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Reportage Afghanistan

 

 

 

Article rédigé en octobre 2001 01/11/2001

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mazar-e-Charif et Taloqan ne sont toujours pas tombées

 

 

 

Pour les chefs de l’Alliance anti-talibans qui tiennent le nord du pays, les bombardements de l’aviation américaine sont trop limités. Ils brûlent d’en découdre

 

Frappez plus fort!

Depuis le poste d’observation qui domine la ligne de front de Dasht-e-qual’eh, au bord de la frontière tadjike, les hommes du général Jonali regardent en riant exploser les premières bombes américaines. Ça y est! Les chasseurs-bombardiers sont enfin là, à trois kilomètres à peine de leurs positions. Pour fêter l’intervention tant attendue de leurs alliés, les moudjahidin du Front national islamique pour le Salut de l’Afghanistan, plus connu sous le nom d’Alliance du Nord, pilonnent les talibans postés sur la colline à deux kilomètres. Cela fait deux semaines que le commandant Fahim, le compagnon de lutte de Massoud, qu’il a remplacé à la tête de l’opposition armée, leur a demandé d’être prêts à l’offensive. Il y a quelques jours à peine, il est venu réchauffer leur enthousiasme. Comme s’ils en avaient besoin… Prêts à en découdre, ils le sont depuis ce jour sombre d’octobre 2000 où Taloqan est tombée aux mains de leurs ennemis. Ils brûlent de reprendre cette ville de la grande plaine du nord de l’Afghanistan, passage obligé vers les minarets bleus de Mazar-e-Sharif. Sur ce front, beaucoup de soldats viennent de cette ville, la deuxième du pays et le fief industrieux de Rachid Dostom avant que les talibans ne la ravagent. Alors, pour saluer le grondement des avions qui résonne comme une promesse de reconquête, les soldats font crépiter leur radio et échangent des messages de félicitation. Drapé dans une couverture pour se protéger du vent glacé qui souffle depuis quelques jours sur la province de Takhar, le général Jonali, un Ouzbek de 38 ans, regarde d’un air sombre la vallée qui s’étend au delà de la Kokcha, la rivière qui délimite la ligne de front. C’est peu de dire qu’il ne partage pas l’enthousiasme de ses hommes. «Ils n’ont rien compris. Il n’y a franchement pas de quoi se réjouir, dit-il en montrant Katakala, un no man’s land entre les deux lignes de front, où viennent d’exploser deux bombes américaines. A quoi sert de bombarder un bout de plaine désertique? Si c’est ce que les Américains ont prévus pour nous aider, ce n’est pas très encourageant pour la suite». En fait, un peu plus tard, les bombes vont atteindre leur cible, faisant, selon les porte-parole de l’Alliance, plusieurs morts dans les rangs talibans. Mais la rancœur de Jonali contre ces alliés qui distillent leur bombes avec parcimonie l’empêche de se réjouir trop vite. A Kwaja Bawahudin , le QG de l’Alliance, on a donné pour consigne de ne pas discuter la stratégie des Américains. Mais peut-être parce qu’il est ouzbek et qu’il est un ami de Dostom, Jonali s’exprime plus librement que les commandants tadjiks. Pour lui, les Américains se fourvoient: «Ils ont envoyé Abdoul Haq à Loga: regardez le résultat! Il a été tué et les Etats-Unis ont perdu la face. Ils feraient bien mieux d’appuyer Rachid Dostom, le général le plus charismatique de l’Alliance à ce jour!» A quelques kilomètres de là, le général Taj Mohamad, un Tadjik du Panshir, comme Massoud, fait manœuvrer son unité le long de l’Amou Daria, la rivière qui marque la frontière avec le Tadjikistan. Quand on lui parle de Dostom, il ne peut s’empêcher de regarder ses officiers en riant. Il ne croit pas à la fidélité de cet homme qui a changé tant de fois de camp. «Pour l’instant, sourit Taj Mohamad, il obéit aux consignes de l’Alliance, mais son attitude passée laisse mal présager de la suite.» Sans compter que Dostom n’a pas toujours eu de bons rapports avec Ismaïl Khan, «l’émir» de l’ouest de l’Afghanistan, troisième homme fort de l’Alliance. En 1993, l’Ouzbek avait même menacé de bombarder Hérat, le fief de Khan, et Ismaïl Khan avait riposté en tirant quelques obus au nord de Mazar-e-Charif.Ces rudes vicissitudes de la vie politique afghane expliquent la réticence de Washington à soutenir les combattants tadjiks. Mais pour le général Taj Mohamad, les choses sont simples: tandis que les Etats-Unis invoquent les divisions et les trahisons au sein de l’Alliance du Nord pour mégoter leur appui aux hommes de feu Massoud, les talibans, eux, bénéficient du soutien indéfectible de leurs alliés. Il y a quelques jours, un Pendjabi capturé au cours d’une incursion dans les lignes ennemies a décrit au général l’arrivée des milices composées de Pakistanais, d’Ouzbeks, de Tchétchènes et d’Arabes venus renforcer le front taliban. Ce récit est confirmé par les dizaines de marchands qui traversent chaque nuit les lignes de front pour vendre leur pacotille de contrebande. Sur le marché de Kwaja Bahudin, où s’étalent les bottes de caoutchouc et quelques sacs de riz d’une économie de famine, Hassan Udina un marchand de 22 ans qui en paraît 50, raconte son périple. Il est venu de Taloqan sur un âne avec une dizaine d’autres marchands. Pour se faire quelques afghanis, il a risqué sa vie en traversant les lignes de front la nuit. Il décrit une ville désertée par la majorité des talibans, désormais concentrés le long de la ligne de front. Et puis les «Arabes» qui arrivent de partout. Tarar Nazar, un vendeur de savon, redoute surtout les Ouzbeks du Mouvement islamique d’Ouzbékistan (IMU). Ici, lorsqu’on évoque la figure de son leader, les visages deviennent graves. Car aujourd’hui Takhir Yoldachev, qui a pris le nom de son fief dans la vallée de la Fergana, Namangani, est beaucoup plus qu’un chef de milice islamiste venu apporter son soutien aux talibans. Chef des renseignements de l’Alliance pour la zone du nord-est, le général Andarabi Daoud sort une carte plastifiée dissimulée par une cou-verture pour montrer les positions du nouvel homme à abattre: «Selon nos informations, Namangani, qui disposait déjà de 1 500 hommes sur le front nord, est aujourd’hui devenu le bras droit de Ben Laden. En Afghanistan, il commande aujourd’hui plus de 8 000 hommes approvisionnés en armes par le Pakistan. Ces armes arrivent dissimulées sous les sacs de riz des camions d’aide humanitaire». A entendre le général Daoud, ce n’est peut-être pas seulement pour remercier le président ouzbek Islam Karimov de sa contribution à l’opération «Liberté immuable» que George Bush a fait figurer l’IMU sur la liste des vingt-sept organisations terroristes à démanteler avec Al Qaida. Namangani semble bien être aujourd’hui l’une des cibles prioritaires des Etats-Unis. Il est aussi la hantise du chef de l’Etat ouzbek depuis ce jour de 1991 où il a pris Karimov en otage dans son fief de Namangan, au cœur de la vallée de la Fergana, et l’a obligé à jurer sur le Coran qu’il installerait un régime islamiste en Ouzbekistan. Depuis, Karimov n’hésite pas à faire torturer les islamistes dans ses prisons, quelle que soit leur obédience, et à leur livrer une guerre totale que tout le monde juge contre-productive. Mais il n’a jamais réussi à capturer Namangani. Ici, les commandants de l’Alliance du Nord ne cessent de se raconter les derniers actes de cruauté du chef de guerre islamiste. On apprend ainsi qu’il aurait fait fusiller quinze de ses hommes qui avaient osé lui demander une permission au bout d’un an de combats pour aller rendre visite à leur famille. Aujourd’hui, le général Daoud se montre moins amer que les autres généraux sur l’implication des Américains dans la guerre. Il vient d’apprendre que, pour la première fois, les bombes auraient réussi à atteindre leurs objectifs dans le district de Khwaja Ghar au nord de Kunduz, là où le terroriste ouzbek a établi son quartier général. Mais il en faudrait manifestement davantage pour le satisfaire. «Les Américains, dit-il, doivent faire davantage et agir plus vite dans le nord du pays. Sinon Namangani sera bientôt le nouveau Ben Laden de l’Asie centrale…»


 Sara Daniel

 

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