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Jeudi o1/o7/2oo4

Je viens d'y penser aujourd'hui : dans un peu plus de deux semaines, j'aurais vécu un quart de siècle. Un quart de siècle où j'aurais tour à tour appris à marcher, parler, nager, jouer du violon, où j'aurais fait mes devoirs, accumulé diplômes, stages, boulots, où j'aurais bu quelques hectolitres de thé au lait et bouffé de la crème de marron...

Et dans tout ça, pas un seul crime.

Enfin presque.

J'étais chez Sébastien ce matin, rue Pernety. Seb, il passe sa vie entre Paris et la Normandie, entre ses passions et sa nénette qui, tout à fait entre nous, a tout l'air d'une bigote et est aussi rationnelle et impitoyable que la pression atmosphérique. Mais Seb, il l'aime, et ça, on ne peut vraiment pas le lui reprocher, car, jusqu'à preuve du contraire, aimer reste un sentiment noble. Et même un des plus nobles.

Seb suit des études censées faire de lui un professionnel du cinéma, de l'entreprise cosmique de la pellicule rétro éclairée. Autrement dit : au mieux il sera réalisateur, au pire, un intermittent atteint du virus chronique de la manifestation (ce n'est pas que j'ai quelque chose contre les intermittents du spectacle, mais je déteste qu'on vienne me plomber l'ambiance quand je m'apprête à écouter du Stravinsky au théâtre des Champs, et ce, même si je déteste Stravinsky). Bref, Seb, pour un devoir scolaire qui consistait à tourner un court métrage de fin d'année, a fait l'acquisition d'une espèce de surmulot bicolore, un rat domestique avec un cul blanc et une tête marronnasse. On dirait presque qu'il a plongé sa tête dans sa propre merde. Une fois le film scolaire en boîte et monté comme un collage d'enfant de maternelle, Seb s'est retrouvé avec avec le rat sur le dos, vu que tous les autres membres de son équipe n'étaient que des feignasses manchotes et une bande de gosses de riches sans responsabilité (ça, c'est leur prof qui l'a dit). Alors Seb est rentré chez lui avec l'animal et l'a mis dans une espèce de grand bac en plastique rectangulaire d'une trentaine de centimètres de hauteur, le laissant se pelotonner dans un coin et se pisser dessus.

"Merde ! T'as un rat !" je lui ai dit au téléphone.

"Ouais, tu l' veux ?" il a demandé.

Je me sentais un peu seul, c'est vrai, mais pas suffisamment pour me mettre à la colle avec un rat. Deux semaines auparavant, je m'étais pris une veste dans une soirée arrosée au réveil paranoïaque. Plutôt cent fois ça que la vie avec un rat !!!

Seb s'est vu contraint de le garder, s'en occupant comme s'il voulait qu'il crève au tombe tout seul de malnutrition. Un jour, je passe chez lui, et après avoir fait un peu mumuse avec la bête, il l'examine un instant et dit : "Hé! Tu trouves pas qu'il a les yeux un peu exorbités ?". Peut-être était-ce de la satisfaction dans sa voix ? C'est là qu'il a commencé à avancer l'idée : "Tain ! J' sais pas quoi faire de ce foutu rat! Personne n'en veut ! Peut-être que je devrais le tuer ?"

Depuis, c'est resté dans nos conversations. Comme il y a pas si longtemps, lorsque je reçois un coup de fil de sa part... de Caen.

"T'es à Caen ?!"

"Ouais, depuis vendredi" (on était lundi)

"Nom de Dieu ! Et ton rat ?"

Comme j'avais les doubles des clés de son appartement, j'ai décidé de m'en occuper. J'ai poussé jusqu'à la rue Pernety. Et ça sentait le fauve là-dedans.

Notre ami le rat batifolait dans sa pisse et les morceaux de papier qu'il avait déchiquetés pour pouvoir s'y dissimuler. Je l'ai considéré trente secondes et j'ai senti qu'il méritait la mort. Non. En fait, j'ai eu pitié de lui. C'est tout. j'ai eu toutes les peines du monde à me saisir de la bête. Je l'ai collée dans une petite boîte en carton, passé son bac en plastique au jet d'eau et retapissé le fond avec les pages saumon du Figaro. Ce fut un pur moment de bonheur. Surtout quand le rat a commencé à pisser sur les résultats financiers de Vivendi-Universal. Je l'ai encore regardé pendant quelques secondes, parce qu'il m'amusait ce rat, dans le fond. Fallait le voir foutre son museau sous les pages, se dresser sur ses pattes arrières, renverser son eau, bref : foutre votre boulot en l'air, l'ingrat !Mais il était sympathique. Assez pour qu'il me vienne l'envie de lui donner un nom. Je nourrissais depuis peu une haine farouche à l'égard de la nouvelle chanson française. Alors je l'ai nommé Vincent Delerme, tout simplement. Je l'ai noté sur une petit étiquette autocollante :

"Vincent Delerme

Petit rat de la chanson française

Habitat naturel : Paris 6ème"

C'était une blague qui ne faisait rire que moi, mais Seb approuva le baptême.

Seb qui réitéra le coup du voyage en Normandie, et du coup de bigot. Cette fois, il l'avait laissé quatre jours sans attention, et quoiqu'il en dise, je suis sûr qu'il espérait que Vince ait crevé de faim, ou soit totalement déshydraté. Bien que ce matin, il me tint à peu près ce langage:

"T'inquiète, un rat, c'est résistant !"

Je m'attendais à trouver Vince sur le dos, me montrant son petit ventre blanc et le semblant de couilles qu'il avait au bas de celui-ci, ou encore à ce qu'il ait totalement viré maboule au point de bouffer sa propre merde, à avoir son petit museau constellé de crottes. Mais Vince est un rat, et un rat ça crève pas comme ça. Vince faisait une fois de plus des entrechats parmi les morceaux de papier, il était heureux, heureux comme peut l'être un rat immortel.

Avec Seb, au téléphone, on a encore disserté longtemps sur les droits de Vince à la vie, d'autant plus que sa bourgeoise doit se radiner demain sur Paris et - ça ne surprendra personne - mademoiselle n'aime pas les rongeurs. Ô Vince ! Que de tourments tu nous donnes! Que de tourments !

Finalement, on lui a laissé la vie sauve à Vince. Plus par manque de courage que par manque d'un réel mérite de la peine de mort. Après tout, les rats nous survivront, alors, un de plus ou de moins...

Je suis rentré chez moi, me frayant un passage entre les vieilles dans le bus sur la ligne 62. Vince jouait dans les pages toutes fraîches du Figaro quand je suis parti. J'ai même laissé un exemplaire de l'Equipe à Seb, pour que Vince pense à autre chose que les fusions acquisitions ou le CAC40. Je suis rentré avec mon auréole.

C'était pas aujourd'hui, pas pour aujourd'hui, mon premier meurtre. Et ce serait bien si mon casier pouvait garder son pucelage pour un quart de siècle supplémentaire.

© lmer 2004


Vendredi o2/o7/2oo4

J'ai fini Franny & Zooey de Salinger. Eh bé ! Assez mystique dans le fond, mais très plaisant. Seb est de mon avis. On l'a pratiquement lu en même temps, et Salinger est un de mes auteurs favoris qu'il peut supporter. Parmi Miller (Henry et Arthur), Fante, Burroughs, Buko, Selby et bien d'autres... En fait, tous les auteurs que je peux blairer sont en majorité ricains et, surtout, morts. Le dernier en date justement, c'est Selby. 2oo4. Pile poil dix ans après Buko, Senna et Beckett. Ils se donnent rendez-vous dans l'haut delà tous les dix ans, les grands de ce monde. Alors je pose une option : je voudrais un bon de sortie pour 2o14, 2o24, 2o34 ou 2o44, etc.... Vous m'avez compris.

Y a plus grand monde qui me fasse bander en littérature aujourd'hui. Question émotion, je suis parfois obligé de me rabattre sur le ciné. Mais j'ai pas trop envie de parler ciné, là. Parce que l'état de santé de la littérature - française surtout - me met au plus mal. Franchement, aujourd'hui, il y en a que pour les scandales, les guerres, les nénettes et leurs expériences sexuelles, et le terrorisme. Moi-même, dans un de mes manuscrits, j'ai mis un terroriste en costard cravate. Comme quoi, j'ai peut-être peur de ne pas vendre ?

Il n'y a plus de place pour les histoires, les vraies, fiction ou pas. Le simple fait de voir qu'une gamine pseudo-gothique de 15 ans racontant son mal être passager vend plus que Camus me fout tout bonnement en l'air. Le pire, c'est que tous ses bouquins qui polluent l'actualité littéraire ont quelques effets sur moi, et je me laisse tenter à lire dans les librairies ces ramassis de mots puants l'égout, alors que je n'ai même pas fini Les Joueurs de Dosto. Bordel ! Quelle perte de temps !

Ah ! Je viens d'y penser aussi ! Kurt Cobain aussi est mort il y a dix ans. On nous a bien fait chier avec à la télé, on a ressorti les albums etc.... Dans la rue, parfois, je vois des mômes qui savaient à peine parler quand il est mort, avec le mot NIRVANA brodé en gros sur leur sac-à-dos. Et en librairie, pas un bouquin sur Buko, à part Grasset qui essaye de se faire de couilles en or en sortant une fausse compil' avec des ouvrages  qu'on trouve partout et un texte sans importance (autant pour l'auteur que pour le lecteur) pour leurrer le client. Non, sans blague !

Selby a eu un petit peu plus de chance : il a eu droit à un petit présentoir près des caisses au Virgin sur les Champs. Faut dire qu'un de ses bouquins avait été adapté au ciné au début de ce siècle et, le pauvre, avec son insuffisance respiratoire, devait passer sur Paris en septembre pour la sortie de son dernier opus. Eh ! Et là tout le monde s'en fout que son deuxième ou troisième bouquin ait fait un flop monumental, genre 2ooo exemplaires - même un petit auteur français serait capable de faire un tel score - et les States qui le snobaient avec toute leur mauvaise foie l'élèvent au rang de grand de la littérature ricaine ! "C'est le Céline ricain" qu'on dit partout. Eh bien, il est mort maintenant ! Maintenant, allez trouver votre Céline sénégalais ou guatémaltèque pour lui faire la peau !

Souvent, j'ai l'impression de soûler tout le monde avec ma sacro-sainte littérature. C'est vrai, je parle que de ça ! J'ai lâché mon boulot il y a un an (une longue histoire, un jour j'y reviendrai), et depuis, je passe mon temps à lire et à taper sur un clavier ou une machine. Je ne parle que de ça. Même quand je drague, inconsciemment, je parle de ça. Je me rends dingue moi-même. Je revois mon père des années auparavant, le nez toujours fourré dans un bouquin - des bouquins par centaine à en éclater un conteneur - ou dans des mots fléchés. Et question communication : zéro. Ca ne peut tout de même pas m'arriver, non, pas à moi ! J'ai une ex-collègue - Carine qu'elle s'appelle - qui, par la force des choses est devenue ma première lectrice (son homologue masculin étant Seb). Je l'abreuve continuellement : manuscrits sur manuscrits, bouquins sur bouquins. Il y a trois jours, dans le métro, à Chatelet, on a parlé roman de l'été, entre autre. A force, elle sait ce que je déteste chez tel ou tel écrivaillon. Je ne sais pas quel autre sujet aborder avec elle. Je dois l'ennuyer fermement parfois. Mais c'est plus fort que moi. En fait, je crois que je suis influencé par son côté fille "très littéraire". Qui sait ?

Mais bon, il faut bien parler de quelque chose. Et comme je l'ai dit un jour à Carine justement : "y en a bien qui parlent boulot après 18hoo, et ce même après y avoir passé la majeure partie de la journée". Alors, pourquoi je me priverais de parler bouquin, hein ?

Les gens, c'est navrant, lisent comme ils mâchent des chewing-gums. J'en connais très peu qui sont capables de me ressortir un truc précis qui leur a plu dans un ouvrage. La dernière fois, je suis tombé sur une fille qui, pour m'impressionner ou pour paraître plus crétine qu'elle ne l'était, s'est mise à glousser :

"Olalalala ! J'adore Shakespeare ! J'ai tout lu ! Je les connais presque tous par coeur !"

"Ah ouais ?" j'ai fait, "Hé bien, y a kekchose de pourri au royaume du Danemark."

"Hein ? Quoi ? Qu'est-ce que t'as dit ?"

"Laisse tomber" j'ai conclu.

Ou sinon, c'est toujours un avis général (un peu comme moi au début de ce texte). C'est triste. Mais je suppose que pour chacun, ce n'est qu'une question de priorité. D'autres choses dans le monde doivent avoir une importance, mais ces choses ne m'intéressent pas.

Enfin, aujourd'hui, j'ai fini Franny & Zooey. Et j'ai beaucoup aimé le passage où Zooey se fait passer pour son frère aîné au téléphone pour pouvoir parler à sa soeur sous un angle, ou un aspect, différent. Mais ça, tout le monde s'en fout.

© lmer 2004


Samedi o3/o7/2oo4

Comme j'étais encore en train de cogiter ce matin sur le fait que mes idoles et références étaient mortes - bel et bien mortes - j'ai allumé la télé pour m'abrutir un peu plus. Je me suis fais une tasse de thé avec une surdose de lait concentré d'dans pour rester en contact avec la réalité, mais voilà que sur MTV, ils passent un clip de Britney. C'est qu'elle s'arrêtera donc jamais ! En plus, ça a commencé jeune, très jeune. Même pas vingt-cinq ans, et déjà célèbre. Un truc que j'avais rêvé d'accomplir lors de mon vingtième anniversaire. Enfin, c'est pas que maintenant je n'ai plus envie d'être célèbre - célèbre au point qu'on me balance une pluie de petites culottes à la figure ou quoi - mais j'ai une idée plus claire de ce que je souhaite devenir. A vingt ans, je m'étais dit : "Ouais, à vingt-cinq ans, j'aurais déjà pondu un roman potable !". Vous m'avez vu quelque part sur un rayon ? Non. Et quand bien même je vous donnerais mon nom, vous seriez incapable de me retrouver.

Cette après-midi, une russe du nom de Sharapova  a gagné Wimbledon... à 17 ans. 17 ans et deux mois pour être précis. Bien pour elle. Bien bien. Ce qui fait d'elle la deuxième joueuse la plus jeune à remporter le tournoi après Martina Hinggis. Quelqu'un se souvient d'Hinggis ? Enfin, y en a plein des cas comme Sharapova. Voyez-vous, il y a encore un an, à la vue de ce genre de petits surdoués, je me disais qu'ils en avaient de la chance, que j'aimerais bien être à leur place et tout. Mais bon, faut un peu faire attention à ce que l'on souhaite. Parce que toute cette petite bande d'animaux savants qui plantent un parcours de golf à 8 sous le par à 14 ans, qui vendent 1o ooo exemplaires à 15 et qui servent à plus de 2oo km/h à 17, eh bien, que leur reste-t-il à vivre une fois arrivés à la trentaine ? Autant je n'ai pas envie de courir après la gloire et l'argent toute ma vie, autant je n'ai pas envie de passer mes quarante dernière années à compter les billets. T'arrives à 25 ans en étant blasé et flasque comme une vieille chaussette trouée. Plus rien à faire. J'aimerais qu'il me reste encore des choses à faire après la trentaine, des choses à apprendre, des choses à découvrir. Des choses à vivre, quoi ! Et tant pis si je ne remplis pas le Stade de France !

Non, oh franchement, je ne les envie pas ceux-là, oh non. Je suis peinard à boire du thé dans mon salon, à taper sans pression sur ma machine, à écouter Vengerov se démener sur du Tchaïkovski et à sourire,

                   sourire,

                                           souriresourire. Ouais, parce que célébrité ou pas, on finira tous par ressembler à la face distordue du tableau d'Edward Munch. Ouais, qui se souvient d'Hinggis, de Garincha, ou du type qui a remporté le Tour de France en 1980 ?...

© lmer 2004



Lundi o5/o7/2oo4

Fred - le frère jumeau de Sébastien - a débarqué à Paris hier dans l'après-midi avec un sac chargé de partoches en tout genre dont les sonates en duo de Telemann pour flute et violon. Il dit que c'est jouable. J'avais déjà fort à faire avec le concerto de Beethov et les suites de Bach pour violoncelle retranscrites pour violon, mais... je peux toujours lui faire plaisir. Résultat : on n'arrête pas de se tirer la bourre depuis hier et je trouve que mes voisins sont des gens plutôt tolérants... ou bon public.

 

La fait de jouer de la musique comme ça avec lui me ramène des années en arrière lorsque j'étais au conservatoire municipal de ma ville. Il me rappelle qu'à l'époque, lors des cours de solfège, pendant les dictées, il copiait allègrement sur moi. J'étais plutôt balaise à ce qu'on disait, et le prof - M. Saouzanet - m'avait à la bonne. Un bon prof, Saouzanet, un peu brusque, un peu fou, mais bon prof.

   "Qu'est-ce qu'une anacrouse, Monsieur M. ?"

 

Il y a eu une période où j'ai raflé la première place trois années de suite. En ce qui concernait le violon, j'étais aussi plutôt bon élève. Même si ma prof claquait un fusible toutes les deux semaines. Quand j'avais commencé à l'âge de six ans, la loi Evin n'était pas encore en vigueur (ouais, elle existait pas tout court) et ma prof grillait un paquet clopes par heure (j'exagère à peine). La salle où se passaient les cours faisait à peine quatre mètres sur cinq et les fenêtres étaient souvent fermées. Après avoir passé une heure là-dedans à entendre quelqu'un vous gueuler : "ton archet n'est pas droit ! la position de ton coude est mauvaise ! c'est faux, ton si est faux, faux, trop bas, trop bas, la faute à ton foutu poignet qui est mal placé !!!", vous ressortiez tout envapé, ne sachant même plus si vous aviez déjà appris à compter une fois dans votre vie. Dix années plus tard, j'ai quitté le conservatoire aussi fumé qu'un saumon de Norvège. Si j'avais continué, j'aurais sûrement été un virtuose sous assistance respiratoire, à trimbaler ma bouteille d'oxygène sur toutes les scènes du monde, donnant le rythme en respirant bruyamment, ou un banal musicien d'orchestre avec un cancer du poumon. Mais dans le fond, le violon, c'était pas si mal que ça. C'était même très enrichissant. Je ne m'en rendais pas compte à l'époque. Et puis, si je détestais vraiment ça, je n'y serais pas revenu aujourd'hui. Un de mes meilleurs souvenirs, c'était pendant ce stage d'été où j'avais joué "Le Marchand de Sable" avec une fille du nom de Céline ou Alice - je ne sais plus. On jouait seuls sous le préau et y avait personne pour vous dire que la table de votre violon n'est pas parallèle au sol.

                Un idéal féminin devrait toujours savoir jouer du violon...

 

Fred est une bible question musique classique. Il vous place un compositeur dans la période appropriée les yeux fermés. Pas mal pour un type qui ramait sévère en solfège! Aujourd'hui, on a fait la rue de Rome pour qu'il se trouve un truc de Reinecke. J'en avais jamais entendu parler.

"Reinecke, Allemand, période romantique, fin XIXème..."

Et puis on a atterri dans une crêperie rue de Constantinople, à ressasser les vieux souvenirs et les déboires de Saouzanet avec ses élèves. Il y avait un type qui s'amusait toutes les semaines à mettre de l'eau sur le clavier du piano, ou de la craie sur les touches blanches. Ou encore à mettre un préservatif sur la poignée de la porte. Parce que Saouzanet avait la manie de la claquer en entrant sans même la regarder ni même s'assurer s'il y avait quelqu'un derrière. Ouais, c'tait marrant les cours de musique !

 

"Il y a une différence entre musicien et instrumentiste ! Pour moi, vous n'êtes pas des musiciens, et ça m'étonne de voir qu'on vous ait laissé passer au niveau supérieur. Cette année, croyez-moi, y en a plein qui vont rester sur le carreau !!!"

 

Et l'année d'après, Saouzanet se retrouvait avec la même bande de cancres, à passer les dix premières minutes du cours à essuyer le piano, et à refermer les portes. Tout dou-ce-ment.

 

Je ne sais pas si notre conversation était super intéressante ou si on dégageait une certaine sympathie, là, à remuer le passé comme deux petits vieux arthritiques, mais la serveuse de la crêperie s'est soudainement mise à s'intéresser à nous plus que son statut ne l'exigeait. On n'était pas les seuls dans le restaurant. Il y avait aussi un couple. Mais la serveuse ne s'est pas penchée sur l'épaule du couple comme sur la mienne alors qu'il y avait assez de place autour de la table pour faire un créneau avec un quinze tonnes ! Et elle a refait le coup deux ou trois fois entre le pichet de cidre, la crêpe et la glace. Elle a aussi complètement ignoré Fred comme si ce dernier était muet ou autiste. A ce moment, il me semblait être Tom Cruise me trimbalant Dustin Hoffman. Sans rire. Oh ! c'est juste un type qui a une ENORME culture musicale ! Rien de bien méchant. Bref, Fred s'en est vite rendu compte et me dit que s'il elle le pouvait, en gros, elle allait se mettre à sortir un énorme phare de sa poche ou une grosse chaussure pointure 68. Quand Fred a réglé l'addition, elle m'a filé des petits martiens en plastique anti-stress et des pastilles en me regardant droit dans les yeux, le menton posé sur la main, le sourire aveuglant comme un salin en plein soleil. Un truc pour mon ego et ma gloire éphémère : j'aurais été séduisant au moins dix minutes dans ma vie. Sûrement qu'elle a dû le faire à une dizaine d'autres clients, mais j' m'en fous un peu. Je prends quand même. Et si un jour je repasse dans cette rue, et qu'elle joue du violon debout sur le comptoir avec ses martiens en plastique, eh bien, j'en fais ma femme... ou je commande une crêpe comme un crétin de client qui a trop apprécié le service.

     Le doux temps

     Des sérénades

     Qui vous perd

               vous perd

     Cent fois

     Au coin de la rue...


© lmer 2004


Mardi o6/o7/2oo4

Le pendule de Foucault. En fait, clouez un prêtre au sol et faites lui balancer son encensoir jusqu'à la fin des temps et vous aurez peut-être le même effet. Et oui, la Terre tourne, et à voir ce pendule, difficile de croire qu'elle s'arrêtera un jour, ou l'autre. Une raison supplémentaire pour que j'arrête de taper sur cette vieille machine.

Oui, aujourd'hui, c'était visite au Panthéon.  Le temps de constater que pour ses résidents, la Terre a finalement cessé de tourner, un jour, prise de vertige dans leur lit de mort. J'y pense, si je n'ai pas réussi à y entrer gratuitement par oubli malheureux de ma carte de chômeur, j'espère ne pas y retourner de si tôt de manière définitive et tout aussi gratuitement, même si l'hôtel n'affiche pas complet.

     Aux Grands Hommes, La Patrie Reconnaissante...

Serais-je un jour un grand homme ?... et me sera-t-on reconnaissant ? Il y a trop de jours dans la semaine où je bosse uniquement pour ma poire et où je ne rends de comptes qu'à ma machine. Alors...

En sortant, accompagné de Fred, sa copine et un de ses amis, on s'est assis sur les marches pour voir si on pouvait sentir la Terre tourner. Sur la place, il y avait trois zouaves qui jouaient au foot entre la Mairie du 5ème et la Fac de droit. Et ils jouaient comme des brèles. J'appréhendais le moment où Dumas, Curie et toute la bande se lèveraient comme un seul homme (comme un seul grand homme) pour leur demander d'arrêter leur bordel.

    "Nom de Dieu ! Y a des gens qui dorment ici !"

 

On a mis les voiles pour un café Egyptien, rue Mouffetard. On a parlé de ces choses qui vous font dire que vous êtes encore jeunes, trop jeunes peut-être. Ou peut-être était-ce à cause du narguilé. Les bulles dans les narguilés, ça me fascine. Et j'ai montré à Fred comment fumer à la française (comme ce personnage dans La Peste de Camus. M'en souviens plus du nom). N'étant pas fumeur, j'ai dû m'y prendre une bonne dizaine de fois. Et au final, j'étais plus ridicule - la gueule à moitié ouverte dans le vide - qu'autre chose. La faute à la Terre qui tourne. Sûrement.

Chacun est gentiment rentré chez soi après. Je suis plutôt content aujourd'hui, parce que ce matin, j'ai grandement avancé dans le travail du mouvement lent du concerto de B. Et pour une autre raison aussi, mais je n'ai pas trop le temps d'en parler, là.

 

Aujourd'hui - rendez-vous compte - on s'est tous déplacés de quelques mètres dans le vide. La copine de Fred a parlé d'une histoire de point de référence, comme quoi lorsqu'on est sur un manège, il peut arriver qu'on se mette à croire que ce sont les gens autour qui tournent - quelque chose comme ça. Je n'ai pas une formation scientifique très poussée, mais oui, parfois, ça me fait ça, certaines personnes me donnent envie de gerber. Mais il y a autre chose qui m'inquiète plus que ça : le fait que l'on sait qu'on bouge sans savoir où on est, sans savoir fichtrement où on est ! Et puis merde ! On est paumé, point barre ! Et ce n'est qu'une fois passé de l'autre côté qu'on voit le monde d'en haut et qu'on se dit : "Sacré pendule, va !"

De quoi vous donner envie d'écrire un poème sur l'éphémère des choses...

© lmer 2004


Mercredi o7/o7/2oo4

C'est un matin dur comme de la pierre, lorsque le jour, tout réel qu'il est, vous transperce les mirettes à vous en faire mal à la conscience. Mon frère une fois m'a traité de vampire parce que j'aimais rester chez moi avec tous les rideaux tirés. Je me souviens : il entrait dans l'appartement et criait : "Vampire !", puis poussait vivement les rideaux. J"en avais le fond de la rétine qui chantait. Enfin, bref, le fait est que je reçois des gens à dîner ce soir. Ce qui me fait taper ceci ce matin plutôt que cette nuit, avec une envie pressante à l'intérieur du corps qui me fait me dandiner sur ma chaise. Recevoir des gens chez moi me pousse aux plus basses conventions sociales dont l'une d'elles est d'être présentable. Donc au menu : ranger tout ce bazar qui règne autour de moi et qui m'encombre la vue, et faire la vaisselle. Ordre et vaisselle. Ca ressemblerait presque à la devise d'un pays sud-américain : ORDRE ET VAISSELLE. Un truc à graver sur tous les frontons du monde, ou sinon comme épitaphe d'un maniaque de la propreté.

Autre chose : Carine trouve que c'est une bonne idée de tenir un journal et que ça mériterait que je ne rate aucun jour. Oui, car à l'échelle de l'oeuvre, le travail d'une minute compte pour une éternité (ça c'est de moi). Pas de souci là-dessus. Je ferai mon possible pour m'y coller tous les jours, tous les jours, chaque jour

qui

passe

au gré

de mes envies

Oh ! Dans une semaine c'est le 14 juillet. Journée bleublancrouge (en anagramme, on pourrait presque écrire "belle courge" avec ça... à travailler). Bref, une bonne occasion pour voir un feu d'artifice en charmante compagnie par une belle nuit d'été. Du moins, si le temps s'améliore d'ici là. Je me vois dans un tableau impressionniste; le visage tourné vers le ciel, un visage sur lequel il pleut de grosses taches de couleur vive. Ouais, de grosses taches partout, partout, partout, partout... ORDRE ET VAISSELLE !!!

© lmer 2004


Jeudi o8/o7/2oo4

Il y a au moins une chose qui ne changera jamais. Un type a écrit, il y a de ça un an ou deux, qu'il était impossible de faire tous les cafés de Paris. Parce que le temps qu'on fasse la moitié, une bonne partie aura fermé, changé de nom ou de carte. J'en ai trouvé un aujourd'hui, rue de Citeau. Cet endroit n'a pas dû changer pendant ces trente dernières années. Au moins. Le sol est recouvert d'un lino hors d'âge troué par les cigarettes mal éteintes, ça sent la graille et il semble toujours avoir quelqu'un debout devant le zinc qui boit un verre de blanc, vers les quatre heures de l'après-midi, quand il fait ni trop chaud, ni trop froid. Et ça tombe bien parce qu'il pleuvait cette après-midi. La personne à qui les lieux semblaient appartenir - avec sa face avachie à chanter des chansons paillardes - tapait la discute avec son pilier du jour au centre de sa modeste caverne. Accrochés derrière lui : une bouteille de Cutty, une de Pady, une de Jameson, la traditionnelle bouteille de pastis, et des cigarettes Peter Stuyvesant. Et puis, dans un coin, une vieille machine à laver la vaisselle en inox Hochizaki qui fume et qui crachote. Rien d'autre.

Un type passe et repart avec un Banco et un paquet de Stuyvesant.

Seb commande trois express.

"Trois express !" répond le proprio, avant de se remettre à chantonner Le Temps des Cerises, ou une autre chanson du même calibre, une chanson pour jour de pluie. Seb dit que le proprio n'aime pas trop que sa clientèle soit trop jeune. Seule la machine à café ne paraît pas hostile parce qu'elle est l'unique objet présent qui semble appartenir à notre époque et parce que l'idée ne nous vient pas de l'appeler percolateur.

La pluie cesse dehors. On met les bouts. Ce café est si vieux que j'ai déjà oublié son nom. Et puis, dans six mois, hélas, il aura sûrement fermé.

 

J'étais censé aller au ciné ce soir voir le dernier film de Mickaël Moore. Mais Seb m'a convaincu d'aller à une session de Slam après avoir lu mes derniers travaux. Merde ! Je suis pas prêt. Même après les trois sessions de l'année dernière, je suis toujours pas prêt. Mais bon, c'est peut-être l'occasion d'avoir une pression gratuite. Oui, une petite mousse pour continuer à faire croire que les types qui écrivent sont des alcooliques irrécupérables.

Seb a enfin vu ma machine à écrire. Il en achèterait bien une, pour la déco, mais sa femme le tuerait certainement. Mais bon, de mon côté, je ne l'utilise pas à des fins décoratives. D'ailleurs Fred ne comprend toujours pas pourquoi je m'évertue à taper dessus. Il dit que ce n'est pas pratique, que ça sert à rien... Oui, mais un ordinateur, c'est autant pratique que froid, derrière un ordinateur, je ne vois pas les mots sortir un à un, concrets, solides, vivants quoi ! Nom de Dieu ! On ne fait pas correctement l'amour à une femme si on ne l'aime pas ! Et surtout si elle est frigide ! Pas besoin d'être pratique pour être aimée, ma machine. A dix ans, j'en voulais déjà une, mais ma mère m'a renvoyé à mes GI Joe en disant qu'on n'avait pas besoin de secrétaire dans la famille. Maintenant j'en ai une, et je suis aussi borné qu'un ado amoureux :  "Nan, j' la quitterai pas, nan nan nan ! j' la quitterai pas !..."

Ouais, l'amour rend con. Y a des choses qui changeront jamais. Et il est temps d'aller échanger mes mots contre une mousse.

© lmer 2004


Vendredi o9/o7/2oo4

C'est l'automne à Paris. Un bon vieil automne. Mon taux de mélanine ne me sert strictement à rien. Les ventes de crèmes solaires n'ont jamais été aussi basses. Et ça me fait rire. Tout le monde, à commencer par ces rigolos de la météo, avait prédit qu'on allait tous griller façon tarte aux pommes thermostat 6. Sur les Champs, même pas une jolie touriste toute rose pour vous remonter le moral. Ils sont tous laids, soumis, et le vent les défraîchit un peu plus à chaque bourrasque. On n'est pas loin de se faire saucer en bonne et due forme, et midi approche. Alors on se jette dans le premier fast-food qui se présente. Dans quel autre établissement pouvaient bien aller deux étudiants et un chômeur ?

Seb est en grande forme aujourd'hui. Il a déjà repéré la caisse idéale, celle que son esprit tordu a choisi pour me foutre la honte. La file avance, c'est mon tour. Devant moi : une petite brune en chemise à carreaux sur laquelle est épinglé un badge rouge, le tout surmonté d'une casquette trop grande tout aussi ridicule.

"Demande lui son numéro !" il me dit pendant que la naïade en casquette s'éloigne pour chercher ma commande. Avec Seb, j'ai l'impression que je ne mérite que les caissières ou les serveuses.

"Vas-y, demande !"

La caissière revient à son poste.

"Excusez-moi, je lui fais. Je peux vous poser une question ?"

"Oui, bien sûr."

Seb s'éclipse vers le fond de la file, le salaud !

"Je pourrais avoir de la crème pour mon café, s'il vous plait ?"

"Oui, bien sûr. Un ou deux ?"

"Un, ça ira, merci."

 Dix minutes plus tard, on est en train de digérer ce qui est digérable, tous affalés dans de grands fauteuils rouges autour d'une petite table ronde, à regarder des pubs et des extraits de films sur les écrans du fast-food. Le téléphone de Seb se met à sonner. Il écoute attentivement, semble un instant surpris, puis raccroche.

"Nom de Dieu ! il crie. Jean Rochefort est mort !"

"Nooon ! C'est pas vrai !"

C'était sa copine qui venait de le lui annoncer. Tout de suite, notre homme est au trente-sixième dessous. Jamais de sa vie il n'aura l'occasion de faire un film avec un de ses acteurs fétiches français.

"Putain ! Rochefort est mort ! Qu'est-ce qu'il nous reste, hein ? Qu'est-ce qu'il nous reste ? Tu vas voir, bientôt, ce sera au tour de Noiret ou de Serrault, et après, on sera obligé de faire avec des types comme Canet ou Lebihan ! Mais, ce qui me chagrine le plus dans tout ça, c'est que cette nouille de Delon va sûrement réussir à les survivre !"

"Bah, y reste encore Jean-Pierre Marielle. Il est bien Marielle."

"Ouais, mais c'est pas pareil. Et avec le cul qu'on a, tu verras, lui aussi va y passer !"

Soudain son téléphone se remet à sonner.

"Quoi, qu'est-ce que tu dis ? Putain, mais ça change tout !"

Il raccroche.

"C'est bon les gars ! En fait, c'est Jean Lefebvre qui est mort !"

" 'Tain, quel soulagement !"

"Ouais, c'est bon. Mon Dieu ! J'ai cru que ma journée était fichue pour de bon !... Dans quel film il a joué encore Lefebvre ?"

" 'Chais pas. Les Tontons Flingueurs, non ?"

" Ouais, on s'en fout. On s' tire !"

On est sorti tout léger, mais avec la désagréable prémonition que demain, ces rats de la grande distribution allaient ressortir en masse tous les films dans lesquels avait joués l'acteur. Tour ça à 20€ l'unité, bien entendu. Mais la journée ayant été trop riche en émotions, on a préféré laisser courir. Et de toute façon, on était trop fatigué pour penser à quoi que ce soit.

 

Je suis dans le métro pour me rendre chez un ami dont j'ai été le témoin au mariage. J'ai dû changer trois fois de ligne parce que j'avais encore oublié que la 6 était coupée en deux pour cause de travaux. Sur une affiche 4x3, une pub pour une compagnie aérienne, quelqu'un avait écrit au marqueur sur tout le long : "35 HEURES, C'EST DEJA 25 DE TROP". Je sais que je n'ai pas de leçons à donner en ce qui concerne la motivation au travail, mais franchement, j'aimerais bien choper l'ahuri qui a écrit ça. Car si tous ses prédécesseurs et aïeux s'étaient contentés de bosser dix heures par semaine, aujourd'hui, il serait encore en train d'écrire avec une plume, à aller chercher l'eau au puits, à circuler dans les rues dans une charrette ou je ne sais pas quoi encore. Je ne suis pas un partisan des masses de travail excessives, mais tout de même, dix heures par semaine, c'est vraiment du foutage de gueule. Et que penser du développement durable ? A mon avis, ça n'existe pas. Si quelque chose se développe ou se crée quelque part, il y a forcément une autre qui disparaît ailleurs. C'est un peu comme les plaques tectoniques, les zones de subduction. Le développement amène forcément à la fin d'une époque, le renouvellement, la disparition et, hélas, la mort certaine...

A peine sorti de mes pensées, je manque de me perdre dans les rues de Créteil. Ce serait trop con que je me perde maintenant, surtout avec cette bouteille de Merlot qui roule au fond de mon sac.

Finalement, j'arrive à bon port. Et à l'heure. Chose assez rare ces derniers jours pour être signalée. Je passe des minutes courtoises à me rincer la dalle au Porto puis au Merlot. On veut me voir, un jour prochain, baragouiner quelques lignes dans un slam. Je n'y vois pas d'inconvénients. A un certain moment de la soirée, quelqu'un dit de moi que je suis une "bibliothèque vivante". Nom d'un marque page ! Ce que je dois être chiant ! Ca n'a pas loupé : j'ai ENCORE parlé d'un bouquin. Mais lequel ? Lequel ? Y en a tellement !

Bref, un peu plus tard, on me fait écouter un groupe qui vient de la République de Touva qui se situe quelque part entre la Mongolie et la Russie. Un quart de la France en superficie pour 3oo ooo habitants. Ils sont connus pour leurs chants diphoniques. C'est quand on chante deux notes à la fois. C'est assez intéressant. Et puis la soirée se termine. Je me souviens être entré dans une conversation dont les principaux sujets étaient J.K Rowling et le môme Potter. Mon Dieu ! Serais-je devenu tolérant ?

 

Sur le chemin du retour, dans une voiture, la conductrice tente une blague en entrant sur le périph :

"C'est bien dommage que j'ai fait l'essence."

"Ah ouais ? Pourquoi ?"

"Parce que je pourrai pas te faire l' coup d' la panne !"

... ici bas, y a jamais assez de bandes d'arrêt d'urgence.

© lmer 2004


Dimanche 11/o7/2oo4

Vince a grossi. Bientôt, il sera aussi gros que le poing. Il semble aussi être devenu plus méfiant envers nous et se cache systématiquement sous les pages de journaux quand il veut bouffer.

T'inquiète, raclure, on aura ta peau !

Le voilà qui se dresse une nouvelle fois sur ses pattes antérieures. Son museau est à un centimètre du bord de sa prison en plastique. Il fléchit légèrement l'arrière-train, puis saute agilement vers le ciel et vers la liberté. Agrippant le rebord avec ses pattes avant, il se hisse jusque là et, une fois son équilibre trouvé, commence à faire le tour du bac, se balançant tantôt à droite, tantôt à gauche. Muriel, la copine de Sébastien, se retourne vers cette soudaine activité et pousse un cri qui, surprenant la pauvre bête, renvoie Vince parmi les crottes et les journaux.

"Oh ! T'as vu ça ?" dit Seb.

Il se précipite vers Vince. D'une main, il le poursuit sur le fond de son bac et finit par saisir l'animal par le ventre. Une certaine fierté se lit sur son visage. Il le soulève à hauteur de regard et le pose sur son épaule droite. Vince frétille du museau, assure un instant sa position puis se dirige vers l'épaule gauche de son maître.

"Ca chatouille" dit ce dernier.

"Ouais, ben tu me touches pas avant d'avoir pris une douche ! s'écrie Muriel. Une GROSSE douche !"

Seb veut faire partager son bonheur. C'est papa montrant son fils prodige.

"Approche Fred !"

Il pose Vince sur l'épaule de son frère qui aussitôt se met à rire lui aussi. Au bout de deux minutes, Seb reprend jalousement son bien et entreprend de le faire tenir sur le trépied de mon appareil photo.

"Tu m' feras un plaisir de le désinfecter avant de me le rendre !" je lui dis.

Pendant ce temps, Vince se dirige vers la barre de réglage qui pointe vers une étagère proche. Il avance une patte après l'autre. Lorsqu'il arrive au milieu, il enroule sa queue autour de la tige métallique pour mieux s'y accrocher. Tout le monde s'émerveille devant tant de prouesses. Même Muriel.

Profitant de notre relâchement, Vince, arrivé à la fin de la barre, se dresse une nouvelle fois sur ses pattes arrières et tente d'atteindre l'étagère.

"Il va y arriver !" se réjouit Seb.

Mais Vince glisse impuissant sur l'aggloméré et va s'écraser quarante centimètres plus bas dans un "ploc" pathétique. Il redevient un rat banal et stupide. Tout comme son maître qui se met à lui courir après à travers l'appartement.

"Seb, dit Muriel, il faut que tu te débarrasses de ce rat. File le à Fred. Il a le courage de le tuer, lui. Il l'a dit !"

"Ouais, fait l'intéressé. Tu le fous dans les chiottes, tu tires la chasse et l'affaire est réglée."

Seb ne répond pas. Vince le regarde dans les yeux et court se réfugier sous le papier, au cas où son maître le renierait par trois fois.

"Seb?"

"Bon, Seb, tu décides ou quoi ?"

Ce rat aura notre peau. Ca c'est sûr.

Depuis que je tiens ce journal, je ne sais pas si je fais plus attention ou quoi, mais j'ai comme l'impression que certaines personnes me sont envoyées exprès pour le remplir.

Il y a cet homme, par exemple, qu'on a croisé au Jardin Atlantique, derrière le musée Jean Moulin. Chargé comme un mulet qu'il était. Il nous demande :

"Savez pas comment on fait pour se rendre à la gare ?"

Il avait réussi à monter jusqu'ici avec son chariot en empruntant l'ascenseur. On lui propose de redescendre par là où il est venu mais l'ascenseur décide de faire des siennes. Alors on n'a pas d'autre solution que prendre l'escalier qui se termine sur les premières voies de la gare Montparnasse.

"Vous venez d'où ?" je lui demande en voyant les étiquettes d'aéroport attachées à ses bagages.

"Du Cameroun."

"Et vous y faisiez quoi ?"

"Moi ? De la chasse."

Je prends deux secondes pour comprendre que c'est une carabine qui se trouve dans l'étui long de 5o centimètres et cadenassé qui se tient debout sur le chariot.

"Et vous chassiez quoi ?"

"Oh, de tout !"

Je crains le pire.

"Du lion, de l'éléphant et toute sorte de gazelles. Pas la panthère parce que c'est interdit. En fait, j'organise des tournées pour des américains. Eux ils retournent avec leurs trophées, et moi je partage la viande avec la population locale et les pygmées. Je passe huit mois par an là-bas et les quatre qui restent en Métropole."

Quand j'étais gosse, je voulais devenir vétérinaire. Pour plusieurs raisons. L'une d'elles venait du fait que j'avais un jour vu dans une encyclopédie un éléphant, l'oreille en sang, qui se faisait soigner par un type à lunettes aux allures d'homme bien instruit. Bien qu'il semblait se trouver entre de bonnes mains, je ne pouvais pas m'empêcher d'avoir pitié de l'éléphant. Une pitié qui frisait la culpabilité.

" 'Tain, ça se mange l'éléphant ?"

"Bien sûr. Faut compter une dizaine d'heures de cuisson. En fait, on mange la trompe... C'est comme du pâté de tête..."

Oh, y a de ces trucs qu'on vous dit pas à l'école !

Ce qui me chagrina encore un peu plus fut que cet ahuri de Fred refusa les 1o€ que cet homme voulait nous filer pour notre aide. 1o€ qui nous auraient permis de nous offrir une petite partie de bowling au Méridien. Une bonne partie pour nous permettre d'oublier que quelque part sur la Terre, on fait du pâté de tête d'éléphant.

Plus tard, dans le métro, un type entre avec un chat enfermé dans une cage de voyage. A distance, je commence à taper la discute au chat. En fait, à chaque fois que j'en vois un, c'est plus fort que moi, je pousse un miaulement en pensant que l'animal va me répondre. C'est que j'adore les chats, voyez vous. Et je n'arrête pas de prendre leur défense. Aussi, je m'emballe tout seul en disant à Seb et à Fred que, les chiens, c'est naze et que ce n'est pas intelligent du tout. Du moins, selon la définition que je donne de l'intelligence animale. Pour moi, faire bêtement ce qu'on vous demande n'est pas forcément une preuve d'intelligence. Seb me sort alors une histoire sur les chiens qui sauvent leur maître lors des avalanches ou lors de chutes dans les puits. Des chiens même pas dressés, qu'il me dit. Sauf que j'habite Paris et que je déteste les vacances de neige !

Le propriétaire du chat qui semblait écouter notre conversation se retourne vers moi et me dit :

"Vous avez raison (un peu mon n'veu !). Les chats, c'est mieux que les chiens. C'est tranquille et ça coûte pas cher..."

Le bonhomme me devient sympathique tout à coup, mais...

"... et en plus, y a pas d'emmerdes avec un chat. Ouais, un chat, c'est beaucoup moins d'emmerdes qu'une femme !... Et ça coûte moins cher aussi !"

Oh !

On l'a laissé avec son compagnon. Bordel, j'espère que je vais pas virer maboule comme lui à force de parler avec les chats !

Encore plus tard, à la librairie du Virgin, Muriel est soudainement prise d'une haine inattendue envers la société de consommation et me confie qu'elle trouve ça navrant de voir autant de monde un dimanche, autant de gens qui achètentachètentachètent et que la plupart de la masse qui grouille dans ce sous-sol fait très intello parisien. M'a-t-elle inclus dans le lot ? Quoi qu'il en soit, je lui réponds que je préfère voir des gens acheter des bouquins - et même les pires - que de les voir acheter les disques de la Star Ac'. Là-dessus, quelqu'un passe devant moi avec la bio de Loanna sous le bras... Dans ces moments là, être traité d'intello est le plus beau compliment qu'on puisse vous faire.

De retour chez moi, je montre à Fred le Festin Nu de Cronenberg qu'il souhaitait regarder. Et les premiers mots qui s'affichent à l'écran sont:

"Eliminer toute pensée rationnelle..."

© lmer 2004



Lundi 12/o7/2oo4

jour inconnu encore

vie-nuage qui ne rencontre

ni plaine, ni relief lorsque

les journaux abondent

de rien, totalement rien

qui ne m'empêche

de trop penser

à elle

la distance et la paix

ces jours tout à fait

parfaits

d'aujourd'hui

c'est lundi.

© lmer 2004


Mardi 13/o7/2oo4

Entre deux envois de CV sur le net pour cause d'inactivité chronique, je fais un saut à la librairie du coin pris par l'envie quasi-mortelle de me procurer un exemplaire de Gatsby le Magnifique. Ca m'avait presque fendu le coeur de le rendre à la bibliothèque la dernière fois. C'est triste d'être un bon citoyen !

Au bout de dix minutes de recherche scrupuleuse, je me tourne vers la libraire et lui demande le bouquin en question. Elle dit :

"C'est d' qui ?"

"Fitzgerald... Francis Scott..."

"Vous n' l'avez pas trouvé ?"

"Ben, j' vous l' demande..."

Elle se dirige vers les étagères et passe un doigt frénétique sur la tranche de tous les livres de littérature étrangère. Elle marmonne quelque chose qui signale son échec puis court vers son ordinateur qu'elle consulte tout aussi hâtivement.

"Non. On l'a même pas en stock. Désolée."

"Pas grave."

Je pousse alors jusqu'à celle qui se situe deux numéros plus bas dans la rue en maudissant le fait que j'allais probablement devoir donner mon fric à une enseigne qui n'en a strictement pas besoin. En effet, la librairie appartient à une grande maison d'édition qui se partage, avec deux autres, les prix littéraires depuis que ceux-ci existent.

Je finis par mettre la main sur Gatsby. En me dirigeant vers les caisses mon regard croise une pile de recueils de nouvelles de Carver. Au sommet, une petite carte rédigée à la main dit :

"Le maître de la nouvelle... des personnages haut en couleur, des chefs d'oeuvres d'introspection..."

C'est rassurant de voir qu'il existe encore des gens qui ont du goût par ici. Cela me rend tout à coup heureux de vivre parmi mes semblables, mais un peu plus loin, je tombe sur un autre bouquin beaucoup moins plaisant : quelqu'un a réuni une dizaine d'auteurs contemporains pour commémorer le dixième anniversaire de la mort de Bukowski. J'avoue, au début, je me suis dit que cette personne avait pensé comme moi et je m'en réjouissais. Mais après avoir vu que ce n'était qu'une réunion de types influencés par le disparu, avec en chef de file F. Beigbeder, j'ai vite déchanté. Oui, enfin, pourquoi une compilation de textes d'individus pour la plupart méconnus alors que d'autres ouvrages originaux comme "Jouer du Piano Ivre.." ou le tome 1 de "L'Amour est un Chien en Enfer" sont pratiquement introuvables ? Vous voulez mon avis ? Tout ça n'est qu'une grosse pub à destination de ceux qui aiment Bukowski et qui ne savent plus quoi se mettre sous la dent. Si l'auteur voyait aujourd'hui son nom sur un livre comme celui-ci, sûr qu'il en fracasserait son verre de malt contre le mur. Surtout à la vue de ceux qui y figurent. Mais bon, ne nous emballons pas trop. Je n'ai rien contre Beigbeder, j'appréciais bien son style avant de tomber sur Bright Lights Big City de McInerney et de me rendre compte qu'il s'en était grandement inspiré pour écrire son 99F. Et maintenant qu'il possède une certaine renommée - on parle même depuis quelques années de porter 99F sur grand écran - il peut se permettre de faire un peu d'argent de poche en relatant ses entretiens avec ses références ou en parlant d'eux tout simplement. Brûlez moi si un jour j'en arrive à ce stade.

 

Après un bref arrêt devant le rayon littérature française qui tire toujours autant la gueule - d'ailleurs je me demande toujours pourquoi ils ont laissé le mot littérature sur l'étiquette collée au dessus du linéaire ? - j'arrive devant la caissière qui du haut de sa cinquantaine pourrissante s'octroie le droit de me tutoyer comme si je venais d'avoir mon bac. Mais au lieu de m'offusquer encore plus, je suis pris d'un élan désespéré de conformisme et je lui demande si sa librairie ne chercherait pas un peu d'aide pour le mois d'août.

"Faut écrire à la maison mèèèère" qu'elle me dit.

"Ok"

 

Parlons travail justement parce que c'est la seule chose que l'on peut en faire sans se briser un rein ou un ongle : en parler. Tout le monde autour de moi travaille en ce moment. Y en a pas un qui y échappe. Et ils sont tout aussi nombreux à partir en vacances. C'est qu'il faut bien qu'il s'arrête à un moment ou un autre. Un des plus chanceux que je connaisse est certainement mon frère qui bosse pour l'économie virtuelle quelque part dans un immeuble climatisé et moquetté de Trafalgar Square et qui est sur le point de partir pour les Canaries ce week-end avec son amie Australienne. Voilà un des seuls avantages que je puisse trouver au travail : pouvoir s'offrir des vacances. Mais c'est justement parce que l'on bosse qu'on en a besoin. Je suis persuadé qu'un type au chômage qui a des ressources suffisantes pour vivre sans se laisser se miner par des questions et exigences futiles - comme trouver un boulot par exemple - ne pense en aucun cas à prendre des vacances. Mais j'entends déjà certains demander : "mais qu'est-ce qu'on peut faire d'autre à part travailler  ?". J'ai eu une discussion de cet ordre avec ma dernière boss. On ne faisait pas mieux en matière de rationalisme psychorigide bloquée entre la réalité et... la réalité. Je lui ai dit :

"Si un monde comme le nôtre existe avec cette foutue nécessité de travailler, eh bien, il aurait tout bonnement pu ne pas exister non plus. S'il est comme ça, c'est qu'une majorité un jour a décidé que c'était bon et que c'était le modèle à suivre. Et c'est pour ça que des tribus en Amazonie sont sur le point de sombrer définitivement dans l'oubli."

"Non mais, si on bossait pas, hein, qu'est-ce qu'on ferait ? Ca a toujours été comme ça, ça peut pas être autrement !"

"Si tu ne sais pas quoi faire dans le cas où on bosserait pas, c'est que tu n'as fait que ça pour l'instant, bosser, et que tu ne t'es jamais posée la question. Sinon, tu trouverais quoi faire de ta vie à part BOSSER !"

Combien de personnes se disent qu'elles feraient bien tel ou tel truc si elles en avaient le temps ? Elle a soupiré et est retournée à son bureau. Ca la défrisait d'autant plus que je déclarais haut et fort que je m'en foutais pas mal des primes. C'est vrai, c'est pas parce que les primes existent qu'il faut absolument courir après, surtout quand on est plutôt satisfait de son salaire et qu'on n'est pas payé à la commission. J'avais personne à ma charge, pas de femme à entretenir, même pas une perruche à soigner. Alors les primes, vous savez...

Enfin, si tout le monde lâchait son job, il y aurait des milliers de trucs à faire. Dessiner par exemple. Regardez les hommes de cavernes : ils savaient tous dessiner un cheval à peu près correctement. Aujourd'hui, arrêtez un quidam dans la rue. Demandez lui de dessiner un arbre, et il vous fera un cure-dent surmonté d'un oeuf à la coque. Il y aurait des millier de choses à faire à commencer par changer le monde justement, ou à défaut, l'améliorer. Il y a des jours où je me dis que nos prédécesseurs se sont démenés comme des chiens fous pendant des siècles pour nous rendre la vie plus facile et qu'aujourd'hui, il n'en est rien. Un bon nombre de sociologues et d'économistes ont vu à travers la modernisation du travail un libérateur de l'activité laborieuse et ce grâce à la main d'oeuvre mécanique et à la répartition des richesses que cette dernière devait faciliter. Or, ce n'est pas le cas de figure aujourd'hui vu que les machines tournent en se foutant bien de savoir pour qui et pour quoi elles tournent et qu'il suffit juste d'un type pour récolter les billets par derrière. Par conséquent, on est toujours obligé de bosser, ici ou ailleurs. Je me demande pourquoi certains continuent à amasser les billets pour faire plaisir à leur banquier. Et qu'on ne me dise pas que c'est pour assurer le bien-être de leurs proches et de leur descendance ! Un exemple imagé et rafraîchissant pour arrêter de parler sérieusement : l'oncle Picsou. Le canard quadrillionnaire, en dollars, US. Il a une fortune à étouffer tous les animaux de la création mais en aucun cas il ne facilitera la vie de Donald qui court de petits boulots en petits boulots et même, parfois, est obligé de jouer les domestiques. Il n'a pas l'air comme ça, mais je suis certain que si Donald ne s'épuisait pas à trouver un poste quelque part, il aurait assez d'énergie pour créer une bombe atomique artisanale pour faire sauter le coffre de son aïeul. Un service que monnayeraient à prix fort les frères Rapetout. Autre chose, ce qui est dramatique pour Donald, c'est qu'il se peut que Daisy ne sorte avec lui uniquement dans l'espoir que le vieux claque un jour et qu'il laisse toute sa fortune à son canard à elle. Mais bon, c'est un peu facile de dire ça d'autant plus que Donald ne prendrait pas plus d'une journée pour liquider les disponibilités de Balthazar. Mis à part cela, Donald, malgré ses problèmes de diction, ferait peut-être un très bon écrivain avec toutes les aventures qu'il a vécues, ou un meilleur journaliste que cette tante de Mickey Mouse. Qui sait ? Lâchez tous votre job demain et on verra. Pour l'instant, je vous attends en écoutant Nina Simone chanter "The Look of Love". Infiniment mieux que la version de Diana Krall qui la chante tellement détachée, tellement déliée, qu'on dirait qu'elle le fait shootée à la térébenthine, paumée dans un salon à la moquette poussiéreuse. Oui, j'attends que tout le monde pointe au chômage en écoutant Nina et - ô bonheur ineffable ! - le soleil filtre à travers la fenêtre...

© lmer 2004



Mercredi 14/o7/2oo4

Il m'arrive à certains moments de penser à quelques uns de mes amis, alors, je prends mon téléphone et je compose un numéro. Je tombe sur E., un pote de promo qui me demande si j'ai eu son message.  Quel message ? Pas grave, la seule info à retenir est qu'il y a un apéro pique-nique au parc Tino Rossi. Le temps de bouffer un Spéculoos avec mon thé et je me retrouve au Monoprix du coin en quête de la fameuse bouteille de Merlot - toujours s'assurer qu'il y a quelque chose à boire et que vous aimez... profondément. En sortant, il fait plutôt beau, et c'est d'un pas insouciant que je traverse la rue. Hélas, le bonheur n'ayant qu'un temps, voilà que je tombe sur Lucie, mon ex-colocataire. Une vraie hystérique, la seule fille au monde capable de se mettre en boule parce qu'on la laisse vivre sa vie. Je vous jure, Lucie, c'est un champignon, une vraie créature fongueuse qui veut à tout prix s'immiscer dans les moindres recoins de votre existence. Si elle avait un pénis, elle vous violerait presque ! Là, elle doit coucher chez une de ses amies qui habite dans le coin. Je profite du fait qu'elle discute avec un tocard en veste synthétique pour m'éclipser dans le métro.

Arrivé au parc, je trouve E., seul, et je suis encore le premier à me pointer. On parle de gens qu'on a croisés récemment et qui ne donnent pas de nouvelles, de son boulot, et de si on sera en mesure de voir le feu d'artifice de là où nous sommes. Le ciel se couvre dangereusement. On commence à taper dans le saucisson en attendant les autres. Les premiers invités arrivent au bout d'un quart d'heure. On sort ma bouteille : félicitations générales. Je n'ai aucun mérite : je prends toujours la même, et tant pis si je ne récolte pas la majorité absolue. Puis, une fille que j'ai croisée à un pot au théâtre des Champs et qui m'avait vaguement parlé de Chopin me coupe des tranches de pastèque en me faisant remarquer qu'elle a bien mémorisé mon nom. Elle dit :

"L. ? Je peux te poser une question ?"

"Vas-y."

"La dernière fois au parc floral ?"

"Oui ?"

"C'était ta copine ?"

Merde ! Quand est-ce que j'ai mis les pieds au parc floral ?

"Ce n'était pas toi ?"

Je demande confirmation à E., peut-être une amnésie partielle, mais j'en doute.

"Ben non, c'était pas moi."

J'y fais pas attention. En ce moment, je pense à une autre. Et je ne devrais fichtrement pas parce que c'est quelque chose qui à coup sûr me perdra.

La demoiselle est accompagnée d'un mexicain du nom de Luis. Un garçon très intéressant. En plein milieu de la conversation, je constate assez violemment que le monde est petit : Luis travaille au rez-de-chaussée de l'immeuble où vit Carine. Sait-elle qu'elle a un atelier de gravure dans son immeuble ? Bah, c'est le genre de chose dont elle se fout royalement de toute façon.

Luis me parle de quelques expériences vécues au Mexique. Il me dit que je devrais lire Carlos Casteneda, parce que la culture beat, ce n'est que de la mode et Carlos, c'est l'essence même de ce qui a inspiré Burroughs et les allumés des seventies. Ok. Je pense que ça plairait plus à mon frère ce genre de truc mystique, lui, le grand fan d'Hermann Hesse,  mais je le note quand même dans un coin de ma tête. Pour voir.

Sur le chemin du retour, j'apprends qu'il fait de la peinture. Dans le figuratif, qu'il dit. Il est arrivé à Paris il y a deux ans sans savoir parler un mot de français, avec juste un petit contact, et maintenant il parle presque sans faute et prend le métro comme n'importe quel parisien. Et tout à coup, il me demande :

"Et toi ? Tou écris ?"

Peut-être que je me suis endormi sur ma machine et que j'ai "AZERTY..." gravé sur la joue...

"Ca se voit, dit-il. Yé beaucoup d'amis qui écrivent..."

Je lui avoue que je suis curieux de voir ses toiles. A part Hopper et Rockwell, j'y connais pas grand chose à la peinture, mais le travail d'un type qui a goûté au peyotl m'interpelle grandement.

Il est d'accord. Il me confie de son côté qu'il a un ami au Mexique qui bosse dans un canard et qui recherche des textes français. Je me sens Miller rencontrant Zadkine. Ouais, pourquoi pas ? Pourquoi pas des textes inédits traduits en espagnol ? Une ou deux nouvelles ou poèmes de temps en temps, ça ne peut pas me faire du mal. Une chance parmi tant d'autres. Quoi qu'il en soit, je suis un peu fatigué à l'instant. Alors je vais aller dormir un peu,

et puis, on verra

je vais aller dormir un peu

et puis... mañana...

© lmer 2004



Jeudi 15/o7/2oo4


Toujours pas un rayon de soleil dans ce foutu mois de juillet, mais les vitrines des magasins s'ornent déjà de pubs pour la rentrée. J'imagine les gosses qui viennent de passer un été pourri - et qui attendent encore qu'il se décide à sortir pour de bon - penser déjà à l'école, à leur liste scolaire, à la vieille pisseuse qu'ils vont avoir comme prof d'histoire-géo et tout... Ca me mine tellement que je me sens à peine capable d'écrire une bafouille potable aujourd'hui...

 

Elle a toujours la même voix, qui tremble un peu à la fin de chaque phrase, les même petites expressions. J'ai eu Jane K. aujourd'hui au téléphone, la charmante Jane K.. Ce qui fait le troisième coup de fil en trois ans. Et je ne l'ai toujours pas revue depuis l'annonce des résultats de la promo 2oo1. On nous avait dit : "vous êtes dans le bon wagon ! Quand vous aurez votre maîtrise, le marché du travail sera grand ouvert !". Ok, on s'est dit. Puis, il y a eu le 11 septembre, et la mère emploi a recroisé ses belles jambes d'allumeuse à bretelle. Jane K. a opté pour une formation débouchant sur un DESS, à Toulouse. Elle l'a obtenu, mais au final - on est tous pareils - elle pointe elle aussi au chômage depuis le mois de janvier.

Elle se plait à Toulouse, elle dit. Elle a sa voiture, la mer est à 1h3o, y a plein de festivals etc. ... Elle s'étonne que je sois encore sans emploi. Ai-je déjà pensé à quitter Paris, elle demande. Quitter Paris ?!!!! Oh, c'est vrai, tu es un parisien indécrottable, j'avais oublié...

Elle aussi aimait Paris. Même les jours d'hiver. Les Champs sous la pluie. La grande roue sur la Concorde. L'année dernière, elle avait dit qu'elle reviendrait par ici une fois son diplôme en poche, peut-être. Finalement, on la retrouve à Toulouse. Maudite ville ! Les gens fuient tous vers le soleil, tant et si bien qu'il vous semble que tous les astres prennent la même direction. Je lui raconte deux trois trucs sans importance : mon ancienne colocataire, mon ancien job pour les fêtes de fin d'année, la lettre encourageante des éditions J.. De son côté, elle a arrêté d'écrire. Et c'est tant mieux vu qu'elle y avait recours uniquement dans ses moments les plus sombres. Donc, elle va bien. Son mot préféré, c'était : mirifique. Je m'en souviens. Résultat de longues heures passées derrière un dictionnaire. Mon Dieu ! Je déteste Toulouse !

Ca dure trois-quarts d'heure, puis il faut raccrocher. Elle me demande de dire bonjour aux autres quand je les verrai. Je lui dis de passer un coup de fil si jamais elle passe sur Paris. Mais à moins que les pôles s'inversent un jour, je crois que je peux toujours attendre...

© lmer 2004



Vendredi 16/o7/2oo4

Au départ, c'était prévu comme ça : week-end à Blois dans la maison de campagne d'un pote, avec barbecue, bières et blagues à la con. Du moins, c'était l'idée que je m'en faisais. Mais voilà, ce que R., l'organisateur du séjour, avait astucieusement oublié de me dire, c'est que tout le monde allait se radiner avec sa régulière, et par dessus tout, que je ne connaissais personne - nos rares connaissances communes ayant bien évidemment autre chose à faire. Imaginez vous : une dizaine de couples riant à gorge déployée, parlant de petites anecdotes de couple, de petits projets de couple, de petits malaises de couple... Et au milieu, un petit célibataire sirotant son verre, parlant à la mousse qui s'évapore comme sa lucidité. La dernière fois que je me suis rendu dans cette maison, c'était pour lui faire une surprise à l'occasion de son anniversaire. Mais cette fois là, il y avait eu que des mâles. Et j'avais pas eu à chercher très longtemps des sujets de conversation. La dernière fois, je m'étais réveillé à 7hoo du matin avec une demi-gueule de bois - parce que quand je bois, paradoxalement, je n'arrive pas à dormir plus de trois heures - et, me retrouvant seul dans le jardin, avec, au loin, les champs endormis, les corbeaux au réveil, l'herbe qui frémissait, je m'étais senti loin de Paris, si loin à m'en sentir perdu. Où étaient donc ces chers cafés que je chérissais tant ? Le Rotonde, Le Royal Trinité, Le Liberté ? Je me suis allongé dans l'herbe. Et en attendant que tout le monde se réveille, j'ai rêvé d'un crème. Là encore, ça allait, mais me réveiller comme ça avec deux équipes de football mixtes qui dorment en se tenant la main ! Alors là non ! J'ai donc pris mon téléphone, ai prétexté une conjonctivite - ce qui n'était pas très loin de la vérité - et suis parti faire un tour à la laverie.

Pendant le cycle, je me suis plongé dans une contemplation végétative du tambour de la machine, exactement comme Dieu pourrait bien le faire avec notre bonne vieille planète. Un type est passé, a regardé les prix et est reparti aussi sec. Tant mieux. Puis, il y a eu un bâtonnet de cocktail fraîchement sorti de chez son coiffeur, tellement maigre qu'on aurait dit qu'elle venait juste de sortir d'un des magazines féminins qui traînaient près des séchoirs. Elle a demandé l'heure et a filé après avoir jeté un dernier coup d'oeil au programme qu'elle avait sélectionné. Je me suis retrouvé seul à écouter la douce rotation des tambours, irrégulière, comme une armée de ballerines barbares marchant sur Rome. Sur moi, ça a des vertus apaisantes.

La 14, c'est ma machine. Elle passe au programme rinçage, dans un long et pénible mouvement d'aiguille, lorsque la porte d'entrée s'ouvre à la volée, laissant la place à une mamie hors d'âge qui se met à crier :

"Vas-y, woule woule !Tu peux aller jusqu'au fond et revenir ici."

Là dessus, un môme de huit ans à peine, monté sur une trottinette, déboule avec sa petite tête à bouffer des Roudors choco et woule woule jusqu'aux séchoirs. La roue avant de son engin vient heurter brutalement une des machines, il se retourne et woule woule jusqu'à l'entrée. Il se met à rire, d'un gros rire sonore, trop gros pour qu'on le croit sorti de ses petits poumons. Ca résonne dans toute la pièce.

"Bwavo Bwavo !" dit mamie.

Le gosse dit quelque chose à son tour, mais il l'a dit tellement fort que personne ne l'a compris.

"Tu veux wouler encore ?"

C'en est trop. Je préfère me reconcentrer sur mon linge en essayant de pas trop penser à ce que j'aurais fait au gosse s'il avait été mon fils...

Ca se voit que c'est ENFIN l'été. D'une part parce que le soleil a finalement décidé de se pointer - mais ne parlons pas trop vite tout de même -, et d'autre, parce que les restos du coin annoncent leur fermeture annuelle. C'est le cas de la pizzeria qui se trouve derrière chez moi, rue B. Elle ferme demain. L'établissement est vide et le maître des lieux sourit à son dernier client de la saison : moi en l'occurrence. Je me pose sur un tabouret devant le comptoir et scrute la liste d'un oeil vide. Je me renseigne sur les produits. Il me montre le mur : petite, moyenne, familiale. Dans la logique pizza, la petite c'est quand t'es seul, la moyenne c'est quand tu es accompagné, et la dernière, c'est quand tu rappliques à plusieurs. Dans la logique courante, c'est : plus t'as faim, plus c'est grand. Alors pourquoi "familiale" ?

Je prends un truc aux lardons dedans, sans réelle conviction. Lardons, petite faim. Il fait :

"Ok chef !"

Et je vais m'assoire à une table en attendant.

"Je vous appelle quand c'est prêt."

Je m'attarde sur les posters dans la salle où sont représenté plusieurs paysages de la campagne italienne. Mais les propriétaires de cette boîte sont autant italiens que je suis suédois. Dans un coin, on a replié ces épaisses nappes blanches que l'on trouve partout et qui ressemblent presque à des draps d'hôpitaux. Les couverts sont rangés, les verres, propres. Derrière moi, un couple que je n'avais pas remarqué en entrant parle de ce que chacun touche en une heure de travail. La fille s'extase un moment à propos de quelque chose, mais je ne vois pas ce qu'il y a de fabuleux à parler salaire dans une pizzeria de quartier. Dieu, ce que les couples peuvent ne rien avoir à se dire quand ils essayent de faire croire qu'ils s'aiment !

Dehors, la rue est déserte, le jour tombe. Il a fait chaud aujourd'hui. J'imagine un endroit qui pourrait bien être l'Italie avec un couple factice de cinéma qui papote derrière moi. Il y a une vague rumeur au coin de la rue, on entend des femmes, des enfants, les gens parlent à voix haute, chaleureusement, se sourient, il fait b...

"C'EST PRET FISTON !"

Je me retourne.

"Ta pizza est prête. Je t'ai mis un peu plus de lardons. Suis sûr que tu aimes ça !"

C'est magique. Y a du soleil dans mon existence.

"Ca fera 6,10€ !"

Et merde !

Je m'en retourne parmi les vivants...

© lmer 2004



Dimanche 18/o7/2oo4


ooh15. L'épicier en face de chez moi a eu l'amabilité de rester ouvert. Sachant quel immonde tire-au-flanc il peut s'avérer être parfois, j'en apprécie encore plus ma chance. Mon téléphone vibre : un message de Seb. Il me demande si je bosse. Faudrait que je repense un peu mon mode de vie. Ils sont de plus en plus nombreux à m'appeler sans scrupule pendant la nuit. Bien sûr que je bosse ! Peut-être un peu trop d'ailleurs. Rapport à mon oeil rouge le matin. Enfin, plus tard dans le journée, Seb enverra une blague coquine par mail, ainsi que son souhait de rencontrer Luis. Oh, j'ai pas eu le temps de lui dire que j'ai un entretien demain.

Dans la matinée, c'est au tour de Muriel d'appeler et j'embraye direct sur les excuses de la nana qui s'est dite victime d'une agression à caractère raciste dans le RER. Y en a qui s'en tire plutôt bien. C'est passé aux 2ohoo, ça avait commencé à remuer les foules, et voilà qu'elle présente ses excuses comme si elle venait juste de briser le vase de mémé, on en parle dix secondes, et c'est fini. Fini. Circulez, y a plus rien à voir. Demain, on en parlera plus. Fichtre ! Une fausse alerte comme celle-là devrait être autant condamnée que l'acte réel, à mon avis. Mais bon, c'est fini, voilà c'est bon, on fait un bécot à mémé et on peut aller rejouer. De toute façon, Muriel semblait aussi résignée que moi, alors on a changé de sujet. Le monde est plein d'autres sujets sans importance qui ont le mérite de le faire tourner.

Néanmoins, après la conversation, pas tout à fait convaincu de cet état de fait, je suis parti voir Fahrenheit 9/11, histoire de me tenir au courant de ce qui se passait dans le monde, justement. Par ailleurs, le film avait décroché une palme à Cannes, et pas des moindres. Ca méritait d'être vu, au moins pour gagner à une version future du Trivial Pursuit.

 

Pour commencer, je crois que je m'attendais à un documentaire. N'ayant ni vu, ni lu les précédentes oeuvres de Mickaël Moore, et ne voyant pas de noms d'acteurs sur l'affiche, c'est la première idée qui m' est venue. Or, à part pour la deuxième moitié du film - parce qu'il s'agit bien d'un film - il n'en est strictement rien. Pourquoi est-ce plus un film qu'un documentaire ? Tout simplement parce que c'est monté comme un film, c'est emballé comme un film (y a même une bande son qui essaye de vous arracher quelques larmes lors des évènements dramatiques) et il y a une partialité de ton, que je ne remets pas en cause, mais qui est bien là. La frontière entre les deux genres est tellement fine parfois que lorsqu'on arrive sur une mère de famille qui pleure son fils disparu en Iraq devant la Maison Blanche, eh bien, ça fait presque hollywoodien. D'ailleurs personne dans la salle n'a semblé plus chaviré que ça. Aussi, paradoxalement, Moore ne laisse pas aux spectateurs le choix de rire ou pas à une situation ironique, sordide ou tout bonnement pathétique. Exemple : lorsqu'il parle des effectifs ridicules des policiers en Oregon et où sa voix - en off - ménage sa chute en prenant une pause parfaitement callée avec la séquence. Et là, tout le monde rit comme devant un bon Benny Hill. Ca se reproduit deux ou trois fois dans le film, et pour être franc, moi aussi je me suis fait prendre. Attention, ceci dit, je n'ai rien contre Moore, ses positions, ses partis pris ou sa vision des Etats-Unis. Néanmoins, je m'interroge sur la façon dont il s'est pris pour faire son film, et surtout quel était véritablement son but, car de toute évidence, il n'a pas pu s'empêcher d'utiliser des procédés cinématographiques pour faire Fahrenheit. Du coup, ça ressemble plus à une critique ouvertement acide qu'à un docu censé faire réfléchir. Et ce qu'il y a de plus navrant, c'est que le public semble aujourd'hui n'être sensible qu'à cette forme d'argumentation.

Au début du film par exemple, juste après le générique, on a droit à une trentaine de secondes d'écran noir où on entend des avions s'écraser dans les Twin Towers - du moins je pense, puisqu'on ne voyait rien et que le film parle du 11 septembre -, suivis de cris de foules et de pleures. Là-dessus on enchaîne sur de gros ralentis de nuages de poussière, de journaux qui volent, de visages qui se cachent... Une femme qui cherche son mari etc.... Depuis le début, une dizaine de violons vous accompagnent, tristes et désespérants comme dans les pires comédies romantiques. Dans les poncifs du cinéma, c'est là que le spectateur doit ouvrir les vannes. N'aurait-il pas pu les ouvrir sans cela?

Je m'explique : quand la tragédie du 11 septembre est arrivée, il faisait chaud sur Paris, je foutais pas grand chose et j'ai soudainement allumé la télé. Je vois une tour en flamme. La première chose qui me vient à l'esprit est qu'il y a un incendie à la Défense. Puis, le journaliste à la télé précise que ça se passe à New-York. D'ailleurs, l'infographie le confirme dans la seconde qui suit. Y a même un petit "direct" écrit en haut de l'écran. Mon frère et moi, on n'avait jamais collé autant devant les infos, et quand la première tour est tombée, on n'a rien trouvé d'autre à dire que : "Ben merde alors, c'est pas possible...". C'est pas possible. Chose que tout un peuple gavé aux ondes hertziennes, au câble, au satellite, aux fréquences modulables, a dû se dire, et à laquelle il n'a pas pu échapper. Parce que par l'intermédiaire du tube cathodique, c'était à peu près comme si on vous annonçait la mort d'un proche à des milliers de kilomètres d'ici, mort à laquelle vous ne pouvez tout bonnement pas croire à défaut de n'avoir vu ni le corps, ni la tombe. Ainsi, à part pour les personnes qui avaient des relations de quelque nature que ce soit à New York ou qui sont parties voir les dégâts dans les mois qui suivirent, je pense que si tout le monde a pris conscience de ce qui se passait - on n'est tout de même pas des veaux ! -, moins nombreux, de notre côté de l'Atlantique, étaient ceux qui avaient vécu un traumatisme de façon personnelle. De fait, je suis persuadé que pendant les première minutes du film, les trois-quarts de la salle se sont dits : "Oh, c'est triste, c'était vraiment quelque chose !", le sentiments et ressentis exacerbés par la musique et les ralentis. Non pas qu'ils étaient parfaitement insensibles entre 2oo1 et cette partie du film, mais il leur manquait semble-t-il quelques stimuli; ce qui devait être parfaitement clair dans la tête de Moore. Deux couches, c'est toujours mieux qu'une.

Pour ça, le film est bien pour ce qu'il est. Même s'il est triste de constater que de nos jours, pas mal de personnes ont besoin qu'on leur tienne la main pour cogiter...

© lmer 2004



Lundi 19/o7/2oo4


thé fer à repasser journal à 5€ reprise d'If It's Magic de Stevie Wonder erreur sur une possible reprise de la chanson A House Is Not A Home qui n'en est pas une réécouter Burt Bacharach entretien éclair sur la terrasse d'un resto chinois prix excessif de l'entrée pour trois quatre autoportraits sur autant de murs même pas un Rembrandt spaghettis tables de ping pong érodées ai sûrement pensé à elle entre temps ai réécouté Bacharach formel ce n'est pas une reprise bouffe chez Seb Vince encore en vie puis la pluie     la pluie

la pluie

la pluie

la pluie

tous les personnages fument dans Smoke ou presque rentré avant minuit pas de mail pas de message puisque le monde tourne toujours rond no news good news et

demain

de quel oeil

verrai-je

tout cela ?

© lmer 2004


Mardi 2o/o7/2oo4

Vous ouvrez les yeux, et vous n'avez aucune idée de comment tout ceci va se terminer. Pourtant, ça avait plutôt bien commencé.

 

Peu après être rentré de chez Seb, alors que je cherchais hypocritement le sommeil, mon téléphone s'éclaire d'une lumière presque divine et me souhaite un joyeux anniversaire. Précise comme une horloge. C'est Vanessa. Ca fait quatre ans qu'elle est toujours première sur la ligne d'arrivée. Sachant qu'elle est insomniaque, je lui demande si je peux l'appeler, là maintenant. Elle ne dort pas plus de quatre heures par jour. Moi même, à côté, je passe pour un hypersomniaque. A l'autre bout du fil, elle m'annonce qu'elle a trouvé un boulot après une traversée du désert de près de trois ans. Ce qui me surprend le plus, c'est qu'elle bosse demain - enfin, aujourd'hui - mais elle dit que si elle s'endort avant 3hoo du matin, elle naviguera toute la journée dans le brouillard. C'est donc parti pour deux heures. Deux heures où elle me raconte comment elle s'est pétée une dent sur un baby-foot et comment on lui a mis de la céramique dessus, où on ressort quelques vieux souvenirs, où on n'arrête pas de constater que ça fait presque cinq ans qu'on se connaît et qu'il lui semble que hier encore elle était à Paris. Là, elle est à Cholet chez ses parents. Son boulot, c'est commerciale dans la bijouterie, ou quelque chose comme ça. Elle se demande à quand remonte la dernière fois où l'on s'est vu. Faisait froid ? Sûrement... Ai pas de mémoire... C'était quand tu avais accompagné ton père pour ce salon... Ah oui ! tu bossais pour la F... !... Janvier, c'était en janvier... quelque part par là... Montparnasse, m'en souviens... Mon Dieu, comme le temps passe vite !... Et ainsi de suite jusqu'à 3hoo.

J'ai dû m'endormir après parce que mon fixe m'a réveillé à 6hoo : ma mère, aidée par le décalage horaire. C'est le début d'une longue série de sonneries et je dors par périodes de deux heures.

"Je te réveille ?"

"Non..."

Seb me réveille définitivement à 1o. Puis c'est au tour d'une de mes tantes à qui je dois - selon la légende - le prénom que je porte. Ce qui a repoussé Henri et Jérôme plus à droite sur mon état civil. Et enfin, il y a eu le coup de fil du frangin, coincé dans une cabine téléphonique de Francisco de la Ventura où il fait beau, où il parle espagnol - pas comme ces cochons de touristes anglais ! - où il faut deux heures pour parcourir l'île du Nord au Sud...

"Ca change de Londres !"

"Tu m'étonnes !"

Il faut que je boive deux verres pour lui - il a dit "deux" - lors de la soirée que j'ai fixée pour ce vendredi.

Justement, je sors pour m'occuper des formalités.

 

Sur la rue V., j'avais déjà repéré une petite boutique d'accessoires pour fêtes et autre surboum en mal d'inspiration. Je me renseigne au sujet des prix et je promets au type de repasser avant la fermeture. Je vais chercher Seb chez lui. On fait un saut aux Galeries pour qu'il trouve un cadeau pour sa chère et tendre.

Une heure passe et on trouve rien aux Galeries. A part quelques jolies vendeuses qui sont aussi lasses que des chips éventées. Cette année, elles sont toutes blondes. Exception faite encore une fois de celle qui s'occupe du rayon librairie et qui tombe dans mon jeu lorsque je lui demande un livre qui n'existe pas. Elle était en train lire une BD et semblait s'ennuyer ferme. J'ai pas pu m'en empêcher...

 

A la sortie, on se fait surprendre par une averse et on court se réfugier au Liberté. En nous servant nos cafés, un serveur à l'accent méridional fort prononcé nous lâche :

"Vous avez vu ? Quel pays de merde ! Chez nous, quand il pleut, il pleut, et quand il fait beau, il fait beau toute la journée. Regardez, la pluie vient de cesser ! Il fait beau, il pleut, il fait beau... Pfff, tu parles d'une ville !"

Dehors en effet, la pluie s'est interrompue aussi vite qu'elle est venue, et nos cheveux sont encore humides. Le café est à 2€. Ils ont encore augmenté les prix.

 

Comme on n'avait pas envie de se faire saucer une deuxième fois, on a trissé jusqu'au magasin de farces et attrapes. On en est ressorti avec une bonbonne d'hélium ainsi qu'une cinquantaine de ballons. La bonbonne changeait de main de temps à autre et, dans la rue, les passants nous regardaient assez bizarrement.

"On devrait aller à la gare de Lyon avec ça pour voir ce qui se passe" a dit Seb.

On arrive quand même chez moi sans avoir été emmerdé par le moindre flic, et puis, nom d'une fuite ! ce n'est que de l'hélium !

 

Je suis en train de ruminer une idée à propos d'une pastèque lorsque je me dis tout à coup :

"Oh, j'espère qu'ils vont apprécier"

Et là, un mauvais pressentiment me tombe dessus. Je prends mon téléphone pour la énième fois de la journée et j'appelle F., le gars dont j'ai été le témoin. C'était un des premiers avertis.

"Eh, dis ? C'est toujours ok pour vendredi ?" je lui demande.

"Quoi vendredi ?"

"La soirée ! 'Tain, tu l'as noté dans ton palm, tu l'as même fait devant moi ! Me dis pas que t'as oublié ! Comment t'as fait ?!"

"Ben, j'ai pas regardé mon palm !"

J'ai dû rire, mais c'était malgré moi.

"'Tain, t'es le premier à avoir été averti, Je te l'ai rappelé deux fois !"

"Ouais, mais ça m'est sorti de l'esprit. En plus, je crois que je dois partir dans le sud ce week-end pour voir le père de ma femme !"

"C'est une blague ?!!!"

"Non, non. Mais c'est bon, on n'a pas encore les billets. J'en parle avec elle ce soir et je te rappelle demain"

Et avec ça, je dois m'estimer heureux. Dans la foulée, j'appelle un autre spécialiste du "je me pointe et puis, finalement, non". Je n'ai même pas le temps de finir ma phrase.

"Ah, j'avais l'intention de t'envoyer un mail dans la journée pour te dire que je venais pas, mais j'ai pas eu le temps. En ce moment, je suis totalement déphasé avec le boulot... Je peux pas venir, j'ai une répét' avec les membres de mon groupe."

"Toute la soirée ?"

"Toute la soirée..."

"Et tu peux pas la reporter ?"

"Ben non, après, tout le monde part en vacance et on pourra pas se voir."

Je tourne en rond dans ma cuisine. Je me demande ce qui peut bien m'empêcher de pousser une gueulante. Y a un blanc sur la ligne pendant trente secondes. J'arrive finalement à me ressaisir.

"Bon c'est pas grave !"

"Ca te dirait de rejouer du violon avec moi en Novembre ?"

"D'ici novembre, beaucoup de chose peuvent arriver. On aura le temps d'en rediscuter"

Comme ces deux là devaient venir accompagnés, ça fait, en même pas vingt minute, quatre invités en moins. La liste passe de 15 à 11... probables. Parce que soudainement, je ne crois plus en rien. Dans la panique je rappelle tout le monde, une fille subit malgré elle ma soudaine montée de tension - mais je crois qu'elle a compris que ce n'était pas après elle que j'en avais -, et, après avoir reposé le téléphone, je n'ai heureusement aucun autre désistement à signaler.

Néanmoins, dans tout cela, une bonne nouvelle quand même : Carine, après quelques doutes, sera finalement présente. Ce qui me fait dire que, peu importe que l'on soit 15 ou 1oo, l'important c'est qu'il y ait au moins une personne qui compte à cette foutue soirée. Peu importe qu'il y ait 5o ballons, de l'alcool ou tous ces artifices qui vous poussent à croire que c'est un jour différent. Chaque jour est différent quand il y a une personne qui compte.

Enfin bref, ce matin, j'avais envie de m'offrir une bonne grosse côte de boeuf et un verre de merlot avant la fin de la journée. A l'arrivée, je l'ai finie avec une côte de porc aussi sèche qu'un bulletin de loto, des pâtes et du Coca. Comme quoi, y a toujours des choses qui vous échappent et que vous ne pourrez jamais maîtriser. Même à 25 ans.

Allez vieux, courage, c'est reparti pour un tour...

© lmer 2004

Mercredi 21/o7/2oo4

 

Attendre patiemment

à la lueur première

que la fatigue

vous épargne constamment

une vie entière

loin des cimes

et tout aussi proche du firmament.

 

écrire jusqu'à l'aube

et recommencer

                        encore

 

© lmer 2004

 

 

Samedi 24/o7/2oo4

 

Le charme est rompu. Comptant les bouteilles vides alignées contre un des murs de ma cuisine et me débarrassant d'assiettes en carton maculées de chocolat, je me sens Cendrillon cuvant une mauvaise gueule de bois. Fred dort encore dans le salon. En essayant de le réveiller deux heures plus tôt, je me suis aperçu que je m'étais endormi avec ma chemise. Il est 11hoo. Comme d'habitude, je n'ai pas réussi à dormir correctement. Les derniers invités ont mis les voiles à 7hoo. J'ouvre une fenêtre. Le temps est plus que radieux. Et je me laisse prendre par ma petite paranoïa.

Je me souviens : il y avait des ballons au plafond, c'était joli, ça donnait mal au crâne à trop les regarder, le nez en l'air, et ça arrivait, régulièrement, par groupes de deux dans la plupart des cas. Carine est entrée, s'est posée à la fenêtre avec cette grande veste beige. C'aurait pu être des ailes. Dans un sac, elle avait une bouteille de rouge avec un ruban au goulot ainsi qu'une boîte de crème de marron. C'est pour toi, qu'elle a dit. A ce moment, elle était belle, la vie, d'autant plus qu'elle n'allait pas se carapater à minuit.

Vers 1ohoo, P., que j'ai aussi connu à mon ancien job, débarque avec une inconnue du nom de Anne qui - à peu près comme toutes les filles que connaît P. - se révèle être une vraie tornade de même qu'une sorte de métaphore déshydratée du puits en mal d'affection. P. engage la conversation avec ses collègues et feint très mal son indifférence vis-à-vis de E., mon pote de promo. Il rougit déjà. Je ne lui donne pas cinq minutes pour sortir son grand jeu. Quand il s'y met, P. ressemble à s'y méprendre à une vaste piste d'atterrissage, toute illuminée, les hangars grands ouverts. "Par ici, messieurs"

Pendant ce temps, Anne tombe sur le fac-simile de la Ciaccone de Bach que Fred m'a offert et qui est posée dans un coin du salon.

"Tu joues d'un instrument ?"

"Oui"

"Du violon ?"

"Exact"

"Tu sais jouer ça ?"

"Euh, pas vraiment..."

"Tu peux nous jouer un truc ?"

"Euh, non. Ce soir, pas de violon."

P. voit "black russian" inscrit sur le menu que j'ai accroché au mur.

"Oh, tu peux m'en faire un ?"

"Ok"

"Oh, et je suis sûr qu'Anne en voudrait un aussi !"

La demoiselle hésite un peu, parce qu'apparemment, elle ne carburerait qu'au Pastis. Mais finalement, elle cède. A partir de ce moment, et jusqu'à les premiers départs d'invités, elle va en siffler six. Ce qui correspond en gros à 1/3 de litre de vodka et quelque chose comme une grosse tasse à café de kahlua. Moi, au bout de quatre, je commence à communiquer avec le monde des esprits. C'est pas un foie qu'elle a, c'est une station d'épuration !

Pendant toute la soirée, je suis victime d'une sorte de persistance rétinienne. On m'envoie chercher quelque chose dans la cuisine: je trouve Anne assise sur le rebord de l'évier. Elle me demande deux fois la recette de ce que je lui sers. Elle dit qu'elle ne sent pas le goût de l'alcool. Elle me montre son tatouage qu'elle a sur la hanche : un kanji. Mais elle ne veut pas me dire ce que cela signifie. Elle finit son verre. Me redemande la même chose. Quand la vodka se dépose doucement sur la liqueur, elle fait :

"Oh, c'est beau !"

Puis Seb, Fred et P. descendent dans la rue avec une dizaine de ballons en espérant en fourguer à quelques coquines qui passeraient par là. De la fenêtre de ma cuisine, je leur somme de rappliquer avec  les ballons, mais ils ne m'écoutent pas. Ce sont trois farfadets allant d'un trottoir à l'autre, guidés par un fatum ignorant. Le vent souffle vers le sud, poussant les ballons derrière eux ou les faisant rebondir dans le vide au-dessus de leur tête lorsqu'ils sautillent gentiment en disant :

"Un ballon  mademoiselle ?"

Tous ceux qui sont restés dans l'appartement les regardent depuis la fenêtre du salon. Ils s'amusent, et c'est l'essentiel. Puis, en tournant la tête vers la gauche, je constate avec surprise la présence du corps d'Anne sous mon bras gauche et je me demande vaguement comment elle a pu se glisser là alors qu'il y a à peine la place pour deux à cette fenêtre. Je retire mon bras, mais pas trop brusquement, parce qu'on ne sait jamais ce qui peut arriver, et Anne est typiquement le genre de fille à vous court-circuiter si vous ne respectez pas son timing.

Mon attention est ensuite ramenée par une rumeur en bas, dans la rue. Seb est tombé sur un groupe de trois personnes qui ont fréquenté le même lycée que nous, particulièrement de sa génération. Je leur dis de monter prendre un verre. Après avoir relevé quelques anecdotes au sujet de cette époque émotionnellement fastidieuse qu'est la fin de l'adolescence, et encore perdu dans le nuage cotonneux de la nostalgie, je vois apparaître Anne sur ma droite, une clope dans la main gauche. Elle pose son coude sur mon épaule, l'air satisfaite, puis m'annonce qu'elle a quelque chose à me dire. Quelque chose d'assez important apparemment, parce qu'il faut  qu'elle mobilise toute mon attention en posant ses mains autour de mon cou :

"Il faut que je te le dise dans le creux de l'oreille"

Je me penche un peu vers l'avant. Je sens son souffle contre mon oreille et je réponds :

"Oui"

Je n'ai fichtrement aucune idée de ce à quoi j'ai bien pu dire oui. Quelqu'un a mis un disque de Lisa Ekdhal, peut-être moi, qui sait ? P. a tombé le masque et drague sans scrupule. Les premiers départs s'organisent et il ne veut pas lâcher la main de E.. Il doit être 1h3o, 2hoo. C'est au tour de Carine de quitter les lieux. J'ai l'impression de lui avoir à peine adressé la parole pendant toutes ces heures. Je vois ses ailes se perdrent au coin de la rue, et lorsque je me retourne, il ne reste dans l'appartement que P., Seb, Muriel, Fred et Anne qui s'est réfugiée dans la salle de bain. Quand elle en ressort, elle est aussi raide qu'un carambar périmé. Elle s'adresse à P. :

"Faut que je me repose un instant..."

"Ca te dérange pas si elle le fait dans ta chambre ?" me demande P.

"Non"

Elle se couche en travers de mon futon, et on la laisse là, dans l'ambiance très japonaise de ma chambre.

 

De retour au salon, c'est l'assaut surprise.

"Alors L. ? Qu'est-ce que tu vas faire ?"

"La laisse pas toute seule dans ta chambre !"

"Moi, elle m'a dit qu'elle te trouvait sympa !"

"Alors L. ? Qu'est-ce que tu vas faire ?"

On ouvre des bouteilles de bière. Seb et Muriel décident de se rentrer. Muriel me pose une question à propos du caillou que porte Carine à l'annulaire gauche. Qu'est-ce que j'en sais, bordel ? Qu'est-ce que j'en sais ?

Pendant les heures qui suivent, Fred passe du Bach à P. en essayant de lui expliquer ce qu'est la polyphonie, mais, pour sûr, P. n'y comprend rien. On se tient éveillé comme on peut. P. se met à lire les premières pages de Voyage Au Bout de la Nuit comme s'il s'agissait d'un roman à l'eau de rose. Il est 4hoo maintenant et je vais m'assurer de l'état de santé de ma pensionnaire. Je lui dis :

"Tu vas pas dormir toute la nuit comme ça ! Allez, lève toi cinq secondes..."

Elle s'exécute difficilement. Je déplie le futon et elle retombe sèchement sur le matelas. Le fenêtre est ouverte et les rideaux dessinent des petits cercles à la tête du lit. Je lui jette un drap sur les épaules, puis retour au salon. Aussitôt, Fred me dit que je suis con, que j'ai laissé passer ma chance. Nom de Dieu ! Elle est tellement ivre qu'on pourrait en faire un torche olympique ! Et puis, quelle chance ? Ce que Fred ne sait pas, c'est que je suis le genre de crétin à penser à long terme. Donc, faut pas me pousser !

Finalement, le ciel finit par s'éclaircir et le petit jour m'incite à éteindre l'halogène. Anne se réveille. On refait le coup de la cuisine. Tiens, voilà du pain

du thé

du beurre

du chocolat...

Accoudé à mon frigo, je la regarde tartiner son pain avec du beurre, y déposer quelques copeaux de chocolat et saupoudrer le tout de sel. C'est une bretonne.

"Il est super ton appart'..."

"Ouais..."

Je regarde sa silhouette se découper dans le jour bleu de la cuisine, son dos cambré, ses pieds nus sur le carrelage froid. Je la regarde manger son petit-déjeuner dans ma cuisine, et je me dis que ce n'était pas à elle de tenir ce rôle.

 

Après avoir rendu la bouteille d'hélium, je déjeune avec Fred dans la cour intérieur d'un restaurant. Y a un peu de verdure, les gens sont heureux, à une table derrière nous on parle de vacances passées à l'île Maurice, Fred se demande pourquoi il a deux sauces dans son plat et j'ai envie d'un Coca. Delayed hang-over. Fred me dit que la soirée aurait fini tout autrement pour moi si j'avais mis de côté mes petits scrupules concernant des créatures comme Anne et si j'avais pas cette foutue manie pendant ces moments là de penser, de m'attacher à d'autres filles totalement inaccessibles. Enfin, je vais sûrement revoir Anne parce qu'elle a embarqué mon disque de Sarah Vaughan et faut bien qu'elle me le rende. Mais après ?... Le soleil brille trop. J'ai une envie de crème de marron...

 

© lmer 2004


Dimanche 25/o7/2oo4

 

Faut faire avec. Avec les pigeons sur la place C., les monospaces qui reviennent de week-end, lourds et fatigués, les jours plus courts, les nanas du vidéoclub qui essayent de vous vendre un abonnement hors de prix, les files d'attente au cinéma, faut faire avec. En attendant le début de la séance, j'essaye de me persuader que je n'ai pas le cafard - non, impossible ! - car cela pourrait m'amener à croire que j'ai besoin de vacances. Non, impossible. J'ai l'impression de développer une sorte de syndrome Kafka. Je ne sais pas. Franz était un malade de la réclusion et de l'ascétisme. Il a même annulé deux mariages par crainte d'avoir à faire une croix sur l'écriture. Il est bien possible que je me gargarise avec ma solitude. Mais ça c'est pas nouveau. Je n'ai jamais réellement cru qu'il faille être deux pour être heureux. Enfin, je raconte tellement de conneries aussi. Néanmoins, la différence avec Franz, c'est que j'ai tout de même besoin de penser à quelqu'un, ou de voir une personne au moins une fois par mois pour pouvoir pondre un truc correct.

 

Ce matin, Seb m'annonce par téléphone, avec une certaine émotion, que Vince a été relâché dans la nature.

Comment ça ?

Ses parents sont passés lui rendre visite. Ils pouvaient pas faire avec. Sa mère lui a sorti quelque chose au sujet de la leptospirose. Nom de Dieu, on chope aussi cette saloperie dans les piscines municipales ! Mais bon, apparemment, sa mère avait l'air très au courant. Ou sinon, elle essayait de donner une raison valable à son petit garçon, inconsolable, pour qu'il se débarrasse sans peine de ce cher Vince.

"Ecoutes Seb ! Tu pars avec nous pour deux semaines au Danemark. Qui va s'en occuper ?"

"L. va s'en occuper !"

Puis il a regardé son bureau où se trouvaient deux trousseaux dont celui des doubles qu'il me confiait d'habitude. Il n'aurait pas le temps de me le donner, et ses parents en avaient besoin. Son père a pris le bac, celui où j'avais collé l'étiquette, celui où j'avais baptisé Vince, et l'a déposé sur la fenêtre. La semaine dernière, Vince courait encore entre nos mains, passant d'une paume à l'autre, insouciant. Il est sorti de sa prison et quelqu'un a fermé la fenêtre.

"C'est bon, il va s'en sortir" a dit le père de Seb.

"Tu parles ! Il va se faire becqueter par le chat du voisin !"

Il aurait sûrement pleuré si ses parents n'avaient pas été là. Seb a rouvert la fenêtre et déposé une grosse poignée de graines sur le rebord. Vince a reniflé un peu, a exploré les quelques centimètres carré qui s'offraient à lui, immenses et sans fin, puis s'est collé contre la vitre. Il avait cherché tant de fois la liberté, et maintenant, il était désormais comme nous, livré au monde et loin d'être immortel. Tout peut lui arriver maintenant. La liberté est une corde trop proche de notre cou. Faut faire avec. Je revois ses petits yeux noirs, son cul blanc, sa façon de plier les coins des journaux pour s'y cacher, je le revois, si laid aux yeux des autres, et ça m'attriste d'autant plus pour Seb. Je n'ai pas envie de dire au revoir, ni même adieu. Lorsque j'avais commencé à parler de lui, je pensais qu'il serait là, hantant les pages, pendant encore un an. Je pensais que j'écrirais un jour où Seb rentrerait chez lui et le trouverait étendu sur le dos, le museau sec, sans vie. Un jour où il serait vieux et gras, nous regardant avec des yeux qui nous diraient :

"Eh les mecs ! Vous êtes encore là ?!"

Ouais Vince, pas besoin d'adieu. Parce qu'on sait que tu seras Lazare parmi tes semblables, que tu courras aussi vite que sur le carrelage de l'appartement, que tu te montreras si agile, si intelligent. BOUFFE LES TOUS, VINCE ! Pas besoin d'adieu. Même s'il sera difficile de faire sans toi, difficile d'essayer de fuir ce cafard sur la place C., difficile d'essayer de se vider le crâne avec un film médiocre.

 

Plus tard, je rentre chez moi, pas tout à fait rétabli puisque je me surprends à ressortir un album de Voulzy. Je recherche sûrement quelque chose de naïf, sans importance, où le mot "fiancée" ne sonne pas de façon outrageusement désuète. Mais finalement, j'écoute à moitié.

Soudainement, un objet claque sur la vitre de la fenêtre. Ce sont les trois ex-lycéens de la dernière fois. Peuvent pas sonner comme tout le monde ! Ils demandent si je veux me joindre à eux pour boire une verre au café Dupont. J'accepte l'invitation. Il y a une fille dans le groupe qui s'appelle Elodie que j'avais essayé de séduire au lycée d'une façon totalement ridicule - genre chanson à la Voulzy justement. Elle sourit pendant qu'on descend la rue, elle sautille vers moi en disant :

"Eh, aujourd'hui on a vu Galfione dans son Audi, et puis, la vieille femme de La Ferme... Euh, comment déjà... Danièle Gilbert ! On m'avait dit que j'allais voir des stars sur Paris, eh bien, je suis servie !"

"Oh, cool..."

Puis, plus rien pendant l'heure qui suit où elle tire une tronche de six pieds de long comme si elle se lassait déjà de nous et qu'elle s'impatientait de retourner à son Montpellier, si ensoleillé, à taille humaine, pas aussi grand que Paris où il fait froid pas beau etc.... Parfois, le destin fait bien les choses. On n'aurait jamais pu s'entendre. Oh, ça y est ! Je refais ma larve kafkaïenne ! Sur ma lancée, je rentre alors chez moi, allume toutes les lumières, tape ma bafouille pour la journée et note quelque part que j'ai quelques coups de fils à passer demain, un manuscrit à déposer aussi. En même temps, je fais un truc que ma mère déteste : je bouffe de la crème de marron en puisant directement dans le pot avec mon index. Eh, faut faire avec ! Si la liberté est une potence amicale, la solitude est une zone de non droit aussi vaste que votre propre folie. Faut faire avec...

 

© lmer 2004

 

 

Lundi 26/o7/2oo4

 

J'ai fait une découverte métaphysique aujourd'hui : l'enfer existe. Oh, si c'est vrai. Même qu'il se manifeste assez régulièrement à chaque début de semaine.

Pour commencer, je me réveille en apprenant que l'Argentine a perdu la veille en finale de la Copa America. C'est triste, ok, ce n'est que du foot, mais ça ne fait pas mes affaires. Ensuite, je ne trouve pas une annonce potable dans les journaux. On m'informe aussi que je ne suis pas pris suite à l'entretien que j'ai passé la semaine dernière. J'essaye de relativiser tout ça. Après tout, je suis encore jeune et je me sens plutôt en bonne santé. Manquerait plus que je m'apitoie encore sur mon sort comme le font si bien les shadocks du monde actif, tous shootés qu'ils sont aux antidépresseurs.

Pour essayer de me rendre utile, j'allume mon PC. Hier soir, j'avais fini de corriger mon dernier manuscrit. Je décide de l'imprimer et d'aller le déposer dans la journée. Je corrige une dernière faute qui m'avait échappé et sauvegarde la document. Mais soudainement, une fenêtre assez agressive apparaît sur l'écran et indique que mon PC est en train de créer un fichier de récupération suite à une erreur inconnue. Oh. Sentant venir le pire, j'essaye de sauver tant bien que mal mon manuscrit, mais trop tard. Le document ne pèse plus que 2ko, et lorsque je l'ouvre, l'écran n'affiche que trois pages où se suivent des lignes continues de points d'interrogation. Je soupire, impuissant, en me disant : "c'est pas grave, j'ai une autre version sur disquette". Mais hélas, je m'aperçois que la dernière modification remonte à plus de six mois. C'est donc près de 3oo pages que je vais devoir me refarcir, relire, recorriger en croisant le tout avec les versions papier qui traînent un peu partout dans l'appartement. La chasse est ouverte. Une raison de plus d'aimer ma machine à écrire.

Un peu découragé, je décide de bosser sur autre chose et je tombe sur un vieux conte de Noël que j'avais rédigé il y a deux ans de cela. Je me dis que c'est peut-être quelque chose qui peut se vendre assez facilement, surtout si je m'y prends suffisamment tôt. Je me saisis donc de ma machine - on ne m'aura pas deux fois - et refonds le texte au trois-quarts avant de m'arrêter vers midi, le dos tout raide et l'oeil sec. Je prends la décision de m'arrêter là pour l'instant, en me promettant de finir tout ça avant la fin de la semaine. Et de toute façon, il faut que je change le ruban.

Après avoir repris des forces, je cède à l'idée de toucher un peu à mon violon que j'avais laissé de côté pendant près d'une semaine. Et je joue pendant toute l'après-midi. A la fin, je plante le deuxième mouvement du concerto de Beethoven pratiquement sans aucune faute, comme si je venais de vendre mon âme au diable. Je me mets à croire que ce n'est pas une si mauvaise journée que ça après tout, mais, quand je retente le coup, je n'arrive plus à placer une note correctement. je range l'instrument. Je suis sur le point de déclencher une guerre atomique. J'ai l'impression que tout ce que je vais entreprendre aujourd'hui va, à coup sûr, tourner court. J'ose à peine faire la vaisselle de peur de casser une assiette - non, en fait, j'ai la flemme. Je me rabats finalement sur la télé, parce que même la pire des calamités ne surprend plus personne, à la télé. Je saisis la télécommande. Et constate que les piles sont mortes...

 

© lmer 2004

 

 

Mercredi 28/o7/2oo4

 

Chaque matin pousse

un millier de coeurs orgueilleux

à sortir tout autant d'existences

ombrageuses et aveugles

comme autant de corps roulant

à la surface du monde...

 

 

Elle était épaisse, l'enveloppe. Epaisse comme une livre de jambon. Si ce n'est plus. Je l'ai remise en mains propres. Et après ? Après, advienne que pourra...

Je suis sorti de la maison d'édition. Quelques minutes plus tôt, lorsque j'étais sur la ligne 62, F. m'a proposé une séance de ciné pour ce soir, 18h3o. J'ai donc pris soin de ne pas rentrer chez moi. J'ai poussé jusqu'au Bd du Port Royal, puis vers le Luxembourg. A pieds. Me suis arrêté à une terrasse où je pouvais voir passer quelques italiennes bruyantes, entendre le rire saccadé d'un groupe d'anglaises qui glissaient sous le soleil. A un carrefour, un type manque de se faire écraser en regardant avec un peu trop d'attention une grande créature blonde aussi fine qu'un phasme et mijotée aux UV qui attendait un taxi. Alors je ris, je ris... Elle était donc là, ma bonne humeur ! J'avais oublié que rester chez soi, vissé à une chaise, pouvait rendre asthénique. Et voilà que je retrouve tout un monde qui croît à l'abri des regards et qui pourtant, ne change jamais.

Je me laisse guider par ces flots lumineux qui coulent, paisibles, dans les rues, entre les gens. Tout un chacun a oublié ce qu'est un hiver. Sur la place de la Sorbonne : sept violons, deux violoncelles, une contrebasse et un alto. Il y a toute une foule autour qui s'amasse, s'assoit et écoute. Le temps est là pour ça, extensible à volonté. Une jeune fille passe à travers les auditeurs, marchant délicatement sur ses talons plats de jeune fille et cherchant votre regard de ses yeux gris, timide et presque gênée. Elle sollicite le soutien de la foule en proposant des enregistrements de la troupe ou en faisant une quête polie et même cérémonieuse. Vient un moment où elle se meut, légère, synchrone aux valses hongroises de Brahms qui se perdent sous les feuilles des arbres. Quelques musiciens présents jouent sans conviction, mais ils se rattrapent un peu sur le répertoire de Bizet. Une des violoncellistes possède une technique sûre de même qu'un poignet droit presqu' irréprochable. Aussi, elle est la seule à donner l'impression qu'elle s'amuse en improvisant quelques discrets glissandos sur sa partie avant de faire des clins d'oeil au contrebassiste. Plusieurs portées plus tard, c'est au tour de Dvorak de se faire entendre. Puis on annonce une pause. Je crois que je suis resté une heure. Peut-être plus.

J'ai continué jusqu'à Châtelet. Sur la place : une manifestation pour les sans-papiers. A même pas une dizaine de mètres d'une étendue de parasols bleus et de corps qui cherchent vainement à se rembrunir. Les quais de la Seine ne sont, pour un mois, que oisiveté factice et trompe-l'œil forcé. Je pense à ce que font en ce moment les gens que je connais. L'existence est aussi simple que belle. Peu importe, chômage ou pas, au moins j'aurais vécu ! J'en profite avant de déchanter. Parce qu'il arrive toujours un moment où il faut déchanter. Pour l'équilibre des choses.

En remontant le Boulevard Sébastopol, j'ai une armée entière d'idées qui se bouscule à qui mieux mieux quelque part là haut, mais je suis trop loin de ma machine. Je croise des peaux rougies, des sourires, des couples qui s'excusent d'être en retard, des mains qui se tiennent... Rien de grave n'est jamais survenu. Rien de grave ne surviendra... jamais...

 

A la f..., rayon librairie, je passe les heures qu'il me reste à attendre à lire les 1oo premières pages d'un ouvrage de Miller intitulé Les Livres de ma Vie. Un vendeur passe remettre de l'ordre dans les étagères. Il ne dit rien. Un client lui demande le rayon littérature hispanique. La pièce juste en face, on lui répond. Ceci a pour effet de refaire surgir Luis de ma mémoire. Je me renseigne auprès d'une femme au sujet de Casteneda. Laquelle me répond aussitôt : rayon sciences humaines. Je suis surpris. Je n'avais jamais vu les vendeurs de cette enseigne aussi réactifs. Pour tout dire, j'ai déjà bossé pour cette enseigne. Un jour, un de mes responsables m'a avoué que les vendeurs n'en connaissaient pas plus que les clients qui passaient. Pire, les clients en connaissent deux fois plus que les vendeurs. Ce que j'avais déjà constaté une ou deux fois. D'habitude, ils se contentent de consulter leur ordinateur en marmottant : "mmmmmh, non... vois pas... ça s'épelle comment votre truc ?... Essayez rayon machin..."

Je fouille un peu au rayon indiqué mais mon enthousiasme concernant le livre est un peu retombé à la pensée que j'ai de fortes chances, là où je suis, de le trouver entre quelque chose comme "Gérer sa vie sexuelle" et "Comment bronzer intelligent". Voyez, c'est ça qu'ils appellent sciences humaines. C'est une vaste pharmacie. Excepté le fait que c'est beaucoup moins digeste qu'une boîte de cachets.

Heureusement, je n'arrive pas à le trouver et je demande de l'aide encore une fois à un chauve qui semble connaître son métier.

"Casteneda ? Rayon hypnologie. Mais c'est en travaux actuellement. Faut revenir vendredi ou lundi"

Oh, c'est qu'ils ont dû faire des stages express par ici !

Je me dirige vers la sortie. Cependant, je commence à me poser de sérieuses questions au sujet de Luis. Rayon hypnologie ?!!!

 

La fin de la journée, je la passe dans une salle de ciné avec F. et sa femme. C'est un film japonais. Gozu, que ça s'appelle. J'aurai du mal à donner un avis dessus si on me le demandait, mais dans l'ensemble, ça m'a plutôt plu. Néanmoins, je ne sais pas si je le recommanderai à quelqu'un. Pour résumer, le film commence sur un yakuza paranoïaque qui, dès les premières minutes, tue un chihuahua en le jetant sur le trottoir à plusieurs reprises, puis en le faisant tournoyer trois fois au-dessus de sa tête au bout de sa laisse pour finir en le laissant partir contre la vitrine d'un café. A la fin, il y a une scène d'accouchement assez sévère : le nouveau-né en question étant un adulte totalement formé qui sort du ventre plat d'une jeune japonaise. Entre le début et la fin du film - qui dure quand même deux bonnes heures -, quatre filles et un couple sont sortis de la salle. Je pense que ça donne une bonne idée du film.

 

Je suis rentré chez moi sur ces impressions.

Pas de message.

Fallait s'y attendre.

Mais dans l'ensemble, ce fut une bonne journée.

Simple et bonne journée.

Et je crois que je vais pouvoir dormir là-dessus...

 

© lmer 2004

 

 

Jeudi 29/o7/2oo4

 

L'espace d'un instant, il baisse les yeux et dit:

"Oui, je l'aimais bien ce chien ! Hier soir, j'ai mal dormi rien qu'à y penser"

"C'est vrai qu'il était beau ce chien, je vous comprends"

Elle dépose ses quelques provisions près de la caisse enregistreuse en disant cela.

"Vous êtes nouvelle ici, non ?" il demande.

"J'ai emménagé dans la rue juste derrière, le mois dernier"

"Je me disais aussi..."

Il tape lentement sur les touches, l'observant du coin de l'oeil. Elle s'est appuyée contre un linéaire et s'attarde à une contemplation attentive de ses chaussures.

"Oui, il était beau ce chien"

"Ca fera..."

"Oh , j'ai oublié de prendre un truc !"

Elle lève une main hésitante vers les biscuits à proximité.

"Vous fermez à quelle heure ?"

"Vers 1hoo..."

"Il était beau votre chien... Au fait, vous vous appelez ?"

"Moi, c'est T., et vous ?"

"Valérie..."

Il froisse un sachet et commence à le remplir avec les biscuits, le jus d'orange, puis s'arrête.

"Si par bonheur vous trouvez mon chien..."

"Je vous ferez signe. Moi aussi un jour j'ai perdu le mien. J'étais inconsolable !"

"C'est qu'on s'attache vite !"

"A qui le dites vous !"

"Vous l'avez retrouvé ?"

"Quoi ?"

"Le chien ?"

"Oh, non..."

"Euh... Vous venez d'où Valérie ?"

"J'habitais dans le 1oème avant"

"Oh, moi aussi tiens !"

"Comme le monde est petit, comme le monde est petit !"

Elle lui tend un billet en échange de quoi il lui donne son sachet. Les mains s'éternisent un instant.

"Vous fermez à 1hoo vous avez dit ?"

"C'est ça, 1hoo..."

"Ok, alors, à plus tard"

 

Ca s'est passé cette après-midi, chez l'épicier en face de chez moi. J'ai bien dû patienter un quart d'heure avant de pouvoir payer mon paquet de bonbons...

 

© lmer 2004

 

 

Vendredi 3o/o7/2oo4

 

Seb est rentré plus tôt que prévu. La Hollande, il a dit, c'est beau, ça donne envie de reprendre la peinture... et boire des bières... de grandes bières... Manquait que Vince pour partager tout ça.

 

On avait plein de projets pour cette après-midi. On a atterri au Liberté en face duquel le vendeur de journaux donner à manger aux moineaux. Le temps de faire une moyenne du nombre de fois par semaine où je pense à quelqu'un d'autre. A commencer par elle. Puis le temps est passé. A une vitesse folle...

 

© lmer 2004


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