> Contre un Bayreuth Puccinien?
par Marcel Marnat
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C’est alors qu’il composait Manon Lescaut que Puccini choisit de
vivre définitivement dans un hameau comptant à peine quelques
maisons et baraques de pêcheurs, sur les bords d’un petit lac,
entre Lucques et la côte ligure. Puccini loua d’abord une villa juste
au bord de l’eau – ce qui comblait son goût pour la pêche et surtout
pour la chasse au canard. Une petite communauté de peintres vivait
là, en paysagistes d’avant-garde (quelque chose entre les Macchiaioli florentins et les post-impressionnistes français): Torre del Lago fut un peu le Pont-Aven italien mais le génie du lieu était un compositeur. La maison que l’on visite aujourd’hui (devenue Villa-Museo Puccini) est petite et râblée, sans grand style, vue de l’extérieur, mais construite en 1898-99 avec les droits de Manon Lescaut puis de La bohème selon les directives de Puccini. C’est dans cette villa nouvelle que furent esquissées ou parachevées toutes les œuvres ultérieures, hors Turandot.
Une cuisine mise à part, tout le rez-de-chaussée lui était réservé, occupé par un vaste studio de travail donnant immédiatement sur l’eau. Enorme piano droit Forster et, aux murs, encadrés, d’innombrables souvenirs: outre des photos dédicacées par Caruso, Toscanini ou Mahler, on remarque les hommages d’un grand nombre de cantatrices célèbres, une lettre et un portrait de Henri Murger (offerts par ses librettistes Illica et Giacosa ?). Des paysages, des décors, des caricatures (et notamment l’original de celle célèbre, de Capiello). Il y a aussi un portrait au crayon exécuté à Paris par l’illustre Boldini. Tout semble aussi avoir été mis en place pour l’éternité et pourtant tout fut sensiblement modifié après la mort de Puccini.
Lorsque l’on ramena sa dépouille de Bruxelles, le régime tout neuf de Mussolini fit des pieds et des mains pour s’emparer de la mémoire du glorieux musicien. Toscanini para à toute récupération en accueillant le cercueil dans son propre caveau de famille. Simultanément, Antonio, le fils de Puccini, remodela le grand studio du rez-de-chaussée pour y implanter une chapelle-mausolée où, depuis 1926, repose la dépouille du musicien. Mussolini dut s’incliner et Puccini échappa, ainsi, aux annexions abusives.
Décorée par Adolfo de Carolis (naguère illustrateur de l’Annunzio) cette chapelle rajoutée est d’un bel art ( moitié préraphaélite, moitié 1925), en contraste calculé avec le studio lui-même, cossu et très « début de siècle »: deux meubles dessinés par Rembrandt Bugatti, beaux revêtements céramiques, très belles décorations murales dues à tous les amis peintres (notamment Luigi de Servi qui, en 1904, avait donné le plus portrait jamais fait de Puccini).

Au cours de années 30, la municipalité de la très balnéaire Viareggio (dont dépend Torre del Lago) eut le souci de tirer parti de l’afflux des baigneurs tentés de parcourir des lieux hantés par l’un des musiciens les plus joués du monde. On tint donc à faciliter les accès et on prit la liberté de remblayer, devant la maison (en prenant sur le lac), aménageant ainsi une esplanade plus favorable au négoce.
Aujourd’hui, la villa ne donne donc plus sur l’eau, ces quelques cent mètres d’asphalte nouveau s’orant d’une statue en pierre de Puccini (bronze de Paul Troubetzkoï), de quelques palmiers et de plusieurs cercles de parking, le tout coincé par des marchands de souvenirs et de cartes postales. De célèbres clichés touristiques ont beau nous montrer d’émouvants couchers de soleil à travers une très japonisante branche de saule, laissant deviner un ponton vermoulu et des lointains mélancoliques, il faut savoir que la photo fut acrobatiquement prise entre poubelles du restaurant chic et la passerelle qui mène à un opéra en plein air…
Après la seconde guerre mondiale, la bourgade de quelques centaines d’âmes était devenue un faubourg de Viareggio, comptant de 13 à 15 000 habitants… consolation officielle: le pays s’appelle, maintenant, Torre del lago-Puccini

Situation promise à empirer. Mme Simonetta Puccini, petite-fille du compositeur, milite actuellement avec énergie pour éviter un massacre définitif. Ainsi pétitionne-t-elle pour que l’on ne construise pas (en dur et définitivement) un grand théâtre sous les fenêtres de la villa, théâtre dont, bien sûr, les marchands de moellons assurent faire un Bayreuth puccinien. Ce projet mirifique est promis pour les cent cinquante ans de la naissance de Puccini, c’est à dire pour 2008. Puisse ces quelques mots valoir à l’indignation de Simonetta Puccini la sympathie et les adhésions dont elle a aujourd’hui grand besoin.


Case.puccini@tim.it

Museo Puccini 55048 Torre del Lago Puccini (Lu). Italia.
Tél: 05 84 34 14 45

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