LOUIS XIV (1638-1715) roi de France (1643-1715)
Louis XIV est un des personnages historiques sur lesquels
l'attention demeure portée, sans que nul historien puisse prétendre
donner de lui une image certaine et définitive. Qu'il ait influencé
directement les destinées françaises et qu'à ce titre
on ne puisse imaginer l'histoire de la France sans lui, nul doute. Mais, parce
que son règne a curieusement associé une incontestable gloire
à de très lourds malheurs pour la nation, il a été
extrêmement loué ou critiqué et ses historiens se sont
souvent partagés entre apologistes et détracteurs. On doit observer
qu'il est beaucoup plus malaisé à comprendre pour des hommes
de la fin du XXe siècle que pour ceux du début, parce que les
profondes mutations de la société française au cours
de cette période ont fait disparaître des aspects de la mentalité
collective qui demeuraient, il y a soixante-dix ans encore, relativement proches
du XVIIe siècle. En revanche, les renouvellements de la méthode
historique, surtout des études érudites sur les conditions de
vie en France au temps de Louis XIV, autorisent une meilleure intelligence
du pays sur lequel son action s'est exercée.
La période du règne personnel s'étend de 1661 à
1715, soit pendant cinquante-quatre ans, période du gouvernement effectif
du souverain. C'est par le travail que l'on règne, disait Louis XIV;
il a mis ce principe en pratique, jour après jour, par son assiduité
aux affaires. Au Conseil d'en haut, véritable moteur de la monarchie,
il a pris, avec un très petit nombre de ministres, les résolutions
les plus importantes. Obtenir l'obéissance à l'intérieur,
assurer la réputation de la France au-dehors étaient les règles
essentielles de sa politique. Ses décisions avaient force de loi, elles
étaient la loi même, en vertu de l'absolutisme royal, élaboré
à la fois par la tradition féodale qui tenait le roi pour suprême
suzerain et suprême juge et par les légistes imbus de droit romain,
concevant l'autorité royale comme aussi indivisible que le point en
géométrie et le roi comme arbitre, au nom de l'intérêt
public, entre les divers ordres et les groupes de privilégiés
(chaque groupe, même dans le tiers état, ayant ses privilèges
et libertés). L'obéissance à l'intérieur signifiait
donc la fidélité de la noblesse, la soumission de tous à
la décision royale, la nécessité de la présence
d'agents du pouvoir central (officiers et intendants).
La monarchie a ainsi reçu un caractère administratif plus marqué.
Le prestige au-dehors impliquait une force militaire redoutable, afin d'appuyer
les revendications vis-à-vis de l'étranger, la guerre, qui procure
la gloire au vainqueur, devenant le recours normal, lorsque l'honneur est
en question. À la tentation de la guerre, Louis XIV a peu résisté,
mais les guerres, perdant leur caractère chevaleresque, sont devenues
de plus en plus affaire de nombre, de discipline et de tactique. Elles réclamaient
des sommes de plus en plus élevées au trésor royal, en
fait à l'impôt. Les ressources le permettaient-elles? Pouvait-on
rendre le pays plus riche et en recueillir un impôt augmenté
sans cesse, mais qui parût à la fois supportable et équitable?
À cela s'ajoutait ce qu'on appelle aujourd'hui les réactions
de mentalité collective. La fonction royale jouissait d'un rayonnement
quasi religieux. Représentant de Dieu selon une conception hiérarchisée
du monde, ayant reçu au sacre des charismes particuliers, le roi bénéficiait
dans sa personne d'un prestige indiscutable . À une société
patriarcale, il apparaissait comme le père par excellence, ses peuples
étaient ses enfants. Or "les peuples se plaisent au spectacle,
disait Louis XIV. Par là, nous tenons leur esprit et leur cœur."
D'où, ceci venant à la fois de la Renaissance et du caractère
rituel de l'Église, le cadre magnifique où la vie du roi doit
se dérouler comme une cérémonie. La cour, Versailles,
Fontainebleau, Saint-Germain répondaient à cette quête
de prestige.
Mais dans quelle mesure la France de Louis XIV, par son état démographique,
par ses ressources, par l'adhésion morale des divers milieux, pouvait-elle
s'adapter à ce que le roi demandait d'elle?
C'est le problème de ce règne, d'une durée surprenante
et riche d'événements et de mutations.
1. Enfance et éducation (1638-1661)
La naissance d'un dauphin, le 5 septembre 1638, avait été accueillie
avec joie par l'opinion du pays. À la fois dans les groupes éclairés
de la société et dans les classes populaires, la France ressentait
l'absence d'un héritier au trône comme une frustration nationale.
Mariés depuis 1615, époux depuis 1619, le roi Louis XIII et
la reine Anne d'Autriche étaient demeurés jusque-là sans
enfant. Aussi ne faut-il pas s'étonner que, dans les couvents, on ait
prié avec ardeur pour la naissance du dauphin et que sa venue ait été
accueillie comme le signe de la dilection de Dieu envers les Français.
Presque toute l'Europe était alors religieuse et monarchique et chaque
pays éprouvait la même ferveur pour ses princes légitimes.
Louis avait quatre ans et demi lorsque la mort de Louis XIII le fit roi (14
mai 1643). La France était depuis huit ans en guerre avec l'Espagne
et l'Empire, lourde guerre aux frontières, et Richelieu avait plié
à sa politique un pays récalcitrant, rebelle à l'impôt
et aux intendants qui le faisaient payer. Pour maintenir son œuvre fragile,
il avait en mourant (déc. 1642) recommandé à Louis XIII
comme le meilleur ministre possible son collaborateur, le cardinal Mazarin
. Anne d'Autriche, à qui le parlement de Paris avait reconnu le plein
exercice de la régence, crut ne pas pouvoir gouverner sans l'assistance
de Mazarin. L'épousa-t-elle secrètement? On ne le croit plus.
Amants, amis, qu'importe! mais associés étroitement, dans l'éducation
du jeune roi comme dans les autres affaires. On a beaucoup dit que cette éducation
fut gâtée par la flatterie. Mais comment imposer des actes ordinaires
à cet enfant exceptionnel, en qui l'on vénérait le roi?
D'intelligence équilibrée, avec une excellente mémoire,
Louis XIV reçut une éducation humaniste qui lui laissa une bonne
connaissance du latin, une solide maîtrise de sa propre langue, un usage
élégant de deux autres (italien et espagnol), des idées
générales assez justes sur le passé de la France et ses
institutions. Il fut pénétré ou se pénétra
tout seul de sa conduite hors série, de son droit d'être le maître
et de l'idée que résister à sa volonté (volonté
ou caprice) était assurément mal faire. Il a déclaré
lui-même qu'enfant il se sentait humilié par l'histoire des rois
fainéants et des maires du palais. Sa principale école fut pourtant
la terrible crise de la Fronde, survenue à l'heure où se terminait,
par la paix de Westphalie, la guerre avec l'Empire, mais où la guerre
principale contre l'Espagne prenait encore plus d'importance. Des événements,
le petit roi reçut une série de chocs: la fuite à Saint-Germain
par une nuit d'hiver (il avait dix ans), l'invasion de sa chambre par la populace
parisienne venant s'assurer qu'on ne préparait pas un nouveau départ,
les perpétuels remuements de la capitale dans la rue et même
au palais royal, les allées et venues entre Paris troublé et
la province, où les villes tantôt l'accueillaient, tantôt
devaient être conquises, la guerre civile de l'été 1652
et le retour triomphal à Paris à l'automne. Il avait alors quatorze
ans. Mazarin n'était pas encore rentré et le roi accomplit son
premier acte d'autorité. Il fit arrêter le cardinal de Retz,
surprenant tout l'entourage par sa résolution et sa dissimulation.
Le secret, que Richelieu recommandait comme vertu royale, devait être
toujours un trait de son comportement politique.
Du retour du cardinal (1653) à sa mort, huit années s'écoulèrent,
au cours desquelles le jeune roi consentit à laisser à Mazarin
les fonctions de Premier ministre et la direction des affaires. Période
mal connue dans le détail, où l'autorité du roi fut de
nouveau assise, beaucoup de malheurs de la guerre civile réparés,
la situation de la France consolidée au-dehors par la paix avec l'Espagne,
enfin conclue avantageusement (traité des Pyrénées, en
1659, où la France reçut l'Artois et le Roussillon), l'arbitrage
accepté par les pays du Nord (Brandebourg, Suède, Pologne).
Mais, pendant ce temps, l'adolescent devenait un jeune homme. Il paraissait
enclin au plaisir et satisfait d'une vie de parade et de fêtes, figurant
lui-même dans les ballets costumés, les carrousels et les cavalcades,
montrant beaucoup de complaisance pour les concerts et les opéras à
la manière italienne et baroque. Ses sens s'éveillaient, que
la religion n'aidait guère à discipliner. Au demeurant, sa religion,
difficile à apprécier équitablement, était déjà
un mélange de foi profonde, d'attachement sincère au catholicisme,
de déférence envers Rome et l'Église, de fidélité
aux rites qui lui coûtaient le moins et d'un accommodement pharisaïque
avec les entraînements de la chair. Toutefois, il se laissa marier,
par nécessité politique, à l'infante Marie-Thérèse
d'Espagne. De ce mariage il devait avoir six enfants, dont seul survécut
l'aîné, le Grand Dauphin (1661-1711) .
2. La période de jeunesse et
de succès en Europe (1661-1684)
La mort de Mazarin (mars 1661) permit au jeune souverain d'entrer en scène,
car il se résolut aussitôt à exercer ce métier
de roi que, dans les éclairants Mémoires pour l'instruction
du dauphin , il a déclaré lui-même "noble, grand
et délicieux". Des historiens d'à présent appliquent
l'épithète "révolutionnaire" à ce qu'entreprit
alors Louis XIV. Cela doit être entendu des incontestables changements
que, pourtant traditionaliste (piété filiale envers son père,
volonté de poursuivre l'œuvre des ancêtres pour l'élargir
et l'améliorer), il apporta tout de suite au gouvernement effectif
du royaume. Sa conviction est que le roi doit agir lui-même et que rien
ne peut être décidé qu'en son nom. D'où la ferme
décision d'écarter ceux à qui la naissance ou de hautes
charges pouvaient prêter une autorité préjudiciable à
la sienne. Délibérément, il ne souffrit plus jamais de
Premier ministre, ni de prince du sang, ni de cardinal dans le Conseil du
roi. Il ne rétablit jamais, à la tête de l'armée,
la fonction de connétable (il la refusa encore à Villars en
1714). Après la chute de Fouquet, dont la richesse mal acquise (mais
il y en avait d'autres) et l'influence sur trop de milieux éveillaient
sa jalousie, il n'y eut plus de surintendant des Finances. Reste le chancelier
qu'il n'a jamais supprimé; mais il en a diminué singulièrement
l'autorité, en le confinant dans la présidence du Conseil des
parties, qui devint de plus en plus un tribunal administratif. Dans les différents
conseils, qui étaient de véritables conseils de gouvernement
(Conseil d'en haut, Conseil des dépêches, Conseil des finances),
il n'admit que des commis d'origine bourgeoise. Il les comblait d'honneurs,
de titres de noblesse et de richesses, mais sans que jamais on pût les
confondre avec les membres de la noblesse du sang, ni oublier qu'ils étaient
les "domestiques" du roi. Il fut simplement assisté dans
cette entreprise par Colbert, un ancien intendant de Mazarin, très
bon connaisseur du travail effectif des conseils, prodigieusement intelligent
et laborieux, passionnément ambitieux et autoritaire, mais prudent
et assez habile pour ne jamais lui porter ombrage. Colbert n'eut que le titre
de contrôleur général des Finances, mais il réorganisa
le Conseil des finances et il reçut les secrétariats d'État
de la Marine, de la Maison du roi. Pratiquement, relevèrent de lui
les intendants de province, tout le commerce, la navigation, les eaux et forêts
et les colonies. L'armée de terre et la politique étrangère
dépendaient d'autres ministres (Le Tellier et Louvois pour la première,
Lionne, Pomponne, Croissy pour la seconde), alors qu'au temps de Richelieu
et de Mazarin le principal ministre connaissait de tout. Au Conseil des finances
- création de Colbert - était arrêté le brevet
de la taille et établi le budget, que le contrôleur général
aurait voulu positif, les recettes équilibrant les dépenses;
à cause des charges générales de la monarchie, surtout
les frais de la guerre et de bâtiments, cela fut bientôt impossible.
Comme par le passé, le gouvernement royal ne cessa de s'endetter. La
méthode de Colbert eut pour résultat que la monarchie, dans
les affaires intérieures du royaume, de judiciaire devint de plus en
plus administrative et fiscale, soumettant effectivement les privilèges
des provinces, des communautés urbaines et rurales aux exigences du
contrôle général, transmises par les intendants et leurs
subdélégués. Ainsi, il y eut plus d'ordre et d'unité
dans le royaume, mais au détriment de la liberté. Colbert, appliquant
la doctrine mercantiliste, voulait animer la production française pour
vendre au-dehors et attirer en France la plus forte quantité possible
d'espèces. Il fonda les manufactures d'État, accorda des privilèges
à des entreprises de particuliers, s'attacha à améliorer
l'administration des forêts, mit en chantier des navires de guerre pour
la défense des côtes et la protection de la flotte marchande.
Il encouragea la création de compagnies de commerce et de navigation
pour les Antilles, le golfe de Guinée, la Baltique.
Les limites au succès de son entreprise ne tiennent pas seulement,
comme on l'a dit, aux charges de la politique de magnificence que, contre
son avis, Louis XIV prétendait poursuivre. Colbert aurait souhaité
limiter la prodigalité du roi, mais il se heurtait à des difficultés
qui ne dépendaient pas de volontés individuelles. Le XVIIe siècle
a connu souvent une météorologie défavorable, compromettant
les récoltes et entraînant la gêne des producteurs et des
rentiers de la terre. En outre, la demande se restreignait sur le marché
international, par la suite d'un fléchissement dans la production des
mines d'Amérique et de l'abaissement démographique de plusieurs
pays européens. Moins d'espèces en circulation, moins d'acheteurs
disponibles dans le monde. Cela explique, pour une grande part, l'essoufflement
des compagnies, la répugnance du public sollicité à risquer
ses fonds dans des entreprises incertaines et l'attachement aux modes traditionnels
de placement: achat de rentes, d'offices (d'autant plus que le Trésor
en offrait toujours), prêts entre particuliers et achat de terres, souvent
parcelles après parcelles, pour arrondir les héritages, au détriment
des biens communaux ou des paysans les plus pauvres. Colbert s'est préoccupé
de l'agriculture, essayant de diminuer la taille pour en obtenir le paiement
intégral, d'encourager les cultures nouvelles et l'amélioration
de l'élevage. S'il n'a pu obtenir les transformations qu'il escomptait,
si la population française ne s'est pas élevée rapidement
(terrible mortalité infantile, durée moyenne de vie de vingt-cinq
ans), la France avait, entre 1660 et 1670, la réputation d'un pays
riche en ressources.
Dans l'ordre politique, la France avait pris la relève de l'Espagne;
dans celui de la civilisation, elle allait prendre celle de l'Italie, magnifique
par l'éclat de ses cours et la richesse incomparable de ses centres
artistiques: Rome, Florence, Parme, Bologne, Venise, la qualité de
ses ateliers, la renommée de ses théâtres, l'autorité
admise des théoriciens. À cela s'ajoutait la surabondance des
œuvres antiques. Il fallait donc capter des richesses et une réputation,
attirer en France "tout ce qu'il y a de beau en Italie", disait
Colbert. La pensée française elle-même et les arts avaient
accompli d'immenses progrès. Une élite d'écrivains, d'architectes,
de peintres et de sculpteurs s'était constituée au service d'une
clientèle d'Église, de seigneurs et de hauts personnages. En
pleine vigueur au moment où le roi prit le pouvoir, elle avait travaillé
pour Mazarin, puis pour Fouquet. Louis XIV l'employa à son tour. Dix
années de réussites merveilleuses: Corneille, dont le talent
demeure souple et inventif, Molière, dont les comédies figurent
au programme des grandes fêtes de cour, Racine, dont les tragédies
renouvellent le genre, les peintres Le Brun et Mignard, l'architecte Le Vau,
Mansart, le créateur de jardins Le Nôtre.
Le roi aimait le beau, et en cette matière il jugeait bien, d'instinct.
Colbert, continuateur de Richelieu dans ce domaine aussi, entendait que la
qualité des œuvres fût garantie par la sûreté
de doctrine et le contrôle des "intelligents", c'est-à-dire
de personnes instruites des règles et bien informées. À
l'instar de l'Académie française qui veillait à la pureté
de la langue, de nouvelles académies furent créées: Académie
des inscriptions ou Petite Académie (1663) pour les médailles
et les inscriptions lapidaires sur les monuments publics, Académie
de peinture et sculpture (1664), Académie des sciences (1666), Académie
d'architecture (1671). Tout cela officiel, assurément, mais pas du
tout contraignant, comme on l'a prétendu, ni académique, au
sens figuré du terme. Car les tempéraments étaient divers,
les opinions et les manières se transformaient sans cesse, fût-ce
en s'attachant toujours à un idéal d'harmonie, d'équilibre
et de raison.
Sans doute, les artistes ont besoin de mécènes et produisent
dans l'esprit qu'on leur suggère. Mais deux faits doivent être
reconnus: d'une part, à cette date, l'éclosion d'une culture
élaborée depuis deux générations et qui s'exprime;
de l'autre, l'attrait exercé par le roi lui-même, dont la jeunesse
et la gloire s'offrent comme des thèmes naturels d'inspiration. Il
est Apollon, Alexandre, parce que sa renommée et sa présence
semblent les incarnations de ces grands symboles et de ces illustres souvenirs
(le cycle d'Alexandre, de Le Brun). Cela est si vrai que le plus grand sculpteur
et architecte du temps, Bernin, le second Michel-Ange, comblé de commandes
et d'honneurs, accepta de venir à Paris, dans l'espoir de couronner
sa carrière illustre par un morceau hors pair: la reconstruction du
Louvre. Et ce n'est pas du tout la querelle du classique et du baroque qui
empêcha l'affaire conclue d'être réalisée; ce fut
la coïncidence de la première guerre (1667), et des économies
qu'elle imposait, avec la présence à Paris d'excellents architectes,
au demeurant jaloux de l'Italien, et dont les projets prouvaient qu'ils pouvaient
faire aussi bien et moins cher. Parler de feu d'artifice, parce que la période,
disons flamboyante, de ces réussites fut assez brève, c'est
ne pas faire sentir toute son intensité qui devait nourrir les œuvres
françaises au cours des décennies suivantes et consacrer la
réputation universelle d'un style. Classicisme essentiel et original,
mais qui n'exclut pas nombre d'aspects baroques, ni même l'existence
d'un baroque français, coloré, fervent et pourtant sans outrances.
Il ne faut pas seulement penser aux grandes œuvres célèbres,
ou à celles que les historiens d'art avertis d'à présent
remettent au jour, mais à une très nombreuse production dans
les provinces, pour les églises et les demeures privées, et
encore à la multitude des exécutants, des artisans pourvus d'une
véritable maîtrise technique et de beaucoup de goût, à
Paris et dans les villes. Assurément, Louis XIV, sa gloire, son administration
et sa politique ne peuvent porter une immédiate responsabilité,
mais ce qui fut accompli autour du roi ou à cause de lui donna son
impulsion à toute cette civilisation, justifiant ainsi qu'on parle
du siècle de Louis XIV.
En 1667, la France rompit la paix qu'elle maintenait avec l'Espagne depuis
huit ans. Ce fut le commencement des guerres qui tinrent une si grande place
dans le règne et dont il est plus important de comprendre le caractère
et les conséquences que d'évoquer les péripéties.
Ainsi se trouvent posés deux problèmes: celui de la politique
étrangère du roi et celui de la force militaire du royaume.
Y eut-il dès l'origine un programme arrêté ou même
une idée directrice de la politique étrangère? Les historiens
ont cru les reconnaître dans les prétentions à la succession
d'Espagne ou à des fragments de cette succession, parce que la dot
de la reine Marie-Thérèse, moyennant quoi celle-ci renonçait
à ses droits, n'avait pas été payée et que la
recherche de compensation s'était imposée, dès la mort
de son père, le roi Philippe IV (1665). D'autres ont évoqué
la mauvaise configuration des frontières (qui, même après
la paix de Westphalie et celle des Pyrénées, laissaient le royaume
vulnérable) et l'ambition d'atteindre les frontières naturelles,
le Rhin sur toute sa longueur. La première interprétation est
excessive, la seconde provient d'une idée fausse, étendant à
l'époque de Louis XIV des desseins formés bien plus tard. On
a évoqué, enfin, avec de meilleurs arguments, la passion de
la gloire qui fut l'un des traits essentiels du caractère de Louis
XIV. Au XVIIe siècle, un roi était, par excellence, un chef
de guerre, le premier gentilhomme de son royaume et, comme tel, il devait
rechercher "de grandes occasions de se signaler". Les termes sont
de Louis XIV. Mais de lui aussi cette réserve: "La grandeur de
notre courage ne doit pas nous faire négliger le secours de notre raison
et plus on aime chèrement la gloire, plus on doit chercher à
l'acquérir avec sécurité." Louis XIV, dont un autre
trait était la prudence, ne s'est jamais jeté à l'étourdie
dans une aventure guerrière. Ce qui ne signifie pas que, pesées,
toutes ses décisions furent sages, car son ambition et son orgueil,
attisés par plusieurs de ses conseillers, provoquèrent des résistances,
et même des offensives auxquelles il ne s'attendait pas. Au début
du règne, le Conseil du roi (Brienne et Lionne) n'incitait pas aux
actions d'éclat et la seule raison de rechercher la guerre eût
été l'humeur impatiente de la jeune noblesse. Un exutoire fut
offert aux plus ardents par l'envoi de troupes en Hongrie en 1664, pour secourir
l'empereur et la chrétienté lors d'une offensive ottomane, qui
fut arrêtée, en partie grâce aux Français, près
du couvent de Saint-Gotthard, dans la région de la Raab.
Surtout, il faut bien comprendre la nature judiciaire et chicanière
de la diplomatie d'alors. Dans aucun pays elle ne s'inspirait d'un idéal
philosophique ou moral et n'en mettait les principes en avant. Sur chaque
territoire pesaient un nombre énorme de droits de suzeraineté,
compliqués par les contrats et les successions et qui justifiaient
la légitimité du détenteur actuel, contestée par
d'autres prétendants à la possession. Les traités signés,
leur application soulevait d'interminables débats, où naturellement
le plus fort l'emportait, mais en prouvant que le droit était pour
lui. Le résultat avait comporté beaucoup de complaisances et
d'intrigues, afin d'obtenir les convictions ou les consentements.
Pour les territoires et les droits d'Alsace, cédés à
la paix de Westphalie, pour les droits de la reine et le traité des
Pyrénées, pour les terres du duché de Lorraine, les unes
vassales d'Empire devenues autonomes et les autres vassales de France, la
situation ne pouvait être établie que de cette manière.
Aussi Louis XIV ne concevait-il la politique étrangère qu'à
travers ces débats, dont la procédure, œuvre de feudistes
et d'experts, était portée au secrétariat d'État
aux affaires étrangères et au Conseil. La diplomatie et la représentation
du roi auprès des autres souverains étaient confiées
déjà à de grands commis spécialisés ou
à des personnages importants. Ceux-ci employaient informateurs et espions.
Une autre habitude du temps était la constitution de clientèles.
Il y en avait en France. Il paraissait naturel qu'au dehors le roi, par des
obligations et des cadeaux, s'attachât des seigneurs influents ou des
ministres. À la fin du règne, lors des pourparlers de La Haye,
il offrait encore des millions à Marlborough, général
de la coalition adverse, pour l'incliner à son parti.
À son droit, à son crédit, à son influence, Louis
XIV a cru, de plus en plus, comme à autant de valeurs irrésistibles.
Il ne s'est probablement jamais fait une idée nette de ce que représentait
l'achat d'une conscience, et, croyant chez les autres au seul intérêt
et pour lui-même à son bon droit, il s'est préparé
bien des désillusions et des erreurs de manœuvre. En outre, il
faut citer encore, le sens et l'agrément du métier royal lui
paraissant d'avoir "les yeux ouverts sur toute la terre, apprendre à
toute heure les nouvelles de toutes les nations, le secret de toutes les cours,
l'humeur et le faible de tous les princes et de tous les ministres étrangers",
cela, pour brillant et pénétrant qu'il semble, laissait de côté
la nature et les intérêts profonds des peuples, leurs traditions
religieuses et leurs possibles réactions de sensibilité collective,
tout ce qui pouvait rendre un jour irréductibles des adversaires ou
des ennemis.
En 1661, la France disposait d'alliances: la Suède, les Provinces-Unies,
l'Angleterre, depuis Cromwell et surtout la restauration de Charles II Stuart.
Louis XIV était garant des traités de Westphalie, protecteur
de la ligue du Rhin (alliance intérieure de plusieurs princes d'Empire)
et disposait d'une clientèle en Allemagne. Mais bientôt, en pleine
paix, les chicanes avec la cour d'Espagne pour la préséance
des ambassadeurs, avec le pape pour la garde corse suscitèrent l'image
d'un roi agressif qui entendait fonder son prestige sur l'humiliation des
autres. Lui qui était doué personnellement de tant de qualités
aimables se destinait à être craint au dehors, tant qu'il serait
redoutable, mais à n'être jamais aimé et à devenir
détesté.
Il y eut de bons résultats pourtant: l'achat, au roi Charles II, de
Dunkerque, enclave anglaise sur le continent, le traité de Montmartre
avec le duc de Lorraine, qui cédait son duché à la France,
tout en le conservant à titre viager. Il est vrai que le duc intrigua
et que Louis XIV fit occuper militairement la Lorraine, ce que l'Empire n'admit
jamais. Les relations avec l'Empire et l'empereur étaient délicates.
Lors de l'élection de 1658, Mazarin n'avait pas présenté
la candidature de Louis XIV à l'Empire, parce qu'il ne jugeait pas
l'affaire assez mûre. Léopold de Habsbourg avait été
élu. Mais Louis XIV, qui jalousait la dignité impériale,
espérait qu'elle lui reviendrait un jour, à lui ou au dauphin,
et ce fut l'une des raisons d'entretenir une alliance avec des princes allemands,
dont l'Électeur de Brandebourg. En cas de guerre avec l'Espagne, la
position de l'empereur et de l'Empire serait sûrement d'une importance
presque décisive.
Cette guerre devenait de plus en plus probable, à partir de la mort
de Philippe IV. Il faut ici parler de l'armée. Le secrétaire
d'État qui l'avait dans son ressort était le plus fidèle
serviteur de la monarchie: Michel Le Tellier, excellent intendant et administrateur.
Ses réformes avaient contribué à corriger les défauts
d'un système qu'on ne pouvait transformer d'un coup: armée recrutée
par engagements volontaires (racolage), encadrée par des officiers
nobles, courageux et braves, mais peu disciplinés. Les colonels et
capitaines achetaient leurs charges, entretenaient eux-mêmes leurs troupes
en trafiquant sur le nombre des hommes et les marchés. Les règlements
de Le Tellier mirent le plus d'ordre possible dans les questions de solde,
de subsistance et d'étapes. Ils améliorèrent l'armement
de l'infanterie et de la cavalerie, l'emploi de l'artillerie qui dépendait
encore d'un grand maître (1 000 canons fondus de 1664 à 1666)
et l'aménagement des forteresses. On disposait déjà d'excellents
ingénieurs, formés par une tradition française et italienne,
bons connaisseurs de la mise en défense d'une place, de la disposition
des bastions, de la manœuvre de la mine. Ainsi, l'armée devint
vraiment royale, dans ce sens que le roi l'eut désormais à sa
disposition comme la base et l'instrument de sa politique extérieure,
qu'elle fut administrée régulièrement comme les autres
secteurs. Elle eut de bons généraux, à l'école
des deux grands chefs dont la réputation était européenne:
Turenne, ancien élève des stratèges hollandais, Condé,
tacticien intrépide et entraînant. Tous deux, qui avaient été
rebelles, ne respiraient que le service du roi et Louis XIV appela le premier
le "père de la patrie". Dès la guerre de 1667, l'armée
française, par le nombre (72 000 hommes, dont beaucoup de régiments
étrangers, suisses, allemands et italiens, selon l'usage du temps)
et surtout par la capacité, était supérieure aux autres
armées européennes.
Elle ne cessa de se transformer, au cours de la guerre de Hollande. Le Tellier
était assisté de son fils Louvois, qui le remplaçait
pratiquement. Moins réservé que son père, Louvois, parce
qu'il sentait l'armée de plus en plus forte et efficace, encouragea
la politique de conquêtes et d'ambition. En territoire étranger,
il usa de procédés d'extermination épouvantables: le
dégât, c'est-à-dire l'incendie et l'arasement du plat
pays. Ses soins se portèrent vers l'armement (fusil, baïonnette),
l'intendance, la solde et la sécurité des étapes. Parallèlement
à son effort, celui de Colbert et de Seignelay, son fils et successeur,
pourvut la France d'une marine de qualité, aussi bien par la construction
des meilleurs et plus beaux navires dans les arsenaux de Brest et de Toulon
(vaisseaux de haut bord pour le Ponant, galères en Méditerranée)
que pour l'enrôlement des marins (inscription maritime), et cela avec
d'autant plus de mérite qu'à la différence de l'Angleterre
et de la Hollande, l'opinion française n'était pas celle d'un
pays intéressé par les choses de la mer. Surtout, il y eut l'œuvre
de Vauban. Cet ingénieur militaire, que son mérite éleva
jusqu'à la dignité de maréchal de France, pourvut les
villes conquises et les ports d'un système nouveau d'ouvrages fortifiés,
si bien que l'invasion du royaume devenait sinon impossible, du moins très
difficile.
Mais les guerres successives obligèrent à augmenter le nombre
des troupes et à compléter les enrôlements militaires
par la milice (tirage au sort, 1688). Bien des vices anciens subsistèrent,
mais, mieux encadré, mieux ravitaillé, mieux armé, entouré
de plus de soins (les Invalides), le soldat français de Louis XIV prit
une figure originale et connut un destin plus digne que celui de la période
précédente.
Le souci du prestige de la France au-dehors, qui se confondait alors avec
la puissance et la réputation de la dynastie, a incontestablement entraîné
Louis XIV à une politique belliqueuse, très lourde par ses conséquences
fiscales et dont les excès ont suscité contre lui des coalitions
qui finirent par mettre en péril le royaume lui-même. Une première
phase, celle des succès, qu'il ne faut pas croire toujours faciles,
s'étend de 1661 à 1679. Elle s'est déroulée dans
l'esprit de la traditionnelle rivalité entre la France et l'Espagne,
mais elle a conduit aussi au conflit avec la Hollande et l'Empire. Pendant
toute cette période, l'Angleterre des Stuarts demeura plutôt
favorable à Louis XIV.
La guerre de Dévolution (1667-1668) n'était pas reconnue comme
telle; Louis XIV prenait possession des villes du Nord comme part de la reine
dans la succession de son père, en vertu d'un droit des Pays-Bas. Après
une brillante campagne de sièges, il obtint onze places, dont Lille,
au traité d'Aix-la-Chapelle. S'il avait pu s'assurer la neutralité
de l'empereur, il avait été pressé de conclure la paix
par la formation d'une triple alliance entre l'Angleterre, les Provinces-Unies,
la veille adversaires, mais réconciliées pour lui offrir leur
médiation, et la Suède. Il était relativement aisé
de ramener l'Angleterre et la Suède dans l'orbite de la France, mais,
pour des raisons religieuses, politiques et surtout économiques, la
rivalité avec les Hollandais était difficile à surmonter.
Après quatre ans de préparation diplomatique, Louis XIV ouvrit
le conflit avec les Provinces-Unies et, en quelques semaines (1672), les réduisit
à demander la paix. Mais les conditions qu'il proposa furent si dures
qu'elles entraînèrent une révolution à La Haye,
la chute du gouvernement républicain de Jean de Witt et l'arrivée
au pouvoir du stathouder Guillaume d'Orange, qui devait être l'un des
adversaires les plus acharnés de Louis XIV. Une coalition se forma
entre les Hollandais, l'Espagne, l'empereur, l'Empire et le duc de Lorraine.
Tout l'effort de la guerre se reporta de la Hollande vers les Pays-Bas espagnols,
la Franche-Comté et l'Alsace. La nouveauté fut le déploiement
de la force française sur mer, dans la guerre d'escadre et la guerre
de course. Les flottes d'Espagne et de Hollande subirent de sérieux
échecs en Méditerranée, autour de la Sicile, occupée
par les soldats de Louis XIV. À l'est de l'Europe, l'Électeur
de Brandebourg, qui était passé d'un camp à l'autre,
battit les Suédois à Fehrbellin (1675). L'insurrection hongroise
d'Imre Thököly, à laquelle la France aurait voulu procurer
l'appui de la Pologne, gênait l'empereur, sans apporter de solution
au conflit. Les négociations engagées à Nimègue
garantirent les plus grands avantages à la France. Celle-ci obtenait
de l'Espagne la Franche-Comté, des villes du Hainaut, de la Flandre
maritime et de l'Artois, ce qui donna, après quelques échanges,
un tracé continu à la frontière du Nord-Est. La Hollande
était plus ménagée par un nouveau traité de commerce.
Dans l'Empire, l'empereur cédait Fribourg-en Brisgau. La Lorraine devait
être restituée à son duc, mais amputée de Nancy
et traversée de quatre routes. La résistance du duc servit de
prétexte pour la conserver provisoirement. Quant à l'Alsace,
les circonstances avaient permis à Louis XIV de rompre les derniers
liens qu'elle avait avec l'Empire et d'y asseoir son autorité directe,
favorable à un relèvement économique du pays.
Les territoires cédés l'étant, selon la vieille formule,
avec leurs appartenances et dépendances, Louis XIV, conseillé
par Colbert, de Croissy et Louvois, étendit ses revendications. Des
chambres des parlements de Metz, Besançon, Douai et un conseil à
Brisach prononcèrent des arrêts de réunion. Puis, en 1681,
Louis XIV obtint la capitulation de Strasbourg et il acheta Casal au duc de
Mantoue.
Redouté de toute l'Europe, où commençaient à se
nouer des alliances défensives, Louis XIV était au faîte
de sa puissance. Les complications provinrent de l'Orient. Un vizir ambitieux,
Kara Mustafa, avait reconstitué et regroupé les forces du sultan
pour les lancer à l'assaut de Vienne. Les pays de l'empereur d'Allemagne,
la Pologne, l'Italie même voyaient dans cette entreprise un péril
pour toute la chrétienté. Aussi le pape Innocent XI souhaitait-il
la formation d'une ligue dont Louis XIV, le prince le plus fort d'Europe,
aurait pris la tête. Au contraire, Louis XIV voulait utiliser cette
menace pour décider les autres à reconnaître définitivement
ses réunions. Le résultat fut que les Turcs purent assiéger
Vienne en juillet 1683 et que, sans la participation des Français,
les Allemands et les Polonais de Jean III Sobieski livrèrent et gagnèrent
la bataille de la délivrance. Le prestige de la France était
atteint.
Néanmoins, après une courte guerre avec l'Espagne, Louis XIV
put obtenir aux traités de Ratisbonne la cession de Luxembourg et la
reconnaissance pour vingt ans des réunions, y compris celles de Strasbourg
et Casal. Il lui fallait se garder, dès lors, de toute provocation.
À cette date, bien des transformations avaient été accomplies
à l'intérieur du royaume. L'une des plus importantes fut l'aménagement
du palais de Versailles, où les services des ministres se fixèrent
auprès du roi, séparation entre la capitale et la résidence
du gouvernement qui devait se révéler lourde de conséquences.
Sur le plan de l'art, la réussite était admirable: Hardouin-Mansart
achevait le premier remaniement du palais commencé par Le Vau. À
l'intérieur, la galerie des Glaces , décorée par Le Brun,
reliait le salon de la Guerre à celui de la Paix, comme le symbole
de la politique royale qui prétendait n'avoir fait la guerre que pour
assurer la tranquillité à l'Europe. Au-dehors, le parc avec
les bassins, le grand canal, les bosquets et Trianon: rien de pareil n'avait
été accompli depuis les Romains. Et dans ce cadre, les fêtes,
les concerts, la vie d'une cour bien réglée et servile autour
du maître, dont elle attend faveurs et pensions, et la libre entrée
du peuple qui, dans une surprenante cohue, prend sa part du spectacle.
Mais les difficultés du gouvernement intérieur sont nombreuses,
surtout les affaires religieuses.
Louis XIV prenait appui sur l'Église, le concordat de 1516 et les indults
lui donnant le droit de nommer les évêques et de pourvoir à
de nombreux bénéfices. D'autre part, le clergé de France,
dans ses assemblées de cinq en cinq ans, lui accordait, par le don
gratuit, une solide contribution financière. Les curés avaient
la charge de l'état civil. Cette religion liée aux institutions
et à l'ordre social du royaume, était vécue avec plus
d'intensité et de foi par les fidèles, sous l'influence de prêtres
plus éclairés et formés dans les séminaires. Au
début du règne personnel, Louis XIV se méfiait des dévots
qui censuraient le théâtre et les divertissements auxquels il
prenait le plus de plaisir, et qui, par la compagnie du Saint-Sacrement, surveillaient
la vie privée.
Mais il voyait dans l'unité de foi et de doctrine une garantie d'ordre
et de stabilité pour le royaume et, bien qu'attaché au Saint-Siège,
il voulait marquer l'indépendance absolue de sa monarchie de droit
divin à l'égard de toute puissance spirituelle. De là
bien des flottements dans sa politique religieuse. Depuis l'époque
de Mazarin, les jansénistes étaient persécutés
comme rebelles à la doctrine officielle de la Sorbonne et aux bulles
du pape. Louis XIV sévit contre le groupe de Port-Royal, religieuses
et solitaires.
L'extension à tous les évêchés de France d'un droit
de régale qui réservait au roi des avantages dans certains diocèses
suscita un conflit avec le pape Innocent XI et la résistance d'évêques
de tendance janséniste. Le roi demanda à l'assemblée
du clergé, dont les attributions étaient financières,
de rédiger un corps de doctrine des libertés gallicanes et de
le faire enseigner dans les séminaires. Ce fut la déclaration
de 1682, qu'Innocent XI et ses successeurs condamnèrent. Il semblait
que l'on fût à la veille d'un schisme: pure apparence, car les
évêques français, bons théologiens et canonistes,
cherchaient à préserver l'harmonie des deux pouvoirs. La crise
se dénoua après la révolution d'Angleterre, qui consolidait
le protestantisme dans l'Europe du Nord.
Les évêques, comme le roi, souhaitaient la conversion des protestants
par la persuasion (Fénelon), par la discussion (Bossuet) et par la
prédication. Mais ils jugeaient licite, sinon nécessaire, le
secours du bras séculier. En 1685, persuadé qu'il ne restait
plus que des opiniâtres, Louis XIV révoqua l'édit de Nantes
et interdit le culte réformé dans le royaume. Peut-être,
par cette mesure retentissante, pensait-il atténuer les mérites
qui revenaient à l'empereur d'avoir sauvé la chrétienté
à Vienne. Les conséquences furent désastreuses: l'élite
sociale des protestants (nobles et bourgeois) s'enfuit de France et porta
dans les pays de refuge (Brandebourg et Hollande) ses capitaux et ses procédés
de fabrication.
Des pays protestants, une propagande indignée dénonça
la tyrannie de Louis XIV et les Soupirs de la France esclave (Pierre Jurieu).
L'esprit janséniste ou du moins augustinien, le succès d'une
morale austère et d'une pratique sérieuse se trouvaient largement
diffusés par les ouvrages d'écrivains religieux et combattus
par d'autres. Tel le livre de l'oratorien Pasquier Quesnel: Réflexions
morales sur l'Ancien et le Nouveau Testament . La querelle engagée
autour de lui réveilla le jansénisme. À la fin du règne,
le roi sollicita du pape la bulle Unigenitus qui condamnait cent une propositions
du P. Quesnel. À l'opposé du jansénisme, une doctrine
mystique, le quiétisme, opposa deux des plus grands évêques
français: Bossuet et Fénelon. La soumission exemplaire de Fénelon
lui prêta plus d'autorité dans la lutte qu'il menait contre le
jansénisme. Ainsi les affaires religieuses, sous leur aspect politique
comme sous leur aspect spirituel, avaient troublé l'opinion au lieu
de l'apaiser.
On établit parfois une opposition entre une période de succès
(1661-1684) et un long déclin, de 1685 à la mort du roi, le
temps des deux grandes guerres de coalition: celles de la ligue d'Augsbourg
(la guerre de Neuf Ans des historiens anglais, 1688-1697) et de la Succession
d'Espagne. Deux guerres très longues, en effet, coïncidant avec
des pointes de détresse économique (famines de 1693 et 1709)
et comportant des revers militaires encore jamais vus. La politique extérieure
a suscité des complications immenses et vraiment superflues pour un
pays dont la vie générale était difficile, mais les deux
guerres ont trop accaparé l'attention et fait oublier qu'on ne peut
interpréter par un constant déclin la vie de la nation pendant
ces trente ans que divise en parts égales la date charnière
de 1700, passage du XVIIe au XVIIIe siècle.
La vie privée de Louis XIV avait été longtemps scandaleuse.
S'il n'accordait à ses maîtresses aucun rôle politique,
il les laissait paraître à la cour plus reines que la reine,
surtout Mme de Montespan, et, après avoir dissimulé quelques
années ses bâtards, il les fit légitimer par le parlement
de Paris, dota les fils de titres princiers et maria les filles avec des princes
de sang. À la mort de la reine (1683), il contracta un mariage secret
avec la marquise de Maintenon, qu'il laissa prendre sur les affaires générales
une influence discrète, mais efficace, de conseillère. La cour
parut plus grave, malgré les contradictions entre la dévotion
et le dérèglement des mœurs. Contemporains et historiens
on fait porter à Mme de Maintenon la responsabilité de toutes
les mesures fâcheuses: c'est exagérer de beaucoup son rôle.
Si les plaisirs de Versailles ne furent plus ceux du début du règne,
on ne peut parler d'un déclin de la civilisation française.
Le roi continue à embellir et transformer Versailles, Trianon, Marly;
on joue les opéras de Lulli, les œuvres de musique religieuse
et profane se multiplient. L'art décoratif évolue avec Bérain,
la sculpture se renouvelle avec Coysevox , la peinture avec Largillière
et les débats de l'Académie sur le coloris et le dessin; l'urbanisme
accomplit des réussites à Paris et en province; on ne saurait
oublier l'essor des arts provinciaux et populaires, le grand nombre de retables
qui ornent les églises, mêmes les paroissiales de campagne, l'imagerie
et la faïencerie. La littérature produit des chefs-d'œuvre,
des Caractères de La Bruyère à l'Athalie de Racine. Mais
un nouvel esprit, plus critique, apparaît. Un plus grand nombre de gens
savent lire et écrire, prennent goût aux ouvrages de religion,
de jurisprudence et d'histoire. C'est le temps du Dictionnaire de Bayle, du
Détail de la France de Boisguillebert, du Projet d'une dîme royale
de Vauban. L'intérêt augmente pour les sciences, les voyages,
les peuples étrangers. À un rythme lent, mais soutenu, les promotions
sociales s'accomplissent dans les familles du peuple et de bourgeoisie. L'élite
s'est élargie et nuancée. Enfin, les signes ne manquent pas,
à Paris et dans plusieurs provinces, d'un progrès économique,
mais fragile et qui retombe, très vite, sous l'influence des guerres
et des charges fiscales.
Louis XIV n'est pas vraiment populaire, à la manière des enthousiasmes
modernes, mais il demeure le roi et, en dehors des polémistes, l'opinion
l'identifie toujours à la France.
La guerre de la ligue d'Augsbourg est sortie de l'impatience de Louis XIV
à transformer en paix définitive les trèves de Ratisbonne
et de sa crainte de voir l'empereur et l'Empire se retourner contre la France
dès que serait terminée la guerre contre les Turcs (reprise
de Bude en 1686, de Belgrade en 1688). Crainte justifiée ou non? Le
problème n'est pas éclairci. Mais Louis XIV, en même temps,
semblait saisir toutes les occasions de se montrer insatiable (exigences pour
l'élection de l'archevêque de Cologne et réclamations
pour l'héritage de Madame, fille de l'Électeur Palatin). Or,
il était de plus en plus détesté et critiqué en
Allemagne, tandis que ses rapports avec l'Angleterre se détérioraient.
Parce qu'il y avait implantation des Français au Canada, progrès
de la colonisation en Amérique, du commerce des Îles, établissement
des comptoirs dans l'Inde, les milieux d'affaires et le Parlement anglais
prenaient conscience de la rivalité économique avec la France
et surveillaient le roi Jacques II, catholique et client de Louis XIV. Le
25 septembre 1688, Louis XIV lança un manifeste exigeant dans un délai
de deux mois la transformation des trèves en traité définitif
et il prit des gages en ordonnant l'entrée de ses troupes au Palatinat
et la dévastation du pays. Cette mesure horrible, conseillée
par Louvois et Chamlay, eut pour résultat le rassemblement de l'Europe
contre la France. L'âme en fut le stathouder de Hollande, Guillaume
d'Orange, qui suscita contre son beau-père, Jacques II, la révolution
anglaise de 1688, se fit reconnaître pour roi, associé à
sa femme Marie II. Une coalition à la fois formidable et hétéroclite
réunit contre la France l'Angleterre, les Provinces-Unies, l'empereur,
l'Empire, l'Espagne et la Savoie. Louis XIV crut qu'il la dissocierait par
des victoires sur l'Angleterre. Mais sa flotte de guerre, victorieuse d'abord
(Tourville au cap Beveziers, 1690) fut dispersée au désastre
de la Hougue. Il y eut alternances d'avantages et de revers dans la guerre
de course, les luttes au Canada et autour de Pondichéry.
Les opérations de terre se déroulèrent en Flandre (victoires
de Fleurus, Steinkerque et Namur) et en Savoie (Staffarde et La Marsaille).
Mais, dès 1693, la disette et le coût de la guerre inclinaient
à faire la paix. Rallié à l'opinion de son ancien secrétaire
aux Affaires étrangères, le marquis de Pomponne, Louis XIV comprit
qu'il fallait sacrifier une partie des réunions pour garder l'essentiel.
Au Congrès de Ryswick (1697) les délégués français
firent preuve de sagesse. Le roi rendit les réunions, mais conserva
Strasbourg et obtint la vallée de la Sarre. Il restitua la Lorraine
au duc, qui épousa la fille de Monsieur. Il reconnut Guillaume III
pour roi d'Angleterre. Des garnisons hollandaises occupèrent des forteresses
aux Pays-Bas.
La guerre obligeait le gouvernement à trouver des ressources, alors
que, par son seul déroulement, elle pesait sur la vie économique
et contribuait à la détérioration de celle-ci. Pendant
la guerre de la ligue d'Augsbourg le besoin d'espèces, qui explique
le retentissant sacrifice de son mobilier d'argent par le roi et l'appel peu
écouté à tous les détenteurs de métal précieux,
obligea le deuxième successeur de Colbert, le comte de Pontchartrain,
à s'engager dans le jeu compliqué des manipulations monétaires
(dévaluation et réévaluation du louis et de l'écu)
et à réclamer toujours davantage à la taille, au bail
des fermes, à solliciter enfin des contributions plus importantes du
clergé et des états provinciaux. Il prit des mesures nouvelles:
un impôt par tête, la capitation de 1695, fut institué.
La répartition des contribuables en classes se révéla
assez arbitraire et décevante; néanmoins l'impôt rapporta
quelque 22 millions par an. Le contrôleur général multiplia
les créations d'offices et de rentes, avec un certain succès
au début. Les effets de la famine de 1693 paraissent avoir été
très importants sur les rentrées de fonds: les arriérés
de taille augmentèrent, l'industrie périclita, les rentes et
les offices attirèrent moins, faute d'argent disponible. Il fallait
donc emprunter à des négociants et à des munitionnaires,
et des fortunes de spéculateurs s'édifiaient sur la gêne
ou la misère du plus grand nombre.
Cependant, la guerre finie, le relèvement du pays fut rapide. Les enquêtes
demandées aux intendants en 1697 pour fournir au duc de Bourgogne,
fils aîné du dauphin, une image exacte de son futur royaume et
permettre au Conseil du roi de préparer de possibles réformes
nous révèlent une extrême diversité dans la condition
des provinces. Le poids du passé est lourd: le mode de culture demeure
routinier et peu productif. On se plaint de la baisse des biens fonds et du
déclin des rentes foncières en nature ou en argent. Mais ailleurs
le commerce s'anime, surtout dans les ports atlantiques. Et pour fournir des
cargaisons aux vaisseaux à destination de l'Amérique espagnole,
sans passer par Cadix, le textile (drap et toile) reprend un bel essor. D'où
la fortune et l'autorité des grands marchands: les Legendre, les Mesnager,
et des armateurs pour lesquels s'ajoute bientôt le profit de la traite
des nègres. Bien que le Trésor soit de plus en plus obéré,
un redressement de l'économie se dessine et, lentement, gagne de proche
en proche. Les idées de mercantilisme et de colbertisme ne sont plus
de saison, on croit que la liberté est nécessaire et les nouvelles
compagnies des mers du Sud s'inspirent d'un esprit nouveau. Les hommes d'affaires
vont être appelés à siéger au Conseil du commerce.
L'économique va-t-il l'emporter sur le politique?
Tout fut remis en cause en 1700 par la mort du roi d'Espagne. Pour préserver
l'intégrité de la monarchie, Charles désigna pour héritier
unique le duc d'Anjou, second fils du dauphin, ou, s'il refusait, l'archiduc
Charles, second fils de l'empereur. Après Ryswick, par deux traités
de partage successifs avec l'Angleterre et la Hollande, Louis XIV avait prévu
un partage de la succession d'Espagne, qui attribuait seulement à la
France quelques territoires. Mais l'empereur n'avait jamais consenti à
reconnaître ces traités.
Louis XIV prit l'avis de son conseil et de Mme de Maintenon avant de décider
s'il accepterait ou non le testament. Il sentait le risque d'une guerre avec
l'empereur qui venait de conclure une paix avec les Turcs. Il pensait que
les puissances maritimes et l'Angleterre apprécieraient qu'il renonçât
pour la France à tout bénéfice territorial. Mais il n'appliquait
pas des traités qu'il avait signés et, surtout, il était
moins question de provinces continentales que de commerce de mer. L'assurance
que la France aurait une situation privilégiée dans l'empire
espagnol et qu'elle serait capable de devenir le premier État du monde
remplaça toutes les autres raisons de revenir sur la reconnaissance
résignée que l'Europe (sauf l'empereur) avait paru accorder
à Philippe V.
Guillaume III, avant de mourir lui-même, conclut avec Anthonie Heinsius,
grand pensionnaire de Hollande, et l'empereur Léopold Ier la grande
alliance de La Haye, à laquelle adhérèrent la Savoie
et le Portugal. La coalition était dirigée par des chefs de
très haute valeur: le prince Eugène de Savoie, prestigieux vainqueur
des Turcs et véritable homme d'État, Heinsius et Marlborough,
général et diplomate habile. Mais elle avait aussi ses points
faibles. La France disposait de l'alliance de l'Espagne, de celle des Électeurs
de Cologne et de Bavière, au ban de l'Empire, mais elles devenaient
des charges autant que des secours, surtout à cause de l'extraordinaire
chaos du gouvernement de l'Espagne. L'armée française (200 000
hommes) possédait encore de bons chefs: Villars, Vendôme, Berwick,
à côté de très médiocres, tels Villeroy,
La Feuillade, Marcin, mais elle se montra bien inférieure à
ce qu'elle avait été, par la moindre qualité de l'état-major
et la baisse de combativité de la troupe. On essaya, par l'Italie et
la vallée du Danube, d'attaquer Vienne et de mettre mat l'empereur.
La liaison ne put se faire, malgré la victoire des Français
à Höchstädt (1703), et ce fut, un an après, aux mêmes
lieux (Hôchstädt-Blenheim), l'écrasement d'une armée
franco-bavaroise par les efforts conjugués de Marlborough et du prince
Eugène. Les revers, dès lors, se suivirent d'année en
année: Belgique perdue après Ramillies, citadelles du Nord tombant
l'une après l'autre (Lille, 1708), le Milanais, Naples au pouvoir de
l'archiduc Charles, reconnu pour roi d'Espagne par les alliés et installé
lui-même à Barcelone. L'alliance de Charles XII tourna au désastre,
après la brillante équipée terminée à Poltawa.
Impossible d'assister utilement la révolte hongroise de François
Rákóczi. Au printemps de 1709, Louis XIV se résignait
à demander la paix: il renonçait à Lille et à
Strasbourg. Mais les exigences des alliés, "tellement contraires
à la justice et à l'honneur du nom français", le
décidèrent à poursuivre la lutte; la bataille de Malplaquet
eut des résultats indécis. Et, après de nouvelles offres
de paix en 1710, il fallut lutter encore, pour ne pas consentir à la
honte de tourner ses armes contre Philippe V d'Espagne. Bientôt, la
fortune changea: en Espagne, Vendôme remporta la victoire de Villaviciosa
(1710); Villars, par une brillante manœuvre, barra au prince Eugène,
qui la croyait ouverte, la route de Paris (Denain, 1712). Sans doute la guerre
continentale avait-elle mis le royaume en danger, mais ce danger avait été
écarté, grâce à la volonté du vieux roi
et du ministre Torcy et, à travers des misères atroces, à
la résistance morale obstinée de la nation.
Toutefois l'enjeu de la lutte, autant que le maintien des Bourbons à
Madrid, était la puissance sur mer. En Amérique, les terres
de colonisation française, Canada et Louisiane, enveloppaient le domaine
des colonies anglaises. Dans les Antilles, les îles françaises
produisaient des denrées de plus en plus recherchées par la
clientèle européenne. Les Français possédaient
des territoires dans l'Inde et, même pendant la guerre, les vaisseaux
de commerce français avaient apporté des mers du Sud des piastres,
à temps pour renflouer le Trésor. L'alliance de la France et
de l'Espagne coloniales était une idée inacceptable pour les
milieux d'affaires anglais.
Mais, en 1711, la mort de Joseph Ier et l'élection de l'archiduc à
l'Empire firent craindre aux Anglais une trop grande puissance des Habsbourg.
La paix leur parut préférable, avec des traités de commerce.
À Utrecht, en 1713, la monarchie espagnole fut partagée: Philippe
V, gardant l'Espagne et les colonies, accordait aux Anglais les privilèges
concédés à la France et le droit d'occuper Gibraltar.
Louis XIV renonçait à Terre-Neuve et à l'Acadie et aux
fortifications de Dunkerque. Un beau duel de guerre se déroula en Souabe
entre Villars et le prince Eugène, à l'avantage du premier.
À la fin de 1713, les adversaires se retrouvèrent en négociateurs
à Rastatt, où ils conclurent la paix en 1714. La France gardait
Strasbourg et obtenait Landau. En faisant l'une à l'autre le sacrifice
peu honorable de leurs alliés respectifs (les Catalans pour l'empereur,
Rákóczi pour Louis XIV), les deux puissances se promirent amitié
et alliance. La fin de leur irréductible inimitié pouvait garantir
une paix durable en Europe, où la Russie avait peu d'influence encore,
et neutraliser les deux régions où elles s'étaient fait
si longtemps la guerre: l'Allemagne et l'Italie.
Les finances du roi s'étaient épuisées à soutenir
cette lutte de dix années, malgré une nouvelle capitation (1701)
et quelques innovations ingénieuses, comme les billets de monnaie.
Néanmoins, très vite, dès 1714 et 1715, reparurent les
signes d'une nouvelle prospérité: les ateliers se ranimèrent,
on reparla de liberté pour les affaires. Mais l'un des résultats
les plus concrets du règne avait été l'insensible développement
d'un absolutisme administratif. L'État avait capté un pouvoir
d'intervention, de décision et d'initiative qui soumettait de plus
en plus tous les régnicoles à une autorité exercée
au nom du roi, mais qui partait en réalité du Conseil et des
bureaux et que les intendants appliquaient dans les provinces. Les institutions
provinciales et municipales étaient désormais tenues en bride.
Pourtant, dans la pratique, et surtout à la campagne, les anciens usages
persistaient et maintenaient la diversité.
Le vieux roi conservait sa lucide attention aux affaires, plus préoccupé
sans doute de prestige au-dehors que de changements à l'intérieur.
Ayant livré les fortifications de Dunkerque, il pensait à en
reconstruire à Mardyck. La mort du dauphin en 1711, celle du duc de
Bourgogne et du fils de celui-ci en 1712 ne lui laissaient pour héritier
direct qu'un arrière-petit-fils, né en 1710. Quand il mourut
lui-même, le 1er septembre 1715, il mesurait les difficultés
d'une régence qu'il avait cru un temps écartée de l'avenir.
Son règne avait été démesurément long.
Traversé de gloire et de catastrophes, il n'est pas de ceux que l'on
puisse apprécier et moins encore juger par une formule. Les excès
en sont évidents, et surtout les provocations de guerre qui lui valurent
tant de haines et coûtèrent si cher au pays. Mais à l'intérieur
de frontières améliorées (Lille, Strasbourg, l'Alsace,
la Franche-Comté), le territoire de la France avait été
préservé de l'invasion étrangère et, malgré
les difficultés et les disparates, la nation française, par
la culture de l'élite, le rayonnement de ses œuvres, le prestige
de son travail, avait pris, parmi les autres d'Europe, qui la tenaient pour
grande et respectable, une place de premier ordre.
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