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Portrait  d’Oussama Ben Laden (rédigé en avril 2001)

 

Sara Daniel

 

Pour les Américains, c’est le nouvel ennemi public n°1. Qui est ce milliardaire, lié au régime afghan, dont l’ombre se dessine derrière les attentats les plus meurtriers des dernières années?

 

Le «superviseur» du djihad

Pour les Américains, le diable a pris l’apparence trompeuse d’un grand bédouin sec au regard doux et aux mœurs ascétiques. Un escogriffe sunnite à la barbe poivre et sel, qui a longtemps convoqué les médias occidentaux dans son refuge afghan pour susurrer en direct ses fatwas contre les Etats-Unis. «Je recommande le meurtre, partout où cela est possible, de tous les Américains, civils ou militaires, et de leurs alliés.» L’appel d’Oussama Ben Laden sera entendu. Au fil des ans, il deviendra le principal suspect dans une dizaine d’attentats. Mais sa plus belle «bataille», Ben Laden l’a livrée le 7 août 1998. Ce jour-là, les explosions qui détruisent les ambassades des Etats-Unis au Kenya et en Tanzanie font 224 morts. Depuis, l’ombre de celui que ses lieutenants ont baptisé le «superviseur» obsède les services secrets de la planète.
On croit l’apercevoir en Tchétchénie ou au Kosovo, en Malaisie et en Suisse, galvanisant les fanatiques d’Allah où qu’ils soient. L’Egypte voit son ombre se profiler derrière le groupe d’extrémistes qui a assassiné Sadate. Le Yémen le devine derrière l’arrivée massive des Afghans arabes sur son territoire. L’Algérie pense que les GIA s’entraînent dans ses camps. Les Philippines croient qu’il finance le groupe Abou Sayyaf, auquel appartenaient les ravisseurs de Jolo… La CIA a mis sa tête à prix: 5 millions de dollars. C’est peu, si on considère que les Américains, qui adorent classer leurs idoles et leurs ennemis, ont mis cet homme en tête de tous leurs palmarès: Le FBI l’a classé dans les 10 personnes les plus dangereuses de la planète, tandis que les magazines «Forbes» et «Fortune» ont répertorié sa famille parmi les plus riches du monde.
C’est d’ailleurs à l’aune de sa fortune qu’on évalue sa capacité de nuisance. Car pour financer le djihad, le «Che Guevara des fondamentalistes » n’hésite pas à puiser dans sa cassette personnelle, estimée à 300 millions de dollars. Sa richesse garantit aussi sa liberté. «Grâce à sa fortune, Ben Laden opère sans le soutien d’aucun Etat, et son indépendance en fait une cible extrêmement difficile pour les services secrets», invoque la CIA dans un rapport pour justifier son inca-pacité à mettre la main sur l’ennemi public numéro un des Américains.
Reste alors la solution diplomatique. Depuis longtemps, les Etats-Unis ont engagé des tractations avec les talibans pour que ceux-ci leur livrent le milliardaire qui a trouvé refuge dans leurs montagnes. La CIA pense qu’il se cache encore près de Djalalabad, dans les boyaux souterrains qui ont abrité la guérilla des moudjahidine contre l’armée soviétique. Au prix de cette reddition, les Américains envisageraient de reconnaître le régime des talibans. Ceux-ci, pour asseoir leur pouvoir et voir lever les sanctions des Nations unies, sont prêts à certaines concessions. De là à livrer leur compagnon de lutte… Le geste serait inconcevable dans la tradition pachtoune. Il pourrait signer l’arrêt de mort du régime. Parfois, les lois de la géopolitique et de l’hospitalité ne font pas bon ménage.
Qui est le mécène du djihad mondial? Ben Laden est né à Riyad en 1957. Son père, un immigré yéménite, a fondé une entreprise de travaux publics, la Binladen Brothers for Contracting and Industry, et amassé une fortune colossale. Après avoir suivi des cours de management à l’université de Djedda, Oussama intègre l’entreprise familiale. Il a 22 ans lorsque les Soviétiques envahissent l’Afghanistan. Il part aussitôt rejoindre la résistance qui s’organise depuis le Pakistan, appuyée par la CIA. Là-bas, on le surnomme «l’entrepreneur»: il construit des routes, des hôpitaux… et des camps d’entraînement. Il faudra attendre février 1989 pour voir l’URSS retirer ses troupes. Seuls les missiles sol-air Stinger de la CIA ont permis de remporter la bataille. Mais pour Ben Laden l’Afghanistan n’est qu’un combat parmi d’autres.
Aujourd’hui, deux procès qui se déroulent aux Etats-Unis permettent de mieux cerner la réalité de la nébuleuse Ben Laden. A New York, on juge quatre des complices de «l’entrepreneur», impliqués dans les attentats de Nairobi et de Dar es Salaam. L’acte d’accusation intitulé «les Etats-Unis d’Amérique contre Oussama Ben Laden» résume des années d’enquêtes menées par la CIA et le FBI. On y apprend que l’organisation du milliardaire, al Qaeda (la base), dispose d’environ 5000 hommes, d’une douzaine de camps d’entraînement en Afghanistan et de ramifications dans une cinquantaine de pays. Al Qaeda est dirigée par une choura (comité) et divisée en plusieurs sous-comités: affaires militaires, fatwas, médias et déplacements (ce dernier s’occupe de procurer des faux passeports et des billets d’avion aux combattants). D’autre part, des «repentis» de l’organisation, qui ont témoigné au procès, ont évoqué des livraisons de kalachnikovs à bord d’avions privés, des transports de missiles Stinger et une tentative d’achat d’uranium dont on ignore si elle a été concluante.
De l’autre côté du pays, à Los Angeles, Ahmed Ressam, un Algérien, qui s’apprêtait à commettre un attentat à Seattle pour les fêtes de l’an 2000, est jugé pour avoir préparé ce qui aurait été, selon le ministère public, «la plus grande attaque terroriste venant de l’extérieur contre les Etats-Unis depuis l’attentat de 1993 contre le World Trade Center». L’Algérien faisait partie d’une «cellule terroriste en sommeil» dirigée par Ben Laden.
Le banquier de la «guerre sainte» est-il aussi responsable de l’attentat contre le destroyer américain USS Cole qui a eu lieu en octobre au Yemen et a causé 17 morts? Le mois dernier, alors qu’il mariait son fils dans le sud de l’Afghanistan, Ben Laden conspuait publiquement l’arrogance américaine dans un «poème» qui pouvait fort bien passer pour une revendication. «Un destroyer qui inspire l’horreur est allé à sa perte», chantait le milliardaire, devant des centaines d’activistes en armes. Une provocation sans doute encouragée par les talibans. Comme le statut des femmes dans leur pays, ou les bouddhas de Bamiyan, Oussama Ben Laden, le milliardaire apatride, est devenu aujourd’hui un des moyens de pression – sans doute le plus redoutable – dont disposent les fanatiques afghans vis-à-vis de la communauté internationale.

 

SARA DANIEL

 

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