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Reportage Afghanistan 7

Sara Daniel

Article rédigé fin aout 2002

 

On ne peut plus guère en douter: de nombreux talibans sont morts asphyxiés dans des conteneurs, après s’être rendus aux alliés afghans des Américains. Qui répondra de ces crimes?

 

 

Dans son bureau du ministère de la Défense, le respecté général Ategullah Bariyaly, qui commandait les lignes de front du Nord-Est à l’époque des faits, ne semble pas indigné: «Ce que je sais, c’est que des talibans sont morts là-bas. Ont-ils été tués délibérément? Je ne peux pas répondre à cette question. En Afghanistan, il y a eu beaucoup d’incidents de ce genre.» Un «incident», la mort de centaines de prisonniers talibans enfermés dans des conteneurs en novembre 2001, alors que les troupes de l’Alliance du Nord les conduisaient à la prison de Sheberghan, à l’ouest de Mazar-e Charif? Ou un crime? En 1997, Malik, second du général Dostom, qui a fini par le trahir, s’était livré à un abominable nettoyage ethnique en utilisant les conteneurs comme instrument de mort. Près de 2 000 talibans avaient été enterrés dans une vingtaine de charniers dans le désert de Dasht-e-Leili… Lorsque les talibans reprirent Mazar-e Charif, ils exhumèrent les corps des leurs pour les enterrer à Kandahar. Et se vengèrent. Bientôt à Dasht-e-Leili, les cadavres des Ouzbeks et des Hazaras vinrent remplacer ceux des talibans…
Rien de nouveau sous le soleil afghan, donc: des hommes qui suffoquent dans des conteneurs et qui lèchent leur sueur pour retarder l’heure de la mort. Des fosses communes où s’entassent par strates les victimes des règlements de comptes ethniques. Oui, mais cette fois les auteurs soupçonnés d’avoir commis ces crimes de guerre sont les alliés des Etats-Unis. A l’heure des bilans et de la commémoration du 11 septembre, on s’interroge. Les Américains pouvaient-ils complètement ignorer ce qui se passait à Dasht-e-Leili? Les Etats-Unis devront-ils répondre des crimes de leurs alliés? Enfin, était-il légitime de s’associer avec des chefs de guerre sanguinaires comme Rachid Dostom pour économiser la vie de soldats américains? Questions embarrassantes qui viennent à nouveau d’être soulevées par le récit des journalistes de «Newsweek».
Oui, les Etats-Unis savaient que leurs alliés étaient susceptibles de se livrer à ce genre d’exactions, répond sans hésitation un fonctionnaire international qui veut rester anonyme tant le sujet est sensible. «Je les avais prévenus que des massacres risquaient de se produire après la reddition de Kunduz». «Nous sommes au courant et faisons tout ce que nous pouvons pour prévenir ces représailles», avait été la réponse du secrétaire à la défense Donald Rumsfeld.
Babak Dehghanpisheh, correspondant de «Newsweek» à Kaboul, qui a enquêté sur les massacres, affirme qu’on savait tout du charnier de Dasht-e-Leili depuis plusieurs mois.
Dès le 9 décembre, le «New York Times» raconte l’affaire, évoquant des dizaines de talibans asphyxiés. En janvier, deux enquêteurs de Physicians for Human Rights, une ONG basée à Boston, se rendent à Sheberghan. Horrifiés, ils entendent les prisonniers talibans raconter leur voyage dans les «conteneurs de la mort». William Haglund, un légiste de l’ONG, découvre des corps en décomposition dans une fosse dans le désert voisin de Dasht-e-Leili. Aucune blessure. Ils semblent avoir été asphyxiés: les autopsies confirment les récits des prisonniers. Une mission des Nations unies examine le site. La presse se fait l’écho de ces découvertes. «Dans un documentaire, Jamie Doran [ex-journaliste de la BBC devenu réalisateur indépendant] est le premier à accuser les soldats américains de s’être rendus coupables de crimes de guerre. Le documentaire a été un peu discrédité lorsqu’on a su qu’il avait été financé par le Parti communiste allemand…», raconte le correspondant de «Newsweek».
En mai, l’ONU rend public un rapport d’une page qui décrit d’une manière sèche les conclusions des légistes. Le texte est repris par la presse, sans plus. Alors, pourquoi le magazine américain a-t-il choisi de revenir sur cette histoire déjà connue? Pour Babak Dehghanpisheh, c’est l’indignation de William Haglund et de plusieurs autres humanitaires, lorsqu’ils ont constaté le peu d’empressement des Nations unies à protéger le charnier, qui a relancé le sujet. «Ce que nous demandions alors, c’était la protection du site. Certainement pas une enquête qui effraierait tout le monde et pourrait relancer la guerre», dit-il. Car la justice internationale est la phobie de bon nombre de chefs de guerre afghans. «La plupart des Afghans aimeraient être débarrassés des chefs de guerre, explique Barnett Rubin, un des meilleurs spécialistes de l’Afghanistan, mais le danger serait d’effrayer ces commandants avant qu’un gouvernement ait le pouvoir de les contrôler. Cela pourrait aller jusqu’à provoquer un nouveau conflit.» Aujourd’hui, si une enquête était diligentée sur le charnier de Dasht-e-Leili, elle conduirait sans doute à l’inculpation du général Dostom, entre autres «Dans le contexte actuel, cela semble très difficile», confie un diplomate de Kaboul. La semaine dernière, à 20 kilomètres à l’est de Mazar, les combats ont repris entre Rachid Dostom et Mohammed Atta, l’autre chef de guerre de Mazar-e Charif et homonyme du terroriste d’Al-Qaida: une vingtaine de morts. «Un petit malentendu», selon le ministère de la Défense. Et puis, qui oserait arrêter le redoutable chef ouzbek? «Mohammed Atta serait sûrement volontaire, continue le diplomate, mais je ne suis pas vraiment sûr qu’il ait commis moins de crimes que le seigneur de Mazar…»

Sara Daniel

 

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