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Aimé Césaire, le siècle de l'identité

Le plus célèbre des Martiniquais du XXème siècle a balayé son temps d'un souffle puissant, fait tout à la fois d'action et de réflexion. Monument des Antilles et de la vie politique nationale, Aimé Césaire a accompli une œuvre législative hors du commun. Il y a tout juste soixante ans en 1939, Aimé Césaire alors âgé de vingt-six ans, écrivait Le Cahier d'un retour au pays natal. Un texte jugé fondamental pour la pensée identitaire de ce siècle. II y a quelques semaines, le poète et philosophe, en nous accordant un entretien, s'interrogeait: écrirait-il aujourd'hui, "Le cahier" de la même manière, avec les mêmes mots... A l'aube du XX° siècle, lancerait-il le même cri de conscientisation ? Aimé Césaire : "J'ai écrit Cahier d'un retour au pays natal, dans des conditions bien particulières : moi, tout seul, jeune nègre dans un monde environnant blanc, me posant des questions existentielles et métaphysiques. Rendez-vous compte que j'arrive de ma Martinique au Havre, puis après un voyage en train, nie voilà à la gare Saint-Lazare. Ce jour-là, le quai était noir de monde, sans métaphore, car s'y trouvait une foule d'Antillais venus attendre ceux qui arrivaient de Martinique et de Guadeloupe. Je descends, un camarade me demande où je vais habiter et je lui réponds que je n'en sais rien. Lui, va faire des études d'ingénieur à Ayrolle qui se trouve à Cachan et a un logement, dans lequel il se propose de m'héberger. Le lendemain je débarque au quartier Latin et me rends au lycée Louis Le grand où je rencontre Senghor et débute notre amitié. Nous sommes assaillis lui et moi par des problèmes, que d'autres ne voulaient pas voir, mais nous réfléchissons. Nous nous posons les grandes questions : Qui suis-je ? Que dois-je faire ? Que m'est-il permis d'espérer ? C'est la prise de conscience d'un jeune noir, martiniquais dans un milieu blanc. Je sens qui je suis".

Il vous a donc fallu faire le voyage vers l'Europe, pour réaliser que vous êtes Martiniquais ? :

"Non ! Quand j'étais tout jeune à Basse-Pointe, puis après à Fort-de-France, je me sentais peu en accord, avec la société dans laquelle je vivais. C'était une société qui n'avait qu'un idéal, l'assimilation. Je ne suis pas du tout anti français, je serais même plutôt francophile, mais je sentais bien que cette ambiance était un à côté, que c'était faux. En moi, il y avait le nègre fondamental mais j'adore la littérature française " .

 

LA PRISE DE CONSCIENCE

" Un jour, je rencontre un intellectuel qui me dit qu'il faut en finir avec l'Afrique, que c'est du passé et de la barbarie. Et bien non, je ne suis pas partisan de cela. J'ai une généalogie, il y a derrière moi une culture ;il faut bien en prendre conscience. Cela étant dit, je n'ai jamais été partisan du renfermement. J'ai découvert la négritude, mais je suis ouvert et m'enrichis des autres. Je me rappelle le cri de joie que j'ai poussé un jour à la cité universitaire en lisant ce passage de la phénoménologie de Hegel : Ce n'est pas par la négation du particulier, mais par son approfondissement, que l'on va à l'universel. Il y a toujours eu cet humanisme chez moi : identité, mais en même temps, tenir compte de l'autre "

Précisément, ce " qui suis-je ? " soixante-cinq ans plus tard, a t-il le même profil qu'en 1939 ?

" Le cri du Cahier est toujours actualité, car il est fondateur; une prise de conscience personnelle bien sûr, mais je crois qu'elle a eu un effet, malgré toutes critiques reçues, les attaques subies, les incompréhensions rencontrées et toutes les inimitiés que je me suis fait. En dépit de tout cela, mon acte correspondait à une réalité et l'idée a cheminé. Je pense que ça à beaucoup compté pour la prise

 

de conscience de l'identité martiniquaise ".

LE RÉVEIL DE L'IDENTITÉ

" Jusque-là, les Martiniquais n'avaient pas lutté pour l'identité. Ce n'était pas notre préoccupation essentielle et ça se comprend très bien ! Il faut toujours tout situer dans un contexte historique : pour l'abolition de l'esclavage, les Martiniquais ont lutté pour la liberté. Ensuite, il y a eu cette situation coloniale d'un type particulier et ils ont lutté pour l'amélioration de leur vie. Là ils se sont aperçus qu'il y avait de grandes différences entre les citoyens français de première classe, du continent et eux qui étaient de seconde classe. Ils ont donc lutté pour l'égalité. Quand ils sont allés en France pour demander à devenir départements français, c'était pour des choses très précises ; comme de meilleurs salaires, de meilleurs logements, plus d'instruction. Il leur semblait qu'en acquérant la départementalisation, ils faisaient main basse sur tout ce que les Français de France avaient mis cinquante ou soixante ans à conquérir. C'était un pas en avant considérable, mais je me suis rendu compte très tôt que c'était insuffisants et dangereux. Car à ce jeu là, on risquait d'y perdre notre identité notre âme. En regardant autour de nous, on se rend compte que le XIXème siècle est marqué en Europe par l'unité et qu'à la période contemporaine, on assiste au réveil des identités particulières, dans un ensemble. Pourquoi ne serait-ce pas vrai pour nous Martiniquais ? Le Cahier a beaucoup servi à ça : le réveil de l'identité. Et ça, c'est un acquis !"

Vous êtes à l'origine de l'identité martiniquaise affirmée de nos jours. Qu'en est-il maintenant de la créolité que certains l'opposant à la négritude, dont vous êtes le père ?

"Je vais vous raconter une anecdote. Il y a quelques années, je rencontre Jean Bernabé qui me parle de la créolité et de ses apports. Je lui ai tapé dans le dos et lui ai dit : la créolité - Ce n'est qu'un département de la négritude ! L'acte fondamental, c'est la négritude et selon les pays, il y a des commissions particulières, ce gui se comprend très bien. La créolité n'est pas contraire à la négritude, elle est née d'elle".

Peut-on dire que Le Cahier est l'acte fondateur d'un humanisme moderne ?

"Je suis un Martiniquais, je suis un nègre, mais j'adore la culture française, mais je respecte la culture chinoise et tout le reste. Je suis un homme, je ne dirai pas de culture, comme on entend banalement à fa Martinique, mais un homme des cultures. Autrement dit, toutes les cultures et tout ce que les hommes ont fait, imaginé, conçu à quelque point de l'univers, pour résoudre ce problème qu'est la vie, m'intéresse. Car la vie est un problème, comme la mort. Je suis très frappé par ces problèmes-là car en réalité, ils finissent par se rencontrer. Autrement dit, tout ce que les hommes ont essayé pour rendre la vie vivable et la mort acceptable " On comprend dès lors, le < grand silence " qui a été celui d'Aimé Césaire en 1998 et son attitude réservée face à certains courants contemporains : il n'a jamais prôné autre chose que l'affirmation d'un soi identifié et accepté, afin d'aller à la rencontre de l'autre, pour la construction de l'universel".

 

" Monument des Antilles et de la vie politique nationale, Aimé Césaire, a accompli une vie législative hors du commun.

 

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