (pas toujours durable), restitution des communaux aux paysans,
encouragements divers - dont on peut se demander quelle a été
leur efficacité. À la vérité, le redressement rural
est le fait de la paix retrouvée, parfois aussi des efforts de reconstruction
des propriétaires.
En même temps, la reprise du mouvement démographique s'amorce.
Ainsi, dans le comté nantais, le règne correspond au redressement
de la courbe de natalité rurale, en baisse depuis les années 1560-1570.
Dans le Languedoc, même reprise démographique, sur un rythme ralenti
par rapport au XVIe siècle. Dans le Beauvaisis, l'époque 1580-1645
doit être considérée comme un "plafond démographique".
La tendance à la reprise paraît donc nette, mais d'ampleur variable
de région à région.
Au surplus, il n'existe pas encore de véritable unité économique
française. Par la force même des choses, le rythme de la respiration
économique, partant de celui des prix et des crises, est orienté,
dans le nord de la France, par celui des grands foyers de la Méditerranée
nordique, de l'Angleterre au Sund, en passant par la Hollande. Dans l'Ouest,
en revanche, les liens de causalité sont plutôt ceux que déterminent
les convois d'argent américain, alors que le Midi est soumis, de plus
en plus, aux pulsations très particulières d'un monde méditerranéen
qui a perdu de son importance. Ces domaines s'imbriquent et se superposent:
les moyens d'action royaux restent, face à ces courants fondamentaux,
des plus restreints. Finalement, l'activité royale permet la paix, la
création d'embryons d'industries de luxe plus ou moins solides, la mise
en chantier de quelques grands travaux de communication: canal de Briare, routes
royales bordées d'ormes. La paysannerie peut d'autant moins apprécier
ces réalisations que la royauté, s'appuyant sur les forces nobiliaires
et bourgeoises en pleine crise de réadaptation structurelle, est obligée
de composer avec elles. L'écart de fait, sinon institutionnel, entre
les deux groupes, a provisoirement diminué à la suite de la pénétration
de la noblesse terrienne par une bourgeoisie en plein essor. Non que la première
ait été, nécessairement, en déclin, comme on s'est
hâté de l'affirmer. Il ne fait cependant pas de doute que la bourgeoisie
s'installe dans l'État, et surtout par les offices. Que la guerre extérieure
reprenne, la superposition des charges rurales nouvelles aux exigences accrues
de la fiscalité royale crée, à la fois, un climat révolutionnaire,
et, rétrospectivement, l'image fausse d'un paradis perdu.
L'assassinat se situe au moment précis où la reprise de la guerre
européenne, quasi certaine, compromet, aux yeux de beaucoup, le modus
vivendi établi depuis 1594. Bien des choses sont remises en question.
La paix des consciences catholiques est troublée par l'alliance protestante,
la lutte anti-espagnole. L'effort de guerre peut, à juste titre, sembler
démesuré. Or, le temps n'a pu encore jouer en faveur de l'effacement
des théories théologico-politiques antiroyales, tant des Ligueurs
que des protestants. La disparition du roi est souhaitée par beaucoup.
Le coup de couteau de Ravaillac n'est pas un accident. La postérité
n'a gardé toutefois du Vert-Galant qu'une image idéalisée
et consacrée par le martyre, image qui a été celle des
contemporains le lendemain de l'assassinat, mais non point celle de la veille.
Certes le règne n'a été marqué de "nul mécompte
national", et s'il constitue une étape décisive dans l'instauration
de la monarchie dite absolue, les mesures de circonstance y sont pour beaucoup.
Il reste, provisoirement, l'acquis de l'édit de Nantes, dicté
lui aussi par la nécessité. La gloire réelle d'Henri IV
réside sans doute dans cette soumission exceptionnelle aux événements,
qui lui a permis de les infléchir.
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