Après
avoir brèvement rappelé les conditions de naissance et de développement
de Mattel Electronics, nous essaierons de comprendre comment et pourquoi
cette console est encore aujourd'hui si prisée par certains gamers
et collectionneurs. Des jeux comme US Ski Team Skiing, Frog Bog,
Triple Action, Tennis vont certes la différencier de la VCS d'Atari,
mais surtout si la console en elle-même est assez banale dans ses
possibilités techniques, c'est le travail et la singularité de son
équipe de développement, les Blue Sky Rangers, qui fera de
cette machine un véritable mythe. La Mattel Intellivison malgré
son approche ergonomique atypique, voire rebutante pour certains,
sera vendue à trois millions d'exemplaires dans le monde.
Mattel Toys
La société Mattel fondée en 1945 par Harold Matson "Matt"
et Elliot Handler, "El" manque de faire une banqueroute au vu des
résultats de la fin de l'année 1980 après leur entrée un peu rock
and roll sur le marché du jeu vidéo. Ses gérants décident alors
de laisser la maîtrise exécutive des produits Intellivision
à des investisseurs, et en profitent pour restructurer leur société
de jouets, qui redeviendra vite leader sur ce marché. Malgré
ce premier échec l'intérêt de Mattel pour le jeu
vidéo persistera, Jill Barad, son président, déclarera au milieu
des années 90 au magazine Forbes : "Je veux y être, mais
je veux le faire de manière appropriée et correctement". Son entreprise
devra pour ce faire s'appuyer sur le succès des autres produits Mattel,
comme la poupée Barbie ou GI Joe. Jill Barad lance alors The Learning
company en investissant 3.6 milliards de dollars et en espérant
50 millions de plus-value mais en 1999 les pertes accuseront 100 millions
de dollars. Les anciens programmeurs de Mattel Electronics, ne s'en
étonneront guère. Devant ces nouveaux résultats décevants,
Jill
Barad sera débarquée de la société avec 40 millions de dollars.
Mattel met fin à The Learning Company.
Telles sont dans les très grandes lignes les étapes
de l'aventure Mattel dans le secteur des jeux vidéo. Revenons
à présent aux origines de cette aventure, au lancement
d'une console aussi adulée que détestée par les
classic gamers, la Mattel Intellivision.
La naissance de la Mattel Intellivision.
Le
projet Intellivision de Mattel est lancé en 1978. Après avoir créé
le département "Design and Developpement", Talle décide de
déléguer la fabrication de l'Intellivision à General Instrument
pour la partie matériel et Aph Technology Consultant, une entreprise
localisée à Pasadena en Californie. pour la programmation
de la machine. Car à la différence d'Atari, Mattel n'est pas
une entreprise informatique, elle supervisera donc le design de la
console, ce qui fera par la suite toute la différence. Aph
développera le system's software, la majorité des outils additionnels,
et toute la première version hard de l'Intellivision. L'équipe est
alors constituée d'étudiants du California Institute of Technology,
le président d'Aph est Glenn Hightower. Dave James, un artiste de
Mattel Design & Development Departement, travaille sur la ligne
graphique des logiciels. Le style de cette console va contribuer à
la différencier des consoles Atari et Odyssey, le style plastique
de l'époque. Les designers ne vont pas tarder à comprendre
que la console doit s'insérer dans l'environnement familial, devenir
un compagnon de jeu tout en s'insérant en tant qu'objet esthétique
dans un salon par exemple. La console sortira donc dans un style faux
bois et faux bronze. Mattel prend aussi un risque important en insérant
des "controllers" et non des joysticks, alors même que ces
derniers sont en train de se normaliser. Les controllers se présentent
sous la forme d'un pavé de douze touches sur lesquels il s'agit de
glisser des overlays pour chaque jeu. Ce choix rendra difficile et
compliqué le gameplay mais permettra de varier les effets de certains
jeux, ce qui assurera en partie de succès des jeux Mattel.
Lorsque la console sort, ses performances graphiques enfin, seront
au-dessus de l'Atari 2600 (VCS).
Du lancement au crash 1980-1983
Le premier test-marketing a lieu à Fresno en Californie en 1979. Mattel
décide d'appeler sa console Intellivision "Intelligent Television".
La commercialisation officielle démarre en 1980 au titre de produit
Mattel Jouets avec 12 cartouches. La console est vendue 299$. La société
Mattel Electronics ne sera créée que plus tard, en 1982. Ainsi la
première année, 200.000 unités sont vendues. Comme nous l'avons dit
plus haut, l'année 1980 sera difficile pour la nouvelle activité
de Mattel. Mattel cherche à se débattre dans ce marché
concurrentiel et annonce la sortie prochaine d'une extension clavier
capable de transformer la console en ordinateur (64k). De nombreux
joueurs achètent cette console en espérant voir arriver ce module,
qui testé à la fin de l'année 81, ne sera jamais commercialisé. Mattel
entreprend une campagne de publicité agressive usant du droit à la
publicité comparative autorisée aux Etats-Unis pour se différencier
de la VCS et de l'Odyssey. Pour diversifier le marché Mattel fabrique
des consoles quasiment à l'identique pour Telegames Super Video
Arcade (Sears), Tandyvision One (Radio Shak), et GTE Sylviana
Vision (GTE stores). En 1982 des modules d'extension vont apparaître
(Voice Module, Entertainment Computer System). Le module Intellivoice
permet d'intégrer des sons et de la parole.
C'est cette année-là, que l'Intellivision II
est fabriquée, à partir d'un micro-processeur 16 bits. En janvier
1983 l'Intellivision III est montrée au CES Show mais
en hiver Mattel annonce la fin de ce projet. Concernant sa diffusion
en Europe, l'Intellivison sera commercialisée en France en format
Secam à partir de 1982, mais l'Intellivision fonctionne avec des écrans
de 525 lignes (US Standard) alors que les formats Pal et Secam sont
en 625 lignes, ce qui signifie que les jeux sur les téléviseurs européens
ne peuvent se jouer que sur 80% de l'écran. Mattel tente alors de
développer un adaptateur permettant de jouer en plein écran sur un
625 lignes, mais la lenteur à laquelle ce produit arrive sur le marché
condamne l'introduction de l'Intellivision II en Europe. Tutorvision,
un projet de logiciel éducatif avec World Book Encylcopedia
et INTV, ne sera jamais commercialisé. La Mattel sera commercialisée
jusqu'au crash de 1983. Certains affirment que le marketing de Mattel
était contrairement à son slogan fetish, tout sauf intelligent,
et précipita la fin de l'entreprise en 1984. Mattel Electronics est
dissoute en janvier 1984. Intellivision Inc. est reformé par Terry
Valeski, le directeur marketing de Mattel Electronics par la suite.
C'est ainsi que des jeux Mattel furent fabriqués jusqu'en 1990 par
INTV Corporation jusqu'à le l'entreprise soit déclarée en banqueroute.
Les jeux de Mattel
Mattel réalisa en tout et pout tout 51 jeux, INTV 21, 43 autres choses
furent réalisés par d'autres compagnies telles que Activision (7),
Atari (3), Coleco (8), Dextell (2), Imagic (14), Tnterphase (2), Parker
Brothers (6), Sega (1). En totalité il en existe 115, mais
Mattel réalisa 4 jeux avec le module Intellivoice et 6 avec l'Entertainment
Computer System module, ce qui fait 125 jeux. De nombreux jeux
identiques étaient commercialisés par ces sociétés (Football, Pac-Man,
Big League, etc.) sous des noms différents. Le premier jeux fabriqué
par Mattel est Major League Baseball programmé par David Rolfe en
1978 (qui ne fut commercialisé qu'en 1981), mais les premiers jeux
commercialisés furent Las Vegas Pocker & Blackjack, Math Fun, Armor
Battle et Backgammon, qui faisait partie du test marketing
de 1979 à Fresno. Le dernier jeu réalisé est Stadium Mud Buggies et
Spiker Super Pro Volley-ball, pour le Noël de 1989. "Le dernier jeu
terminé était Deep Pockets: Super Pro Pool & Billiards, qui n'a jamais
vu le jour sous le format cartouche (il est sur le CD ROM Intellivision
Lives!). Un autre jeu, une version de Choplifter!, n'a jamais été
terminée. Deep Pockets et Choplifter!, les deux jeux
présentent un copyright de 1990". Selon Press Classic Videogames
Collector, le plus mauvais jeux est la version Donkey Kong
de Mattel
L'essaimage des Blue Sky Rangers de Mattel de 1982 à 1986
Le premier staff de programmeur de Mattel regroupait une vingtaine
de programmeurs, réunis sous le nom de Blue Sky Rangers. En
1981 des programmeurs de Mattel rejoignent ceux d'Atari chez Activision.
En 1982 d'autres programmeurs clés de Aph créent Cheshire Engineering.
Ils s'associent à Activision pour développer des titres Intellivision.
Dreadnaught Factor, Worm Whomper de Tom Loughry et Beamriser
de David Rolfe. En 1983, cette société
quitte le marché du jeu vidéo mais existe toujours aujourd'hui comme
cabinet de consultant hardware et software. Une autre société,
Quicksilver est fondée à partir des programmeurs de Mattel : Bill
Fisher (Space Hawk), Steve Roney (Space Spartans), Mike
Breen (Buzz Bombers). Seul Bill Fisher s'investit dans la société,
et lorsque celle-ci se met à grandir, il décide de travailler seul.
En 2000, cette société emploie vingt programmeurs et designers à temps-plein,
à Irvine en Californie. Il en sort Castle, et Castle II,
Conquest of the New World un jeu très en avance en 1996. Keith
Robinson (Tron Solar Sailer) fonde Strand Cruisers en 1985,
une société spécialisée dans le design de catalogues et le packaging
pour entreprises High Tech (INTV, HP, Sony Interactive mais aussi
Quicksilver Software et Realtime Associates). Une division de Strand
Cuisers (Making it Production)
commercialise des comic strip qui deviendra la base pour The Electronic
Arts Sega Genesis Game, Normy's Beach-Babe-O-Rama. En 1986 David Warhol
(Mind Strike) créé Realtime Associates,
spécialisée dans la musique pour jeux. Il emploie plus d'une douzaine
de Blue Skye Rangers et devient prestataire de Electronics
Arts, Sega et Disney.
L'implantation de Mattel à Sophia Antipolis, premier incubateur de
programmeurs sur le territoire français
En février 1983 Mattel ouvre un bureau de programmation dans le parc
des activités de Valbonne à Sophia Antipolis, à Nice. Le staff est
recruté à Londres et Paris, le bureau avait pour mission de développer
des jeux Intellivision et Coleco pour le public européen. Quand Mattel
prit la décision de fermer son activité jeu vidéo fin 1983, Mattel
n'aurait pu le faire en raison des lois françaises, Mattel devait
trouver un acheteur. Alors que tous les programmeurs de Blue Sky Rangers
étaient licenciés en janvier 1984, les programmeurs français restèrent
pour développer les jeux que Mattel n'avait plus l'intention de réaliser.
La division devint indépendante et sous la direction de Tim Scanlan
fut rebaptisée Nice Ideas. Ils continuèrent à fabriquer des
jeux pour INTV Corp et Coleco. Quelques années plus tard l'entreprise
ferma, la plupart des programmeurs anglais retournèrent à Londres,
alors que les français s'essaimèrent dans les autres activités du
technopole.
Conclusion et pistes de réflexions sur le phénomène Intellivision
Dans cette version 1.0 nous trouvons une synthèse des informations
sur Mattel en ligne. L'histoire rédigée à partir
de ces sources classiques ne permet pas de comprendre complètement
comment cette console s'est distinguée de ses concurrentes, et pourquoi
elle fait l'objet encore aujourd'hui d'un culte dans le monde des
joueurs. Les premières explications que nous trouvons après cette
brève histoire sont d'ordres techniques, esthétiques et surtout sociologiques.
Premièrement la console Mattel est déjà une troisième génération de
console à cartouches (après la Channel F de Fairchild en 1976) et
la VCS d'Atari en 1977. Elle arrive sur le marché alors que la VCS
est en position de domination mais commence déjà à lasser. C'est pourquoi
Atari sera obligée de frapper fort en 1980 en commercialisant Space
Invaders. En 1980, en arrivant sur ce nouveau marché, Mattel s'adresse
à des joueurs en attente de nouveaux jeux, de nouveaux supports. En
cela le marketing et le design de la console jouera sur désir de renouvellement
en proposant une console différente, qui plus est, pensée au niveau
du design pour mieux s'intégrer à l'environnement familial. Le second
aspect de son succès public est de type ergonomique. La console
Intellivision est déjà considérée comme une console Haut Standing
(plus chère que l'Atari 2600), capable alors de séduire des foyers
plus riches ou plus attentifs au caractère esthétique de la machine
elle-même. Ainsi l'ergonomie de la console (overlays, esthétique mobilier,
bel objet) distingue cette machine des consoles en plastique d'Atari
et de Magnavox. Mais aussi la qualité des jeux, originaux, va captiver
un nouveau public, plus exigeant et connaisseur. Malgré la faiblesse
graphique de ces jeux, plus proche des graphismes de Vidéopac que
d'Atari. Concernant les aspects techniques, la Mattel est supérieure
à la VCS, ce qui dès cette époque est un argument important pour attirer
les joueurs. Les caractéristiques économiques sont liées à la puissance
financière de Mattel (autre géant du loisir après Warner à se lancer
dans le jeu vidéo), l'image de cette entreprise, et les méthodes marketing
agressives qu'elle décidera d'adopter, amenant le monde des joueurs
à se cliver, en étant pro-Atari, ou pro-Mattel. Le dernier aspect,
sociologique, embrasse tous les autres et concerne à la fois l'esprit
des Blue Sky Rangers, c'est à dire les méthodes coopératives, l'esprit
d'équipe de ces premiers programmeurs, qui à la différence des premiers
programmeurs d'Atari, étaient eux-mêmes des gamers avant ou autant
que des informaticiens, un esprit qui a été le déclencheur d'un phénomène
socioculturel particulier et peut-être unique dans l'histoire du jeu
vidéo (lien social, etc.). Tous ces facteurs n'expliquent qu'en partie
seulement pourquoi la console Intellivison est aujourd'hui une console
"mythique" aux USA, et pour mieux le comprendre, il conviendra
d'une part d'approfondir nos recherches sur le positionnement de Mattel
en 1982, de réaliser des entretiens avec les programmeurs des
Blue Sky Rangers. Enfin il conviendra évidemment d'analyser les jeux
en eux-mêmes, et de tenter de comprendre leurs différences avec les
jeux de l'époque et notamment d'Atari.
PS : cet article rédigé à
partir de sources sur le web est une version 1.0, donc évolutive.
Il n'est pas enrichi pour le moment avec des sources de première
main, à savoir des entretiens réalisés avec des
acteurs du monde Mattel. Il constitue une première base documentaire
sur ce sujet. Pour davantage de précisions se référer
aux liens présentés dans la rubriques de droite. A suivre
donc...