On va chez grand'mère
/ Pour un moment
L'autre, dans le même temps,
me racontait son plaisir à donner du plaisir aux femmes en les
caressant, en les embrassant, ce que préfèrent 80 % des
femmes (dit-il), et cela me fatiguait d'entendre cette profession de
foi alors que je n'avais pas envie d'être "raccompagnée";
mes yeux se fermaient, j'ai pris mon vélo pour me rafraîchir
à l'air des quais, à minuit...
Déjeuner tendre avec M. B., qui m'annonce pudiquement,
au fromage, qu'il va m'aider, si j'accepte ses directives, à
fabriquer un squelette avec toutes mes déambulations écrites
depuis vingt ans. "Cela peut faire une très jolie chose de littérature
brute..." (dit-il)...
Enfin, par rapport aux "dites vacances" je me suis reconstitué
une santé dans les errances parisiennes; quand on dit qu'il n'y
a de "bon bec qu'à Paris", ça peut se voir au figuré...
En tout cas, on y est libre d'être triste sans faire de grimace
de politesse; vous ne rencontrez personne qui ne veuille vous avoir
vue, le monde protégé par le secrétariat du répondeur
téléphonique.
En regardant "Apostrophe" j'imagine Pivot m'interrogeant:
"Pourquoi votre titre "Pour un moment" ?
- Parce que je ne vis que des tronçons de vie,
avec des tronçons d'hommes, et je ne raconte que des tronçons
de situations..."
Septembre est si dur pour tout le monde, chacun doit
se resituer devant l'année à venir; il y a des remises
en question si insolubles, quel que soit le niveau de vie, qu'on a tendance
à laisser la situation pourrir si l'été ne vous
a pas fortifié pour le combat...
Et, déjà; d'une chemisette pour la nuit,
on passe, en huit jours, au duvet...
Il a bien vu que j'élaborais ces récits
comme on construit un prisme, sans se rendre compte que j'y reflétais
son image sous toutes les facettes...
Je me souviens avoir rencontré Zouc, il y a quelques
temps: "Si tu attends des hommes qu'ils te demandent. Moi, je prends
le hors d'oeuvre, le plat de résistance et le dessert, et, s'il
le faut, je me ressers toute seule..."
Ma machine, plus la journée est dense en événements,
plus elle est cocue... Je ne sais pas quoi lui dire, par où commencer;
à moins de faire comme certaines personnes qui vous racontent
par le menu toute l'histoire, et l'on s'ennuie au bout de trois phrases,
à attendre que ça se dévide; l'art de la contraction,
l'essentiel est là... Bref, quand je vis, je ne tape pas...
Une imbrication dans le rêve d'une telle logique,
c'est comme un fil d'or qui nous rattache aux choses, aux gens; malheureusement
j'en perds le fil dès que je m'éveille [...] Le seul dialogue
totalement réaliste, d'une incision cruelle, quand je sais qui
j'aime, au point de sacrifice, ou de tuer, c'est quand je rêve...
[...] Le paradoxe, c'est que lorsque je veux me lever pour noter les
informations, je me dis: "Non, encore un peu de rêve", pour adoucir
les contours, faire basculer une situation désavantageuse, et
j'en perds la mémoire, l'essence de la réalité...
Moi aussi, sur mon vélo, je biche devant les
piétons; on a le cabotinage qu'on peut... Il suffit d'avoir le
nez au vent pour se sentir "seul après Dieu, maître à
son bord"... C'est dire que je suis souvent heureuse, dès que
je pédale dans Paris...
Toutes les mines sont "face" dans ce troupeau qui grimpe
vers la vie, au garde à vous, fixe; j'ai envie de dire "repos"...
Cette paysannerie, de vallées en monts, m'a interdit
à tout jamais d'avoir une conversation qui ne serait pas aérée
par des incidences; on quitte la grand route pour un lacet, et la réponse
vient en bout de chemin; les sous-bois, les troncs qu'on chevauche sont
autant de distractions paillardes, entre parenthèses, d'une pataphysique
qui se voudrait de haut cru; je me griffe aux ronces pour manger des
mûres... Je m'ennuie avec les gens sérieux, un bon voyou
vaut mieux que deux tu l'auras...
Les hivers sont longs quand le dialogue n'est qu'en
chambre... Heureusement, je suis toujours sortie par tous les temps...
Il y a des filles qui gagnent leur beefsteack, bien
décidées à rester au chaud... Moi, j'ai le vélo
qui me bouge les sangs, le bistrot pour la conversation, le cinéma
pour le rêve d'amour bien saignant, tout ça ne manque pas
de jus...
Vive le travail au Club, on est obligé de voir
et d'être vue; c'est excitant, un bon antidote à la grisaille
qui vous enveloppe de n'être qu'une passante anonyme dans les
rues de Paris... Les amours fleurissent spontanément, aussi vite
que du chiendent, puisqu'on est couvert par le regard d'autrui au moins
aux trois repas, si ce n'est plus, dans les activités sportives
communes; la cristallisation se fait en un tour de main, et l'amour
derrière le buisson, s'il n'y a pas de lit sans témoin...
l'épine, c'est qu'on peut voir son partenaire fuir avec une autre
l'heure suivante; j'en fais autant et le tour est joué, personne
ne sachant qui est "cocu" le premier; jeu d'influence extra-rapide qui
vrille les nerfs, mais on est bronzé et on a le sourire; le dangereux
c'est, s'il y a romance pendant la huitaine ou la quinzaine du vacancier
romanesque... quand il part, il va vous écrire, mais personne
à l'aéroport pour votre retour; six mois sont passés,
vous avez joué les fiancées, alors que bobonne l'attendait
fermement sur le palier... Tout cela est bien fatigant: au soleil ou
sur l'asphalte, retenir du sable est impossible...
"La nuit des rois" par le Théâtre de Bourges;
ils ont tous la manie de faire une adaptation moderne de Shakespeare,
d'abâtardir ce texte si haut en couleur pour faire des gags sans
aucune originalité autre que le pastiche à la Hellzapopin;
ce théâtre si riche devient curieusement pauvre avec
ces ajouts contemporains...
Cet homme me surprend: il est à la fois très
primaire, il en a la force et la sincérité, et, à
le regarder manger à la cantine catholique de la la fondation
Chaillot, il a la courtoisie d'un seigneur et une élégance
de mondain, alors que je mange comme une paysanne, grossièrement...
Il m'avait draguée devant une papeterie, nous
avions dormi en frères, et, à l'aube, quand il s'est
assouvi en moi, j'avais fait semblant de rien, ce qui est le plus vexant
pour un homme. Sa tendresse ne s'est jamais départie d'une carte
postale annuelle; il est fruste, et beau, et doit beaucoup plaire aux
dames, qui doivent bien en faire leur tasse de thé...
Mon Dieu, faites que je sache toujours disparaître,
à tous instants, et, revenir, quand le coeur m'en dit, me laisser
prendre sous la houle de l'homme dont j'ai envie...
Je trompe tout le monde, et en même temps je ne
trompe personne puisque nul ne me prend en charge pour la raison la
plus intime: "le quotidien"... Le reste, c'est la manne des petits bonheurs
dont je suis friande, si bien que ma gaieté joue à
saute-mouton avec les embûches que les autres contournent d'un
même pas déçu et fatigué à l'avance...
Ils refusent de se laisser griffer par les brindilles qui dépassent,
n'ont de taches que la boue de leur ennui...
Le velours de son poitrail... Bien qu'ayant retraversé
Paris dans le vrai froid de l'hiver, je maintiens cette toison au creux
de ma poitrine, rentrée dans ma mansarde; il n'y a point d'intempérie
qui brise le charme de la copulation; je m'y vautre seule, la ressassant
jusqu'à ce que le sommeil me prenne… Ainsi en est-il chaque
fois qui'il m'honore; si je me sauve comme une voleuse, c'est pour nous
conserver à nous-mêmes cet instant sans que la comédie
des départs-au-revoir glisse le doute quant au plaisir pris en
commun... Mon vélo: autre plaisir solitaire, de filer dans la
bise, sans stationner sur un quai de métro et faire face à
la triste solitude des gens en attente; j'ai été eue,
cela ne se partage pas...
Les heures silencieuses juxtaposées les unes
aux autres se minéralisent; si elles ont été précédées
par quelques douceurs, c'est dans la jubilation que je deviens une pierre
poreuse déposée dans son lit, respirant doucement tant
qu'il n'y a pas urgence à faire semblant de vivre... sinon, c'est
une pierre dense, noire, dont les fibresressassent un cauchemar de tempête,
de mort, de frustration, de tempête... il faut la rue pour se
projeter comme un caillou dans toutes les rigoles, s'éroder contre
les trottoirs, et laisser le vent des larges avenues vous pénétrer
pour vous ramollir...
Il veut m'envoyer au charbon, pour assurer mon avenir;
j'ai déjà tout un passé avec des gens qui pensaient
à mon avenir, et j'en suis au point zéro [...] Quel bonheur
de n'attendre aucun héritage, de n'avoir pas à se fâcher
avec ses frères et soeurs, ni à se méfier des gigolos;
si je baise, c'est encore pour mon cul, quelle victoire sur les ans...
Si l'on me demandait:
"Que faites-vous de vos journées ?
- Comme je ne fais rien, je n'ai pas le temps de faire
autre chose..."
De bonnes tartines pain de seigle - roquefort me calent
la panse à ne plus penser, dans le cader immuable de Lipp; je
m'y mets dans le recoin en creux sous l'escalier; ainsi, décemment
isolée, dans la connivence des garçons qui montent et
descendent avec leur plateau; au passage, un sourire; j'en fai provision
pour ce long week-end, s'il ne tombe rien d'autre du ciel. L'un des
maîtres d'hôtel me fait l'honneur d'un baise-main pour la
nouvelle année, puis, tout de suite prosaïque: "Il faudra
que tu passes à la casserole si je te sors... tu verras, tu aimeras
ça... tu en redemanderas"...
L'âge n'y fait rien, cette cavale dure depuis
ma naissance [...] On apprend à boire l'eau du robinet dans les
toilettes des cafés, à manger du pain complet en partageant
le banc d'un clodo, à éplucher les bananes dans les caniveaux;
rien ne donne meilleure mine, je pourrais prétendre revenir d'un
séjour au Club, les jambes affinées par la marche dans
Paris...
Je ramasse dans Saint-Germain de vieux fans, le temps
d'un thé; à Montparnasse, au Sélect, un cours d'histoire
sur la guerre d'Algérie [...] la bière coule sur le comptoir,
j'ai du mal à faire le pied de grue, comment les hommes peuvent-ils
tenir des heures sans s'asseoir ? Ces sont des universitaires cultivés,
face au producteur P. A, qui est une véritable encyclopédie
du problème algérien; les références fusent
plus que les cacahouettes, je mourrais de faim si je les écoutais
encore... Je me suis forcée à faire une sieste crapuleuse
avec un pote; bain conjugal de détente, la tendresse a pallié
le désir...
Rencontré rue de Lappe mon copain disparu, il
se proposait de m'apporter un poulet; l'ennui de l'écouter m'a
fait préférer continuer mon jeûne, afin d'avoir
la paix... comme il est très généreux, il a acheté
les oranges du petit-déjeuner...
Je ne sais si c'est éveillée ou dans un
rêve que je me suis fait la réflexion: ne plus intervenir,
quelle que soit la situation, auprès des personnages qui se présenteront;
ainsi, je vois défiler des hommes, des femmes, qui me proposent
une certaine image d'eux, dans une circonstance décidée
par eux, et je m'en amuse, par le côté dérisoire
et sans suite de l'événement...
Hier, à la Cigale, où chantait Anna Prucnal,
qui a autant d'énergie que l'Armée Rouge, et la virtuosité
vocale d'une chanteuse d'opéra, je vous imaginais dans le public,
toutes nos slavitudes réunies... une centaine de fans patientant
à la sortie, je n'ai pas demandé le nom de son professeur
pour vous le transmettre, et sur mon répondeur, coïncidence,
votre voix, si douce, me proposant du travail chez l'un de vos amis...
du coup mon obsession de votre pénis est revenue au jour, m'empêchant
de dormir, pour finir par rêver que je déposais ma tête
sur vos cuisses; vous étiez assis sur un fauteuil pliant de plage,
j'attendais patiemment, le visage tourné vers le large, que,
naturellement, vous vous trouviez dans ma bouche; j'ai dû avaler
un sperme cailleux, et recracher au moment opportun, lorsque nous repartions,
moi derrière vous, un morceau de votre chair...
M. B. lui avait demandé de le lire car il ne
voit pas comment se dépatouiller des mille pages de divers documentaires
qu'il a à lire; il voudrait faire un roman avec un fil conducteur
classique, un commencement, un milieu et une fin, et la description
claire des personnages; S. Est d'accord avec moi pour le désordre
et la non-transparence; enfin, j'ai un allié...
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