Parution janvier 1998
Le Caire, Sara Daniel.
MYRAL EL TAHHAOUI
La recluse d’El-Hesaniya
Ses longs cheveux noirs encadrent son visage de madone résignée. Pendant sept ans, elle a fait partie du mouvement étudiant des Gama’a islamiya, le mouvement islamiste radical égyptien. Elle en est sorti, jetant le voile. Myral El Tahhaoui sait les risques qu’elle prend en racontant son expérience. Ce jeune écrivain de 28 ans, qui sussure d’une voix minuscule ses hésitations et ses revirements, n’a rien d’une femme libérée. Effrayée des conséquences que pourrait entraîner la publication de " l’Aubergine bleue ", le roman de Myral, sa famille resserre l’étau. Pour voir l’écrivain qui dispense d’ordinaire des cours de littérature à l’université du Caire, il faut désormais se rendre dans le petit village de El Hesaniya, dans le gouvernorat de Charkeïya, à cinq heures de route au nord du Caire. Dans la grande demeure aux colonnades blanches, elle vit recluse. Et accepte avec patience la vigilance appuyée de son frère cadet qui corrige chacune de ses phrases. Dans une autre pièce se déroulent les préparatifs du mariage bédouin de son frère qui durera près d’une semaine. C’est la description de ces rites bédouins qui ont fait connaître la romancière quand elle a publié son premier roman : " le Palanquin ". Calée dans l’immense fauteuil crème de son père, la jeune femme chuchote ses explications comme si elle avait peur de se faire remarquer. " Il faut que vous compreniez qu’a cette époque, mettre le voile, comme porter la barbe pour les hommes, c’était un geste de révolte contre la société. Mon voile n’était pas un voile de pudeur ou de morale mais de défi " explique Myral. Pour une fois la jeune fille pouvait donner des leçons de décence à sa mère. Désobéir à son père, un libéral laïque qui voyait d’un mauvais œil son fanatisme. Réprimander ses frères qui se faisaient rares à la mosquée. En somme, c’est en se décrétant plus traditionaliste que les plus rétrogrades de son entourage qu’elle soulevait un peu la chape de plomb familiale. Surtout dans un milieu où les rites bédouins viennent se surajouter aux codes de l’islam. Myral qui protége sa pudeur en préférant évoquer le parcours de son héroïne " l’aubergine " (surnom qui lui vient de sa couleur lorsqu’elle est sortie du ventre de sa mère) raconte : " Le père de l’aubergine était soi disant concerné par la corruption et l’aggravation des inégalités sociales. Mais il appartenait au Waft. Tous ces partis miment la démocratie sur une scène de théâtre surveillée par le pouvoir. C’est une mascarade. Pourquoi ce père l’a t’il délaissé pour aller scander des slogans stupides ? " Vers 17 ans à l’université de Zagazig, la jeune femme se met à militer dans les rangs des Gama’a islamiya contre l’oppression, la corruption et le colonialisme. Elle écrit des discours " d’une grande violence " se souvient-elle. Et puis, au bout de sept ans " je me suis réveillée en lisant une thèse sur les mérites de la femme voilée. Cela n’avait rien avoir avec mes idéaux. " Elle découvre l’opportunisme d’une mouvance qui veut arriver au pouvoir. " La manière dont les imams sollicitent le Coran pour priver la femme de ses droits par démagogie ". Mais surtout Myral se demande qui peut décréter que la porte de l’interprétation du Coran est à tout jamais fermée et que quiconque tente de la rouvrir sera déclaré apostat. Dans la prise de conscience de la jeune femme, l’affaire Abu Zeyd est une étape décisive. Et pourtant elle ne renie pas son engagement : " L’islamisme, c’était une étape nécessaire dans le développement du monde arabe. La réaction d’une grande nation opprimée et déçue. Je n’ai pas eu de chance d’avoir à vivre à cette époque, c’est tout. J’ai gaché huit ans de ma vie. Maintenant je voudrais fuir les engagements. vivre. Et écrire. " Dans le roman de Myral, il y a deux jeunes filles : une gauchiste, délurée et schizophrène et l’aubergine voilée qui comble le vide de sa vie par la religion. " Ce sont les deux faces de ma génération " explique Myral. L’aubergine se termine sur un constat d’échec. Celui de la solution libérale du père et les égarements de ses enfants, islamistes ou gauchistes : " Tous les courants sont paralysés conclut Myral el Tahhaoui mais ce n’est pas moi qui ait choisi cette fin ".
Sara Daniel
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