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Georges Fitt-Duval

“ l'école a beaucoup évolué ”

Nommé en 1941 directeur d'une "école déshéritée", celle de Valatte à Saint-Esprit, Georges Fitt-Duval se souvient de ses premières années d'instituteur.

"Jusqu'aux années 1960, c'était l'époque de la francisation à outrance. Il n'était pas question pour les maîtres de rechercher dans les manuels des leçons sur l'histoire de la Martinique, ou de parler de milieu environnant. De toute façon, la Martinique était complètement absent,te des programmes officiels. En géographie, quand on parlait à nos élèves de la presqu'île, c'était évidemment celle du Cotentin, et non celle de la Caravelle. Quand on parlait des falaises, il s'agissait de celles du pays de Caux.

Il ne faut pas oublier que les premiers instituteurs volontaires pour venir dans la colonie, voulaient installer ici l'idéal républicain en contribuant par l'éducation, à l'émancipation des petits nègres. Beaucoup étaient sincèrement convaincus qu'ils dispensaient le bien en imposant comme modèle la France. Mais beaucoup d'autres étaient des colonialistes qui pensaient que les Martiniquais devaient être éduqués dans le respect de la mère patrie. Ils ont été progressivement remplacés par les autochtones, mais l'idée est restée longtemps.

   La pédagogie consistait à apprendre par cœur et à répéter. Les châtiments corporels étaient tolérés par les parents. Les choses ont évolué peu à peu. Les parents tout comme les instituteurs, ressentaient véritablement une soif d'apprendre. Le vice-recteur Alain Plenel disait : " l'école doit aller à l'enfant, et non l'enfant à l'école".

   L'entreprise d'aliénation culturelle était fort heureusement, combattue par quelques uns d'entre nous. On se servait, par exemple du livre de Marc Larcher, un instituteur qui avait publié en 1901, une chronique de la Martinique profonde, "les vacances de Gérard", l'histoire d'un petit garçon qui parcourt le pays dans tous les sens. C'était véritablement notre bible. Il y avait aussi " les Galeries Martiniquaises" de Césaire Philémon, un ouvrage sur l'économie et la société qui date de 1931, mais aussi les travaux sur l'histoire de la Martinique de Jules Monnerot et de Jules Lucrèce.

Aujourd'hui, les choses ont bien changé. Les élèves sont plus libres, les transports se sont développés, le nombre d'écoles est considérable par rapport à il y a 40 ou 50 ans. Elles sont équipées en bibliothèques et en ordinateur. Les méthodes de travail ne sont plus les mêmes. La foi laïque n'est plus aussi affirmée. Oui en l'espace d'un siècle, l'école a beaucoup évolué, alors qu'elle n'avait pas tellement changé depuis les débuts de l'école publique dans les années 1880, jusqu'aux années 1950.

 

École, un système stable

Le système scolaire connaîtra de rares changements avant la fin des années 1950. A quelques détails près, c'est la même organisation qui prévaut tout le long de la première moitié du siècle.

Jusqu'aux années 1950, la scolarité débutait pour les enfants en cours préparatoire, à 6 ans. Puis venaient le cours élémentaire (2 ans) et le cours moyen (2 ans). En fin de deuxième année de cours moyen, ceux qui avaient moins de 12 ans pouvaient présenter le concours des bourses pour espérer continuer en 6`. Les autres préparaient le certificat d'études primaires. Les lauréats du concours des bourses étaient admis en cours supérieur (1 an) puis en cours complémentaire (3 ans). La filière A proposait des études classiques (latin-grec) et la filière B des études générales (anglais). Les garçons allaient au lycée Schoelcher, ouvert en 1939, et les filles au pensionnat colonial, rue Ernest Redan (actuelle Moreau de Jonnes). L'école technique offrait une seconde chance, après le certificat d'études. Deux filières étaient proposées : Arts et Métiers, pour les futurs ingénieurs et techniciens, ou École professionnelle, pour les manuels. A l'issue du cours complémentaire, on pouvait se présenter au Brevet élémentaire puis préparer le concours d'entrée à l'école normale d'instituteurs. On pouvait également poursuivre au lycée en Philosophie, en Maths Élémentaires ou en Sciences Expérimentales.

 

" Les écoles étaient rares "

"On comptait de 80 à 100 élèves par classe au cours préparatoire dans ces écoles de la campagne, jusqu'aux années 1950. Les enfants allaient et venaient pieds nus. Ils étaient recouverts de chiques. Le dénuement était total. Les maîtres avaient du mal à se déplacer. :Parfois, on avait la chance de trouver un cheval pour' rejoindre son école. Il faut dire que les écoles étaient rares. A Saint -Esprit, ii y avait deux écoles au bourg, une pour les garçons et une pour les filles. A la campagne, on comptait deux écoles seulement, a Valatte et la Suin et une autre à Baldara. Les instituteurs aussi étaient peu nombreux. L'administration était obliger de recruter des élèves qui venaient d'obtenir leur élémentaire qui n'avaient donc même pas effectué leurs trois années d'école normale. Résultat, si on pouvait avoir de bons maîtres, la plupart étaient incapables de prendre des initiatives car ils ne possédaient pas assez d'ouverture d'esprit d'un enseignant formé. Cette pénurie touchait aussi l'école normale. Je me souviens encore d'un de mes professeurs en 1937. La charité m'interdit de dire son nom, il nous autorisait à copier lors des devoirs. Ses élèves avaient forcément des bonnes notes, et il se prenait pour un bon élément se souvient Georges Fitt-Duval.

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