Vie de RENÉ- LÉON PÉTEL , page 13

dans de petits ateliers de mécanique et de décolletage du XIème arrondissement et plusieurs des ménagères ne sont jamais sorties du quartier. Leur plus lointain horizon se borne au marché de la rue d'Avon et elles ignorent toujours le reste de Paris. Dans la rue Alexandre Dumas passe encore parfois un petit troupeau de chèvres avec le gardien et marchand de fromages jouant du flutiau pour attirer les chalands. Les finances du ménage sont toujours plutôt réduites malgré le travail de René qui roule souvent de nuit et rentre au petit matin. En outre il a conservé son aversion pour le paiement des impôts qu'il considère comme une contrainte abusive et de l'argent "jeté par les fenêtres". Aussi ne s'y résigne-t-il qu'à la dernière extrémité et 1'on voit arriver au domicile, avertissements et commandements, feuilles vertes, bleues etc....et jusqu'à l'huissier dressant inventaire et signalant à Renée en larmes qu'il ne lui restera qu'une table, les lits et sa machine à coudre.... Au tout dernier moment René se débrouille, prend une avance, ou emprunte, et c'est reparti jusqu'à l'an prochain ou deux au plus!
A la fin de l'été 1927, départ, avec soulagement, de la rue Alexandre Dumas. On s'installe dans un pavillon de la cité-jardin H-B-M- (Habitations à Bon Marché) de Cachan 18 place Victor Hugo. Milieu pittoresque que celui des familles de moyens modestes vivant autour de cette petite place. Par contre cet environnement n'est pas toujours aussi calme et réservé que l'auraient souhaité nos nouveaux arrivants. D'abord dans la partie mitoyenne du pavillon, la famille d'un facteur des P.T.T. (aujourd'hui: préposé des P. et T.). On y témoigne assez souvent les fins de semaine d'un goût pour l'agitation nocturne, avec quelques déplacements de meubles dégringolant un escalier, le tout ponctué de sonneries de clairon jouées par le fils aîné, vers minuit ou une heure du matin, que la proximité rend assez percutantes. Le père est aussi membre de "l'Etoile d'or", ensemble de bigophones qui vient se réunir devant sa porte avant certains défilés et fait profiter l'entourage de ses accents cuivrés et pas toujours d'une harmonie impeccable, surtout pour le joueur de violon qu'était René. De sa tournée, Av. d'Orléans à Paris, le facteur rapporte (en ne manquant pas d'en faire état auprès de sa voisine des "occasions" cédées en fin de matinée ou de journée par les commerçants de son secteur. L'odeur puissante émanant de la cuisson, des poissons en particulier, laisse aux voisins des doutes sur la fraîcheur absolue des dites occasions ! De l'autre côté se trouve une famille qui prétend à la respectabilité, laissant entendre que le père descendrait... d'un noble espagnol et qui, surtout, se targue d'une pratique religieuse stricte. René, qui adore donner des surnoms parfois assez "verts" , les baptise: les "Culs-bénis". Chez eux l'économie sur les frais domestiques, et particulièrement ceux relatifs à l'hygiène est très poussée. On s'y lave tous dans la même cuvette d'eau ; le père d'abord, puis la mère et ensuite les trois filles. Un jour la plus jeune (9 ou 10 ans) fait scandale en poussant le gaspillage jusqu'à changer l'eau pour elle. Viennent ensuite les Azaïs, qui, par analogie avec l'auteur aujourd'hui un peu oublié, du système des compensations, furent pour nous, les "Philosophes". Monsieur était d'apparence plutôt effacée et calme(sauf "poussé à bout"). Devenu muet à la suite d'un accident de voiture, il survécut peu. Sans doute par suite d'une grave coupure de la langue, bien que certains aient prétendu que c'est parce qu'il ne pouvait plus répliquer à sa femme. Il faut dire que Madame "Philosophe" était d'un caractère très expansif accentué par un usage immodéré des boissons fortes et en particulier du rhum dont elle achetait 2 bouteilles par semaine au vendeur d'épicerie, M. Jean, passant dans la rue avec sa carriole tirée par un cheval. Le médecin lui ayant prescrit un jour de prendre un bol de lait chaud avec quelques gouttes de rhum, elle inversa les proportions et ... fut cependant guérie de son mal de gorge ! Ayant sans doute dépassé certaines bornes, elle fut un soir mise à la rue, malgré ses cris, par l'époux excédé mais...dans le costume d' Eve. Sa fille lui jeta quelques vêtements par la fenêtre du premier étage et son ballot sous le bras, mais toujours dans le plus simple appareil, elle traversa la place pour se réfugier à la porte du facteur, laissant les voisins, attirés par ses cris, ébaubis et plutôt