CHALVET : symbole de l'affrontement social.La terre martiniquaise a été tout au long de ce XXe siècle le théâtre de violents affrontements sociaux. Non plus entre esclaves et maîtres, comme au XIXe siècle, mais entre ouvriers agricoles, planteurs et forces de l'ordre. De ces tristes épisodes, il était difficile de faire le choix d'une date. " Chalvet 1974 " en est cependant, une des plus récentes et des plus marquantes dans la mémoire collective contemporaine du monde agricole et des Martiniquais en général. Deux hommes, Ilmany Sérier, dit Renor, 55 ans, et Georges Placide Marie-Louise, 19 ans, vont comme beaucoup d'autres de leurs frères de labeur, s'épuiser dans les bananeraies de Vivé et de Chalvet, au Lorrain et à Basse-Pointe pour grappiller quelques centimes de dignité. S'échiner sur les terres, Raymonde Cabrimol, dite " Man toï" , sait ce que cela veut dire. Elle a à peine 16 ans quand elle obtient l'autorisation d'y poser les pieds pour la première fois afin de gagner sa vie. En 1974, dans sa quarantième année, elle est toujours posée sur l'habitation Vivé, coupant et chargeant des régimes a n'en jamais finir. " La grève a commencé en janvier pour des revendications Salariales et d'embauche. Nous nous étions organisés et nous passions partout pour débaucher les ouvriers et je leur disais que même si le patron vous oblige à travailler; ce n'est pas lui qui a vos mains ni vos têtes. J'avais été fichée comme une meneuse et les gendarmes circulaient tout le temps devant chez moi.. Ils voulaient savoir où ce faisait les tracts. Un fonds de solidarité avait été créé entre nous pour venir en aide aux ouvriers les plus en difficulté financièrement.. Nous avions aussi l'appui de jeunes de Fort-de- France, Bertide, Rosaz, Rastocle, Cyrille etc... que les békés les gendarmes et les autres appelaient "gauchistes" se souvient-elle.
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Le premier incident sérieux s'est produit à Fond-Brulé. Les gendarmes avaient barré le pont. Nous avions ramassé plein d'ouvriers le long des habitations. Un gendarme noir a dit " Nous allons vous occuper de vous aujourd'hui !...". Certains d'entre nous ont sauté dans la rivière. J'ai dit : "Nous sommes en pays de liberté, égalité, fraternité, nous avons le droit de passer sur ce pont et nous passerons". Je suis passée la première, les gendarmes se sont écartés et tout le monde est passé, raconte Raymonde. "Quand nous sommes arrivés au quartier (au poteau), la rue était pleine de monde. Nous avions débauché partout. Un chauffeur de taxi arrivant du Lorrain est venu me dire qu'il y avait un hélicoptère et quatorze cars de gendarmes qui montaient et qu'il fallait partir. Il était trop tard. J'ai vu une boule de feu, j'avais rempli mon chapeau de pierres. J'ai crié " pran zannana pou zot ! Un de mes enfants a enlevé sa chemise et a rampé dans les traces. Sa chemise a été criblée de balles. Ilmany était tombé. J'ai été blessée au bras. Ils avaient tué un père de 22 enfants. (...)" se rappelle cette militante. Le maire Pernock et le conseiller général, Allaguy, voulait précipiter l'enterrement. Depuis Fort-de-France où j'étais descendu sur le port et dans les lycées pour des meetings, j'ai téléphoné au maire pour lui dire "Si vous ne voulez pas que Le Lorrain pète, il faut laisser Ilmany sur le parvis de l'église. " Nous avons récupéré le cercueil. Des ouvriers l'ont défoncé pour voir si le corps y était. M. Cerland est intervenu et lu veillée eut lieu chez lui. Pendant l'enterrement d'Ilmany, on nous a appris qu'on avait trouvé Marie-Louise sur la grève de Chalvet et qu'il ressemblait à quelqu'un qui avait été battu à mort... Quelque temps après, on nous proposé 36,50 F alors que nous revendiquions 36,46 F, Nous avons refusé. Nous voulions 36,46 F rien de plus. La vie de deux hommes ne valait pas cette différence...
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