Vie de RENÉ- LÉON PÉTEL , page 5
René partageait avec un ou deux camarades une chambre dont le mobilier comportait en permanence un tonneau convenablement rempli, au pied des lits.
Muni de son diplôme, il ne trouvera pas aussitôt pour autant un embarquement comme officier. Seul élément précis : nous savons qu'en mai et juin 1904, il est timonier du paquebot "Martinique" pour un voyage du Havre à Colon (Panama) où il débarque.
De juin à décembre 1905 il est cependant second capitaine de la goélette " Joséphine ".
Il était de toute façon exclu qu'il ait le Commandement d'un navire, car pour cela les armateurs demandaient une caution, et ni sa mère, ni son beau-frère constant Badier ne voulurent jamais s'y engager. L'esprit fantaisiste et indépendant de René leur donnait une excuse que l'on peut comprendre. Il est probable qu'il naviguât donc comme lieutenant ou comme second, surtout à bord des bâtiments de l'armement Bordes de Nantes qui lancèrent les derniers grands voiliers de la marine marchande française.
Sur la période "maritime " de la vie de René Pétel nous ne disposons par ailleurs que des souvenirs ou anecdotes, sans chronologie précise, recueillis oralement soit de l'intéressé, soit par l'intermédiaire de l' aîné de ses neveux actuellement vivant (1986) Fernand Badier né en décembre 1900.
Souvenirs d'escales et de chargements de nickel à Nouméa, ou de guano à Iquique, au Chili avec encore un passage du Horn; souvenir de 2 embarquements manqués à Dunkerque sans que l'on sache s'il s'agit de 2 faits se succédant ou s'étant produits à quelque temps d'intervalle :
se trouvant les poches à sec du moindre sous (il est probable que cela arrivait assez rapidement après chaque retour de voyage), René obtint de sa mère qu'elle lui fournisse de quoi faire face à un nouvel embarquement - sans doute comme lieutenant ou second- et il rejoint Dunkerque avec cantine regarnie, uniforme neuf, sextant etc...
Disposant d'un délai de quelques heures, il retrouve dans un estaminet du port, un groupe de camarades. Arrive là, un lot de marins anglais avec lesquels comme souvent s'échangent rapidement des propos...disons..,discourtois, qui servent de prétexte à une solide bagarre, avec renversement des tables..,etc... Est-ce pour achever la déroute des "goddems" (2) ou pour retourner une situation devenant défavorable aux siens, toujours est-il que René attrape le chien du patron et le tenant par la queue, le fait tournoyer et le catapulte enfin en une trajectoire qui finit dans la vitre de la devanture qui n'y résiste pas!
Le patron prend très mal la chose, la police alertée, constate les dégâts et, finalement, René désigné comme principal responsable doit en assurer la réparation pécuniaire...Par-dessus le marché les heures se sont écoulées... le navire est parti, sans lui.
Il ne reste plus qu'à vendre cantine, uniforme, sextant, ... Pour couvrir le plus gros des frais, il devait cependant subsister après cela un solde à régler dont le tenancier ne fit pas grâce. Bon gré mal gré, il fallut le payer. Mais le jour du dernier règlement, envoyant le mandat de la poste de Nantes, René le fit accompagner d'un télégramme ainsi conçu : Reçois la somme de ... qui te restait due et.. mon cul sur tes lèvres roses .. obligeant la préposée des P-T-T- rougissante et outrée (nous sommes dans les premières années du siècle) à enregistrer mot à mot ce message rabelaisien et vengeur.
C'est à Dunkerque aussi que, surveillant un chargement à bord d'un navire en partance, il reçoit un palan servant à la manoeuvre sur la cuisse d'où fracture, hospitalisation... départ manqué.
Il gardait pourtant un assez bon souvenir de ces 90 jours passés à 1'hopital où paraît-t-il plusieurs aimables dunkerquoises lui apportaient des gâteries. D'ailleurs, malgré la gêne que lui laissa ce fâcheux accident, ne devait-il pas en remercier la Providence....on ne revit jamais le bâtiment-sur lequel il devait partir et qui fut considéré comme "perdu corps et biens".
(2) traduction pour les oreilles françaises de l'emploi fréquent par les marins anglais du juron God damned = que Dieu me damne