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Reportage au Liban, août/septembre 2006
Samedi. Au village de Maroun al Ras, Sud du Liban.
Le village de Maroun al Ras est sur la colline qui surmonte Bint Jbeil le bastion du Hezbollah au sud du Liban. Les habitants de ce village bombardé ne s'y rendent pas encore, les soldats israéliens ont évacué la plupart des maisons mais ils en occupent encore quelques unes à la lisière du village. Stanley Greene le photographe qui m'accompagne et moi sommes curieux de voir comment se passe la cohabitation entre les soldats israéliens, les soldats de l'ONU qui viennent d'arriver et les hezbollahis qui font des incursions dans le village .Nous ne sommes pas rassurés. Mais sur un coup de tête comme souvent nous décidons d'emprunter la pente aride qui conduit au village. Les conducteurs des voitures que nous croisons dans le sens inverse nous font savoir que l'on peut se rendre dans le centre. Nous sommes mal à l'aise, et résistons à la tentation de faire demi-tour. En haut de la colline, cinq soldats ghanéens de la Finul ont investi la mosquée. Ils sont nerveux quand ils nous voient approcher, ils ne nous mettent pas en joue mais on les sent prêts à le faire. Ils sont arrivés après le départ des soldats israéliens avec lesquels ils n'ont eu aucun contact. Quant aux membres du Hezbollah, « ils sont en civil alors on ne les reconnaît pas » me disent ils. Le drapeau de l'Onu a beau flotter devant la mosquée on voit bien qu'ils ne contrôlent rien encore. Ils ont dessiné des têtes de mort sur les maisons les plus proches, qg des soldats israéliens qu'ils estiment piégés.Dans le village désert, une vache morte séchée par une bombe. Il ne reste plus que sa mâchoire ensanglantée et sa peau presque intacte. Elle dégage la même odeur putride que les cadavres.
Samedi. Au village de Maroun al Ras, sud du Liban. 2
Les chenilles des chars ont marqué leur empreinte sur le mauvais goudron de la rue principale du village. Dans une des maisons, il y a un vieil homme qui vit dans les décombres. Moustapha Feris a 80 ans et il est n'a pas quitté le village de toute la guerre. Il était trop faible pour partir et il n'avait pas de voiture. Le mur de sa maison a été soufflé par une bombe. Il mange du riz devant son sofa recouvert de gravats, adossé à un mur béant. Avec ses enfants, il avait une boutique de vêtements à New York sur la huitième avenue. Il est rentré en 2000 lorsque les Israéliens ont quitté le sud du Liban pour finir ses jours dans son village. Nous essayons de le convaincre de partir à Bint Jbeil avec nous. Il refuse. La solitude de ce vieil homme dans ce village bombardé et désert où la situation est encore très incertaine… Stanley déplace une chaise en plastique cassée pour faire une dernière photo. C'est là que nous découvrons une mine, une de ces mines ultra sensibles dont la goupille est tenue par une pince à linge.
Le vieil homme ne veut rien entendre. Il ne veut pas quitter sa maison. Même les injonctions des soldats de l'Onu que nous sommes allés chercher ne le feront pas changer d'avis. Une fois qu'ils ont identifié la mine les soldats s'éloignent rapidement de la maison piégée.
SARA DANIEL
Photos:
Les tunnels du Hezbollah.
Le cessez-le-feu, l’immédiate après guerre, c’ est un moment béni pour les journalistes. On peut y voir, y comprendre beaucoup de choses qui étaient invisibles lorsque les bombes pleuvaient ou en temps de paix lorsque les militants du hezbollah refusaient même de vous révéler leur nom. A Ait Achaab, le village où ont été capturé les deux soldats israéliens, les gens racontent où ils étaient au moment de l’enlèvement, un peu comme les New Yorkais racontent ce qu’ils faisaient au moment du 11 septembre. Les sympathisants du Hezbollah affichent leur bonne humeur « on ne va pas pleurer sur du béton ! » Ils racontent leur résistance. Un couple assis sur un sofa devant un tas de gravats qui fût leur maison font de l’humour : « donnez vous la peine d’entrer au salon à moins que vous ne préfériez la chambre à coucher » disent ils en montrant un vieux matelas posé à même les décombres, de l’autre côté du chemin. Dans un autre village, proche de la ligne bleue, des gosses nous montrent les tunnels du Hezbollah : toutes les caves des maisons communiquent par un trou et forment un passage souterrain qui permet de sortir au milieu du village.
Tunnel du Hezbollah sous un village , Liban Sud
Un abri contre les bombardements au Liban Sud
Village d'Aita al Chaab
Ali-devant-sa-maison, à Bintjbel
captain-richie-finul
Jamais rien vu de semblable sauf dans les films sur la seconde guerre mondiale. Rien à voir ni avec l'Afghanistan, ni même avec l'Irak où les bombardements étaient beaucoup plus disséminés. Un quartier entier que l'on a voulu éradiquer. Stanley Greene pense tout de suite à Grozny. Moi cela me rappelle les destructions causées par le tremblement de terre au Pakistan qui ont fait près de 70000 morts.
Dans les ruines, une délégation venue de Jordanie nous apostrophe « c'est ça votre démocratie américaine ? » « Je suis française » « merci l'occident alors ! ».
Un homme continue à avoir de l'humour, il s'esclaffe devant les posters rouges fêtant «la divine victoire fierté, martyr» qui sont accrochés un peu partout par le Hezbollah: « Ah bon nous avons gagné quelque chose ? ces destructions sont notre fierté ?!… »
Beyrouth Sud
S'il est bien un personnage qui est devenu épique pendant cette guerre, c'est celui que l'on appelle dans la presse libanaise « le Sayyed » (descendant du prophète) sans qu'on ait plus besoin de dire son nom. Dans les villages du Hezbollah, dans la banlieue Sud de Beyrouth, on devient lyrique quand on évoque Nasrallah. « je l'aime plus que la mer et les vagues qui la balayent », « je voudrais me rouler avec passion dans sa tunique et embrasser ses pieds »… Mais le plus étonnant c'est que même ses opposants politiques tressent sa couronne. A les entendre, il représenterait la face la plus ouverte et intelligente du Hezbollah. « je ne connais pas une personne qui ne soit pas tombée sous le charme » confie un homme politique « Il a le don de vous écouter comme s'il vous comprenait, comme si vous l'aviez toujours connu ». Mais pour parler du Sayyed, même en bien, l'homme politique ne veut pas donner son nom, pas très rassuré…
Beyrouth Sud
bintjbel-auto
Un spécialiste de la branche militaire du Hezbollah, qui connaît bien Nasrallah, m'explique ce que signifient les panneaux rouges vantant « la divine victoire » que l'on trouve plantés un peu partout dans les décombres des quartiers du sud de Beyrouth. A l'écouter, Nasrallah et les dirigeants du Hezbollah disposaient d'informations qui montraient qu'Israël était déterminé à lancer une offensive contre leurs positions vers le mois de septembre. Ils n'avaient pas prévu, que l'enlèvement des soldats déboucherait sur la guerre que l'on sait. La « divine victoire » c'est le fait que Dieu les ait aidés à précipiter le déclenchement de la guerre, alors que l'Etat major israélien n'était pas encore prêt…
ecole-de-bintjbel
Femme, Marouain
Petit à Petit la vie reprend à Beyrouth. C'est incroyable, presque choquant quand on revient des zones de guerre et des champs de gravats que sont devenus les villages du sud du pays, de voir d'autres gens faire la fête, un verre à la main. Comme si de rien était. Même le Bouddha bar a ré ouvert. Mais rien n'est exactement comme avant. Car à toutes les tables des bars ou des restaurants on ne parle que de la guerre, des Israéliens et du Hezbollah. La jeunesse dorée de Beyrouth a recommencé à déborder sur les trottoirs des cafés branchés de la rue Monot à Ashrafieh. Au « Pacifico », je rencontre Sarhar, une jeune femme de 26 ans dans les affaires. Elle aussi, comme les autres, ne parle que de la guerre. « Nous avions des projets, des plans, on pensait qu'on était sur la bonne voie depuis le départ des Syriens. Mais nous nous sommes faits avoir. Notre haine d'Israël, on vit avec, c'est une constante qu'on n'a pas à raviver. Mais le Hezbollah nous a pris en otage .C'est exaspérant cette minorité qui décide de notre sort…Guerre ou pas la méfiance entre les communautés n'est jamais loin au Liban. »
Au Riviera, un restaurant au bord de la mer, un groupe de chrétiens prend le soleil. Anna a continué à se baigner tous les jours, même pendant la guerre. « Si la guerre recommence, je ferais mes valises et pour de bon cette fois. J'ai vu trop de guerres, j'ai eu trop peur. La question c'est comment pourrons nous vivre avec les chiites qui soutiennent « la résistance », Ils vivent au Moyen Age, ils sont contents quand leurs enfants meurent pour le « sayyed » (Nasrallah).Moi je préconise une partition du pays en canton. Wafa, mon amie chiite qui a sillonné les zones de guerre éclate en sanglot. Non pas à cause de ce qu'elle a entendu mais parce qu'il est difficile d'être assise là au soleil après ce que nous avons vécu. J'ai l'habitude de ces télescopages, de ces schizophrénies de retour de reportage .Mais au Liban il suffit de parcourir quelques centaines de mètres pour être projeté dans un autre monde.
De retour à Beyrouth, je suis malade, j'ai la nausée et suis restée clouée au lit comme après chacun de ces reportages de guerre.
Lorsque je suis arrivée dans la pièce de cette maison de Marouaine, une femme était en train d'annoncer à Lara que sa mère, sa grand-mère, et ses frères ne dormaient pas comme elle le croyait mais qu'ils étaient morts.
Dans le village se tenait le dernier des grands enterrements du Sud liban.
Le 13 Juillet à 8h 30 les israéliens par haut parleurs avaient demandé aux habitants de Marouaine d'évacuer. Une partie de ceux-ci avaient cherché refuge dans un camp de l'Onu qui, après les avoir fait mettre en rang, et relevé leur nom, les a renvoyés. Alors un groupe de villageois a pris la route. C'est en chemin que leur pick up a été bombardé, 23 civils dont 15 enfants et deux femmes enceintes sont morts.
Dans ce village sunnite, on en veut autant au Hezbollah qu'aux Israéliens pour ce qui est arrivé. Car il y avait un habitant du village, un sunnite converti qui lançait des bombes depuis son pick up garé à côté de la mosquée. Au village tout le monde détestait Hassan Obeid qui terrorisait ses habitants. Une des femmes qui a trouvé la mort dans le convoi s'était violemment disputé avec lui la veille de la tragédie. Nous avons suivi toute la cérémonie, la levée des corps et leur préparation à la fosse commune de Tyr. Les cercueils qui suintaient. L'odeur de cadavre que l'on retrouve dans chaque village bombardé et qui donne envie de jeter ses vêtements imprégnés quand on revient à Beyrouth.
Les habitants de Marouaine ont refusé que le Hezbollah mette son drapeau sur les voitures du cortège.
Lara, maintenant orpheline
Lara, maintenant orpheline
Un internaute me dit que les reportages sur le calvaire qu'ont vécu les civils libanais pendant cette guerre ne serviront qu'à attiser les haines entre les peuples. Il imagine bien que ce n'est pas mon intention. Mais je me dois de décrire ce que je vois, de rapporter la souffrance des victimes quelque soient le camp auxquelles elles appartiennent. Surtout quand, comme au Liban pendant cette guerre, elles ne sont souvent d'aucune armée, d'aucun camp, juste des hommes, des femmes et des enfants qui essaient de vivre, malgré tout, dans cette région ravagée par les guerres. Avec la haine des Israéliens qui les ont occupés, souvent, mais aussi parfois avec celle du hezbollah qui les entraine dans sa logique propre.
Jamais, il est vrai, je n'ai vu autant de journalistes, de photographes essuyer une larme, éclater en sanglots devant cette souffrance dont nous étions les témoins. J'ai même vu un soldat de la Finul en train de pleurer le jour d'un enterrement. Mais je ne crois pas que la compassion vous enferme irrémédiablement dans un camp, même dans ce conflit où l'on s'emporte trop facilement. Je pense qu'elle est la source de notre humanité de journalistes. Cela dit pour être tout à fait honnête, jamais encore, au cours des précédents conflits que j'ai pu couvrir, je n'avais à ce point éprouvé l'absurde barbarie d'une guerre. Je crois d'ailleurs que nombre d'écrivains israéliens partagent ce point de vue.
Liban
Le Hezbollah a-t-il déjà gagné la guerre de la reconstruction au Liban ? Dans toutes les zones bombardées, l'omniprésence des sympathisants du parti de Nasrallah souligne cruellement l'absence des employés du gouvernement. Et pourtant, le gouvernement libanais et ses parrains étrangers, l'Arabie Saoudite, l'Europe et les Etats-Unis, pour ne citer qu'eux, ont bien conscience que c'est en participant à la reconstruction du pays que l'on pourra façonner l'avenir politique du Liban. Mais le secrétaire général du parti, Hassan Nasrallah, les a pris de court dans ces quartiers de Beyrouth ou dans ces villages du sud, spécifiquement visés par Israël et qui lui sont acquis.. Parfois plus par réflexe communautaire que par idéologie. Le 14 août dans son discours « de la victoire » le « sayyed » ne déclarait-il pas que « la victoire serait parachevée par la reconstruction ?» En direct, Nasrallah annonçait alors qu'il verserait 12000 dollars par famille pour q'elles puissent se reloger en attendant que le Hezbollah reconstruise les maisons détruites…Promesse tenue. Aujourd'hui même les habitants des villages chrétiens et sunnites, frappés par les bombardements, ont commencé à recevoir les liasses de billets de 100 dollars.
Mais la guerre a aussi eu pour effet de faire prendre aux pouvoirs publics, la mesure du racket économique auquel se livre le parti de Nasrallah : « le Hezbollah est un véritable Etat dans l'Etat au Liban avec ses propres règles, son économie à part. Nous sommes en train de constater les dégâts » explique un homme politique libanais. Ainsi, explique-t-il, les quartiers du sud de Beyrouth, comme la plupart des villages chiites de la Bekaa et du Liban sud ne payent pas leur facture d'électricité. Résultat, un grand nombre de petites entreprises industrielles appartenant même parfois à des chrétiens ou à des sunnites, sont venues s'installer dans le sud de Beyrouth, et font des économies importantes, moyennant une « taxe » qu'elles versent au Hezbollah. Tandis que l'E.D.L, l'Electricité du Liban, enregistre, elle, un déficit d'un milliard de dollars cette année…. « Quant au tissu associatif sur lequel tout le monde s'extasie, il faut savoir comment cela marche » décrypte l'économiste Joe Faddoul. «Dans les régions tenues par le Parti de Dieu, comme à Baalbek, Les directeurs d'hôpitaux publics sont contraints de dire que leurs établissements sont pleins. Du coup, les gens vont se faire soigner dans les cliniques du Hezbollah, au frais de l'Etat. Politiquement cela conforte la popularité de la milice et financièrement cela ne leur coûte pas grand chose. Et pendant ce temps les hôpitaux publics sont vides… »
Portrait de Nasrallah
poster de Nasrallah
un obus non explosé dans une Mosquée