Carlier revoit la lumière
Donné perdu pour le football voilà quelques semaines, du moins à Strasbourg, Rudy Carlier a été propulsé sur le devant de la scène à la faveur du but victorieux inscrit contre Bastia. A l'issue de deux années de pérégrinations laborieuses, le Picard veut saisir cette chance inéspérée.
Le football recèle d'histoires tortueuses, où les héros d'un soir peuvent basculer d'un coup d'un seul dans l'anonymat, voire l'oubli. Avant d'entr'apercevoir à nouveau, un beau jour, la lumière. Sans que l'on sache vraiment si cette renaissance est due à l'abnégation ou au hasard. Un peu des deux, certainement, en ce qui concerne Rudy Carlier.
Ribéry, Nasri et... Carlier
Le longiligne attaquant n'a peut-être que 22 ans, il a déjà connu plusieurs vies dans l'impitoyable milieu du ballon rond. La première s'est jouée au centre de formation du Racing, où le Saint-Quentinois a posé ses valises en 2003.
A l'âge des possibles, Carlier gravit les marches qui mènent au haut niveau sans trébucher. Les portes de l'équipe fanion s'ouvrent à lui, à l'invitation de Jacky Duguépéroux. Le gamin tâte un peu à la Coupe d'Europe, y inscrit même un but, et connaît son heure de gloire au Vélodrome lors de l'ultime journée de Ligue 1.
Ce soir de mai 2005, il trouve les filets de Barthez, contribue au match nul certes anecdotique (2-2), puisque le Racing est déjà relégué, alors que « Ribéry et Nasri avaient marqué », comme il le rappelle sans une once d'hésitation. Carlier s'est frotté aux stars. Peut-être s'est-il laissé griser. Il pense tout du moins que sa carrière est lancée.
Parcours initiatique
Las, la déception n'en sera que plus cruelle. Arrivé aux commandes de l'équipe, Jean-Pierre Papin, en quête de valeurs sûres, ne compte nullement sur lui pour assurer l'opération remontée. Débute alors un long parcours cahoteux dont l'intéressé ne peut deviner le caractère initiatique.
Carlier découvre la France profonde, s'égare à Gueugnon, croit rebondir du côté de Clermont, échoue à Ferrol, dans les bas-fonds de la deuxième division espagnole. Deux années pleines s'écoulent sans que personne, à Strasbourg, ne se soucie vraiment de lui. Son contrat, pourtant, est encore estampillé Racing.
« La tête blindée »
Durant cette période d'exil forcé, le garçon est en proie au doute. Peut-être pour faire contre mauvaise fortune bon coeur, il se laisse tatouer à Gueugnon un « Carpe Diem » porteur d'espoirs sur son avant-bras gauche. Les effets positifs ne sont pas immédiats...
« Ça a été dur, mais je me suis dit que je ne lâcherai jamais, affirme-t-il. Je me suis accroché pour mes parents, ma copine, et les rares personnes qui ont toujours cru en moi. »
Parti en garçon insouciant, il dit avoir « beaucoup mûri » en deux ans. « Personne ne m'a fait de cadeaux, certains ont été méchants, non seulement avec moi mais aussi envers ma famille, poursuit-il dans un timide sourire. J'ai la tête blindée. »
Revenu à Strasbourg au début de l'été, Carlier ne s'attend pas à un accueil triomphal, de ceux que l'on réserve aux enfants prodigues. Il pense même ne pas avoir à rouvrir ses valises, son regard se portant déjà vers un nouveau point de chute.
« Le seul qui m'ait écouté »
Le premier échange avec Jean-Marc Furlan est pourtant jugé « super-positif. » L'entraîneur général ne lui claque pas la porte au nez. « Il a affirmé qu'il me considérerait comme tout autre joueur, ajoute celui qui a revêtu le N. 29. C'est le seul qui m'ait écouté et compris. »
Titularisé à la pointe de l'attaque lors du lever de rideau, en début de mois contre Montpellier (1-0), Carlier passe son tour à Dijon mais sait se montrer décisif, en joker surgi du banc, dans les arrêts de jeu aux dépens de Bastia. Un but qui marque, en quelque sorte, la rédemption de cette forte tête.
« Rage et revanche »
« J'ai éprouvé un sentiment de joie, mais aussi de rage et de revanche, savoure-t-il. Désormais, je ne veux plus m'épancher sur le passé. Seul l'avenir m'intéresse. » Rudy Carlier sait que les lendemains seront incertains, puisque la concurrence à son poste sera accrue avec l'arrivée attendue d'un attaquant expérimenté qui répond à son profil.
Au moins ces lendemains sont-ils possibles. Pas rien, pour quelqu'un qui revient de nulle part.
Séb.K., DNA, 20 août 2008
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