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1946 la conquête de la Départementalisation

La loi de départementalisation est votée par le Parlement le 19 mars 1946. Cette loi, à l'initiative d'Aimé Césaire, est l'aboutissement de plusieurs décennies de revendications populaires aux Antilles pour une reconnaissance de l'égalité entre les "vieilles colonies" et la métropole. Fort-de-France. Juin 1943. Un soulèvement a lieu. A son initiative, des officiers et des soldats du fort de Balata, auxquels se sont adjoints des Foyalais opposés au régime vichyste de l'amiral Robert. Lorsque Hoppenot, le délégué de la France Libre débarque à la Martinique au début de juillet 1943, il déclare ramener " la France et la République". Pour les Martiniquais, après quatre années de privations, d'exactions et d'arbitraires, ce fut alors du délire. Certains avaient même été cassés de leurs fonctions, à l'instar du maire radicale-socialiste de Fort-de-France Victor Sévère, assigné à résidence à Case-Pilote. En 1945, un esprit nouveau circule. Des hommes nouveaux, aussi, apparaissent, à la faveur du climat politique et social de la Libération. Les institutions démocratiques sont restaurées, les assemblées locales de nouveau élue au suffrage universel. Pour la première fois, les femmes votent. En Martinique, les autorités gaullistes de la France Libre, sous l'égide du gouverneur Georges-Louis Ponton, soutiennent les forces progressistes. Aimé Césaire est élu aux élections législatives le 21 octobre 1945 pour la première Assemblée nationale constituante, avec le communiste Léopold Bissol. Leur mandat populaire est simple: obtenir que la vieille revendication émancipatrice de l'assimilation politique et sociale soit réellement prise en compte dans les quatre "vieilles colonies". Dès le 17 janvier 1946, ils déposent une proposition de loi visant au "classement comme départements français" de la Guadeloupe et de la Martinique. Ils sont suivis par Gaston Monnerville pour la Guyane et Raymond Vergès pour la Réunion. Le 5 mars, les propositions de loi viennent en débat en séance publique sous la présidence du socialiste Vincent Auriol. Le 19 mars 1946, la loi est finalement promulguée après son vote. Pour ses promoteurs, la loi de Départementalisation est d'abord une "loi d'égalisation". Une égalité politique enfin obtenue après des années de lutte pour l'assimilation. En revanche, si l'égalité sociale est reconnue sur le plan des principes, il faut attendre 50 années - janvier 1996 ! - pour la voir effectivement réaliser avec l'alignement du S.M.I.C. domien sur celui de la métropole.

Une loi d'assimilation, mieux d' égalisation...

... Aimé Césaire, dans son rapport parlementaire prononcée le 12 mars 1946, insiste particulièrement sur un aspect de la loi: la Départementalisation, Loin d'être une loi d'assimilation culturelle, est d'abord une loi sociale, d'égalisation des droits sociaux " ...Ce dont il s'agit aujourd'hui, c'est, par une loi d'assimilation, mieux d'égalisation, de libérer près d'un million d'hommes de couleur d'une des formes modernes de l'assujettissement (applaudissements) ...Quant à ceux qui s'inquiètent de l'avenir culturel des populations assimilées, peut-être pourrions-nous risquer à leur faire remarquer qu'après tout ce qu'on appelle l'assimilation est une forme normale de la médiation dans l'histoire. et n'ont pas trop mal réussi, dans le domaine de la civilisation, ces Gaulois à qui l'Empereur romain Caracalla ouvrit jadis toutes grandes les portes de la Cité (applaudissements sur divers bancs). Nous ajoutons d'ailleurs que l'assimilation qui vous est aujourd'hui proposée est loin d'être une assimilation rigide, une assimilation "géométrique", une assimilation contre nature, est une assimilation souple, intelligente et réaliste. Quand nous disons assimilation géométrique, nous pensons à l'attitude prise à cet égard par la Révolution française. Lors de la discussion de la Constitution de l'an III, Boissy d'Anglas, rapporteur des questions coloniales, en vint à prononcer cette phrase caractéristique: " Que ces colonies soient toujours françaises, au lieu d'être seulement américaines; quelles soient libres sans être indépendantes; que leurs députés, appelés dans cette enceinte, y soient confondus avec ceux du peuple entier". Et il ajoutait: "Les colonies seront soumises aux mêmes formes d'administration que la France. Il ne peut y avoir qu'une bonne manière d'administrer, et si nous l'avons trouvée pour des contrées européennes, pourquoi celles d'Amérique en seraient-elles déshéritées?"... En la circonstance, ce n'est pas seulement l'histoire que nous avons avec nous, c'est la géographie..." .

Sortir du chaos social

En 1946, Aimé Césaire décrit aux parlementaires la situation économique et sociale des Antilles comme catastrophique. Dans son esprit, la Départementalisation doit apporter l'égalité sociale et l'équipement aux Antilles. " Si les Antilles et la Réunion ont besoin de l'assimilation pour sortir du chaos politique et administratif dans lesquels elles sont plongées, elles en ont surtout besoin pour sortir du chaos social qui les guette. Tous les observateurs sont d'accord pour affirmer que les problèmes sociaux se posent à la Martinique, à la Guadeloupe, à la Réunion, avec une acuité telle que la paix publique en est gravement menacée... Dans un pays à salaire anormalement bas et où le coût de la vie se rapproche très sensiblement du coût de la vie en France, l'ouvrier est à la merci de la maladie, de l'invalidité, de la vieillesse sans qu'aucune garantie lui soit accordée. Pas d'indemnité pour la femme en couches. Pas d'indemnité pour le malade. Pas de pension pour le vieillard. Pas d'allocation pour le chômeur... C'est là un fait sur lequel il convient d'insister: dans ces territoires où la nature s'est montrée magnifiquement généreuse règne la misère la plus injustifiable. Il faut, en particulier, avoir visité les Antilles pour comprendre ce qu'il y a de faux dans la propagande officielle qui tend à les présenter comme un paradis terrestre. En réalité, dans les paysages qui comptent parmi les plus beaux du monde, on ne tarde pas à découvrir des témoignages révoltants de l'injustice sociale".

 

 

 

 

 

 

 

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Retour des députés sur le Cuba

En mars 1946, Victor Sablé était membre du Conseil général de la Martinique. Il allait devenir ensuite membre du Conseil de la République, Député européen... Interviewé par < France-Antilles" en 1996, il se souvenait encore de son retour de Paris, sur le "Cuba", avec les députés Bissol et Césaire... < Mars 1946. C'est la fin de l'enfer! Nous revenions pour préparer le référendum et les élections qui allaient me porter au Conseil de la République. Contrairement à l'habitude, le bateau n'entra pas au port mais était stoppé en baie des Flamands. II y avait une foule immense sur la Savane. Cela ne s'était jamais vu. Plus de 10.000 personnes attendant Césaire et Bissol .... La foule attendait le père de la loi. Rendez-vous compte! Césaire et Bissol, deux hommes " de la Martinique qui font voter une loi, faisant de la Martinique un département français... Nous avons fait ce choix déterminant pour notre j avenir. Fallait-il rester colonie au risque de perpétrer une situation économique désastreuse- Fallait-il continuer à avoir comme référence la culture française, Voltaire, Rousseau, Hugo et ne pas bénéficier-".

 

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