Extraits du livre de Grigori
TOMSKI, L'UNESCO et les ONG, Editions du JIPTO, 2005
:
" Après l’éclatement
de l’Union soviétique, en 1990-1999, la Yakoutie
a eu une très large autonomie, exprimée en septembre
1990 dans la déclation de la souveraineté de la
République Sakha (Yakoutie) et fixée, en 1992,
dans le Traité fédéral signé à
Moscou.
Le Président du Parlement, Mikhaïl Nikolaev a été
élu Président de la République le 20 décembre
1991 et une nouvelle Constitution a été adoptée
le 27 avril 1992. Ce nouveau statut a été considéré
comme la possibilité de coopérer de manière
ouverte et active avec tous les partenaires sur la base de l’égalité
et de l’avantage mutuel. En 1990, je dirigeais les recherches
mathématiques en Yakoutie et ne soupçonnais pas
que j'allais devenir un fonctionnaire international. En 1991,
j'ai assisté à une réunion dans la Maison
du Gouvernement de la Yakoutie. Le Président de Yakoutie
nous a informé du projet de la création du Comité
National pour l'UNESCO et que la Yakoutie détacherait
un expert auprès de l'UNESCO. J'ai remporté un
concours et, en 1992, je suis venu en France.
En effet, afin que les réformes dans les domaines de l’éducation,
la science et la culture soient menées avec toute la compétence
nécessaire, la Yakoutie a recherché l’appui
de l’UNESCO en tant que centre de réseaux de coopération
internationale, source d’information sur les expériences
novatrices et «fenêtre sur le monde».
Au début de l’année 1991, la Commission Nationale
de la Fédération de Russie et le gouvernement de
la Yakoutie ont créé le Comité National
de la République Sakha (Yakoutie) pour l’UNESCO.
La présidence du Comité, en accord avec ses statuts,
est confiée au Président de la République,
les Ministres de l’éducation, des sciences, de la
culture et des relations extérieures sont membres du Bureau.
Ces dispositions confèrent au Comité une structure
assez efficace.
Outre les Ministres déjà cités, le Parlement
a élu 46 membres parmi les personnalités du monde
intellectuel de la Yakoutie et m’a donné le titre
du « Représentant permanent de la République
Sakha (Yakoutie) auprès de l’UNESCO » (10 septembre
1991).
Le Président Nikolaev avait les excellentes relations
avec Eltsine, Président de la Fédération
de Russie, et les diplomates à Paris ont bientôt
commencé les négociations avec les dirigeants de
l’UNESCO sur mes futures activités. Le 15 mai 1992,
Federico Mayor, Directeur Général de l’UNESCO,
a signé la lettre suivante :
« Dear Professor Tomski
I am very appreciative of the
interest you have shown in co-operating with UNESCO in the field
of science. I have noted in particular that you could be of great
assistance to us in our reflexion on way of strengthening the
development of the scientifique community in the new republics
deriving from the former USSR and on the cultural and educational
issues facing small and medium-sized states. I would therefore
be very glad to be able to call on your advice as an honorary
Consultant ti the Secretariat and, more particularly, to its
Education Sector.»
Deux mois plus tard, je suis
venu à Paris avec la lettre, signée par le Président
du Parlement et adressée à Federico Mayor :
« Nous envoyons au Secretariat
de l’UNESCO le professeur Grigori Tomski - un des meilleurs
mathématiciens de la Russie, qui est bien connu en République
Sakha (Yakoutie) comme l’organisateur des recherches sur
les mathématiques de la décision et des activités
scientifiques des étudiants et des écoliers
Ainsi la République Sakha commence la coopération
directe avec l’UNESCO qui nous intéresse bien comme
l’organisation intellectuelle et culturelle principale du
système de l’ONU. Aujourd’hui, quand le monde
passe de l’emploi de la force physique à celui de
la force de l’intellect, à cette époque d’un
grand tournant il nous faut recevoir une information précise
sur les moyen servant à faire face aux problèmes
qui menacent l’environnement et le développement
social. Nous proposons de réaliser dans notre république
certains projets pilotes de l’UNESCO dans les domaines qui
présentent l’intérêt commun.
Donc notre représentant à l’UNESCO s’intéressera
aux études prospectives et aux problèmes de l’informatisation,
aux applications des mathématiques aux processus de la
décision. Etant l’auteur d’une nouvelle conception
du développement de l’imagination créatrice,
il sera bien utile au secteur de l’Education. »
L’UNESCO m’a considéré
comme « expert de l’UNESCO détaché
par la République Sakha (Yakoutie)», j’ai été
assimilé à un fonctionnaire de l’UNESCO de
grade supérieur P-5. Mon traitement a été
pris en charge par le Gouvernement de la Yakoutie, l’UNESCO
m’a offert «toutes les facilités normalement
accordées aux membres de son personnel pour l’exercice
de leurs fonctions, notamment en ce qui concerne le local à
usage de bureau et les prestations habituellement requise».
J’ai été «soumis à l’autorité
du Directeur Général de l’UNESCO» et
étant fonctionnaire international je n’ai dû
accepter d’instructions «de la part d’aucun gouvernement
ni d’aucune autorité extérieure à l’Organisation».
En conformité avec ces engagements j’ai considéré
mon titre de Représentant permanent de la République
Sakha comme honorifique.
En réalité, mes activités ont été
définies par une description de poste qui ne contenait
que 10% des tâches relevant «des activités
de la Divisions confiées par le Chef de la section ou
le Directeur de la division», je devais consacrer 50% de
mon temps à l’éducation scientifique dans
les domaines de mes intérêts pédagogiques
et scientifiques et 40% a été destiné aux
programmes de l’Académie du Forum Nordique, dirigé
alors par le Président de la Yakoutie, et aux activités
de la Décennie internationale des peuples autochtones.
Notons que la Yakoutie est le plus grand territoire autonome
des peuples autochtones.
Ce statut souple me permettait,
tout en respectant ma description de poste à l’UNESCO,
d’avoir les relations de travail avec le Président
de la Yakoutie Mikhaïl Nikolaev qui a été
Président du Comité National de la Yakoutie pour
l’UNESCO et Président du Forum Nordique, association
des régions du Grand Nord.
Il témoigne dans son livre Pour les générations
futures (Yakoutsk, 1997, p. 72) :
« L’Académie du Forum Nordique commence
ses activités. Elle choisit ses priorités, cherche
les partenaires pour ses projets. Les recherches arctiques ont
toujours été fascinantes et prestigieuses. Leur
valeur pratique et leur complexité sont devenues claires
aujourd’hui pour tous les spécialistes. C’est
pourquoi, nous donnons une si grande importance à une
coopération efficace avec la communauté scientifique
internationale.
En 1993, j’ai discuté l’idée de la création
de cette Académie avec le Directeur Général
de l’UNESCO Federico Mayor. Nous avons décidé
que l’Académie du Forum Nordique doit devenir l’organisation
internationale reconnue des régions du Grand Nord dans
le domaine de l’éducation, de la science et de la
culture. Après la création de l’Académie
et mon élection à la responsabilité de Président
du Forum Nordique, nous avons signé un accord de coopération
entre l’UNESCO et l’Académie du Forum Nordique,
dans les domaines suivants :
- Les problèmes écologiques et les populations
autochtones ; - L’éducation pour tous dans les régions
du Grand Nord ; - Les stratégies du développement
de la culture scientifique et technologique ; - Les problèmes
de communication ; - L’héritage culturel.
La coordination de coopération entre l’UNESCO et
l’Académie du Forum Nordique est assurée par
notre expert au Secrétariat de l’UNESCO, le professeur
Grigori Tomski, spécialiste avec des compétences
très larges (théorie de gestion, modélisation
mathématique, relations internationales, droit de l’économie
internationale et du développement). »
La signature de l’accord
entre l’UNESCO et l’Académie du Forum Nordique
signifia l’établissement des relations opérationnelles
entre cette académie, ayant statut de ONG, et l’UNESCO."
(p. 48-52) |
"En 1992-1998, le Comité
National de la République Sakha (Yakoutie) pour l’UNESCO
a été particulièrement actif. On a organisé
plusieurs colloques sous l’égide de l’UNESCO
à Yakoutsk, les manifestations culturelles dans le Palais
de l’UNESCO.
Ainsi, au mois de décembre de 1993, nous avons organisé
la célébration du centenaire de la naissance de
Platon Oyounski, poète, écrivain, scientifique
et homme politique sakha car cet date a été incluse
dans le Calendrier de l’UNESCO.
Le programme de cette manifestation a été composé
de : - colloque scientifique sur la vie et la créativité
d’Oyounski ; - grand concert dans le Palais de l’UNESCO
et l’exposition ; - inauguration de l’exposition itinérante
«Mammouths de la Sibérie»; - rencontre du
Président de la Yakoutie avec le Directeur Général
de l’UNESCO et discussion sur les modalités de coopération
entre l’UNESCO et le Forum Nordique; - rencontre avec Jacques
Chirac (alors maire de la Ville de Paris) et discussions sur
la coopération culturelle entre Paris et la Yakoutie (l’accord
correspondant a été signe l’année suivante),
etc.
Les colloques et autres manifestations
de l’UNESCO en Yakoutie suscitait un très grand intérêt
de la population et des médias. Citons à cette
occasion le rapport Russie-UNESCO (Commission Nationale de la
Fédération de Russie pour l’UNESCO, 2003)
qui souligne :
« La popularité traditionnelle et l’image idéologique
neutre de l’UNESCO dans notre pays permettent d’attirer
à la réalisation de ses projets des forces intellectuelles
importantes et une partie de la population, les réunir
autours des nobles idéaux et valeurs de l’Organisation.
Le but principal est la contribution au développement
de la science, de l’éducation et de la culture de
notre pays ...
La Russie obtient (grâce à l’UNESCO) l’accès,
pratiquement illimité, aux réseaux de coopération
et aux sources d’information scientifiques .... »
En réalité, une
telle coopération dépend beaucoup de la personnalité
des décideurs. Ainsi le Ministre Egor Zirkov a fait participer
la Yakoutie à plusieurs projets pilotes de l’UNESCO
dans le domaine de l’éducation et entretenait des
relations excellentes avec Colin Power, Sous-Directeur Général
de l’UNESCO pour l’Education. Ses successeurs n’ont
pas contribué suffisamment à développer
ces projets intéressants.
Vassili Filippov, Président de l’Université
de Yakoutsk et Président de l’Académie des
Sciences de la Yakoutie a effectué un stage à l’Institut
International de la Planification de l’Education de l’UNESCO
et a organisé plusieurs stages et missions scientifiques.
De l’autre côté j’ai vu souvent l’inefficacité
des fonctionnaires qui n’ont pas su soutenir rapidement
des projets, tels que le remarquables projet du centre culturel
et éducatif «Homme et Renne» dans la vallée
de la Vézère inscrite dans le Liste de l’UNESCO
du patrimoine mondiale, ce qui brisaient l’élan de
leurs auteurs. Pourtant le projet «Homme et Renne»
ne demandait aucun investissement de la part de la Yakoutie,
il aurait été également intéressant
pour le Forum Nordique.
L’Académie du Forum
Nordique poursuit ses activités. Le Forum Nordique entretient
les relations avec plusieurs organisations de l’ONU et des
grandes ONG internationales. Au mois de février 1997,
la République Sakha a signé les accords importants
avec l’UICN et le WWF. La Yakoutie s’est engagé
à conserver 700 000 km² soit le quart de son territoire,
comme réserve pour les générations futures.
De son coté, le WWF a inscrit cette opération dans
le cadre de son grand projet «The Living Planet»,
qui vise à protéger 10% des écosystèmes.
Le Président Nikolaev a declaré à cette
occasion :
« Je pense que l’Arctique et le Grand Nord joueront
un rôle très important dans la civilisation mondiale
future. Je suis sûr que l’humanité puisera
de l’Artctique et du Grand Nord, comme d’une source
vivifiante, sa prospérité, sa force spirituelle,
des valeurs nouvelles. Le potentiel économique et culturel,
les ressources naturelles du Grand Nord sont immenses et nous
n’avons pas encore bien pris consciences de son importance.
Nous devons comprendre que ce potentiel est destiné à
l’avenir et doit être gardé pour les génération
futures ; on peut considérer le Nord comme la zone-réserve
pour toute la communauté mondiale. » (Pour les générations
futures, p. 49).
« Nous mesurons bien la portée de nos initiatives
à l’échelle de la planète tandis que
les menaces pesant sur la biosphère ont augmenté
en rapidité, ampleur et échelle à tel point
que leur gravité pour la qualité de la vie, et
même la survie de l’humanité, devient de plus
en plus sérieuse. » (Ibid, p. 52).
A cette occasion, je voudrais noter les grands efforts du Ministère
de l’Environement de la République Sakha dirigé
par le docteur en biologie Vassili Alexeev. Il a commencé
comme un des dirigeants du mouvement écologiste. Il est
un des membres efficaces de notre équipe gouvernementale,
capable de mener des réflexions méticuleuses et
des actions de longue haleine fin de résoudre les problèmes
les plus difficiles. » (Ibid, p. 55).
Il existait le projet de la
création du Centre de l’Académie du Forum
Nordique à Paris afin de rendre durables ses relations
avec l’UNESCO, assurer l’édition et la diffusion
en Europe des travaux de ses membres, etc. Ce projet n’a
pas été réalisé par suite du krach
financier de 1998 en Russie qui a fragilisé le Secrétariat
de l’Académie situé à Yakoutsk et le
Comité National pour l’UNESCO de la Yakoutie.
Dans ces circonstances, au début de 2000, j’ai obtenu
l’autorisation de ne me concentrer que sur les activités
de la FIDJIP et de développer encore quelques années
le projet «Jeux et Education» avec la section de
l’éducation de base de l’UNESCO. " (p.
118-121) |
Notons que le Comité National
pour l’UNESCO de la Yakoutie a passé un cap difficile
et reprend avec succès ses activités (Flash Info
de l’UNESCO, n°095-2005) :
« Journée de Sakha-Yakoutie à l’UNESCO
31-05-2005
Le Directeur général, M. Koïchiro Matsuura,
a procédé, le 30 mai 2005, aux côtés
du Président de la République de Sakha-Yakoutie
de la Fédération de Russie, M. Viacheslav Chtyrov,
et de l’Ambassadeur délégué permanent
de la Fédération de Russie auprès de l’UNESCO,
M. Vladimir Kalamanov, à l’ouverture du concert d’artistes
yakoutes organisé dans le cadre de la célébration
de la Journée de Sakha-Yakoutie à l’UNESCO,
après avoir visité en leur compagnie l’exposition
d’artisanat yakoute présentée à cette
occasion.
Dans son allocution, le Directeur général s’est
félicité de l’entretien fructueux qu’il
venait d’avoir avec le Président, au cours duquel
il a pu constater « combien les relations entre la République
de Sakha-Yakoutie et l’UNESCO se consolident chaque jour
davantage, en particulier dans le domaine de la biodiversité
et de la sauvegarde du patrimoine immatériel »,
et s’est réjouis de la perspective de répondre
à l’invitation du Président de visiter la
République.
Il a souligné combien « la soirée organisée
aujourd’hui illustre à merveille le lien intrinsèque
entre la diversité culturelle et la biodiversité
que l’Organisation n’a de cesse de promouvoir »,
en concluant : « L’UNESCO, profondément attachée
à la sauvegarde et promotion de ce patrimoine et des cultures
autochtones, salue donc la contribution unique de la République
de Sakha-Yakoutie de la Fédération de Russie au
patrimoine commun de l’humanité. »
Une conférence scientifique sur «La culture du permafrost»
est par ailleurs organisée, le mardi 31 mai toute la journée,
dans le cadre de cette Journée consacrée à
la Sakha-Yakoutie. » (p. 121-122). |