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Reportage Pays Basque Espagne

 

 

 

Article rédigé en mai 2001

Sara Daniel

 

 

 

 

 

 

 

 

Le pari perdu de José Maria Aznar

 

 

 

Malgré le terrorisme, le Parti nationaliste a remporté les élections. Et beaucoup de socialistes se demandent si leur alliance avec la droite n’est pas une erreur historique

 

Pourquoi les Basques ont dit non à Madrid

«Ils voulaient nous envoyer les chars. Déclarer l’état de siège et nous mettre sous tutelle. Mais nous avons finalement décidé de nous passer de Madrid!» Edurne, emmaillotée dans le drapeau basque comme dans sa dignité retrouvée, est venue fêter la victoire du Parti nationaliste dans le petit temple néoclassique de l’hôtel Carlton de Bilbao. Pour la première fois depuis la rupture de la trêve décidée par l’ETA, la jeune femme ose crier avec la foule des slogans pour l’indépendance du Pays basque. Elle n’a plus peur qu’on la prenne pour une terroriste: «Regardez les chiffres! Nous avons fait ravaler aux "espagnolistes" leurs leçons de démocratie…» Au Carlton, les jeunes avaient sorti leurs tee-shirts irrédentistes. Et derrière une colonne dorique, un policier de la Ertzainza, la police basque, venu savourer la victoire, donnait une petite leçon de psychologie indépendantiste: «C’est un peu comme un jeune qui veut quitter la maison. Si ses parents le laissent partir, il gardera de bons rapports avec eux. Autrement, ce sera la rupture…» Lorsque Edurne croise ses amis, elle tombe dans leurs bras en criant «33 !». C’est le nombre de sièges obtenu par le Parti nationaliste. Et puis, plus bas, mais avec le même enthousiasme, «7 !». 7 comme le nombre de sièges obtenus par Euskal Herritarrok, vitrine légale de l’ETA. 7 comme la déconfiture du parti des terroristes, qui a perdu la moitié de ses sièges et plus de 85 000 voix. 33 et 7. Grâce à ces chiffres, Edurne a retrouvé sa fierté de patriote basque.
Sur le perron du petit temple, un journaliste de «Cambio 16», Gorka Landaburu, fait les cent pas, fébrile. Il n’a toujours pas digéré les résultats. Comme la grande majorité des observateurs politiques, il s’attendait à une percée décisive des partis qui avaient passé un pacte contre le terrorisme: le Parti populaire de José Maria Aznar et le Parti socialiste. «Le Pays basque s’est exprimé avec clarté, dit-il. On peut être démocrate et nationaliste. L’erreur de Madrid? Avoir mis tout le monde dans le même sac: le Parti nationaliste basque et l’ETA, les terroristes et les nationalistes. Les électeurs basques viennent de refuser cette confusion.»
Ah, l’arrogance de Madrid! Même les plus «constitutionnalistes» des Basques ont été choqués par le manque de délicatesse des hommes d’Aznar. «Je ne suis pas nationaliste, dit d’emblée Iñaki, mais ils ont cherché à criminaliser la moitié de la population basque. Lorsqu’on parle notre langue, on est déjà coupables à leurs yeux.» Cela fait longtemps que les Basques mettent en cause les méthodes musclées du juge Baltasar Garzon, qui interpelle à tour de bras les nationalistes soupçonnés d’apporter leur soutien à l’ETA, et les relâche faute de preuves. Les Basques ont aussi dénoncé l’interdiction, à la veille des élections, de l’organisation de la jeunesse d’Euskal Herritarrok: Haika. Une interdiction perçue comme une manœuvre électorale par l’ensemble de la population.
Les nationalistes ont la jubilation électorale revancharde: «Dehors, Don Tranquilo, tu peux remballer tes affaires!» Jaime Major Oreja, ancien ministre de l’Intérieur, surnommé «Don Tranquilo», est le grand perdant de ces élections. Parachuté de Madrid comme un général dans un territoire occupé pour sauver le Pays basque des griffes des terroristes, l’homme d’Aznar a échoué. Et pourtant beaucoup pensaient que ce Basque de San Sebastian serait le premier chef du gouvernement autonome non nationaliste depuis la mort de Franco.
Les socialistes, eux, ont fait les frais de l’accord contre nature passé avec la droite espagnole. Au début de la campagne électorale, Felipe Gonzalez a exhorté ses amis du Pays basque à renouer des liens avec les nationalistes modérés, leurs alliés traditionnels. Aujourd’hui, beaucoup d’entre eux regrettent de ne pas l’avoir écouté. Teo Uriarte, conseiller du candidat socialiste à la présidence basque, explique pourquoi cette alliance-là était impossible: «Notre vocation est d’être un pont entre le nationalisme modéré et la droite constitutionnelle, c’est vrai. Mais nous avons vu trop de nos hommes politiques assassinés. Et l’indifférence du PNV a été totale. Eux, ils ne sont jamais menacés, accuse Uriarte. Comment l’expliquez-vous?» Uriarte n’a toujours pas pardonné aux nationalistes démocrates l’accord qu’ils ont passé avec la vitrine politique de l’organisation terroriste. Ex-membre de l’ETA, Uriarte a été condamné à mort à Burgos pour avoir commandité l’assassinat de Meliton Manzanas, symbole de la répression franquiste. Trente ans plus tard, c’est l’ETA qui veut sa mort. Il y a quelques jours, il avait rendez-vous dans un café de Bilbao avec un journaliste du «País» et un autre conseiller socialiste. La table voisine était occupée par leurs six gardes du corps «Ici, pour nous, c’est Beyrouth », explique Uriarte. Résigné, il ajoute: «Le droit de vivre libre? Ce sera pour une prochaine fois…»
Rassemblés dans un autre café de Bilbao, des étudiants, membres de l’organisation pacifiste Gesto por la Paz, discutent politique: ils pensent, eux, que le résultat des élections n’aura aucune incidence sur le nombre des attentats. «Même si le PNV réussit à organiser un référendum pour l’indépendance, la question de la réunification de la partie française du Pays basque restera en suspens…», affirme Rafael, étudiant en médecine. Chacun voudrait partir ailleurs, en Europe. Certains vivent déjà à Madrid, «pour échapper à la pesanteur de la vie à Bilbao». Et à la menace de l’ETA, qui, élections ou pas, continue à planer sur leur destin.

 

SARA DANIEL

 

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