Vie de RENÉ- LÉON PÉTEL , page 6

Souvenir plus bucolique: Ayant mis sac à terre à Brest et sachant pouvoir retrouver un embarquement à Nantes, il fait à pieds le trajet, en suivant le canal de Nantes à Brest et en demandant l' hébergement aux éclusiers.
C'est chez l'un de ceux-ci qui remplissait également les fonctions de garde champêtre et qui devait en outre posséder une certaine culture et assez d'humour qu'il remarqua, inscrite sur la porte de la maison, cette citation illustrant son double rôle :

"Celui qui met un frein à la fureur des flots

Sait aussi, des méchants, arrêter les complots."

(Racine, Athalie Acte ler, Joad )

Quant à la raison de la cassure de cette carrière d'officier de la marine marchande, c'est un incident, dont nous n'avons pas connu toutes les données mais que l'on peut reconstituer très probablement :
Fin 1906 ou début 1907, il embarque comme second à bord de "La Belle Gabrielle" navire équipé pour ramener des langoustes qu'il allait récolter auprès de petits navires de pêche travaillant au large des côtes d'Espagne et du Portugal. René se heurte au Capitaine qui est un de ces "Pachas " qui, par souci d'augmenter leur gain ou par tempérament, nourrissait chichement l'équipage et le traitait plutôt en maître d'esclaves. Le sentiment profond de la justice qui restera toujours dominant chez René et son caractère entier l'amèneront à se poser en tampon entre les hommes et le capitaine. Le conflit éclate jusqu'à un tel degré qu'ils en arrivent au heurt physique... Après cela, difficile de trouver un engagement chez un armateur! Nous retrouvons notre héros, à 29 ans, le 14 juin 1907 engagé au ler régiment de la Légion étrangère. Il arrive le17 juin à Sidi-Bel-Abbès. Le 5-8-1907, sa compagnie quitte cette garnison et débarque le 7 sur la plage de Casablanca avec les troupes placées sous les ordres du général Drude. C'était le tout début d'une réelle intervention française dans ce pays. Jusqu'ici, elle s'était limitée à l'occupation d' Oujda, en 1907, par Liautey agissant depuis le sud oranais. Cette fois l'action résulte d'incidents secondaires, aggravés par des maladresses, à la suite desquels les tribus de Chaouïas campant à proximité envahissent la ville, massacrent les juifs puis font la chasse aux européens obligés de se réfugier dans les consulats où ils se trouvent assiégés. (3)
Après leur délivrance et le "nettoyage" de la vieille cité chérifienne, le dégagement des environs se fit d'abord avec une certaine circonspection, se limitant à une zone de quelques km. Le Général Drude jugeait ses effectifs insuffisants pour une stratégie offensive. Début janvier 1908, le commandement passe au Général d'Amadé qui lance une action en profondeur jusqu'à Ber-Rechid puis la ville de Settat (à 71km env.) et obtient la soumission de plusieurs tribus. Les combats de pacification se poursuivirent cependant, avec les difficultés nées du fait qu'à Paris le gouvernement, cherchant à éviter des complications internationales, bridait plutôt l'action de d'Amadé. Ce n'est que plus tard que Liautey obtiendra des coudées franches.
René participe à ces mouvements et à ces combats jusqu'à fin juillet 1908. Il est surtout gêné au cours des longues marches (facilement jusqu'à 70 km dans la journée avec le barda et dans le sable) par des douleurs à la cuisse, séquelles de sa fracture dunkerquoise.

(3) Voir à ce sujet le livre excellent et très précis de Georges BOURDON: " les journées de Casablanca " Ed. Pierre Lafitte 1908 et également, traduit de l'anglais : " au Maroc avec le général d'Amade " du correspondant du Times Réginald RANKIN Ed. Plon 1909.