Plusieurs
uvres littéraires inspirées par les jeux
intellectuels ont eu le grand succès : La Défense
Loujine de Vladimir Nabokov (1930), Le joueur déchecs
de Stefan Zweig (1943), Le Maître ou le Tournoi de Go
de Yasunari Kawabata (1975), etc. Les échecs nétait
pas seulement un jeu pour jouer cest aussi un jeu pour
penser et rêver. Ainsi quelques auteurs commencent, dès
la fin du XIII siècle, à composer non plus des
romans mais de véritables traités qui sont des
interprétations morales, juridiques ou philosophiques
du jeu déchecs.
Le JIPTO, lui-aussi, commence à susciter une importante
créativité littéraire. Il existe ainsi beaucoup
de poèmes et de chansons sur le JIPTO créées
par les poètes sakhas (Vassili Sivtsev, Ivan Orossounski,
etc), russes (Sergeï Platonov, Valeri Krylov, etc) et français
(Myriam Crapart).
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Dans
plusieurs pages de son roman Noublie pas davoir
peur (Gallimard, 2000), Marc-Alfred Pellerin évoque
le JIPTO comme un élément important de la vie quotidienne
en Yakoutie. Ce roman a gagné le prix «Sang dEncre »
de 2002.
Le JIPTO apparaît
sur lune des premières pages :
« Yakoutsk. Au siège du Journal de la Jeunesse Sakha.
Le journaliste Volodia est seul dans son bureau, comme souvent
en début daprès-midi. II a composé
un numéro, attend.
À deux blocs de là, dans les locaux de la police
judiciaire, Gennadi Orsoniev décroche, sans quitter des
yeux lécran sur lequel cinq rennes sauvages, figurés
par de petits cercles blancs, tentent desquiver la poursuite
dun loup, figuré par un grand cercle noir. Linspecteur
Gennadi Orsoniev ressemble à lidée quon
peut se faire dun moine mongol ou tibétain, ascétique
et lettré. On lui donnerait entre vingt-cinq et trente
ans. Son visage émacié, au teint brun, exprime
une attention aiguë mais sans malveillance. Il est en train
de se demander sil ne tient pas une variante inédite
aux règles du JIPTO. Une suggestion qui mériterait
peut-être dêtre communiquée au mathématicien
Tomski, linventeur de ce jeu de poursuite. » |
Commence une conversation « codée »
dans les termes du JIPTO :
« Après un silence un peu bourdonnant dans
le récepteur, une voix demande
- Loup noir?
Le nom de code quutilisait le journaliste Volodia Kyseliov
pour téléphoner à Gennadi du temps où
ils se rencontraient souvent, en amicale complicité.
Le policier fronce les sourcils, répond
- Renne blanc.
Poursuivant leur conversation codée, ils se donnent rendez-vous
au club de Jipto. Une fois là-bas, ils feront mine de
sêtre retrouvés par hasard. »
Le jeu aide à créer une ambiance particulière
pour la rencontre de linspecteur Gennadi Orsoniev et le
journaliste Volodia Kyseliov, à décrire leurs pensées
et sentiments :
« Volodia arrive le premier. Le club de JIPTO est
au centre de la ville, au rez-de-chaussée dun immeuble
mal construit, mal entretenu, dans latelier du vieil Ilya,
réparateur de machines à écrire et grand
adepte du jeu. Il y consacre dailleurs à présent
presque tout son temps. A Yakoutsk comme ailleurs, les machines
à écrire, même électriques, ne valent
plus le prix dune réparation. Pour lété,
la majorité des écoliers, des lycéens, des
étudiants sakhas ont quitté la capitale. Rentrés
au village, aider la famille à faire les foins. Dans la
grande pièce vide, penché sur son plateau de Jipto
le vieil Ilya joue une partie solitaire.
Le journaliste fait semblant de se poser soudain la question.
Puis, lentement, comme menant une réflexion
- Si je me souviens bien, cest la standardiste qui ma
passé ce correspondant. Il aura donc dû donner mon
nom. Dun autre côté, jétais seul
dans le bureau. Il a pu demander seulement la rédaction.
Je pourrais vérifier. Dun économe mouvement
de tête, Gennadi décline la proposition. Volodia
comprend que le policier médite linformation. Un
renne blanc de Gennadi franchit la première ligne du territoire
gardée par le loup noir. Un point pour Gennadi.
Linspecteur questionne. Apprend que Lydia Alexandrova,
femme de Viktor et soeur de Volodia, est en Ouzbekistan. Que
Viktor Alexandrov est, lui-même, en mission aux États-Unis. »
Le journaliste Volodia (« Loup
noir »), très excité, ne peut pas se
concentrer sur le jeu, il « joue comme un loup ivre » :
« Un second renne blanc échappe au loup noir.
Deux points pour Gennadi. Volodia éprouve la désagréable
impression que le policier ne le croit quà demi.
Pour se rassurer, il révise mentalement le scénario
quil a construit : La Milice enregistre un appel anonyme.
Un peu plus tard, lui, Volodia, reçoit, en tant que journaliste,
le même message. Même voix, dailleurs, au cas
où elle aurait été enregistrée par
quelque service découte. Lui, Volodia, téléphone
alors au père de la jeune fille kidnappée, son
propre beau-frère. Puis il met au courant et consulte,
à titre personnel, son ami inspecteur. Jusque-là,
tout se tient. En supposant que Gennadi désire mener sa
propre enquête, il pourrait interroger la standardiste.
Qui lui confirmerait la réalité du coup de téléphone,
se souviendrait de linsistance du correspondant. Parfait.
Mais, soudain, une bouffée de chaleur monte au visage
de Volodia. Si Gennadi interrogeait le portier, celui-ci risquerait
de parler de la visite reçue le matin même par le
rédacteur Volodia Kyseliov. Un garçon en treillis.
Plutôt mauvais genre. Espérant ne pas avoir rougi,
Volodia essaye de reconstituer la scène. II se voit débouchant
dans le hall, se diriger vers Inokenti. Pourquoi la-t-il
fait si théâtralement, en écartant les bras
? Pourquoi a-t-il prononcé à haute voix son nom
: Inokenti ! Et cette accolade ! Ces tapes dans le dos. Il entend
encore Inokenti lui dire «Je ne taurais pas reconnu.»
Il se voit lui prendre le bras et sortir. Et cette lèche-botte
de stagiaire qui leur tenait la porte. Encore un qui pourrait
témoigner si linspecteur enquêtait au journal.
En attendant, un troisième renne vient de sauter la ligne.
- Désolé, Gennadi, je joue comme un loup ivre.
Je ny suis pas du tout. Tu me comprends, jespère.
Cette histoire me tracasse. »
On apprend bientôt que
le JIPTO a joué un rôle important dans la vie de
linspecteur :
« Avant de sendormir, couché bien à
plat sur le dos, linspecteur Gennadi a fait le point de
ce quil appelle laffaire Volodia. Ce journaliste
bienveillant, paternel, riche dune souriante expérience,
quil avait, un jour déjà étrangement
éloigné, rencontré autour dun plateau
de JIPTO Cela remontait à lépoque où
Gennadi venait dachever ses études de littérature
étrangère. Il découvrait le JIPTO et passait
des heures à y jouer. Pour gagner de quoi survivre, il
travaillait la nuit, dans un entrepôt de poisson. Emmitouflé,
il chargeait sur des wagonnets des poissons raides comme des
obus, empilés à linfini le long dun
réseau de tunnels taillés dans le permafrost. Cette
souterraine banquise, à léclairage imperturbable,
au froid éternel, exerçait sur son esprit un effet
anesthésiant. Quelques heures par jour, le JIPTO le maintenait
en éveil.
Le journaliste avait pressenti le risque que ce mode de vie faisait
peser sur lavenir de son jeune partenaire. Il lavait
fait parler. De ses études, de son goût pour la
littérature française et en particulier de ladmiration
qui le portait à lire et à collectionner les livres
de Georges Simenon. Après avoir consacré sa thèse
au commissaire Maigret, Gennadi avait dailleurs commencé
une traduction en sakha dun des romans policiers de ce
Belge dont Volodia navait jamais entendu parler. Pratique,
le journaliste avait averti son cadet. Aucun avenir dans lenseignement
du français à Yakoutsk. Sans parler de la traduction.
Et encore moins de la littérature. Mais, puisque le héros
de ce Simenon était commissaire, pourquoi pas la police
?
En empilant ses poissons, Gennadi avait pesé plusieurs
nuits la suggestion du journaliste. Une invitation à descendre
du rêve dans la réalité. Mais quand Volodia
lui avait finalement proposé de le recommander auprès
dun haut fonctionnaire de la police, Gennadi avait accepté.
Dans ses moments de liberté, il pourrait toujours continuer
sa traduction. Une fois devenu inspecteur, des occasions sétaient
présentées de rendre service au journaliste. Des
renseignements. Des confirmations. Des mises en garde. De son
côté, Volodia lavait assisté dans sa
carrière, en lui présentant lun, le faisant
valoir auprès dun autre. » |
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Gennadi («Renne
blanc») termine bien son enquête sur lenlèvement
mystérieux dune fille du professeur Alexandrov.
Il y a beaucoup de scènes de poursuite : sur la Magistrale
qui joint Yakoutsk à la Transsibérienne, dans la
taïga, sur le fleuve Léna avec les voitures, les
bateaux et les hélicoptères. |
Volodia (« Loup
noir »), plongé dans une relation amoureuse
impossible et dans des problèmes psychologiques difficiles,
finit par se suicider.
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Lautre roman
de Marc-Alfred Pellerin Inokenti ( Albin Michel, 2004)
est directement inspiré par le JIPTO. Rempli de scènes
de poursuite et dévasion, il rappelle un peu les
aventures de Tarzan et dautres uvres sur des enfants
adoptés dans les forêts par les animaux. Lhistoire
se déroule pendant la dure époque de Staline.
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Dans une des premières
scènes, Inokenti exilé dans le Grand Nord avec
sa mère et ses frères, joue aux jeux de poursuite
sur le bord de lOcéan Arctique.
« Soudain, Inokenti se lève. Il vient de penser
au fils Ligatchev. En trois bonds sautillants, quittant la grève
humide, il monte sur le banc de sable. Un mètre peut-être
au dessus du niveau de la mer. De là, il voit tout. Quatre
de ses frères, égrenés par rang de taille,
courant vers le bivouac. Derrière, le fils Ligatchev,
plus âgé, plus grand, courant beaucoup plus vite.
Rejoignant le dernier, lui flanquant, sans même ralentir,
un grand coup du plat de la main sur la nuque. Le frère
tombe à genoux. Inokenti sait quil a mal. Quil
serre les lèvres pour ne pas pleurer. Courant toujours,
le fils Ligatchev nest plus quà deux foulées
dun autre frère. Il est en train de venger linjustice
dont ses parents lui répètent quils ont été
victimes. Si des Ligatchev, russes de pères en fils, consciencieux
fonctionnaires, ont été envoyés ici par
erreur, les autres déportés, fascistes et yakoutes
sont, eux, de vrais éléments antisociaux. Qui nen
baveront jamais trop.
Cahotant sur ses petites jambes, Inokenti se lance aussi vite
quil peut vers le bivouac. Se mettre sous la protection
du frère aîné. Que le fils Ligatchev, depuis
un saignant corps à corps, nose plus approcher.
Mais laîné les a avertis. Hors du bivouac,
quils se débrouillent. Le loup ne peut pas être
après chaque louveteau. Inokenti court donc, se rapproche
du bivouac mais aussi de ses deux derniers frères encore
en fuite et du fils Ligatchev qui les poursuit, le bras déjà
levé sur sa prochaine victime.Dinstinct, sans lavoir
pensé, Inokenti dévie sa route. Il ne court plus
droit au but. Il écarte sa course de celle du dernier
de ses frères que le fils Ligatchev poursuit encore. Bouche
grande ouverte, haletant, galopant irrégulièrement,
Inokenti, au lieu de foncer au bivouac, va léviter,
le dépasser, le mettre entre lui et leur poursuivant.
Le fils Ligatchev devine la manuvre, infléchit sa
course. Il va très vite. Inokenti na aucune chance.
Mais il en donne une à son frère qui reprend du
terrain.
Du bord de leau où se déroule la pesée
du poisson, laîné de la famille observe la
fuite de ses frères, la manuvre dInokenti.
A genoux sur le sable, une main à leurs nuques douloureuse,
les trois frères déjà battus suivent avec
un espoir étonné la course soudain hésitante
de leur tourmenteur. Ils lont vu se détourner pour
ne pas laisser Inokenti séchapper. Puis revenir
sur son autre proie. Trop tard. Le frère fuyard, soudain
fou despoir et de fierté, a déjà trop
davance.
La mère, absente aux jeux des enfants, accroupie tête
penchée, raccommode les mailles du filet déplié
tout autour delle. Entre ses lèvres gercées,
une arrête desturgeon quelle utilise pour desserrer
les nuds. Intimidé, le fils Ligatchev nose
pas approcher. Toujours courant, il contourne le bivouac. Il
va couper la route dInokenti qui trottine désespérément,
droit vers le feu, protection sacrée. Le fils Ligatchev
court bras en tenailles, mains ouvertes, comme on le fait pour
prendre un renne qui fuit au moment dêtre attelé.
Ce morveux-là, au moins, ne lui échappera pas.
Terrorisé, le gamin trébuche, roule au sol. Le
grand Ligatchev a juste le réflexe de léviter
pour ne pas se prendre les pieds dans le petit corps roulé
en boule. Mais aussitôt il sarrête en fichant
ses talons dans le sable, pivote, revient sur Inokenti. Flairant
que cet avorton est plus dangereux à terre que debout,
il se méfie dun coup de pied. Mais ce sont deux
poignées de sable qui lui incendient les yeux. Et Inokenti
en profite pour se remettre à trotter vers le bivouac.
Le fils Ligatchev a fait demi-tour. Dun pas incertain,
se frottant les yeux, il séloigne. Arrivé
au chenal, il fait quelques pas dans la mer, se baisse prend
de leau dans ses mains en coupe, rince longuement ses yeux
et ses paupières douloureusement ensablés. »
Ces jeux par leur cruauté
soulignent les relations compliquées entre les différentes
catégories des exilés (russes, polonais, lithuaniens,
sakhas, etc.) et rendent le récit plus dynamique. Après
une catastrophe naturelle, rescapé, il est emmené
à la « Base 124 » :
« Un récit se dégage. Il est question
dun orage. Sans tonnerre. Sans nuage. Sans vent. Arrêté
soudain, comme il avait commencé. Et puis la foudre tombée
sur un banc de sable. Y laissant un trou et, au bord du trou,
un enfant inanimé. Un yakoute. Que la baleinière
a évacué. Le gosse de linfirmerie.
Ensuite, locéan était redevenu si calme quon
ne lui prêtait pas plus attention quau ciel absolument
serein. Et cest pourquoi personne na vu, en plein
après-midi, arriver la vague, ou les vagues; certains
diront trois, dautre sept. Quand locéan déferla
dans un énorme fracas, il était trop tard pour
fuir. En quelques secondes, une effrayante plaque liquide submergea
les bancs de sable, la plage. Dans son élan, elle franchit
les dunes, noya la toundra, projetant pêle-mêle morts
et blessés. »
Inokenti passe un long hiver en compagnie dun médecin
polonais, dun exilé lithuanien, du commandant de
cette base, il commence à jouer au jeu avec un « poursuivant »
et cinq « fugitifs », representés
par les petits galets. Ces trois personnages si divers, devenus
ces amis, vont mourir de maladie ou daccident. |
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Inokenti décide
de sévader et de fuir vers la Yakoutie Centrale,
son pays natal. Sa longue route à travers la toundra et
la taïga donne libre cours à limagination de
lécrivain, grand connaisseur de la nature, car Pellerin
a été forestier dans sa jeunesse, puis a effectué
beaucoup de voyages des Andes à lOcéan Arctique.
Les aventures dInokenti sont extraordinaires : lamitié
avec des animaux sauvages, le gigantesque incendie de taïga,
la rencontre avec une petite tribu de nomades délibérément
coupée des autres hommes depuis des générations,
etc. Le garçon ne se sépare jamais, en aucune circonstance
de son jeu qui lui suggère parfois des solutions salvatrices
dans les situations difficiles. |
Finalement, Inokenti est capturé
:
« Bien des jours et bien des nuits plus tard, il sera
surpris, désarmé et capturé dans son sommeil
par des evenks appartenant à un sovkhoze déleveurs.
Ils le poursuivaient à son insu depuis il quavait
abattu et dépecé un faon de leur troupeau. Il
ne comprend pas leur langue. Ne répond pas à leurs
questions. On le convoie, pieds nus, en loques, ligoté
sur un renne, jusquà un village, au bord dun
fleuve encore gelé. Aucun des trois miliciens russes du
poste ne comprend la langue evenk. Ils congédient les
sovkhoziens. Le plus jeune des miliciens interroge lenfant
qui reste muet. Le plus vieux écrit sur un cahier que
le délinquant a refusé de répondre à
leurs questions. Le troisième emballe le pistolet, le
ceinturon, les balles, le coutelas et six figurines de bois dans
un morceau de papier huilé brun qui sent le rance. On
conduit lenfant dans une cabane sans fenêtre. On
lui donne une portion de viande de renne fumée, une gamelle
deau et on lenferme. »
Bientôt il devient le « prisonnier N°162 »
dun camp, non loin de la Yakoutie Centrale. Son jeu devient
rapidement populaire parmi les autres prisonniers et finit par
intéresser le commandant du camp, grand amateur des Echecs.
Le roman se termine par un tournoi qui rend à Inokenti
sa liberté :
« Le commandant accueille debout Inokenti, le salue
de la tête, lui fait signe de sasseoir, sassied
à son tour. Désignant les cinq pions à têtes
nues, le commandant veut savoir comment les nommer. Inokenti
répond en yakoute que ce sont les évadés.
Le commandant lève les yeux. Il a peut-être compris. Linterprète
traduit littéralement. Un mensonge serait alors plus risqué
que la vérité. Alentour, on chuchote de rang en
rang. Le commandant a tendu les évadés à
Inokenti. Lui-même dispose la figure à casquette
trop large au centre de sa ligne de fond. Du 162, le commandant
ne voit quun crâne tondu piqueté dune
repousse drue, dun noir luisant. Linterprète
précise que le jeu se joue en six manches. Sept sil
y a égalité. Cest une règle quil
vient dinventer. Car Inokenti a toujours joué et
gagné jusquà ce que son adversaire renonce.
Le commandant demande au 162 quel est son prénom. Et quel
présent demanderait lenfant sil battait le
commandant ? Sortir du camp, répond Inokenti. Cette
fois, pas besoin de traduire. Le commandant a compris. Déja
les cinq détenus en bois de bouleau poussés par
Inokenti se lancent vers la liberté. Il leur faut tourner
le gardien à casquette, tromper sa poursuite. Deux fois
plus gros queux, il se déplace deux fois plus vite.
Mais ce sont les frères dInokenti qui galopent sur
le sable pour échapper au grand Ligatchev. Et cest
lui, le plus petit, qui détourne la brute, lécarte
de ses frères.
Ayant laissé séchapper trois des cinq détenus,
le commandant relève la tête, ne voit que le haut
du crâne de son petit adversaire. Et cest à
son tour de jouer les évadés. De se faire manuvrer,
tourner, de perdre encore. Est-ce que ce jeu serait moins simple
quil ne lui a paru ? Ou cet enfant, exceptionnellement
habile et réfléchi ? Il ny aura pas
besoin de sept manches ni même de cinq ou de quatre. Daffilée,
Inokenti a gagné trois fois.
Le commandant a tenu parole. Il a confié lui-même
lenfant sans patronyme à linstitutrice du
village de pêcheurs. »
Nous voyons que dans les romans
de Marc-Alfred Pellerin le JIPTO est utilisé avec un grand
art pour les descriptions des caractères des personnages,
de leurs sentiments, pensées et buts. Les deux romans
que nous avons analysés sont très différents.
Dans le premier il y a beaucoup de personnages : jeune et
belle fille du marché, un député, un journaliste
américain, les membres des mafias russe et americaine,
les scientifiques, les hommes daffaires et même le
Président de la Yakoutie. Les phrases sont courtes et
nettes, il y a beaucoup de dialogues. Edourd Waintrop le commente
dans les termes suivants : « Le rythme quil
arrive à donner à cette histoire, la façon
dont il noue les destins de tous ses personnages font quon
lit ce polar subpolaire comme on avale une vodka : dun
trait » (Libération, 16.11.2000). Le deuxième
roman contient de nombreuses descriptions des paysages dans les
diverses saisons de lannée, le personnage principal
est souvent seul ou en compagnie des animaux sauvages, il y a
très peu de dialogues. |
Notons que la composition du JIPTO
« Poursuivant » (© G. Tomski, 1988-1992)
ma inspiré décrire le roman historique
Les amis dAttila [ JIPTO International, Yakoutsk,
2001; Paris, 2002] et du scénario daprès
ce roman [Tomski G. Attila : Scénario et dialogues,
JIPTO International / Agora Medias, 2002]. |
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