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Entretient avec Evelyne Rogue

Evelyne Rogue est critique et professeur d'esthétique à la Sorbonne et à l'université de Clermont-Ferrand.
Cet entretient a été publié sur www.artcogitans.com en avril 2004

Question précédente...

Évelyne Rogue : Le plaisir dans les créations du Net Art ne peut-être entendu au sens d'émotion esthétique provoquée par la contemplation du Beau, comme ce fut le cas jadis ; dès lors sur quoi selon vous repose l'émotion esthétique engendrée par vos créations ?

Thomas Bijon : Je suis d’accord avec vous pour dire que le Net Art, parce qu’il est un art de la communication, de la mise en réseau, et n’est donc pas à proprement parler un art visuel, ne peut pas reposer sur la contemplation du Beau.

Cependant, ma problématique est différente. Certes mes créations appartiennent au champ des Arts numériques parce qu’elles sont produites à l’aide d’un ordinateur mais elles appartiennent aussi au champ des Arts visuels qui, lui, entretient depuis longtemps une relation privilégiée avec le Beau. Cette relation a été formulée par l’Esthétique Platonicienne pour n’être profondément remis en question qu’avec l’Esthétique moderne. Alors que les avant-gardes surenchérissent sur la déchéance du rôle du beau dans l’art, ma position est beaucoup plus nuancée puisque je m’appuie sur la contemplation du Beau pour permettre à mes œuvres de fonctionner.

L’objectif de mon travail est de donner au spectateur un objet de pouvoir qui lui permettra d’échapper un moment à l’influence de l’imaginaire formaté des producteurs d’image (j’entends par là certains artistes mais surtout les publicitaires, les journalistes etc…). Ces objets de pouvoir, que j’appelle aussi “images-antidotes”, doivent permettre au spectateur de libérer son imagination et de construire sa propre mythologie. Cette liberté ne pourra être accessible qu’au prix d’un certain effort, en effet mes images ne proposent pas de lecture pré-établie, aucun signe ou symbole n’est mis en avant pour accrocher l’œil et aider le spectateur à rentrer dans l’œuvre. Celui-ci doit prendre le temps de s’en imprégner avant de pouvoir commencer à la décoder. De ce fait, je dois mettre en place un stratagème qui encourage le spectateur à faire des efforts sans pour autant l’accrocher par la narration et c’est en ce sens que la contemplation du Beau m’est d’une aide précieuse.

Vous remarquerez que la nature attribue au Beau un rôle identique, l’exemple le plus frappant étant la beauté des fleurs, beauté tout à fait fonctionnelle puisqu’il s’agit d’un stratagème dont le but est d’inciter les insectes à faire l’effort de venir les butiner.

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