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Bonnes feuilles






A la fin d'Une chambre pour un moment , Nathan (autrement dit Jacques Sternberg), à qui Dorothée a confié le manuscrit du livre que le lecteur est en train de lire, déclare, stupéfait: "alors que je croyais vous connaître, [votre manuscrit] est hallucinant de violence alors que vous ne dites jamais rien; on ne peut pas vous soupçonner de ce masochisme et de cette passion" (p. 195). Et en effet, pour qui a quitté Dorothée Blanck sur l'image heureuse, presque archétypale, du modèle de Cléo de 5 à 7, dont le visage, la voix, le pas figuraient la légèreté même, ou sur l'image mystérieuse, politiquement neuve ou moderne, mais toujours apaisée et grâcieuse de l'héroïne de Qui êtes-vous Dorothée Blanck ?, la surprise est totale. En fait de légèreté et de détachement, le lecteur découvre la souffrance, parfois la haine, en un mot l'obsession d'une femme qui utilise l'écriture pour se débarasser d'un homme: "Plus j'écrirai, plus vous disparaîtrez" (p. 103). Tant de noirceur, de violence, déroutent d'abord; puis l'on comprend petit à petit que loin de faire disparaître la grâce, la bile en est la condition, que le pas est d'autant plus souple, joyeux et doux que celui qui avance connaît les précipices, et sait l'étroitesse de la crête - que cet autoportrait en enchaînée est la preuve même de la liberté du modèle, qui accède dans la douleur de l'opération à une résonance et un poids nouveau. Cependant une autre surprise attend le lecteur au coin de la page, quelle que soit l'image que, spectateur, il ait gardée de Dorothée Blanck, et alors même qu'il n'en demandait sans doute pas tant, s'apprêtant à lire un "témoignage", c'est-à-dire un texte qui, pour passionnant qu'il puisse être par ailleurs, ne chercherait en aucun cas à s'embarasser de la question la forme: la surprise de l'écriture, d'une forme donc, d'un parti pris fragmentaire et prismatique ("Je lis Balzac comme on me l'a conseillé. C'est sûr, tout y est; mais je préfère les ellipses, jouer à saute-mouton. Le jeu voluptueux de mon enfance, c'était d'être sur le dos d'un âne, ou à cheval sur les épaules d'un homme", p. 222) si virtuose, efficace et désinvolte qu'Une Chambre pour un moment ajoute, outre la part de l'ombre aux pas légers du modèle de Cléo, la rigueur (ou la vérité) d'un style à la starlette (ou à l'égérie) de Saint-Germain.
 

Et pourtant il tourne, publié 10 ans plus tard, peut d'abord déconcerter: "mal foutu", selon le propre mot de son auteur, très peu "écrit", au sens de "travaillé", ou de "composé", il semble la juxtaposition rapide et parfois brouillonne de pages arrachées à un journal bien peu tenu certes, mais, et ce sont là les qualités de ses défauts, sans la pesanteur, l'obsessivité ou le contrôle introspectif de nombre de journaux. L'inachèvement de l'ouvrage, qui assemble sans autre forme de procès des notes (plus ou moins) relatives à Ghislain Cloquet (les repérages à deux d'un film qui ne sera jamais tourné, en 1969, puis la mort du célèbre chef opérateur en 1981) au récit au jour le jour d'un stage de monteuse effectué dans les laboratoires Eclair en 1973, en accentue paradoxalement la force. Car, au-delà de la saveur ponctuelle de telle anecdote de cinéma, ou de tel portrait (les pages les plus impressionnantes à cet égard sont de toute évidence celles consacrées au tournage avec Joseph von Sternberg), c'est précisément dans l'intervalle de ces notes mal jointes que le lecteur peut entendre la voix très particulière de Dorothé Blanck, à la fois douce, très présente, et comme éloignée, ou perpétuellement "sur le départ" - une voix proche et pourtant toujours lointaine. C'est dans ces pages bricolées qu'il peut saisir ce que l'on n'ose nommer une philosophie - disons une façon d'habiter le monde, de s'y mouvoir, d'en fendre l'air - avec détachement, le dos bien droit, les yeux ouverts, un pas devant l'autre, en toute liberté, sans prévoir, sans jamais chercher à construire ou établir (une carrière, une famille, ou simplement une aptitude professionnelle...); sans mépriser non plus ceux qui, par conformisme ou inclination réelle, construisent ou travaillent, comme les ouvrières du laboratoire Eclair que Dorothée Blanck, qui a partagé leur vie à titre quasiment expérimental pendant trois mois, évoque dans ses notes avec une sympathie (au sens étymologique) à la fois profonde et effarée - si loin, si proche, sur un chemin si escarpé que peu l'empruntent.
 

Il ne faut pas se fier au titre, ni au sous-titre du dernier ouvrage de Dorothée Blanck, Rêves: érotiquement vôtre. Certes, il s'agit bien de courts récits de rêves, dont l'acte ou simplement les organes sexuels sont, il est vrai, les figures dominantes. Mais l'absence d'onirisme, ou du moins du mélange à la fois flou et codé de bizarre et de merveilleux que ce terme désigne habituellement, même dans le domaine des Lettres, le dédain de l'interprétation ou de l'analyse, le refus enfin de masquer le sexe avec les habits folkloriques de l'érotisme justement, toujours de pacotille, conduisent le lecteur en des régions bien moins balisées, et bien plus arides, que la couverture ne semblait l'annoncer. Ce qui frappe en effet, c'est bien la netteté, la précision, l'impassibilité de ces récits de rêves, lapidaires et en même temps très détaillés - en un mot vrais, aussi vrais, muets et incompréhensibles qu'une pierre. Car paradoxalement cet ouvrage, qui n'a demandé presque aucun travail d'écriture (Dorothée Blanck affirme que les récits s'imposent immédiatement et simplement, sans retouche), se révèle le plus écrit, c'est-à-dire celui qui donne de la manière la plus évidente le sentiment d'un style. Tout dès lors est nécessaire, réel, exact dans ces récits de rêves, même les plus invraisemblables, qui forment les uns à la suite des autres, en creux, comme un négatif que l'on développe, le récit a-chronologique d'une vie et l'autoportrait sans figure d'une femme ouverte /offerte et imprenable.
 

Jérôme Reybaud



 

Une chambre pour un moment (Denoël, 1991)



   

C'est peut-être cela la force des amours ancillaires, cela vient de tellement bas, l'instinct de survie par le sexe, somptueux comme une messe secrète, l'appétit sauvage à tout dévorer. Maîtriser l'animal qui est dans son amant, fourrager dans ses poils, alors qu'il est protégé de chiffons soyeux pour l'extérieur ; le mettre à bas, comme il vous maintient sur une carpette ; qu'il ait plus envie sous le lit qu'entre deux draps propres. Le goût du sperme se mêlerait volontiers au goût du sang : on a la révolution qu'on peut...
Dans les moments d'épuisement j aimerais que tout s'arrête d'un coup; mais je ne suis pas malheureuse ; j'ai aimé et je l'ai toujours dit, sans garder mon petit capital d'émotions ; j'ai vécu à découvert, au risque du ridicule, je n'ai rien dans les mains, rien dans les poches, grâce a quoi je reste fraîche, amoureuse à nouveau dès qu'on me laisse sur le trottoir...
Il n'y a que les jeunes garçons qui me font les yeux doux ; ah, si j'avais la fibre maternelle, je pourrais me recycler, mais voilà, je n'ai pas la patience de jouer les institutrices ; je connais des femmes heureuses qui ont des amants plus jeunes que leurs enfants, question d'habitude, je n'ai jamais eu d'enfants.
J'ai la garde d'une petite fille, elle est toute nue, je lui demande où je peux l'embrasser, elle me fait signe dans le dos ; je lui mords le creux des reins, remonte la colonne vertébrale ; d'un œil je surveille si ça lui fait plaisir, elle a la bouche ouverte dans un cri muet alors je l'embrasse dans le cou.
Dans un bureau d'infirmière, je me rase le pubis en cas d'une éventuelle opération du ventre, à droite la peau part avec. Puis me retrouve en train de prendre un bain de soleil sans slip mais avec un soutien-gorge, alors que l'on fait plutôt l'inverse ; il y a deux bassins ronds, le premier est pour le club chic, le second pour le populaire ; je ferme un instant les yeux au soleil de septembre à midi ; il fait encore très chaud, je ne devrais pas abuser pour ne pas accentuer mes rides ; je m'inquiète de la petite fille qui doit jouer dans le petit bassin populeux ; l'eau s'y est vidée ; je dois prendre le tuyau pour jouer à nous rincer ; la petite a disparu dans mon moment d'inattention ; je la trouve assise sur une table près d'un lavabo en train d'avaler du savon de Marseille ; obéissante elle vomit presque tout, je vois son corps en transparence comme dans une bouteille, il y a encore un résidu de savon qui flotte dans de l'eau; si je rajoute de l'eau pour mieux la vider cela peut taire des bulles et asphyxier la petite ; peut-être devrais-je l'emmener chez un médecin ?...
Le temps joue pour ou contre moi, mais il est précieux, et cela m'agace quand on me raconte des affaires en détail, peu de personnes ont le sens du raccourci, lui ne dit qu'un mot, le bon, et j'ai mon compte, je reste éveillée, alors que la somnolence me gagne autrement. " Heureuse ? " demande certains amants après l'acte, je trouve ça d'un ridicule ce besoin du commentaire, je ne réponds jamais...   (p. 118-120).

 



Et pourtant il tourne (La Soupente, 2001)



   

"G. a raison de m'obliger à tenir ce carnet de bord. Ce n'est pas qu'il soit d'une utilité folle en qualité de mémorium. Mais ces longues heures immobiles d'une ville étrangère, où mes seuls points de repère sont le départ vers, et le retour de G. après ses cours, sont autant d'heures où mon esprit d'avant battait la campagne à ne ressasser que les amertumes qui me rendaient défaite et maussade. Alors que je dois le diriger maintenant vers un attentif reportage à transcrire quotidiennement sur papier. Même si c'est puéril, car je ne sais toujours pas penser plus avant que l'heure de la faim, l'heure du sommeil dans lequel j'aime bien m'évanouir, l'heure du temps assez beau pour une promenade, le temps de réclamer de petits baisers à jouer. Bref, le temps que s'écoule le temps de ne penser à rien." (p. 11-12).
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"Quelle bonne assistante je fais. Comment font les autres égéries pour pousser leur homme au crime? Pour leur fournir assez d'éléments contradictoires afin qu'ils y puisent un aliment à leur imagination créatrice ? Je me laisse tirer comme un caillou, sûre de la vitalité d'autrui." (p. 12).
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"Le plus effarant, c'est, à la sortie, de s'apercevoir qu'il fait déjà noir. On entre dans cette usine il fait encore nuit, pour en ressortir quand il fait déjà nuit."
"Juste quatre semaines [de travail] derrière moi. Après chacune d'elle, le vendredi soir, de n'avoir dormi en moyenne que six à sept heures, et d'avoir encore à draguer dans les bistrots afin d'essayer de trouver un amant, cela fait que je n'ai plus qu'une envie: organiser un grand suicide collectif. Je ne comprends pas comment les gens tiennent, à quoi ils sont attachés, sinon bien sûr à élever leurs enfants." (p. 48, 50).
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"Au lieu de partir triomphante, je pars honteuse, sachant bien que si je ne puis rien pour elles, on ne peut davantage pour moi, que mon prochain stage ne sera jamais qu'un sursis de trois mois. Je ne suis plus vierge, ni jeune dans le métier, c'est une folie de vouloir me placer dans les créneaux où sont accueillies les jeunes filles. Mais comme je le répète, j'ai tellemment vécu au jour le jour, jamais de ma vie je n'ai eu le luxe de trois mois assurés devant moi. Alors pourquoi ne pas voir venir ?" (p. 88).
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"De chez moi je vois les nuages, ça fait que dès l'oeil ouvert, je rêvasse le regard au plafond. Cela prend bien toute la  matinée. A moins qu'affolée par un coup de fil attendu depuis des semaines, je doive me précipiter le midi pour déjeuner avec un ami, une copine, ou prendre un cours qui m'empêchera de manger par l'effort requis. C'est à la fois très long d'attendre cet appel hypothétique, et très court d'organisation pour y accourir, vu le temps précédent passé à glandouiller sans autre but que d'attendre cet appel, prétexte à enfin me réveiller. Chaque soir je m'endors dans cet espoir: "être réveillée". Pas pour travailler, tout le monde le fait et ne s'en sort pas mieux. Mais "réveillée" à une intimité, à autrui. Que ce soit en mangeant, en se promenant, ou en dormant avec quelqu'un, ce qui se fait de plus en plus rare car tout le monde préserve sa liberté afin de se promouvoir par le travail.
Et ces nuages circulent plus ou moins denses dans notre ciel parisien. Aujourd'hui, c'est Novembre, les gens souffrent dans leur chair, leur coeur, tout ne va pas très bien. Ils ne savent pas vraiment pourquoi, se sentent individuellement "maudits". Mais moi qui participe de ce ciel sombre de ma fenêtre sous le toit, je sais qu'on est tous à la même enseigne, et je garde l'humeur égale, ni triste, ni gaie, sans surprise, comme je la vois par dessus les cheminées de Paris. C'est d'une douceur certaine, ces matinées dans mon grenier, que je ne troque pas volontiers contre quatre heures de ménage, trois heures de standard rémunérées ou un cours de yoga à prendre ou à donner. Non, vraiment, avant midi je n'y suis pas." (p. 91-92).
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"J'ai vraiment la belle vie chez moi. J'attends le téléphone qui m'oblige à sortir du lit, puis je m'accroupis devant la machine à écrire jusqu'à ce que cette compression oblige mes intestins à se vider, et seulement alors, en avant la journée. Quel privilège ces rites, quand je pense aux malheureux gens qui se pressent pour attraper un métro vers leur labeur matinal, se crispant d'avance de la journée à vivre, et cherchant à récupérer un peu de bien-être le soir. Puisque je ne fais rien, je n'ai rien à renvendiquer. Est-ce plus triste, cette vacuité, que l'amertume engendrée par des efforts disproportionnés pour le bien vivre ?" (p. 160-161).

 


 

Rêves: érotiquement vôtre (La Soupente, 2002)



 

Je dois accoucher, une infirmière prépare la salle. Alors que je suis encore debout, sans contractions préalables, le bébé sort et tel un oeuf va s'écraser sur le sol. L'infirmière n'est pas sûre que l'enfant soit récupérable. Bien qu'étant protégé par son enveloppe, le choc a dû détruire fatalement nombre de cellules et d'os trop fragiles.
Tout de suite des contractions me prennent, ce doit être des douleurs post-accouchement. On me fait une piqûre pour me calmer, et au moment de me coucher, une nouvelle chose tombe à terre : encore un nouveau né, plus petit, donc probablement encore moins viable.

Plusieurs jours se passent au lit dans cette clinique, comme pour toute nouvelle accouchée. J'ai envie de savoir ce qu'il en est de mes enfants. Je dois déjà 300.000F pour le séjour et je crains qu'on ne me laisse rien savoir tant que ma dette ne sera pas réglée. Alors je m'habille et je passe devant le contrôle, telle une visiteuse demandant à voir les enfants de madame x.

Les bébés sont dans un bâtiment spécial. Ma mère s'occupe de l'un des deux comme s'il était le sien. Il a une très belle tête blonde avec de grands yeux bleus. Son buste me paraît un peu plat et raide. En appuyant son dos contre ma poitrine, l'enfant crie. Je ne sais s'il souffre, s'il a un corset, s'il est un peu ou beaucoup écrasé. L'autre bébé est une fille, ravissante de visage, mais avec un air de zombie.

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Gilles me prend classiquement. Contrairement à son tempérament, c'est un rut rapide. Je me promène dans la campagne cherchant un buisson où me soulager du dépôt.
Je me trouve en Suisse, devant un grand bâtiment construit sur une pente, avec dans le haut un complexe piscine sport.
Ma tante Hélène est encore dans le sentier m'expliquant qu'elle vend tout afin d'avoir assez d'argent pour s'exiler. Je sais qu'il s'agit d'un amour malheureux. Si je lui racontais mon propre désir de fuir peut-être qu'elle m'emmènerait dans son voyage.
Maintenant je me souviens: avant que Gilles n'entre en jeu, je répétais " Un pas de deux" avec une grande planche en guise de partenaire à soulever, ceci dans un gymnase. Bref, je serre toujours les fesses pour que le sperme ne coule pas le long de mes jambes.
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Dans une clairière, il y a un congrès de vieux, assis en rond, à qui l'on offre la soupe.
Mon partenaire ne voit pas le calme et l'agrément alpestre dans ces conditions. Je lui dis de s'allonger sur l'herbe et de regarder vers le haut: là réside le charme. Effectivement, c'est très beau de voir les cimes se fondre dans une douce buée de chaleur. Plus en contrebas, tous les plans d'herbe, de culture sont coloriés selon le terrain.
De l'un des bosquets une femme brune s'échappe en criant. Elle atteint la retraite de l'autre bosquet. Était-elle poursuivie par un animal dangereux ? Non, trois hommes dégringolent en cascade d'un sentier chèvres. J'y aurais laissé chevilles et bras à cet exercice si gai.
Tout ce monde arrive à nos pieds, comme des amis. Pendant qu'ils bavardent, je me pends au cou de celui du milieu. Les yeux clos, je me laisse aller contre lui de toute ma fatigue. Au fur et à mesure de mon abandon, sa pression pour me retenir se fait plus douce et plus forte, si bien qu'il décide de me porter pour rentrer. Mes yeux toujours fermés par une fatigue incommensurable, nous rentrons ainsi bouche-à-bouche, dans un baiser sans fin qui me brûle le ventre sans me sortir de ma léthargie. Je ne veux pas voir son visage afin de ne pas rompre le charme par une désillusion. Sa bouche est si bonne, et je n'ai pas l'impression qu'il se fatigue du poids de mon corps.
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Horreur ! Le photographe qui me prend innocemment hauteur, c'est pour la frime. Il existe des milliers de clichés pris dans le même temps par des appareils disposés sous le plancher, si bien que par les interstices, ils enregistrent jusqu'à l'âme (expression de Renaud). Je pleure, j'insulte, on ne veut pas détruire ces clichés.
À l'hôpital, j'ai mes règles un peu en dehors du cycle. Que s'est-il passé ? Je le demande au médecin:
"Je vous ai opérée hier soir.
- Mais, opérée de quoi?
- Du ventre. Il est jeune et me dit cela en souriant.
- J'avais une tumeur ?
- Oui ! Quelque chose comme ça.
- Une vraie tumeur ?
- Pas tout à fait, plutôt un berceau".
J'en demeure coite. On nous a enlevé l'enfant que nous attendions. Ce jeune est persuadé m'avoir rendu service. Je n'ose, devant son sourire si détendu, lui dire que peut-être c'eût été le bonheur pour moi. Mon fichier est égaré, il me demande des détails sur mes précédentes interventions pour me soigner en conséquence. Je lui dis de s'adresser au docteur S., que justement voilà. Lequel lui parlera de toutes les oreilles qu'il m'a faites. Je suis heureuse de revoir ce chirurgien bien qu'il me mette la main aux fesses, et que cela l'amuse comme s'il était encore en internat.
Pour faire diversion, un splendide mannequin danse pour une séquence filmée. Elle apparaît presque nue, avec juste un mitoufle, ce qui assourdit le ton de sa culotte rouge. Son corps est d'une perfection intégrale, à la fois plein et fin. Elle ne fait que tourner sur elle-même, sans mouvement autrement imaginatif, mais son long cou lui donne la grâce, si bien qu'elle incarne toute la danse. Son visage au nez légèrement aquilin a de l'humour.
Je demande ma note à la clinique. Tous ces bavardages avec les médecins sont considérés comme autant de consultations. Ils en comptent quatre, plus l'intervention, ce qui chiffre à 162.000 anciens F. Je n'ai sur moi qu'un vieux chèque antidaté de 72.000F.
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Un peu en contrebas de l'auberge, une rivière et un étang. Il y a du courant, je n'aurai qu'à me laisser porter par lui, car les bords font un coude et l'eau revient vers la maison. En allongeant mes bras pour la brasse, je sens mes paumes s'égratigner à la végétation des profondeurs. Ce sont de petits arbustes sans feuillages dont les brindilles empêchent le corps de s'immerger totalement. Alors je nage en surface, la peau effleurant à peine l'eau visqueuse qui flagelle. La piscine qui est plus loin sur la droite n'a sûrement pas ces inconvénients et doit être d'une bonne température, mais elle est très chère.
Ma mère passe le peigne dans la chevelure d'un jeune garçon. Sa tignasse est gluante de pommade anti-poux mélangée à des bestioles à moitié mortes.
"Regarde comme c'est efficace" dit ma mère, me passant le peigne enduit de l'ensemble dans mes cheveux. Je deviens folle furieuse.
"Espèce de conne ! Comment peut-on être aussi conne ? Je vais avoir les poux qui ont réchappé".
Aussi sec je sens à trois endroits de mon cuir chevelu les bêtes s'installer et me sucer le sang. L'une d'elles dégringole de la pointe d'une mèche sur mon dos. J'ai envie de frapper ma mère de rage impuissante pour une si monumentale bêtise.
" Mais tu vas voir, chérie, comme c'est efficace".
Elle met une potion dans une casserole au feu, avec autant de gros sel qui en fondant diluera la crème. Puis de peur que ce ne soit trop liquide pour tenir sur le crâne, elle rajoute un reste de purée.
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Nous revivons ensemble, Jacques Loew et moi, pour pallier la disparition de Renaud, bien que Loew soit mort, lui, plusieurs années auparavant. Il aime les sucreries, je vais commander une tarte à fraise. J'ai du mal à retrouver l'endroit, ne sachant plus si c'est un bistrot restaurant ou bien une boulangerie de luxe. En montant un escalier qui mènerait à une salle à manger, le long du couloir il y a des étagères avec plein de fraises que nous piochons. Elles sont toutes de couleur verte, très sucrées. Il y a une variété plus énorme qui porte un autre nom, me dit Jacques, mais ce ne sont pas des fraises. Lui se tient à quelques marches au-dessus de moi, dandy mince, élégant, dans un costume gris. Je me dis que j'ai de la chance de l'avoir retrouvé comme ami pour remplacer Renaud.
Ce n'est pas là que nous attend la tarte aux fraises que j'espère rouges, nous déambulons à sa recherche. Dans la rue nous rencontrons des gens du cinéma qui m'embrassent alors qu'on ne s'est plus vu depuis des années. Je suis très contente de ces retrouvailles, mais je saigne sans autre protection qu'un mini-slip blanc. Ma robe aussi est claire, et le flot de sang s'accentue. Je réussis à m'isoler dans une toilette qui sert également de douche. Le pommeau mal placé empêche la porte de se refermer entièrement, des vapeurs d'eau bouillante sortent sans que je puisse serrer le robinet. Je dois donc passer en dessous pour atteindre la cuvette et m'accroupir afin d'accélérer l'évacuation de mon sang, s'il peut tarir ainsi, puisque je n'ai aucun moyen de remplacer le slip qui est à jeter et que je n'ai aucune protection interne.
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Pour rejoindre ma chambre je dois traverser un parc très boisé. Il y a un petit animal sympathique qui me fait un bout de conduite. Puis apparaît un loup dont j'ai peur. Celui-ci ne s'approche pas complètement, mais reste menaçant. Il est superbe. Les poils du dos sont noirs, à part un triangle blanc sur le museau. Son ventre ainsi que ses pattes sont d'un blanc neigeux. Nous marchons de concert, lui me précédant, souvent à reculons, la gueule ouverte. Je caresse le petit animal qui disparaît dans les fourrés. Je n'ose toucher le loup qui a la bonté de garder ses distances.
À ma deuxième promenade forcée dans ce bois, le loup me reconnaît, il m'accompagne, très calme. Son poil est si tentant, surtout sous le ventre, j'aimerais m'en faire un ami en le flattant, au risque de l'exciter sexuellement, ce qui ne serait pas pour me déplaire, si je ne craignais des réflexes de fauve.
A mon troisième passage, avant de m'avancer, j'appelle franchement : "Bernard ! Bernard" Le loup vient, et nous partons ensemble.
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Durant trois nuits, nous dormons Georges et moi en toute confiance. Je sens seulement de temps en temps son bras, sous ou bien sur ma tête. Au matin du troisième jour il m'embrasse. Tout bascule, je chavire dans une plénitude sensorielle extraordinaire d'érotisme, de trouble, de tendresse absolue. Puis son doigt me pénètre, toujours cette sensation d'ineffable, j'attends qu'il me prenne.
Comment expliquer ceci à sa femme ? Est-ce explicable après vingt années d'amitié, et le faut-il ?
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Chez un jeune médecin, barbu et sympathique, je défèque longuement dans des toilettes à la turque déjà très souillées, ce qui surprend le toubib. Et j'ai toujours envie.
Cet homme est charmant avec moi, me traitant en future maîtresse. Il y a une jeune femme brune, à qui je demande si elle est du signe du Poisson comme moi. Ils s'éloignent tous les deux. Il veut l'embrasser, elle s'y refuse, ne voulant pas jouer de l'équivoque.
Je reste seule et j'entends la voix du jeune homme:
"Je suis parti skier aux "Grandes Jorasses".
C'est manifestement un suicide. La nuit commence à tomber, qui oserait prendre le risque d'aller le chercher sur cette paroi meurtrière.

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J'ai un bébé dans les bras. Bizarrement, c'est moi qui me tète le sein. Pour aider à ma jouissance, je toucherais bien en même temps le pénis de l'enfant à nu, mais je n'ose cet acte scandaleux vis-à-vis de lui.

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Patricia m'entreprend en lesbienne. J'ai un de ses doigts dans le vagin.
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Il y a un tout petit caneton duveteux à qui je dois faire des choses. Il n'a pas 1'air d'en avoir envie, alors je lui donne un biberon et ça lui fait grand plaisir. Du coup, il vient jouer avec moi, j'en profite. On me dit "Allez ! Mets-toi au-dessus, par-derrière". J'attrape le caneton par son gosier. Personnellement je ne sens rien, ni si j'ai un sexe, ni si je rentre quelque part, mais manifestement cela lui fait de 1'effet parce qu'il ouvre le bec, et une langue en sort, vrillée tel un sexe durci. Au bout d'un moment je suppose que cela suffit, qu'il est content. Effectivement on est calmes tous les deux.

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