Depuis la fin du siège
de Fallouja, le 29 avril, et le retrait de l’armée américaine,
remplacée par la «nouvelle» armée irakienne,
cette ville de l’incontrôlable triangle sunnite est devenue
le quartier général de la lutte contre l’«envahisseur
américain». C’est ici que sont imaginés, organisés,
coordonnés enlèvements et attentats. Ici que sont
détenus certains des otages. Ici que plusieurs d’entre
eux ont été égorgés. C’est aussi à
Fallouja et dans ses environs que sont préparées
les opérations suicides qui sèment la mort, la terreur
et la destruction dans les villes irakiennes. Cet «émirat
wahhabite», bastion du djihad irakien, a un maître,
Abou Rachid, l’un des responsables du mouvement Unification et
Guerre sainte. Cet homme, qui revendique la décapitation
de plusieurs otages, a reçu notre envoyée spéciale,
Sara Daniel
"Je suis responsable
de la décapitation de l’agent américain Nicolas
Berg, du Coréen Kim Sun-il et des Irakiens espions à
la solde de l’ennemi américain.» L’homme qui se tient
face à moi dans sa dishdasha blanche a 30 ans, une courte
barbe noire et l’air fermé. Devant ma consternation à
l’évocation de ces faits d’armes, Abou Rachid se met à
rire: «Regardez deux fois de suite le disque de la décapitation
de Berg que je vous ai donné et vous verrez, vous allez
vous habituer», conseille–t-il, avant de me proposer d’assister
à la prochaine...
Mon interprète et moi sommes à Fallouja, premier
territoire «libéré» d’Irak, où
les soldats américains n’entrent plus. Ici, une récente
fatwa autorise les habitants à tuer les journalistes étrangers
sans autre forme de procès. Dans le faubourg al-Jolan,
présenté comme le quartier général
de ces «combattants étrangers» – les Arabes
non-irakiens venus participer à la lutte contre les Américains
– qui mettraient aujourd’hui l’Irak à feu et à sang.
Il est 5 heures du soir et, dans le petit salon de réception
de cette maison épargnée par les bombardements américains
qui ont repris depuis quelques jours, une quinzaine de chefs de
la tendance la plus dure des moudjahidin écoutent avec
respect leur chef revendiquer devant une étrangère
les exécutions qui ont traumatisé le monde entier.
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Des contacts noués depuis le siège de Fallouja en
avril m’avaient laissé entrevoir cette rencontre avec Abou
Rachid (1), le chef de l’assemblée des moudjahidin locaux.
La traversée de la ville dit assez le pouvoir de l’émir
qui va nous recevoir chez lui. Il nous a suffi d’être accompagnés
par un de ses lieutenants pour que les combattants et les militaires
des barrages qui quadrillent tous les quartiers baissent les yeux
sans poser de question en saluant respectueusement celui qui représente
l’homme fort du nouvel «émirat wahhabite» d’Irak.
Mais Abou Rachid est beaucoup plus que le premier des moudjahidin
d’une ville dont le nom glace le sang des Américains. Devant
les chefs de guerre de Fallouja, celui que ses hommes ont surnommé
«l’homme d’acier» se présente clairement comme
un des émirs de Tawid wal Djihad (Unification et Guerre
sainte), le mouvement que les Américains lient à
Abou Moussab al-Zarkaoui et à la nébuleuse Al-Qaida...
Pendant qu’Abou Rachid explique son «devoir de tuer»,
on se remémore les cris de bête de Nick Berg, l’otage
américain, qui agonise pendant que ses bourreaux s’acharnent
laborieusement sur son corps recroquevillé: «Vous
savez, quand nous décapitons, nous y prenons plaisir»,
tient à nous faire savoir en anglais l’un des hommes assis
à la droite de l’émir. Un murmure de désapprobation.
L’atmosphère est glacée. Abou Rachid lui pose la
main sur l’épaule et lui ordonne de se taire. Il préfère
évoquer devant nous Safia Bint al-Mutailib, cette héroïne
de l’islam qui, lors de la bataille de La Mecque contre les juifs,
en 627, avait décapité un des hommes venus l’attaquer.
«Nous ne kidnappons pas pour effrayer ceux que nous retenons,
corrige-t-il, mais pour exercer des pressions sur les pays qui
aident ou s’apprêtent à aider les Américains.
A quoi pensent-ils, ceux qui viennent dans un pays occupé?
Ils pactisent avec les Etats-Unis au nom de leurs intérêts
commerciaux. Mais leurs contrats sont tachés du sang des
Irakiens. Devons-nous nous croiser les bras pendant qu’on nous
assassine? Ce n’est pas une bonne chose que de décapiter.
Mais c’est une méthode qui marche. Au cours des combats,
les Américains tremblent. Et regardez la juste réaction
des Philippines. Grâce à leur attitude, qui nous
a permis de libérer notre otage, nous avons pu montrer
au monde que nous aussi nous aimions la paix et la clémence...
D’ailleurs, j’ai essayé de négocier l’échange
de Nick Berg contre des prisonniers. Ce sont les Américains
qui ont refusé. Ce sont eux les vrais responsables de sa
mort.»
Ancien membre de la garde rapprochée de Saddam Hussein,
Abou Rachid abhorre l’ancien dictateur, qui l’a jeté en
prison parce qu’il appartenait à un parti islamiste. Lorsqu’il
en est sorti, Abou Rachid a essayé de gagner l’Afghanistan
pour se battre contre les Américains. Trop tard. La déroute
des talibans l’a surpris à la frontière iranienne.
Mais, de l’histoire des combattants musulmans en Afghanistan,
il dit avoir tiré des leçons: «Nous avons
compris que la division serait notre perte. C’est pour cela que
nous avons créé ce conseil des moudjahidin.»
Au sein de ce conseil de treize chefs de combattants, on répartit
les tâches entre les différents groupes. Certains
s’occupent de surveiller l’ennemi, d’autres du soutien logistique.
Quelques-uns coupent les lignes des Américains, tirent
sur les convois. D’autres encore prennent en charge les kidnappings.
Au chef revient une tâche supplémentaire: exécuter
les faux combattants qui se servent de leurs armes pour terroriser
et détrousser la population de Fallouja. A écouter
Abou Rachid, c’est la fin du siège de Fallouja, le 29 avril
2004, qui a fédéré tous les groupuscules
de combattants dans ce qui est devenu la capitale de la résistance
à «l’envahisseur américain». «Depuis
le siège, pour la communauté des musulmans, la haine
que les Américains vouent à Fallouja est devenue
le symbole de leur haine de l’islam», résume le salafiste.
Depuis, c’est ici qu’on centralise les négociations sur
les kidnappings, qu’on organise des attentats dans tout le pays.
Le prochain objectif, c’est d’intensifier les attaques simultanées
«pour montrer notre union et notre force».
Deux chefs de groupe de combattants, l’un de Hoseiba, à
la frontière syrienne, et l’autre de Haditha, à
250 kilomètres à l’ouest de Bagdad, arrivent justement
dans la salle. Ils embrassent l’émir avec respect, entrechoquent
leurs épaules à la manière bédouine.
Et conviennent d’un rendez-vous de «travail».
Rien n’exaspère plus les moudjahidin irakiens salafistes
que le fait de leur demander si les combattants étrangers,
ceux qu’ils appellent «les Arabes», ont pris le contrôle
de la lutte. «C’est un mensonge des Américains, nous
répond, cinglant, Abou Rachid. C’est nous, les Irakiens,
qui sommes aux commandes de notre ville et qui planifions la résistance
dans le pays. Les combattants "arabes" sont venus nous
aider. Pour tous les musulmans, Fallouja est devenu un symbole.
Le point de départ de la reconquête. Alors, oui,
nous les accueillons, pourquoi pas? Les Américains ont
bien des alliés, eux. – Pourtant, dans le DVD des opérations
de Tawid wa Djihad (Unification et Guerre sainte) que vous nous
avez fait parvenir à plusieurs journalistes et à
moi-même il y a quelques semaines à Bagdad, la plupart
des attentats suicides filmés ont été réalisés
par ces "combattants étrangers"... – Oui, car
devenir shahid, c’est l’acte de foi suprême. Les Irakiens
n’ont pas encore atteint ce degré de ferveur. Mais, petit
à petit, ils commencent à imiter leurs frères
"arabes"...» L’émir est désolé
de reconnaître que les supplétifs arabes ont encore
des leçons de foi à donner à ses compatriotes...
«Et Abou Moussab al-Zarkaoui, le lieutenant jordanien de
Ben Laden, est-ce lui qui planifie tous les attentats, comme le
pensent les Américains? – A Fallouja, il n’y a pas de Zarkaoui.
Ailleurs? Je ne veux pas vous mentir, alors je vous répondrai
qu’il est peut-être quelque part en Irak. Mais le plus important,
c’est qu’aujourd’hui, à Fallouja, nous sommes tous des
Zarkaoui. Et que les Irakiens sont tous des Ben Laden. – Et quand
cesserez-vous le combat? – Lorsque l’occupation cessera et que
la loi islamique sera instaurée en Irak. Jusque-là,
aucun pays musulman dans le monde ne connaîtra la paix.»
Avant de nous raccompagner, Abou Rachid tient à nous donner
solennellement un message destiné à Jacques Chirac
et à George Bush (voir encadré). Il nous quitte
sur une mise en garde qui se veut bienveillante: «Ne faites
rien dans cette ville sans venir me demander l’autorisation avant.»
Ahmed ne fait pas partie du groupe Unification et Guerre sainte.
Mais il donne parfois un coup de main au groupe Zarkaoui pour
la logistique. Comme ce jour de janvier 2004 où il est
allé chercher le corps d’un des «martyrs» saoudiens
qui venaient de se faire exploser au niveau du pont de Khaldiya
(voir ci-contre). Il envie beaucoup ceux qui ont le courage de
devenir des «martyrs». «Moi aussi, lorsque je
n’aurai plus d’armes, j’irai me faire sauter», affirme-t-il.
D’une extrême maigreur, le visage mangé par une longue
barbe noire, Ahmed a l’air fatigué par la chaleur implacable
de juillet. Pas de ventilateurs. Pas d’eau fraîche. A Fallouja,
depuis le siège d’avril, il n’y a que deux ou trois heures
d’électricité par jour. Il nous raconte les tours
de garde contre le «diable américain», la chasse
aux espions, qui à l’écouter sont nombreux dans
la ville. «Quand Napoléon est arrivé en Egypte,
il était accompagné d’experts comme Champollion.
Pourquoi les Américains n’ont-ils pas fait la même
chose? Ils ont préféré s’en remettre à
des Irakiens collabos qui peuvent nous espionner.» Comme
cette fausse mendiante, qui allait de porte en porte pour «marquer»
les maisons des combattants: «Nous avons dû la décapiter
et la démembrer pour faire un exemple.»
Au pied du canapé, on bute sur des armes russes, des vieilles
kalachnikov. «Ce sont les jouets des enfants, sourit Ahmed,
condescendant. Ici dès l’enfance on sait tirer. C’est le
cadeau que nous a fait Saddam sans le savoir. En nous enrôlant
tous dès notre plus jeune âge dans des camps d’entraînement.»
Comme pour illustrer les paroles de son père, l’un de ses
fils, 7 ans, arme la mitraillette avec une grande habileté.
Pendant la bataille d’avril, il a bien aidé, en faisant
le guet, en transportant des messages. Sa mère, le visage
couvert d’un long voile blanc, le regarde avec fierté.
Depuis les révélations sur les tortures dans la
prison américaine d’Abou Ghraib, elle aussi présente
les décapitations d’otages comme une juste vengeance: «Un
de mes oncles a passé plus d’un an à Abou Ghraib.
Nous ne saurons jamais s’il a été torturé
ou violé. Il préférerait mourir plutôt
que de nous le dire.»
Nous nous engouffrons tous dans la voiture de Mazen, le lieutenant
d’Abou Rachid. Sa radio diffuse les mélopées d’une
prière chantée, seule musique désormais autorisée
à Fallouja. Sculpteur, Mazen a 35 ans, et le visage rond
d’un enfant. Mais son regard fermé et dur contredit la
douceur de ses traits. Avec fierté, il nous guide à
travers sa cité, contrôlée désormais
par son groupe. Sur son passage, la révérence se
lit sur les visages. Les soldats irakiens s’empressent pour répondre
à ses questions. On a l’impression d’être dans la
voiture du gouverneur de la ville.
Fallouja, «émirat wahhabite» d’Irak... Entre
deux bombardements américains, la ville vit à l’heure
islamique. Et de l’islam le plus rigoriste. Car pendant le siège
les locaux du Parti islamique, jugé trop prompt à
vouloir négocier un cessez-le-feu avec les Américains,
ont été bombardés par ces moudjahidin qui
tiennent aujourd’hui le haut du pavé à Fallouja.
Sur les murs poussiéreux, les «décrets d’Allah
qui a autorisé la victoire» sont placardés
un peu partout: interdiction de boire de l’alcool, de se maquiller,
de se couper les cheveux à l’occidentale, invitation à
dénoncer les étrangers... Dans les rues, les rares
femmes que l’on croise ont le visage recouvert d’un voile de crêpe
noir et les mains gantées. Quelques habitants vivent encore
dans des tentes devant leurs maisons détruites. D’autres,
qui ont reçu des compensations des Américains, reconstruisent
les leur. La vie reprend, mais sous haute surveillance. Les moudjahidin
sont omniprésents. Et obéis. Même par les
«soldats» du nouveau pouvoir irakien, qui devaient
en principe, sous le commandement du général Mohamed
Latif, assurer avec la police et la garde nationale la sécurité
de la ville la plus dangereuse d’Irak.
Durant notre «promenade» à travers la ville,
tout montre en effet que les moudjahidin ont supplanté
les généraux baassistes grâce à qui
les Américains avaient pensé pouvoir contrôler
l’épicentre de la résistance. A chaque carrefour,
les militaires irakiens et les policiers sont flanqués
de moudjahidin, qui visiblement les supervisent. «Ils doivent
nous demander la permission pour arrêter la moindre personne,
confirme Mazen, qui reconnaît que les combattants attendent
un moment propice pour se débarrasser de ces militaires.
Mais regardez comme la ville est sûre depuis que nous sommes
là. Avant, chaque commerçant dépensait par
jour 2 000 dinars irakiens en gardes du corps. Aujourd’hui, nous
pouvons laisser nos portes ouvertes. Certains essaient de faire
passer les combattants pour des racketteurs qui effraient les
habitants, mais ce n’est pas vrai. Et ceux qui se comportent mal,
nous les exécutons.»
Il règne une drôle d’atmosphère dans les rues
de Fallouja, où l’on compte plus d’hommes en armes, d’uniformes,
d’informateurs des différents groupes de combattants que
de simples citoyens sur les trottoirs. Tout le monde s’épie.
A l’approche du petit pont en fer de la ville où, il y
a deux mois à peine, je me rappelle avoir vu, en compagnie
du photographe Stanley Greene, les corps carbonisés de
gardes privés américains malmenés à
coups de pied et de couteau par la foule, deux soldats irakiens
de la garde nationale, leur béret rouge enfoncé
sur les yeux, se tiennent pétrifiés. Ils regardent
avec inquiétude deux pick-up blancs armés de mitrailleuses
qui passent à toute allure. A leur bord, des moudjahidin
brandissent leurs armes. «Ici, c’était le triangle
des Bermudes, sourit fièrement Mazen en évoquant
la dernière bataille. Les soldats américains n’étaient
pas prêts à perdre leur vie pour gagner Fallouja.
Et nous, nous aimons la mort autant qu’ils aiment la vie.»
Car le siège de Fallouja, en avril, est pour les salafistes
irakiens ce que le 11 septembre a été pour Ben Laden:
leur première grande victoire sur l’ennemi américain.
Mazen, qui a participé aux négociations avec l’état-major
de la coalition, explique avec délectation comment les
Américains ont cédé sur presque tout et Fallouja
sur rien. «Nous n’avons pas livré les responsables
de la mort des quatre espions américains. Ni rendu nos
armes. Ils ont dû retirer leurs troupes. Compenser les deux
tiers des familles et quitter leur QG de l’hôpital. Ils
ne nous ont demandé qu’une seule chose: les laisser gagner
la bataille des médias. Alors ils ont filmé leur
entrée dans la ville. Mais sur des Humvee et non pas sur
des chars, comme ils nous l’avaient demandé...»
Aux portes de la mosquée, S., le lieutenant du mouvement
Unification et Guerre sainte, nous conduit chez l’imam al-Janabi.
En cinq minutes, il nous obtient un entretien avec le religieux
le plus célébré et le plus controversé
de la ville. La personnification du bad guy pour les Américains.
Dans la nouvelle hiérarchie de l’émirat moudjahid,
l’homme qu’on nous présente comme le «cheikh Yassine»
irakien est le leader politique et religieux tandis qu’Abou Rachid
est le leader militaire. L’imam al-Janabi est beaucoup plus jeune
que le défunt guide du Hamas palestinien, mais il a la
même barbe poivre et sel, son profil d’aigle et son inquiétante
sérénité. Les habitants de la ville le présentent
comme le chef de ces takfiri, les combattants les plus extrémistes,
étrangers ou irakiens liés à des organisations
arabes étrangères. Il s’amuse du fait que la dernière
lettre adressée par l’ex-administrateur américain
Paul Bremer au Premier ministre Iyad Allaoui ait eu pour objet
sa demande d’arrestation «mort ou vif».
«Avez-vous peur des Américains? – Dans cette vie,
nous ne sommes que des locataires et j’aspire à voir ma
dernière demeure», répond le docteur en charia.
Certains accusent le cheikh Janabi d’être responsable de
l’assassinat de six camionneurs chiites de Bagdad, dont les corps
mutilés ont été rendus à leurs familles
moyennant un «impôt moudjahidin». Mais l’imam
refuse d’endosser la responsabilité de ces assassinats,
qui ont créé de graves tensions entre les communautés
chiite et sunnite: «Nous exécutons des espions tout
le temps, alors je vous le dirais si j’avais tué aussi
ceux-là...»
Sous la dictature de Saddam, l’imam sulfureux a été
interdit de prêche pendant sept ans. «Je disais ce
que je pensais de lui. Comme je dis aujourd’hui ce que je pense
du Premier ministre Allaoui: il ne vaut pas la semelle de mes
chaussures. S’il avait été un "Irakien",
il aurait ouvert une autre page à Fallouja. Mais non. Il
incite les Américains à lancer leurs raids qui tuent
nos femmes et nos enfants.»
Selon le cheikh Janabi, si les Américains ont envahi l’Irak,
c’est uniquement pour pouvoir lancer leur «croisade»
contre Fallouja, la ville la plus islamisée d’Irak... «Ici
même, ils ont détruit la porte de la mosquée
avec de la dynamite, laissé les empreintes de leurs chaussures
sur le Coran et regardé nos femmes à la jumelle,
ce qui, pour nous, est pire que la mort.» Et le cheikh décrit
le long calvaire des habitants de sa ville, jusqu’à la
«sainte bataille de Fallouja»: «C’est alors
que des anges à cheval sont descendus du ciel, tandis que
les armes ont continué à tirer pendant des heures
sans qu’on les recharge, et que des araignées qui dégageaient
une odeur nauséabonde s’attaquaient aux soldats américains,
surtout à ceux qui utilisaient leurs jumelles maudites...»
Tandis que l’imam façonne l’épopée du mythe
fondateur de Fallouja, première victoire du djihad en Irak,
une quarantaine de combattants font irruption dans la cour de
la mosquée en criant. Ils transportent quatre corps sanguinolents,
atrocement mutilés, qu’ils déposent dans des draps
blancs à la porte de l’imam. Bientôt, le linge est
gorgé de sang. Mazen sort pour prévenir Abou Rachid.
Il revient bouleversé et tremblant de colère. Selon
lui, les quatre combattants ont été abattus par
des Américains, qui ont ensuite égorgé les
corps et découpé leurs mains. L’imam Janabi, lui,
n’a pas jeté un regard dans la cour. Il rappelle, satisfait,
qu’il avait annoncé dans un prêche en 1996 que le
peuple d’Irak sortirait de sa léthargie lorsque les Etats-Unis
envahiraient le pays.
«Ce jour est arrivé, il marque le début du
déclin de l’empire américain, qui va se déchirer
plus durablement encore que l’Irak d’aujourd’hui. C’est la justice
d’Allah qui arrive sur la terre. Et qui terrasse les dictateurs.
Saddam puis Bush et les Américains. En Irak, aux Etats-Unis
et où qu’ils soient dans le monde, ils seront pourchassés
et détruits.»
(1) Tous les noms de
moudjahidin ont été changés.
SARA
DANIEL |