[Derniers poèmes]

 

 

 

 

 

 

 

Le malade

 

Des bandes d'hommes noirs semblent fluer dans l'air,
Dans le sud, des bandes de milliers d'hommes noirs,
Qui jouent de l'harmonica lorsque c'est la nuit
Ou bien de la guitare, comme maintenant.
Ici dans le nord, au tard, au tard, il y a
Des voix d'hommes, des voix en chœurs, chantant sans mots,
Graves et retirées, des chorales en flux,
De longs mouvements et revirements de sons.
Et, seul, sur le lit d'une chambre, un auditeur 
Patiente pour cette unisson de la musique
Des bandes qui fluent et des chœurs qui se dissolvent,
Et imagine en patientant pour sa venue 
Les mots d'hiver en quoi ces deux-là se joindront,
Au plafond de la pièce distante, en laquelle
Il est étendu, l'auditeur, dans l'audition
Des ombres, dans leur vision, à choisir en lui,
En tout ce qu'est son for intérieur, le discours
Pour le dru, le tranquille salut de lui-même,
Le salut grêlant dru, les mots de paix, de liesse, 
Bellement accordés, chantés, et proférés.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ainsi qu'en un théâtre 

Qu'un pinceau solaire autre pût faire un monde autre,
Vert, plus ou moins, dans le vert et bleu dans le bleu,
Tel le goût dégoûté des primeurs d'une vigne,
Tel l'œil trop jeune à agripper son primitif,
Tel l'artifice d'une réalité neuve,
Tel l'almanach chromatique du temps futur.

Qu'il fût la bougie d'un autre être, guenilleuse
De perceptions sans soin, qui se tient méditant
Une image de soi, qui étudie et forme
Une image ensuifée où, frêles, prismatiques,
Foisonnent des fumets que la mémoire omit,
Une bulle sans une paroi où s'appendre.

Qu'à rideaux tirés, se montrât un autre tout,
Un outre-terre azur, orangé et rosé,
Auprès du coude de Copernic, une sphère,
Un cosmos sans la vie claudiquant lacunaire,
Visée du philosophe… Quelle différence,
Tant que l'esprit, pour une fois, se satisfit?

 

 

 

 

 

 

Le désir de faire l'amour dans une pagode

 

1 - NdT: je ne me sens pas trop sot de recourir, anachronique y fasse nique, à la formulation de René Char dans Recherche de la base et du sommet, qui date à peu près de la date où ce poème se compose.

Du sein des alliés substantiels1, marin, observe
L'émeutier surgissant quand ont changé les choses,

À s'affirmer dans un élément qui est libre,
Dans la liberté d'étranger que ces alliés

Savourent: dans le premier empan où c'est nuit,
L'estivage stellaire aux trois-quarts en allé,

Dans la préscience du matin, comme si,
À se trouver esseulé sur quelque montagne,

Il pût voir dans le très lointain de la distance
Une innocence à l'approche de son summum.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nonnes peignant des nénuphars

Ces capsules sont une part de la croissance
De la vie en dedans de la vie: une part

Des gemmations imprévisibles, comme issues
Des plus jeunes des fleurettes inattendues,

À corolle encore pelucheuse, qui pussent
Surgir dans un léger tangage de la scène,

Une gîte, un roulis, un rien d'allongement,
Quelques heures supplémentaires de plein jour,

Le démêlement d'un été plus vermillon,
Une naissance qui apporta avec soi

La surnaturalité de son origine.
À l'intérieur du biscornu de nos *chapeaux*,

Nous paraissons être une part, sur cette rive,
D'un tissu, d'une luminosité de l'air,

Égale, aujourd'hui, au lumineux de l'esprit.
C'est un jour spécial. Nous balbutions les mots

De saints jusques alors inouïs, innommés,
À l'auréole en cimier sur-éblouissant…

Nous faisons part d'une *fraîcheur*, inaccessible
Ou accessible au seul fictif le plus furtif.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le rôle de l'idée en poésie

Du philosophe enquiers-toi pourquoi donc il philosophe,
Déterminé dans ce sens, peut-être par le fantôme
De son père, à ne permettre rien jusqu'au bord du soir.

Le père ne s'en vient pas afin de parer le chant.
Un père en vient proclamer un autre, les patriarches
Du vrai. Le chant, ils l'achevalent et en sont les maîtres

Et discourent là, en plus qu'atmosphère ou nuées fauves
Coiffant la mer d'un aspect d'heure tardive. Ils deviennent
Un temps existant après que bien du temps a passé.

Y décante et épaissit le jour autour d'une forme
Bleu-brut sur son piédestal – dont il semble qu'elle dise
«C'est moi qui suis la grandeur de la nuit sur nouveaux frais.»

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Americana

Des augures premiers du pays, l'homme aux champs,
L'homme à flanc de colline, dans la fleur du temps,
Tous les hommes savants de quelques vieilles choses,

(Distant du général mortifère des hommes,
La sur-populace de l'idée, les voix dures
À départir des pensées, le zonzon redit

Des autres vies devenant un zonzon total,
En sens séparé qui reçoit et tient le reste,
Ce qui est humain et pourtant final, ainsi

Qu'un homme à se regarder au miroir découvre
Que l'homme du miroir est vivant, non lui-même.
Il est l'image, l'irréel, le secondaire,

L'abstrait. Il loge en un autre homme, d'autres hommes,
Et non chez cette herbe-ci, chez cet air valide.
Il n'est pas soi. Il est vitalement spolié…)

À ces choses il pense, au festnoz quand le Sioux
Dans un semblant de revenez-y, cabotine
Ce premier instant fortuné, qu'il voulait tant.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'âme des femmes dans la nuit

Voici que je vais, l'invisible, sans mantille,
Dans la nuit toute-corne, en premier personnage.
Hiboux m'alertent et guets d'ouïe huppée gardent

La distance entre moi et le cinq-fois-des-sens,
Dans ces stations, où n'est perdu rien, surtout pas
Voir, mais gagné l'aveuglement métaphysique,

L'aveuglement en quoi ce serait faux de voir,
Irruption fantasque. Saluent, cata-sorores,
D'antiques amigas, partisans au parfum

Ou est-ce, errant, que je ne sais, tout-un-sensé,
Pas un des cinq, et observe le rendez-vous
Du plus altier d'*amour*, dans un minuit humain?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une découverte de la pensée

À l'antipode de la poésie, au temps
Où les arbres luisent de ce qui les dépouille,
Sombre hiver, la lumière du jour s'évapore,
Comme un son que l'on entend dans la maladie.

On redevient bambin. L'or barbu des cascades
Est dissous comme au sein d'une première enfance
De bleuités de neige. C'est une tonnelle
Contre la bise, une drupe dans le brouillard,

Un gouttellement au parentage du nord,
Le criquet d'été qui se forme dans la glace.
Et toujours à cet antipode, aux pains de plomb
Dans la main d'hommes bleus qui sont plomb en dedans,

On pense qu'il se pourrait que le premier mot
À être énoncé, le désir d'énonciation
Et de sens accompli de galante façon,
Le regroupement de l'imbécile à l'encontre

De ses bribes et l'antipode tors virant
En tourbillonnement boulé au bout du monde
On pense, au temps que se prend parmi les maisons
De Nouvelle Angleterre le premier soleil,

Que le premier mot, sans être plus obscurci,
Serait du susceptible dans sa survenance,
Le décèlement immaculé du secret.
Peut-être le vautrement d'hiver en viendrait

À se dresser soudain, prononçant sa vie neuve
Et la nôtre, non le prodigue de l'automne
Comme il ferait retour, mais une créature
Antipodique, interloquant, valant de naître,

Le ton vrai du métal de l'hiver en son dire:
L'accent de déviation dans la chose vivante
Qui est sa vie préservée, l'effort d'être née,
Survivant d'être né, l'événement de vivre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le parcours d'une particularité

Aujourd'hui, ballant aux branches battues de vent,
Les feuilles crient, quand s'amoindrit pourtant un peu
Le néant d'hiver. Il est tout empli encore
D'ombres de glace et de façonnage de neige.

Les feuilles crient… Sur la réserve, on se contente
D'entendre le cri. C'est un cri préoccupé,
Concernant quelque autre. Et quand bien même on déclare
Celui qu'on est être une part de toutes choses,

Un conflit prend place, une résistance a lieu;
Et d'être part est une tension au déclin:
On éprouve la vie de ce qui donne vie
Telle qu'elle est. Les feuilles crient. Le cri n'est pas

D'attention divine, ni la fumerolle
De héros boursouflés, non plus que cri humain.
C'est cri de feuilles qui ne se transcendent pas,
En l'absence de fantasia, sans signifier

Davantage qu'elles ne le font en étant
Dans l'ultime verdict de l'ouïe, dans la chose
Elle-même, jusqu'à ce moment, à la fin
Quand le cri ne concerne aucunement quiconque.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comment donc, ô brillanteur…

Quelque chose du trouble de l'esprit demeure
Dans la vue, comme dans les dires de la vue,
Du printemps de l'année,

Trouble au débord et premier éclat du soleil,
Jaune et jaune-à-biais-vert et bleu vert-à-biais-bleu
Le trouble de l'esprit

Est résidu, est contrée, est pluie, est chaleur,
Est temps, est apparition et part nourricière
Et le simple d'aimer,

Où les spectra ont faveur de rosée et vivent
Et tirent de ce malheureux bonheur sans paix
Leurs aspects épatés.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La colombe au printemps

Couvant, couvant, profondément sous ses murailles
Un tout petit hululement de la colombe
Façonne quelque chose du là minuscule,

Du minuscule et de l'obscurité, du lieu
En quoi il se trouve être et du lieu dans lequel
Il se trouve établi. La colombe façonne

Là ce tout petit hululement, comme hulule
Une pensée dans l'esprit ou bien comme un homme
Qui recherche incessamment son identité

Au lieu qui est et est établi… Il hulule
Des grandes carrures d'un buisson extérieur
Et de la grand-misère d'en avoir le doute,

Des parures argentées qui sont des pelures
Comme entailles zébrant un espace, un endroit
Et état d'être tout en largeur et lumière.

On sait cette effervescence avant le soleil,
Ce hululement à l'ouïe, par trop lointain
Pour l'éclat du jour et trop proche qu'on y dorme.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Adieu sans une guitare

L'éden brillant du printemps en arrive là.
Maintenant tombe au sol la verdeur mille-feuilles.
Adieu à vous, mes jours.

La rougeur mille-feuilles
En arrive à cette lumière en foudres
À l'arrêt de son terminal d'automne

Un orage espagnol,
Immense, mais toujours aragonais,
Sous quoi le cheval s'en revient sans cavalier,

Tête baissée. Les réflexions, répétitions,
Soufflets et coups qu'assènent les sens à frais neufs
Du cavalier qui fut,

Sont un bâti final,
Comme verre et soleil, de la réalité
Mâle et de cette autre-là et de son désir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La voile d'Ulysse

NdT: In Memoriam William Ford:
"Poets write for secret lovers…
the best poems of our century."
WSJ, volume 32, Number 1, p. 14

 

 

 

 

 

 

Le lieu du poème.
Son thème.

Sous la forme de sa voilure, Ulysse,
Symbole du quêteur, cinglant la nuit
La mer géante, lut son propre esprit.
Il dit:
«Tel que je sais, je suis et j'ai
Le droit d'être.» Orientant son navire
Sous les étoiles médianes, il dit:

I

Savoir est être.

«Si la connaissance et l'objet connu
Sont tout un au point que connaître un homme
Est être cet homme, connaître un lieu
Est être ce lieu, et il semblerait
Qu'il en aille de cette façon-là;
Et si connaître un seul et unique homme
C'est les connaître tous, et si le sens
Que l'on a pour soi d'un unique endroit
Est ce que l'on connaît de l'univers,
De connaître est alors la seule vie,
L'unique soleil de l'unique jour,
Le seul accès vers l'aise véridique,
L'ample confort du monde et du destin.

II

Connaître est la force d'être.

Il existe un esseulement humain;
Part de l'espace et de la solitude,
Dans lequel ne peut être déniée
La connaissance, où rien d'elle n'échoue,
La compagne lumineuse, la main,
Le bras en renfort, le répons profond,
La voix à répondre plénièrement,
Cela qui est plus que tout autre chose
Le droit en nous et à l'entour de nous,
Joint, la vigueur triomphante, éprouvée,
Le sens intérieur de la direction
Dont nous dépendons, cela qui préserve
De nous le peu que nous ayons à être,
Aide de la grandeur à être et force.

III

Le véritable créateur.

Tel est le véritable créateur,
Guideur guidant de pourpreuses baguettes,
Penseur pensant dans un esprit doré
Des pensées d'or, altièrement tintées,
Radieuses, la joie du sens du dessein
Extirpée du chaos… La lampe calme
Est une lampe pour ce créateur
Élargissant comme un rayon nocturne
L'espace où elle se tient, la luisance
Des ténèbres, créant hors du néant
De telles constructions noires, de tels
Formes publiques et moellons obscurs,
Qu'ébahit le doigt dont c'est balayé
Gigantesque en tous points hormis la taille.

IV

Le centre de l'être qu'on est soi.

Le créateur innommé d'une sphère
Insue, pour l'heure insue, inconnaissable,
Incertaine certitude, Apollon
Imaginé parmi les indigènes
Et Éden conçu au mont Morningside,
Le centre de l'être qu'on est soi, l'être
À soi du futur, de l'homme futur
Et du lieu futur, à tels qu'on les sache,
Indépendance enfin de la mystique,
Le commencement d'un ordre final,
L'ordre à droit d'homme d'être tel qu'il est,
La discipline de son envergure
Observée en tant qu'absolu, lui-même.

V

Hormis des réceptions illogiques.

Une haleine plus profonde, plus longue
Vient soutenir l'éloquence du droit,
Puisque connaître et être sont tout un:
Droit de connaître et droit d'être sont un.
Nous venons, quand nous venons à la vie,
À la connaissance. Et pourtant toujours
Est une vie autre, vie dépassant
Ce savoir actuel, vie plus légère
Que cette actuelle splendeur, plus vive,
Parachevée, sise dans le distant,
Qu'il s'agit de connaître, non d'atteindre,
Non point intellection par volonté
Mais chose reçue illogiquement,
Une divination, désescalade
Des stations altières, appréhensions
Qui sont d'une manière éblouissante
Résolues en découverte éblouie.
Il n'est pas de carte du paradis.
Le grand Omnium descend parmi nous
En tant qu'une race libre. Un à un,
Nous le connaissons dans le droit de tous.
Chaque homme est un chemin d'approche allant
À la vigilance au sein de laquelle
La litière des vérités devient
Un tout, le jour où la dernière étoile
Est dénombrée, la généalogie
De l'homme et des dieux abolie, le droit
De connaître établi comme droit d'être.
Les antiques symboles désormais
Ne seront rien. Nous viendrons à franchir
L'avers des symboles pour parvenir
À ce qu'ils symbolisaient, à quitter
Les rumeurs des dômes rouleurs de prônes,
Pour le babil dès lors la vraie légende,
Comme assomption d'un lustre jusqu'au feu.

VI

Présence d'un maître extérieur du savoir.

Maître du monde comme de lui-même,
Il y vint par la connaissance ou y
Viendra. Son esprit présente le monde
Et dans son esprit évolue le monde.
Les révolutions par le jour-et-nuit,
Les friches de soleils et lunes autres,
Tournant l'été, l'hiver d'angle et de bises,
Sont mirées par d'autres révolutions
Au cycle de quoi vire en rond le monde
Dans le sein du cristal des atmosphères
De l'esprit, comédies de la lumière,
Tragédies des ténèbres, comme choses
Qu'un climat produisit, le monde vire
En rond parmi les climats de l'esprit
Et en porte l'imagerie en fleur.

D'un vers l'esprit refait le monde à neuf,
D'un extrait de musique, un paragraphe
D'un philosophe droit: refait à neuf
Et possède par intuition sincère
Dans le Jean-qui-a-engendré-Jacob
De ce que nous connaissons, les envols
Dans l'espace, altérant les habitudes.

Dans les générations de la pensée,
Les fils de l'homme et ses héritiers sont
Des puissances de l'esprit, sont de l'homme
Son testament et son hoirie uniques.
Il n'a rien pour legs que la vérité.
D'où l'esprit serait-il donc moins que libre
Quand connaître est seul ce qu'est d'être libre?

VII

La vérité en destinée.

L'homme vivant dans le lieu actuel,
Toujours, cette pensée particulière
Parmi des abstractions Plantagenet,
Toujours et toujours, l'empan difficile
Sur quoi les vastes arches de l'espace
Reposent, toujours, la pensée croyable
D'où surgissent d'incroyables systèmes,
La levée bientôt de l'infime écrou
En élargissements stellaires telles
Sont les manifestations d'une loi
Qui plie le particulier à l'abstrait,
En fait un harde au dos d'un géant,
Couvée drue d'une mère en majesté,
Comme si les abstractions, elles-mêmes,
Fussent détails d'un relatif sublime.
Ce n'est point la paix d'esprit d'un poète.
C'est le destin qui a demeure au vrai.
Notre fin nous enjôle à l'obéir.

VIII

Forme de la sibylle du vrai.

Quelle forme a la sibylle? Non pas,
Pour changer, de femme brillantissime,
Trônant en colorations harmonieuses,
Qui la gainent d'aiguail en gouttelettes:
Somptueux symbole trônant au siège
Du dôme du dogme, arc-en-cielisée,
Transperçant l'esprit à coups d'apparence,
Sommation des vies les plus élevées
Et leur sceptre directeur, le diadème
Et finale effulguration et vrille.
Elle est la sibylle de ce qu'est soi,
Le soi pour sibylle, dont le diamant,
Dont l'enlacement à son plus suprême
De tout de la richesse est pauvreté,
Dont le joyau trouvé au plus exact
Dans le central de la terre est besoin.
De ce fait, la forme de la sibylle
Est chose aveugle à tâtons de sa forme,
Un aspect boiteux, une main, un dos,
Un rêve trop pauvre, trop décati
Pour qu'on s'en souvienne, la vieille forme
Râpée et prête d'aller à néant,
Femme aux aguets d'un côté du chemin,
Enfant assoupi dans sa propre vie.
À en dépendre, l'accumulation
Doit qu'elle en use de même façon.
Elle mesure le droit d'en user.
C'est le besoin qui fait le droit d'user.
C'est le besoin dont l'haleine nomme, âpres,
Du nécessaire les catégories,
Qui, juste à les nommer, vient à créer
Une aide, un droit d'aide, un droit de connaître
Ce qui aide, et de parvenir par droit
De connaissance, à atteindre un plan autre.
La femme brillantissime est dès lors
Vue dans une isolation, séparée
De l'humain au sein de l'humanité,
En part de l'inhumain selon son plus,
Le plus inhumain encore, et pourtant
Un inhumain selon nos traits, connu
Et inconnu, inhumain pour un temps,
Inhumain pour un temps, aux heures moindres.»

La grand-voilure d'Ulysse semblait,
Aux respirations de ce soliloque,
Avivée d'un palpitement d'énigme…
Comme si quelque autre voile voguait
Droit d'avant au travers d'une autre nuit
Et de blocs d'astres pendulant au long.

 

 

 

 

 

 

 

Présence d'un maître externe du savoir

Sous la forme de sa voilure, Ulysse,
Symbole du quêteur, la nuit cinglant
La mer géante, lut son propre esprit.
Il dit: «Tel que je sais, je suis et j'ai
Le droit d'être.» Il orienta sa nef
Sous les étoiles médianes et dit:

«Ici, je sens la solitude humaine
Et ce qui, par l'espace et l'esseulé,
Est savoir: le monde et la destinée,
Le droit en moi et à l'entour de moi,
Conjoints dans une vigueur triomphante,
Comme une direction dont je dépende…

Une plus longue inspiration soutient
Cette éloquence du droit, car savoir
Et être sont un le droit de savoir
Est égal au droit que l'on a à être.
Le grand Omnium descend sur mon chef
En absolu hors de cette éloquence.»

La voilure aiguë d'Ulysse sembla,
Aux respirations de ce soliloque,
Vive d'une énigme qui palpitait,
Qui se corporifiait, et était là,
Comme il filait, d'un seul trait, au travers
De blocs d'astres pendulant tout du long.

 

 

 

 

 

Un enfant endormi dans sa propre vie

Parmi les vieillards qui te sont connus,
Il en est un, innommé, qui rumine
Sur tout le reste, d'une pensée lourde.

Ils ne sont rien, hormis dans l'univers
De ce seul esprit-là. Il les regarde
D'en dehors et les sait par l'en dedans,

L'empereur unique de ce qu'ils sont,
Distant, mais proche assez pour susciter
Les sphères au haut de ton lit ce soir.

 

 

 

 

 

 

 

Deux lettres

I

Une lettre de

Quand même il y aurait eu un croissant de lune
Sur chaque nuée-en-pic du surplomb des cieux,
Détrempant le soir d'une lueur de cristal,

On en aurait voulu bien plus et plus et plus
Quelque intérieur vrai vers quoi s'en revenir,
Un foyer contre soi-même, une obscurité,

Une aisance en quoi vivre la vie d'un moment,
Le moment de la vie tout amour et fortune,
Libre du reste, et de penser rien surtout libre.

C'eût été ainsi qu'allumer une chandelle,
Ainsi qu'obombrer ses yeux, accoudé à table,
À entendre un récit intensément voulu,

Comme si, tous ensemble à nouveau, l'un de nous
Parlât, et tous de croire ce qu'ils entendaient
Et la lueur, quand même chétive, suffît.

II

Une lettre à

Elle aspirait à des vacances
Avec un conversant son doulx parler natal,

Entourées des ombres d'un bois…
Ombres, bois… et tous deux au sein d'une parole,

Entourés d'un secret de mots
Grand ouvert au-dedans d'un lieu dans son secret,

Sans rien qui concernât l'amour.
Un pays la prendrait dans ses bras ce jour-là,

Ou son très proche similaire.
Le cercle ne serait non plus rompu, mais clos.

Les lieues dont se fait la distance
De tout n'auraient plus lieu. Ce serait convergence.

 

 

 

 

 

 

 

Conversation avec des femmes de Nouvelle-Angleterre

Le mode de la personne devient le mode
Du monde pour cette personne et, quelquefois,
Pour le monde lui-même. Le contenu même
De l'esprit devient un spectacle sans conteste
Ou sans conteste spectacle qu'il appert presque
À la façon dont un oiseau de très haut vol
Vient s'attacher à son buisson inévitable.
D'où s'ensuit: changer de mode est changer le monde.

Toi, par exemple, tu appartiens à ce mode:
Tu dis qu'en ce central toujours sombre, où qu'il soit,
Au central de la terre ou du ciel ou de l'air
Ou de la pensée, se trouve une gouttelette
Qui est l'élément de la vie, la source unique,
Et la seule et le patriarche minimum,
En commun à toute vie, l'humain, l'inhumain
De même, le comme de ce qui n'a de comme.

Pour toi, tu dis que les choses que tient l'esprit
Pour capitales devraient être naturelles
Tout autant que les objets qui sont naturels,
Et qu'un roi ciselé trouvé dans une jungle,
Immense et raviné, doit ainsi faire part
D'un paysage humain, qu'une effigie gisant
Parmi des colonnes qui croulèrent à terre,
Roidie en léthargie éternelle, doit être,
Non pas le début mais la fin de l'artifice,
Nature marbreuse en monde marmoréen.

Et puis, finalement, c'est bien toi qui déclare
Que seul l'homme dans ses définitions de soi,
Seul quand l'englobe l'humanité, est-il bien
Lui-même. L'auteur des canons humains est l'homme,
Non quelque patron ou imagineur externe.

En quel de ces trois mondes sommes-nous nous quatre
Le plus chez soi? Ou est-ce assez d'avoir vécu,
Et senti et connu toutes ces différences
Que nous avons vécues et senties et connues
Selon les couleurs dans lesquelles nous vivons
Aux excellences de l'air que nous respirons,
Le bouquet d'être assez pour en réaliser
Que le sens d'être change alors que nous parlons,
Que parler meut le cycle des scènes des rois!

 

 

 

 

 

 

 

Cloche de dîner dans les bois

Quand battit la cloche il faisait face au phantasme.
Le pique-nique alors des enfants déboula,

Dans une pétarade de cris, sous les arbres
Et au travers de l'air. Les plus petits d'entre eux

Tintinnabulèrent dans l'herbe vers la table
Où les plus grasses femmes clochetaient le verre.

Le point en fut sa façon de l'ouïr, dehors,
Au gazon, à l'avers de la porte au phantasme.

 

 

 

 

 

 

 

La réalité est une activité de la plus auguste imagination

Vendredi dernier, dans le gros éclat de la nuit de ce vendredi dernier,
Il était tard comme nous rentrions, conduisant de Cornwall jusqu'à Hartford.

Ce n'était pas une nuit façonnée par quelque soufflerie de verre à Vienne
Ou Venise, toute immobilité, accumulant la poussière et le temps.

Un écrasement de force y régnait dans un broiement circulaire de meule,
Au-dessous de la façade de l'étoile du soir en direction de l'ouest,

La vigueur de la gloire, un chatoiement aux veines,
Comme fusaient, filaient et s'effaçaient les choses,

Dans le lointain, le changement ou le néant,
Transformations visibles de la nuit d'été,

Une abstraction argentine approchant la forme
Qui soudainement en se niant se dissout.

Une insolidité bouffait dans le solide.
Le lac illuné de nuit n'était eau ni air.

 

 

 

 

 

 

 

En route vers l'arrêt du bus

Comme un givre léger, il neigea dans la nuit.
Avec morosité, le journaliste affronte

L'homme transparent dans un monde translaté,
Dans lequel il se nourrit d'un connu à neuf,

Dans une saison, un climat de matinée,
D'élucidation, un avivement d'air froid,

Froide haleine, une perception d'haleine froide,
Révélant plus qu'une perception de sommeil,

Puissante plus qu'une puissance de sommeil,
Un éclaircissement émergeant dans le froid,

Faiblement irisé, faiblement ébloui,
Mais perfection émergeant d'un connu à neuf,

Entendement dans l'au-delà du journalisme,
Une manière de prononcer d'en-dedans

De sa langue à soi le vocable qui s'y trouve,
Au pied des arbres hivernaux de la terrasse.

 

 

 

 

 

 

 

La région novembre

Il est ardu d'entendre à nouveau le noroît,
Et de voir les faîtes des arbres, comme ils tanguent.

Ils tanguent, en retentissant, dans un effort
Si moindre que sentir, si moindre que parler,

Qui dit et dit, ainsi que disent les objets
À ce niveau qui n'est pas encore un savoir:

Une révélation sans d'intention encore.
C'est comme une critique de Dieu, et du monde

Et de la nature humaine, pensivement
Siégeant au trône gâché de ses terres vaines.

Retentissant à retentissement plus vaste,
Les arbres vont tanguant, et tanguant, et tanguant.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

*Solitaire* sous les chênes

Plongé dans la distraction des cartes
On existe parmi de purs principes.

Ni les cartes ni les arbres ni l'air
Ne persistent sous la forme de faits.

C'est une échappée vers le principium,
Vers la méditation. Enfin l'on sait

À quoi penser, le pensant sans conscience,
Sous les chênes, pleinement affranchi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Objets locaux

Il savait qu'il était un esprit sans foyer
Et, dans ce savoir, que les objets locaux changent
En plus précieux que les plus précieux de chez soi:

En ces objets locaux d'un monde sans foyer,
Sans passé de souvenance, passé présent,
Ou présent futur, espoirs d'un espoir présent,

Objets non présents comme s'ils allaient de soi
Sur le bord sombre des cieux ou sur leur brillant,
Dans cette sphère avec si peu d'objets à soi.

Bien peu pour lui existait hors ces quelques choses
Pour quoi survenait toujours un nom inédit,
Comme si sa volonté était de les faire,

De les préserver de périr, ces quelques choses,
Ces objets saisis par l'intuitivité,
Ces intégrations de l'émotion, ces choses

Qui s'en étaient venues selon leur propre accord,
Parce qu'il désirait sans trop bien savoir quoi,
Qui étaient les moments du classique, le beau.

Voici ce qui formait ce serein dont toujours
Il avait tenté de s'approcher comme en route
D'un foyer absolu par delà la romance.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Populations artificielles

Le centre qu'il recherchait était un état d'esprit,
Rien de plus, comme le temps après qu'il s'est dégagé
En fait, plus, comme le temps après qu'il s'est dégagé
Et que les deux pôles continuent de le maintenir

Tandis que vont l'Orient et l'Occident s'enlacer
Pour former les peuples appropriés à ce temps-là,
Les hommes au teint de rose et les femmes de la rose,
Versés à être cela qu'ils sont façonnés à être.

Cette population artificielle est ainsi
Qu'un point de guérison dans la maladie de l'esprit:
Ainsi que des anges en repos sur clocher rustique
Ou qu'une confection de faces feuillues dans un arbre

Une santé et ces faces dans une nuit d'été.
De même, alors, des races de peuples appropriés
Du vent, du vent comme il enfle, et du sommeil prolongé,
Et de la musique qui dure et en vit d'autant plus.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un jour dégagé et nul souvenir

Nul soldat parmi le panorama,
Nulle pensée de gens maintenant morts,
Tels qu'ils étaient il y a cinquante ans,
Jeunes et vivants dans un air en vie,
Jeunes à marcher dans l'éclat solaire,
Penchant en robes bleues pour toucher quelque chose,
L'esprit n'a pas en ce jour part à la saison.

En ce jour l'air est dégagé de tout.
Il n'a nul savoir hormis du néant
Et ruisselle sur nous sans signifier,
Comme si nul de nous n'eut jamais été là
Jadis, n'y est alors: dans ce spectacle creux,
Cet invisible branle, cette sensation.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chambard au banjo

Le mûrier est un arbre dédoublé.
Mûrier, ombre-moi, ombre-moi un temps.

Un arbre à blanches, roses, pourpres baies,
Un arbre à feuilles très foncées, et baies.
Mûrier, ombre-moi, ombre-moi un temps.

Un type tombal d'arbuste aussi bien,
Un genre taiseux d'arbuste, aussi bien.
Mûrier, ombre-moi, ombre-moi un temps.

C'est une forme de vie que décrit
Une autre forme sans un mot émis.
Mûrier, ombre-moi, ombre-moi un temps

Sans rien qu'ait figé un unique mot.
Mûrier, ombre-moi, ombre-moi un temps

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Montagne en juillet

Nous vivons dans une constellation
De ravaudages et de clabaudages,
Non pas dans un monde qui soit unique,
De choses bien exprimées en musique,
Sur le piano, et par la parole,
Comme en une page de poésie
Penseurs dépourvus de pensées ultimes
Dans un cosmos toujours à l'incipit,
Ainsi, quand nous grimpons une montagne,
Que le Vermont se raccoutre d'un coup.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[Une mythologie…]

Une mythologie reflète sa région.
Ici dans le Connecticut, jamais nos vies
N'eurent lieu en un temps où la mythologie
Fût possible Mais si nous y avions vécu
En découle la question du vrai de l'image.
L'image doit être de la nature même
De son créateur. Elle est de son créateur
La nature augmentée, surhaussée. Elle est lui,
À nouveau, dans une jeunesse ravivée
Et c'est lui dans la substance de sa région,
Bois de ses forêts et pierre prise à ses champs
Ou l'en-dessous de ses montagnes.

 

 
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