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L' épopée de la banane

Le XXe siècle est celui de l'émergence et de l'essor d'une nouvelle économie agricole aux Antilles : la banane. Tandis que, pour leur part, les économies traditionnelles du sucre et du rhum ne cessent tout au long du siècle de péricliter.

Depuis le XVIle siècle, après l'exploitation du tabac, de l'indigo, et du café, les Antilles françaises se sont orientées sur la culture et l'exploitation de la canne à sucre et du rhum. Ces productions ont, des siècles durant, fait la richesse des Isles à sucre ". Après la révolution industrielle des années 1870 qui vit l'apparition des grandes usines centrales reliées aux champs de cannes par des voies ferrées, le début du XX ème siècle est marqué par un lent déclin de l'économie sucrière et rhumière. Exception faite de la période de la Première guerre mondiale. En 1900, vingt usines à sucre fonctionnent en Martinique. Les principaux centres sont Trinité où fument trois usines, Sainte-Marie (deux usines), Lamentin (deux usines), Rivière-salée (deux usines;), Lorrain (deux usines), Le François (deux usines), et Fort-de-France, Saint-Pierre, Sainte-Luce, Marin, Vauclin, Robert, Basse-Pointe, qui en ont une chacune. La canne à sucre occupe la moitié des cannes. On compte plus de 150 distilleries sur le territoire. Les deux produits phares représentent près de 90% de la valeur des exportations martiniquaises. Avec l'effondrement de l'économie sucrière, ce sont les fondements de l'économie coloniale qui se fragilisent... Un siècle plus tard, le constat est drastique : il n'y a plus qu'une seule usine sucrière à Trinité (entièrement subventionnée par des fonds publics), et sur les 150 distilleries du début du siècle, seules neuf distilleries subsistent, quasiment toutes rachetées par des grands groupes agro-alimentaires français. Paradoxe : il faut attendre la fin du siècle pour voir le rhum martiniquais recueillir ses lettes de noblesse avec l'obtention de l'appellation d'origine contrôlée (A.O.C.) Rhum agricole de Martinique ".

   Comment l'économie antillaise a-t-elle pu soutenir ce choc de la fin de l'économie sucrière? Grâce à l'introduction, au début du XXème siècle, d'une nouvelle culture de diversification agricole vouée à l'exportation : la banane inexistante au début du XXème siècle, la banane devient à partir de la fin des années 50 la première culture exportatrice antillaise.

    C'est en 1907 que les premières expédiions quelques régimes de bananes sont transportées par le paquebot" Pérou" de la compagnie Générale transatlantique. La première guerre mondiale interrompt un moment le développement de cette économie de diversification. Il faut attendre en fait le cyclone de 1928 qui ravage notamment la Guadeloupe pour que la production et l'exportation décollent réellement... L'économie bananière, issue à l'origine de la volonté des petits et moyens planteurs, s'impose peu à peu , malgré l'opposition des " grands sucriers ", après la seconde guerre mondiale. À partir des années 50, la production devient importante et structure peu à peu l'économie antillaise. Elle représente aujourd'hui, malgré de nombreuses difficultés près de la moitié des exportations martiniquaises et 75% de la valeur de ses exportations. Cependant, à l'orée du XXIème siècle, une nouvelle question se pose : la culture bananière, voulue et soutenue depuis les origines par l'État français, peut-elle survivre dans un cadre commercial européen de plus en plus mondialisé et dominé par les grandes multinationales alimentaire ?

Moi, Marcel Fabre...

"Pendant vingt années, j'ai présidé la Sicabam. Ce groupement de producteurs Martiniquais a été créé en janvier 1961 à l'instigation des pouvoirs publics pour encadrer l'essor de la banane en Martinique. Il était alors le seul. J'ai succédé à André Dorn qui était un visionnaire. Il y a eu des pionniers dans la banane. Souvent des petits planteurs. Celle-ci a démarré au début du siècle, mais a réellement émergé à partir des années 30, des lois sur le contingentement du marché français, de la mise en place d'une véritable politique de transport du fruit avec la Compagnie générale transatlantique, l'ancêtre de la CGM d'aujourd'hui. Puis la profession a dû s'organiser Mais en fait, c'est la crise du sucre qui a lancé la banane en Martinique. Les grands propriétaires, jusque-là sucriers, se sont alors orientés vers la culture bananière comme culture: de diversification agricole et d'exportation. Il a fallu toute la détermination d'André Dorn, gui dirigeait l'usine du Maria, pour les convaincre. Dès cet instant, en 1959, la Martinique surpasse la Guadeloupe en production et en exportation, alors que c'était le contraire jusque-là. Et puis, en 1961, vient la Sicabam. Pendant vingt ans, nous avons disposé d'un droit exorbitant au droit commun: nous contrôlions la production, nous contrôlions le transport, nous contrôlions même le marché par l'intermédiaire du Comité interprofessionnel bananier (CIB) où toutes les parties, y compris l'État, étaient représentées. En fait, le marché de la banane était protégé, les prix maintenus et l'écoulement de la production garantie, car en 1962, nous avons obtenu l'arbitrage du général De Gaulle qui a réservé le marché français pour un tiers aux Africains, et deux tiers aux Antillais. J'avais obtenu des conditions exceptionnelles gui ont fait la richesse des planteurs pendant des décennies. La mise en place du marché unique européen a détruit tout cela. Aujourd'hui, nous ne sommes plus soutenus par les pouvoirs publics, et les décisions se prennent à Bruxelles ou ailleurs. De mon temps, c'est nous-mêmes qui prenions les décisions et personne d'autre... ".

 

ll y a eu des pionniers dans la banane. Souvent des petits planteurs. Celle-ci a démarré au début du siècle, mais a réellement émergé à partir des années 30" explique Marcel Fabre, resté à la tête des producteurs martiniquais pendant 20 ans.

Du rhum à la banane "

Ma famille était implantée au Gros-Morne et à Sainte-Marie, raconte Jean. Originellement, nous étions des rhumiers. Mon père cultivait des champs de cannes au Gros-Morne, et produisait un rhum apprécié sous la marque " Saint-Étienne ". Et puis les difficultés sont venues. Nous avons dû aliéner des terres, vendre finalement notre terre à rhum, familiale, du Gros-Morne. Et mon père est mort...

Avec mon jeune frère, à 25 ans, j'ai dû reprendre les rênes de l'exploitation de Nouvelle-Cité il y a une dizaine d'années. Nous nous sommes lancés dans la culture de la banane que mon père avait déjà initiée. Mais nous avons compris qu 'il fallait innover : nous avons alors introduit la fertirrigation au goutte-à-goutte des plants, puis j'ai introduit en Martinique des vitroplants israéliens. Nos rendements ont augmenté, et la qualité de nos bananes s'est également appréciée. Aujourd'hui, nous produisons de la banane sur 300 hectares que nous exportons en Europe grâce à des accords commerciaux qui rationalisent la filière bananière. Nous espérons pouvoir continuer cette exploitation dues un cadre européen qui nous garantisse un minimum d'écoulement de notre production et une régionalisation de l'aide compensatoire de nos surcoûts de production par rapport aux grandes multinationales de la banane.

 

 

Transport des cannes à sucre

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Claudine Vernant-Neisson une vie enivrée pas " Zépol Karé' "

" quand j'étais petite, je suivais mon grand oncle paternel sur les pentes des mornes des pitons du Carbet où se trouve notre distillerie. Toute la terre, à perte de vue, était couverte de cannes à sucre. Toute l'île fumait encore de ses 150 distilleries. Tout le monde à cette époque respirait le sucre et le rhum et vivait plus ou moins de son commerce ou de sa production. Je revois les coupeurs dirigés par les commandeurs à cheval, les ammareuses lier leur fagot de cannes coupées, la cheminée fumer au pied du volcan, les vapeurs blanchâtres s'échappant du vert humide de la foret tropicale pour se dissoudre dans le bleu de la mer Caraïbe en contrebas.

   La campagne sucrière annuelle s'étendait de janvier à juin. C'était un moment intense qui ponctuait la vie de l'île. Je me souviens de mon père, ingénieur chimiste, qui reprit la distillerie des frères Nelson, installée en 1931 sur les terres de l'habitation Thieubert, précéder à ses coupages d'arômes. Jamais je n'aurais jamais imaginé que moi, médecin bactérologue à l'hôpital de Fort de -France, je serais obligée de refaire ce que mon père faisait Mais après sa mort en 1985, la distillerie a périclité, et j'ai dû reprendre les rênes de cette petite entreprise familiale de 2 personnes, la dernière distillerie artisanale mulâtre de l'île. Nous produisons aujourd'hui sur 40 hectares de cannes plantées, 2000 hectolitres d'alcool pur par an et seulement 400 000 litres de rhum blanc agricole traditionnel en A.O.C.. Un chiffre dérisoire comparé à ceux des autres distilleries qui produisent chacune entre 3 et 5 millions de litres chaque année. Je suis fière de poursuivre oeuvre de mon père et de produire un rhum apprécié des connaisseurs et reconnaissable à la forme carrée de sa bouteille créée en 1950 : " Zépol Karé " ! Et satisfaite de voir que mon fils va continuer, après tous ces efforts, en poursuivant l'activité de la distillerie.

 

 

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