Que faire d'autre?
Voilà l'énigme: vous avez neuf oranges et quatre sacs en plastique.
Comment faire pour avoir un nombre égal d'orange par sac. C'était une
énigme écrite derrière une boîte d'allumettes. La fois où je l'ai vue,
j'ai pris trente secondes pour trouver la solution. Et ça a fait un petit
effet sur mes collègues.
Je ne sais pas quelle image ils ont précisément de moi, mais je suis sûr
qu'un certain nombre de personnes qui sont amenés à me croiser de temps en
temps, et qui connaissent un minimum ma vie sur ces quatre dernières
années, doit penser que je suis un gentil petit bourgeois qui se laisse
vivre en enchaînant les petits boulots de merde. Et je les emmerde, parce
que ce sera plutôt cent fois ma vie que la leur. Bien sûr, je ne suis
rien: que peut bien être un type diplômé d'une école de commerce qui
accepte des petits boulots, qui semblent n'avoir aucune ambition. Oh, j'ai
six fois plus d'ambitions qu'eux, mais allez leur dire que je veux devenir
écrivain, et ils vont me regarder, comme ça, moi avec mon physique
d'étudiant et se mettront à dire: "lui? écrivain?". Parce que j'ai
toujours été le gentil petit L., sympa, mais voilà quoi, qui connaît pas
mal de choses, mais c'est le gentil petit L., qui n'a jamais fait de
vagues, un peu narcissique, ça lui passera. Et quoi dire d'autre?
Peut-être aussi que quelques individus sont tombés sur mon journal, ont
apprécié ou pas, et se sont dit: "lui? écrivain?". Ou sinon, d'autres
doivent juste le trouver sympa, un journal, quoi, mais pas celui de Zweig
et encore loin des Mémoires d'Outre-tombe de Chateaubriand. A quoi bon
m'acharner contre l'image que les gens ont de moi. Ca se trouve, ils n'ont
même pas d'image de moi, ils s'en foutent royalement, je suis un
personnage insignifiant, le petit bourgeois qui doit sûrement se faire
entretenir par ses parents, sinon, comment vivrait-il à Paris? Hier, il y
avait ce dîner, et Greg était là. Greg était en train de raconter sa
période sombre et comment l'inspiration avait coulé toute seule après ça.
Et une fille a dit:
"Oh, c'est bien connu, les artistes font leurs meilleures oeuvres dans la
souffrance!"
(NDRL 2007 : jetez un oeil sur "Torturez l'Artiste !" de Joey Goebel)
Merde, qu'est-ce qu'elle en sait? Elle a dû lire plein de biographies, et
après? Les gens ont de ces idées erronées sur la souffrance. Encore pire
que sur l'art. Et puis, pour en revenir à Greg, ça y est, c'est un
artiste, parce qu'on l'a vu faire des performances, parce qu'il joue de la
guitare, parce qu'il écrit ses textes et que tout le monde l'a vu: c'est
un artiste. Ce qui lui permet de parler de ses démarches créatives sans
rougir puisque tout le monde s'accorde à faire de lui "un artiste", parce
qu'on l'a vu jouer de la musique, et que la musique c'est de l'art, donc
c'est un artiste, peu importe si c'en est ou pas, objectivement, si c'est
de la merde ou pas. Et prenons l'hypothèse que l'idée me soit venue un
jour de dire à qui voulait bien l'entendre que j'écrivais. On aurait dit:
ouais, il écrit. Parce que je ne suis pas encore publié, on n'a encore
rien vu, donc je ne vaux rien, donc je ne suis pas un artiste. Ce qui
m'arrange dans le fond: je ne suis pas un artiste comme ils l'entendent.
Tant mieux. J'écris un journal? Oh oui, c'est marrant, c'est divertissant,
on pense rigolo comme le journal de Bridget Jones, genre je déverse mes
états d'âmes etc etc... Mais je ne suis toujours pas un écrivain. Oh non,
ça lui passera. Oui, quelle preuve ai-je à fournir pour prouver que pour
moi, c'est du sérieux, que j'y crois, que je veux le devenir comme d'autre
veulent devenir ingénieur, ou vétérinaire, ou quoi encore? commercial ?!!!
C'est juste un passe-temps, c'est pour se faire voir, c'est pour jouer les
intellos, c'est pour amuser la galerie, ça lui passera. Et puis, c'est
quoi être écrivain? On préférera toujours traîner avec un type qui veut
devenir footballer, ou un autre qui veut faire un groupe de rock plutôt
qu'un type qui accumule les manuscrits et qui a un avis sur tout, et ce,
même si le footballer ne signera jamais un contrat professionnel, et si le
musicien ne franchira jamais la porte d'une maison de disques. Je suis
aigri? mauvais? sûrement. Mais j'ai tout aussi raison. Et de toute façon,
quoi qu'il en soit, je suis un écrivain, parce que je les
vois tous, et que je ne poursuis rien de ce qu'ils poursuivent - encore
faut-il qu'ils poursuivent quelque chose dans leur vie fade - que j'ai
l'impression d'être le seul en vie et que ça me donne envie de crier. Etre
un homme conscient ou un homme d'action? je suis taillé comme une
crevette, le monde m'agace facilement, le monde ne supporte pas que je le
regarde en face, l'existence est fade, plus personne ne rêve... qu'est-ce
que je peux faire d'autre à part écrire?
Il y a des jours où j'ai envie de tout lâcher, parce que je suis persuadé
que même si j'arrivais à pondre le livre le plus profond et réfléchi de
toute l'histoire de la littérature, ça ferait chier les gens et tout
le monde préférera lire Da Vinci Code, ou une connerie du genre. J'ai
envie de crier. Le suicide? ce serait leur faire un cadeau à toute cette
masse! Je leur écrirai, à tous, et, s'il le faut, je leur collerai la
vérité entre les dents, et je ne serai peut-être toujours pas un artiste,
mais au moins, ils sauront ce qu'est la souffrance. Et mon chef-d'oeuvre,
je ne l'aurais pas pondu dans la souffrance, mais dans une joie presque
sadique d'avoir la possibilité de leur carrer la réalité des choses là où
ça fait mal, où ça fait vraiment mal, en plein dans l'âme et pas ailleurs.
Et ils dégusteront tellement qu'ils en arriveraient à oublier ce foutu mot
d' "artiste", ils arrêteront de se mettre à genoux ou de regarder
béatement leurs "artistes", et j'espère bien qu'ils me brûleront tous.
Parce que si ça arrivait, ça me ferait mal de constater que j'ai
raison. Je ne souffrirais pas leur tête, ils m'aimeront tellement qu'eux
aussi ne pourront plus me voir, ils me brûleront, tous, et tout le monde
sera heureux. On brûlera aussi mon livre - si la critique ne l'aurait pas
encore fait - et tout redeviendra comme avant. Quelqu'un dira dans une
conversation: "les artistes font leurs meilleurs oeuvres dans la
souffrance".
Oui, j'espère bien qu'on me brûlera. Tout ceci manque un peu de feu, de
sang et de cendres.
© lmer 2004
Les fous
frappent-ils avant d'entrer?
Il y a quelqu'un qui essaye de me joindre sur mon fixe toute la journée
depuis deux jours, mais son numéro est masqué et il n'y a aucun message de
laissé sur mon répondeur. Là, ça vient de sonner deux fois. La première
fois, j'ai décroché et on m'a raccroché au nez. La deuxième, j'ai laissé
sonner. Toujours pas de message. J'essaye comme je peux en ce moment
d'échapper le plus possible aux tordus de toute sorte. Ca va devenir
compliquer s'ils commencent à venir vers moi. Le pire, c'est que je
pourrais arriver à leur trouver un certain intérêt.
L'été de cet année a sûrement était le pire que j'ai jamais vécu. Et je ne
sais toujours pas comment l'année va se finir. Ca fait une semaine que je
n'ai pas ouvert un livre. J'ai jamais eu le crâne aussi vide, et rien ne
vient. Ce soir, c'est le premier de la semaine où je vais pouvoir manger
chez moi. Hier, c'était chez F. et sa femme, à Créteil. J'étais censé
ramener un dessert, et puis, il y a eu un changement de programme.
J'ai sonné à la porte avec un kilo de patates et une bouteille de vin
blanc dans le dos: soirée raclette. Et fatalement, c'est toujours à L.
qu'on demande de ramener l'alcool. Aux autres, on demande d'apporter de la
charcuterie, ou le fromage... Enfin passons. A table, il y avait deux
collègues de F., tous deux employés à l'Anpe, un autre type de
l'inspection du travail, et la femme de F. qui semble avoir arrêté de
prendre la pilule vu qu'elle n'a plus cette acné qui lui bariolait les
joues. Ca ne peut pas être autre chose; un des invités demandera plus tard
à F. si sa femme est enceinte. Ce n'est pas encore le cas.
Je coule facilement dans les conversations, à mon grand étonnement.
Quelqu'un fait encore l'impair de me demander quel type d'études je suis
actuellement. Tout le monde autour de la table, à part moi évidemment, a
minimum trente ans. Ils s'exclament tous quand je leur donne mon âge. "Aaaaah!
la jeunesse, la jeunesse!". Et quelqu'un d'autre: "ouais, mais l'âge,
c'est surtout dans la tête!". Possible, possible. Est-ce le truc qu'on se
dit lorsqu'on se sent trop vieux, que l'on prend trois jours pour
récupérer d'une gueule de bois, qu'on entend ses os craquer les matins
d'hiver, les tendons secs et noueux comme de vieilles racines? L'âge.
Quelle connerie.
F. et sa femme en sont arrivés à me parler de Da Vinci Code. Ben tiens!
Quelques mois auparavant, c'était Harry Potter, maintenant ça! Fatalement,
je me suis transformé en vieux con, comme d'habitude, et j'ai dit ce que
j'en pensais. Malheur! la femme de F. avait plus qu'apprécié. "Eh, c'est
de la fiction, c'est normal qu'il y ait des incohérences!" qu'ils me
disent. Ce qui me sidère le plus, c'est que parmi tous les livres qu'on
trouve chez F. on peut trouver du Voltaire, du Salinger, du Joyce, à côté
de Clancy, Brown et d'autres dont j'oublie volontairement et régulièrement
les noms. Et voilà, sous prétexte de "la fiction", on peut écrire
n'importe quoi. "C'est divertissant!" qu'on me dit. A croire que les gens
aujourd'hui utilisent trop leur cerveau. Oh, et puis, laissons ça, les
gens finiront par oublier. Les gens n'ont pas de mémoire de nos jours.
On m'a ramené chez moi en voiture. Chez moi, ça ne ressemble pas à grand
chose en ce moment. C'est vide et la machine est rangée dans un coin. Je
dois être un peu laxiste depuis quelques jours: je viens de retrouver un
livre sur mon frigo. Ce qui me fait penser que je devrais peut-être finir
Faim de Knut Hamsun, une fois pour toute.
Au boulot, ils ont mis des guirlandes avec de petites loupiottes bleues au
plafond, sur toute la longueur de l'allée centrale. Personne n'y fait
réellement attention parmi les clients. Moi-même, je n'y suis pas plus
sensible. Ca fait un bout de temps que ça dure, cette insensibilité. Ce
qui est assez inquiétant parce que ça me prend de plus en plus souvent
d'avoir envie de crier. Enfin, la fin de l'année approche et les fous
continueront à cogner à ma porte. Quoi de plus normal?
© lmer 2004
Contre l'aube
tu le sens, c'est pas si loin, tu vis comme s'il te restait trois jours à
vivre, mais, erreur! c'est bien plus, bien plus
on ne te l'a pas dit, mais tu le savais, tu savais que vivre ici, c'était
vivre dans les immenses bras gelés de la grande putain des Andes, à bout
de souffle, lui donnant tout, de ce souffle, et elle te prenant tout telle
une succube vorace et jamais rassasiée, vivre ici, c'était te livrer
continuellement, se poser là et mourir là dans la glace, accepter les
choses et leur grande nécessité, et jeter ton âme au bas de la colline
crève un lundi, ressuscite un lundi et jette ton âme au bas de la colline
tu as un million de miracles à réaliser, mais que trois jours à vivre
et là revoilà, la bête immonde, la mordre au cou, c'est se mordre
soi-même, et aimer quelqu'un, c'est aimer cette bête, frappe la bête et
c'est de ses milliards de parasites, de miasmes et d'ordures que tu
hérites, vivre ici, c'est embrasser la bête à même la gueule
alors jette ton âme au bas de la colline
personne ne la ramassera
personne, à part la bête qui la couvrira de sa bave et te la rapportera au
sommet
et tu voudras t'y jeter, te rouler au bas de la colline, trouver un
endroit calme et frais où te reposer, y caresser ton âme comme un jouet
perdu et retrouvé, te sentir plus fort qu'un dieu, vivre cent ans, puis
cent ans, et encore cent ans, trois fois cent ans, puis mille ans et
jusqu'à ce que la notion de dieu n'existe plus, trois fois mille ans
mais la bête t'aura retenu bien avant, elle te tiendra dans ses crocs,
elle te dira qu'elle t'aime, elle te donnera de l'espoir, elle te clouera
sur place et tu regarderas toujours le pied de la colline avec une
incessante, et lourde,
mélancolie, maudissant tes instants de faiblesse, et voyant l'immense
déception te brouiller chaque jour un peu plus la vue, parce que, la bête,
cette existence morbide continuera à suer
sans discontinuer
de l'éternel vagin
distendue et coriace
comme un univers vagabond
la création ne cessant
de nous poursuivre
et d'alimenter
nos corps ancestraux
et nul ne sait si la source se tarira, un jour
et j'ai attendu l'assaut final
et désespéré
vers une aube incertaine
et vers un calme de tous les instants qu'on ne souhaite
qu'en rêve et Dieu sait pourquoi
aucun de ceux qui crient contre l'aube, contre
le contre, le tout contre
leur poitrine offerte à la lame sanglante
aucun de ceux qui crient ne sait
ce qu'est vivre sans combat
personne
puisqu'il n'y a jamais eu qui que ce soit
non, jamais,
qui que ce soit à combattre
à part l'aube et sa perpétuelle stagnation
la bête te reprendra alors en son sein, et elle te dira: "maintenant, vis
parmi les tiens, le reste, je m'en fous pas mal", puisqu'elle n'a jamais
été là pour ça, l'existence n'a jamais était là pour te comprendre et ce
sera la nuit, puis l'aube, et, quand la lumière sera une fois de plus trop
vive, tu redirigeras ton regard là-bas, vers le bas de la colline,
espérant un moment d'inattention de la bête, alors
vis cent fois
l'âme rongeuse
sans rêve
rien n'est
permis............................................................................................................
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....................................................................................................................................
© lmer 2004
Les mains
froides
Toujours pas ouvert un bouquin depuis plus de dix jours. J'aurais pu m'y
remettre ce matin en prenant le métro mais je n'avais rien dans les
poches. Résultat j'ai regardé les gens, les gens avec leurs comptes-rendus
de séminaire, leurs cours de maths, leur courrier, les gens avec des
prospectus, j'ai lu quelques lignes d'un livre de Werber par dessus
l'épaule d'une personne et me suis demandé comment elle avait bien pu
tenir jusque là. C'était "L'Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu". Un
grand fourre-tout, si vous voulez mon avis. J'ai regardé ailleurs, suis
tombé sur les affiches de pub, une pub pour du soutien scolaire à
domicile. Ai vaguement pensé à mon ancien job et me suis convaincu que
jamais j'aurai recours à ce genre de "produit" - parce qu'il s'agit bien
d'un produit et pas d'autre chose - pour mon gosse. Peut-être est-ce le
fait d'avoir une mère qui fut institutrice dans le passé? Enfin, je
regardais les pubs, et les centaines d'affiches de Bridget Jones.
Un peu plus tard, au boulot, je tombe sur un article qui parle du film en
question et de ce fameux phénomène sociale qui a vu le jour vers la fin
des années 90: "le célibat assumé à la trentaine". Et puis je vois la tête
de l'auteur en bas de page: célibattante et fière de l'être. Je me
réveille tout à coup:
" ' tain! c'est pas possible! et voilà comment transformer une crise en
effet de mode, déjà que la moitié de notre génération semble avoir une
carte d'abonnement chez le psy du coin, maintenant, on va en créer une
autre qui va croire que c'est bien d'être seul et difficile! Et voilà,
l'auteur s'est sentie obligée de pondre une suite!"
Là-dessus, A., la polonaise qui était assise en face de moi me dit:
"Oh, ça va, c'est marrant! T'as qu'à écrire un bouquin, toi!"
J'ai laissé passer.
Parlons d' A. un instant. C'est une petite brune, 29 ans, avec un accent,
une formation en graphisme et qui semble posséder un goût immodéré pour
les pages psycho des magazines féminins. Elle peut vous dresser une
cartographie détaillée des personnalités par signe zodiacal. Le pire,
c'est qu'elle y croit, elle ne le dit pas, mais elle y croit c'est
certain. Elle fait aussi quelques petits tours de numérologie pour nous
distraire. Mais le truc le plus amusant chez elle, c'est qu'elle s'amuse à
interpréter les rêves. Et les siens sont toujours assez étranges.
Aujourd'hui, elle nous raconte que la nuit dernière elle a rêvé qu'elle
marchait dans la rue et qu'elle sentait quelque chose pendre entre ses
jambes. Elle a regardé et constaté que c'était une tête d'enfant qui lui
poussait là. Elle s'est dit: "merde, je vais accoucher, faut que je trouve
un endroit!". Dans le rêve, elle a fini par accoucher dans la rue. Elle a
pris le bébé dans ses bras et en touchant ses mains: "nom de Dieu! Elles
sont froides!". C'est le rêve le plus glauque que l'on m'ait jamais
raconté.
"Si j'étais une fille, ça me traumatiserait à vie" j'ai dit.
"Mais je suis traumatisée! En plus c'est pas la première fois que je rêve
que j'accouche. Parfois j'accouche dans une baignoire, parfois c'est la
nuit, je le sens venir, je me dis des conneries comme: "faut que j'achète
des vêtements, le berceau, les couches etc..." et puis, pouf, j'accouche
comme ça..."
"T'as envie d'avoir des gosses?"
"Oh oui, ça me prend souvent! Parfois, quand je regarde la télé et que je
tombe sur une émission ou une série où on voit un petit garçon parler avec
sa mère, lui dire: "maman, j'ai faim!", j'ai envie d'en avoir un, qu'il me
dise la même chose..."
C'est bien la première fois qu'on me sort cet argument. Faudrait que je
demande à d'autres filles pourquoi elles ont envie d'avoir un gosse. Juste
pour "qu'il lui dise la même chose"...
A côté de nous, il y avait C. qui venait de fêter ses trente ans samedi
dernier. D'habitude, il n'arrête pas de répéter qu'il cherche à acquérir
un animal. Mais là, allez savoir pourquoi, il nous dit:
"J'ai envie d'avoir un gosse aussi"
Comme ça. Ca lui a pris pendant le week-end.
"C'est ton horloge biologique" lui répond A.
"Sûrement... mais bon, c'est bien joli d'en vouloir un, faut aussi pouvoir
assumer derrière, c'est pas en bossant à la f... que je vais pouvoir le
faire..."
Je ne me suis jamais posé la question. Faut dire que je suis le plus jeune
parmi mes cousins qui ont pratiquement tous au minimum six ans de plus que
moi. Et quand ils se sont tous mis à avoir des enfants, ça ne m'a pas fait
plus d'effet que ça. Si mes calculs sont bons, la plus "vieille" de mes
demi-soeurs a quelque chose comme sept ans de moins que moi, et je ne l'ai
vue qu'une fois. Pareil. Enfin, bref, j'ai pas trop l'occasion d'y penser,
et pourquoi j'y penserai d'ailleurs? Je m'amuse plus à embêter les autres
avec ça, quand je vois des amis qui sont sur le point de se marier, ou des
couples qui commencent à étaler leurs projets en plein dîner: "et les
gosses, c'est pour quand?". Une chose est sûre par contre, c'est que je
suis pressé que mon frère en ait. C'est tout ce que je sais.
A 17h00, la ligne 1 est bondée. Il y a un incident qui perturbe le trafic.
Je fais un détour en prenant la 9, puis la 6 en changeant au Trocadéro. Le
métro passe sur la Seine. Ca fait longtemps que je ne suis pas passé par
là. Depuis que j'ai déménagé en fait. Je me mets à repenser à ma vieille
voisine qui habitait sur le palier. Une vieille dame à qui j'avais promis
de passer de temps en temps dire bonjour. Mais je ne l'ai toujours pas
fait. Ca me semble loin. C'est le trajet que je faisais pour me rendre à
mon ancien job. C'est loin.
Je viens d'envoyer des CV à ma mère pour essayer de choper un CDD sur
l'île natale. J'espère que ça marchera, et j'espère tout autant qu'elle
n'aura pas le temps de les filer à une DRH avant d'arriver à Paris samedi.
Je pense brièvement à Sara que je viens d'avoir au téléphone récemment et
qui préfère aller passer des week-ends en Belgique plutôt que de venir à
Paris. Et tu m'étonnes après ça que la demoiselle n'est plus un rond pour
prendre le train! J'ai bégayé dans la conversation et elle a cru bon
dire: "je te fais tant d'effet que ça?". J'ai raccroché.
J'ai pris mon violon. J'ai arrêté le répertoire romantique, les oeuvres
concertantes de Ludwig commencent à me lasser, surtout la deuxième
romance, et je me suis replongé dans le baroque. Ca dure depuis deux
semaines. J'ai les mains froides. Il faut que je change ma corde de sol...
© lmer 2004
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