La Spéculation, de l'art à la science

Pendant très longtemps, la spéculation, particulièrement celle fondée sur l'analyse technique, a été considérée comme une activité nuisible, puis comme une activité réservée à quelques illuminés en quête d'argent facile. En dépit de l'expérience de nombreux spéculateurs et d'une vaste littérature, la spéculation a longtemps été considérée comme vaine. L'une des raisons est la théorie de l'efficience des marchés, érigée comme dogme. Mais ces dernières années une grande quantité d'articles scientifiques tend à prouver que les marchés ne sont pas forcément aussi efficients que le pensaient les théoriciens.

La spéculation, ie la participation active aux marchés dans le but de réaliser un profit du fait du seul mouvement (ou absence de mouvement) des cours, a permis d'augmenter la liquidité. Cette liquidité permet aux utilisateurs des marchés, qui emploient les instruments à des fins purement économiques, de réaliser des transactions importantes rapidement et à moindre coût. Les spéculateurs eux récupèrent une partie de l'impact de marché de ces utilisateurs. Il s'agit donc d'une situation où les deux parties sont gagnantes, et créent un cercle virtueux : plus il y a de spéculateurs, meilleure est l'évaluation de la valeur économique de l'instrument et plus faibles sont les coûts de transactions, ce qui incitent les utilisateurs à utiliser ces instruments en masse, ce dont tirent profit les spéculateurs et ainsi de suite.

En pratique, en tant que groupe les spéculateurs (du moins ceux qui n'utilisent que les cours pour prendre leurs décisions) ne gagnent pas plus que le spread diminué des commissions (c'est pour cela que les places de marché veillent à ce que ce groupe bénéficie de commissions assez basses pour qu'ils puissent participer et que cela soit économiquement rentable, mais pas trop. En général 1 tick de profit doit couvrir les commissions pour 2 aller-retours). Mais entre eux il se produit un phénomène de redistribution des profits qui fait que les plus compétents gagnent bien plus que cela.

Si la spéculation est loin d'être vaine, et s'avère en définitive à la fois favorable aux utilisateurs finaux des instruments financiers cotés (qui bénéficient d'une grande liquidité et de faibles coûts de transactions) et profitable pour les participants actifs (qui profitent de minuscules profits multipliés par des volumes considérables), il restait à comprendre comment la pratiquer. Pendant très longtemps les spéculateurs ont eu recours à des méthodes empiriques pour pratiquer cette activité, mais aujourd'hui il existe une approche plus scientifique de cette activité, en train de sortir de l'empirisme pour entrer dans les champs de la science économique et de l'ingénierie financière.

Il faut d'abord distinguer la spéculation des autres activités de marchés telles que l'arbitrage. L'arbitrage est une activité économique non spéculative dans le sens où elle est fondée sur la théorie économique (un instrument/actif a une valeur et cette valeur doit être la même pour tout le monde) même si elle comporte une part de risque (gestion et opérationnel). La spéculation par contre consiste à estimer l'évolution future du cours, ce indépendamment de la valeur de l'actif/instrument.

Mais en fait la spéculation n'est rien de plus qu'une forme étendue d'arbitrage. On estime quel sera le cours d'un instrument à un horizon plus ou moins court, et selon le cours attendu, on décide d'investir ou non. Il est possible de s'inspirer de tout ce qui a été réalisé dans le domaine de l'évaluation du prix des options. En effet, les analystes quantitatifs utilisent un modèle de marché (ils établissent une modélisation à partir de l'observation de l'évolution historique des cours) afin de calculer quelle sera la valeur de l'option à maturité dans chaque scenario. Puis ils effectuent une moyenne de ces valeurs à terme pondérée par la probabilité de réalisation du scenario et obtiennent la valeur de l'option (à laquelle on peut rajouter une marge de sécurité en fonction de l'incertitude inhérente au modèle et à sa précision, plus la marge économique).

La spéculation moderne consiste ainsi à établir l'ensemble des scenarios possibles d'évolution des cours et leurs probabilités de réalisation selon un modèle de marché, puis à évaluer le profit ou la perte réalisée à terme afin de déterminer quelle est dans les circonstances actuelles, l'espérance de gain en cas de prise de position. Si cette espérance est significativement supérieure aux coûts d'exécution de l'opération, il ne reste plus qu'à déterminer combien y investir ce qui peut être fait en utilisant par exemple la formule de Kelly si on désire maximiser la croissance du capital ou tout autre formule selon les objectifs.

Les points clés sont les suivants.

  1. Disposer d'un bon modèle de marché. Il doit permettre de simuler de façon réaliste l'évolution des cours. Le modèle simpliste d'une distribution normale des rendements peut s'avérer insuffisant voire dangereux s'il sous-estime certains phénomènes.
  2. Réaliser un grand nombre de simulations de la stratégie retenue.
  3. Compiler les résultats de ces simulations afin d'obtenir le gain moyen, la perte moyenne, le pourcentage d'opérations favorables.
  4. En fonction de ces statistiques, déterminer si l'opération a une espérance de gain positive, une rentabilité suffisante, et un risque acceptable. Si c'est le cas elle devient candidate à l'exécution.
  5. Déterminer le montant à investir dans l'opération en fonction de ses objectifs (croissance maximale, rapport gain/risque optimal, risque de perte constant ou autres).
  6. Contrôler les résultats des opérations et vérifier qu'elles sont en phase avec les prévisions. Sinon améliorer le modèle de marché, réduire les risques pris et les montants investis.

La spéculation passe ainsi de l'empirisme à la gestion scientifique, comme c'est le lot de la plupart des activités humaines au bout d'un certain temps. Il faut remarquer plusieurs choses.