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Reportage Afghanistan

 

Article rédigé fin novembre 2001

 

 

 

 

Sara Daniel

 

 

 

 

De Massoud à Ben Laden… pour 150 dollars

 

 

 

Un soir d’octobre, il a vu Ben Laden arriver avec ses 120 gardes au camp de Beni Sar, près de Kaboul. Le lendemain, le camp était bombardé par l’aviation américaine. Mais Ben Laden était déjà reparti...

 

«Moi, Arif, membre d’Al-Qaida…»

De notre envoyée spéciale Sara Daniel Le mois dernier, Ben Laden a passé la nuit ici. En plein air, sur ce petit terre-plein qui domine les collines caillouteuses de Beni Sar. Là-haut, le poste d’observation est exceptionnel. Au nord, on a une vue plongeante sur les faubourgs de Kaboul et le mausolée d’Abel Raman Khan. Au sud, on domine la route de Gardez, stratégique puisque le ralliement des Pachtounes de la ville à Zaher Shah à sonné la retraite des Arabes de la colline. Ce n’est pas un hasard si l’état-major d’Al-Qaida a choisi d’établir son camp d’entraînement sur ce promontoire, qui devait aussi servir aux talibans de deuxième ligne de front pour protéger Kaboul. C’était aux alentours du 15 octobre. Arif, un Pachtoune de 23ans au sourire doux, qui déclare appartenir encore aujourd’hui à Al-Qaida, ne se souvient plus exactement de la date. Ce jour-là, le mollah Abdulaziz, qui commande le camp de Beni Sar, a donné l’ordre aux 750 Arabes et aux 15 Afghans qui se battaient là de boucler les collines à cinq kilomètres à la ronde. Abdulaziz, c’est l’un des bras droits du munafaqueen, le mollah Omar, alors personne ne discute ses ordres. Ce soir-là, à 8 heures, Arif était à son poste lorsqu’il a vu les voitures tout-terrain aux vitres teintées prendre d’assaut la colline, les 120 gardes du corps de Ben Laden sortir des voitures et se déployer en trois arcs de cercle. «Des Arabes, il en venait tout le temps de l’étranger, du Liban, du Qatar, de l’Arabie Saoudite. Alors nous ne nous sommes pas douté qu’il s’agissait de lui», soupire le jeune homme, déçu d’avoir raté son héros. Ben Laden avait annoncé à Abdulaziz qu’il partirait le lendemain à 8heures. Sans prévenir personne, il a changé ses plans et pris la route à 5heures, juste après la prière. Quelques minutes avant 8 heures, les sirènes du camp se sont déclenchées et un avion américain a lâché une bombe à quelques mètres seulement de l’endroit où Ben Laden avait passé la nuit. C’est comme cela qu’Arif a su que Ben Laden était venu.Aujourd’hui, Arif a accepté de guider quelques visiteurs dans ce camp où il a passé deux mois. Pour que les villageois ne le reconnaissent pas, il a chaussé des lunettes noires et dissimulé son visage derrière un keffieh. La colline est jonchée de boîtes de munitions intactes made in China. Des obus non explosés gisent sur le sol. Les soldats de l’Alliance qui gardent le camp n’ont pas encore eu le temps de faire le ménage après le départ précipité des hommes d’Al-Qaida. Au bas de la colline, une bombe américaine a frappé le «bureau» d’Abdulaziz, une maison que le chef taliban avait confisqué à une habitante de Beni Sar. Torpikaï, la propriétaire de la bâtisse, exige aujourd’hui que les Américains réparent sa maison éventrée par la bombe…Arif a été élevé dans la vénération de Massoud. Son père était un proche de Fahim, le second du «Lion du Panshir». Il est mort au combat. «Dès qu’il a disparu, les moudjahidine nous ont laissés mourir de faim», déplore l’étudiant. C’est le mollah Abdulaziz lui-même qui a recruté Arif à Kandahar: «L’université avait fermé et l’organisation caritative pour laquelle je travaillais ne pouvait plus me payer. Alors j’ai sauté le pas.» Arif est donc passé du culte de Massoud à celui de Ben Laden pour un salaire mensuel de 10000 roupies pakistanaises (150dollars) et deux jours de vacances toutes les trois semaines: la belle vie. De 8 heures à midi, la nouvelle recrue apprenait le maniement des armes. L’après-midi, c’était l’éducation religieuse. Et Arif évoque avec gourmandise les délices d’importation qu’on lui servait au camp de Beni Sar, «la soupe Campbell, les petits gâteaux, la confiture…». A l’écouter, les moudjahidine, corrompus et vénaux, étaient devenus de mauvais musulmans au fil des années tandis que Ben Laden, lui, renouait avec l’âge d’or de l’islam: «Il nous a appris à tuer les infidèles. A promouvoir coûte que coûte l’islam. A devenir des martyrs.» Dans le creux de sa main, le jeune taliban montre une minuscule balle, la munition d’un pistolet-stylo dont il se servira s’il est pris, pour ne pas livrer ses amis étrangers. Arif, le jeune étudiant en architecture converti en mercenaire du djihad serait-il prêt à rejoindre les membres d’Al-Qaida qui continuent à combattre à Kandahar? «Bien sûr, à Kandahar ou ailleurs, au nom d’Allah et pour l’argent de Ben Laden, je suis prêt à me battre…»

Sara Daniel

 

 

 

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