Vie de RENÉ- LÉON PÉTEL , page 16

T.S.F. que constant Badier, remplaçant le sien, avait donné à son beau-frère. Quand les démontages, changements de lampes et remontages aboutissaient la famille pouvait écouter les émissions du Poste Parisien et de Radio Toulouse. Pendant les années de guerre, la possibilité de bénéficier de quelques suppléments de viande aidera à supporter les restrictions alimentaires. René pourtant ne cherchera jamais à tirer plus grand parti de ces facilités et, tout en se maintenant à la limite du nécessaire un amaigrissement sensible fut le lot de tous les membres de la famille. Il fut plus spectaculaire chez la mère de famille. Il faut dire qu'à un moment, par suite d'un mauvais fonctionnement organique elle avait atteint l02 kilos. Elle n'en pèsera plus que 80 à la fin de la guerre.
René supplée aussi à la rareté du charbon en s'attaquant aux arbres du jardin. Il en abattra, dessouchera et débitera près d'une dizaine (il a plus de 60 ans). Francis mobilisé en 1939, quelques mois après son mariage, servira à bord du ravitailleur de sous-marins "Jules Vernes". Démobilisé à Casablanca et rentré en France, il devra repartir comme travailleur réquisitionné à Berlin en 1942. Après une permission en 1943 il repartira pour ne laisser Claude seul là-bas, car celui-ci a fini par être raflé par le S.T.O. en juillet 1943 et envoyé aussi à Berlin. Si Claude réussit à revenir fin février 1944 et a se "planquer" jusqu'à la libération, Francis, lui, restera bloqué, vivra le siège de Berlin, l'arrivée des troupes russes et réussira, avec un grand sang-froid, à regrouper quelques camarades et à rejoindre, par ses propres moyens, la zone des armées américaines pour être rapatrié enfin en 1945. Les restrictions et les inquiétudes ont sûrement fatigué et usé Renée et René. Ce dernier rêve quelquefois à la retraite dans une petite maison sur la cote de Granville ou Cancale, avec un petit canot sur la grève....mais cela restera un rêve! Même avec des horaires moins stricts, il est toujours en activité bien qu'il est atteint et dépassé 70 ans. C'est après son 71ème anniversaire, en octobre 1949,qu'il subit un grave malaise (qui est en fait un infarctus). Hélas il est suivi par un médecin bien particulier (il finira d'ailleurs aliéné) qui diagnostique, comme une simple névrite, la douleur pourtant caractéristique ressentit dans le bras gauche. René ne se remet pas mais s'entête à ne pas consulter un autre docteur.
Fernand Badier intervient et lui envoie d'autorité son cardiologue. Celui-ci constate la réalité et fait transporter d'urgence le malade à l'Hôpital de Créteil où on le soigne rapidement...Malheureusement on a trop tardé. La religieuse-infirmière responsable du service dira: "cet homme était bâti pour vivre centenaire, si seulement on nous l'avait amené plus tôt!"....mais on a attendu plus de 15 jours.! René ne peut remonter la pente et une crise d'urémie finit par l'emporter le 6 novembre 1949.
Si en apparence sa vie peut paraître plus riche en échecs qu'en réussites, il laisse cependant une grande image derrière lui où les cotés exceptionnels de son personnage gomment les quelques aspects négatifs qu' avait pu ressentir son entourage familial. C'est celle d'un homme surtout indépendant, épris de justice, ne supportant pas le mensonge. C'est le seul défaut qu'il ne pardonnait pas chez ses enfants, sa rigueur fustigeant ensuite la paresse. Aimant l'espace et la nature, il jugeait par contre les hommes plutôt en misanthrope mais avec plus d'ironie railleuse que de véritable aigreur. Sa verve moqueuse s'attaquait surtout aux parvenus trop gonflés de suffisance. Il détectait et ne supportait pas la bêtise. Il disait qu'il valait mieux avoir un ennemi intelligent qu'un allié stupide. Vis-à-vis de la société et des autorités, c'était au fond un individualiste anarchiste, mais respectueux par contre des traditions, des racines anciennes. Il avait un sens artistique développé, le goût des belles choses. Physiquement trapu et vigoureux, il pouvait passer d'un style rabelaisien à une politesse "grand siècle" et séduire par sa prestance et son charme souriant.