Théorie

 

Je suis ce qui est autour de moi.

Les femmes ont conscience de ce point.
On n'est pas duchesse
À plus de cent mètres de son carrosse.

Ce sont alors portraits que ces objets:
Un vestibule noir;
Un lit haut et dans l'abri des rideaux.

Ces choses sont tout au plus des instances.

 

   

 

   

 

   

À celle de musique fictive

 

Ô la mère et la sœur, ô plus divin amour
Et de la sororité de la mort en vie
La plus proche et plus claire, et de plus claire fleur,
Des mères embaumant, la plus chère, et la reine
Et de l'amour plus divin le jour et la flamme
Et l'été et le tendre feu, il n'est de fil
D'argent ennuagé qui parsème en ta robe
Son venin de renom, non plus que sur ton chef
N'est plus simple couronne que les cheveux simples.

Et quant à la musique sommée par naissance
Qui nous sépare de la brise et de la mer
Tout en nous y laissant, jusqu'à ce que la terre
Devienne, étant si fort part de ce que nous sommes,
Rude effigie et simulacre, il n'en est pas
Qui mette en mouvement un parfait plus serein
Que la tienne, forgée de nos imperfections,
Ni plus rare, ou d'un air jamais plus consanguin
Dans la trame laborieuse qui te vêt.

Car les hommes d'eux-mêmes ont rétention telle
Que la musique est la plus intense qui clame
Le près, le clair, et vante la plus claire fleur,
Et, des vigiles musant dans le ténébreux,
Celui qui sait le mieux saisir qui nomme et voit,
Ainsi que dans ton nom, image qui soit sûre
Au milieu de l'épice insigne du soleil,
Ô ramure et charmille et vin musqué, en qui
Nous nous offrons quittance qui nous soit semblable.

Mais semblable sans trop, et sans qu'elle en devienne
Trop proche, ni trop claire, en gardant de réserve
Pour doter nos feintes du dissemblable étrange,
D'où sourd la différence, don d'amour céleste.
Aussi, musicienne, en tes ceintures closes
Place d'autres parfums. Que ton chef pâle s'orne
D'un tortil que sertissent de fatales pierres.
Irréelle, redonne-nous ce que jadis
Tu nous avais donné, cette imagination
Que nous repoussâmes et dont la faim nous point.

 

   

 

   

 

   

Hymne venu d'un pavillon de pastèque

 

Toi qui habites la cabane obscure,
Pour qui la pastèque est toujours de pourpre
Et dont le jardin est d'air et de lune,

Du jour et de la nuit, de ces deux rêves,
Quel amant, quel rêveur irait choisir
Celui qui est obscurci de sommeil?

Voici la plantain auprès de ta porte
Et le meilleur coq de plumage rouge
Qui coqueriqua avant les horloges.

Donzelle peut-être viendra, vert-feuille,
Dont la venue donnera de la joie
Bien meilleure que celles du sommeil,

Oui, et le merle d'étaler sa queue,
Que le soleil puisse le maculer
Comme il croasse Vivat.

Toi qui habites l'obscure cabane,
Debout: se lever n'est pas s'éveiller
Et crie: vivat, crie: vivat crie: vivat.

 

   

 

   

 

   

Peter Quince au clavier

 

I

Tout comme la musique jaillit de mes doigts
Sur ces touches, mêmement ces sons font musique,
Aussi bien, au-dedans de mes propres pensées.

C'est donc que la musique est émotion, non son;
Ainsi ce que je sens, ici, dans cette chambre,
Quand, empli de désir pour toi, je vais pensant
À ta soie bleue ombreuse, est, tout autant, musique.

C'est ainsi que la tension qu'éveilla Suzanne
Chez les vieillards. En un soir vert, et clair, et tiède,
Dans son jardin en paix, elle prenait un bain
Tandis que les vieillards l'observant, les yeux rouges,

Sentaient les basses de leur être tressaillir
D'accords ensorcelants, et que leur sang fluet
Pinçait des Hosannas par cent pizzicati.

II

Dans l'eau verte, et claire, et tiède,
Reposait Suzanne.
Elle recherchait
L 'effleurement des sources,
Et trouva
Des imaginations celées.
Tant de mélodie
La fit soupirer.

Elle se tint sur la berge
Dans le froid
D'émotions épuisées.
Dans le feuillage elle sentit
La rosée
D'anciennes dévotions.

Elle fit quelques pas sur l'herbe,
Toujours frissonnante.
Les brises étaient ses caméristes,
Sur pieds timides
Lui apportant ses étoles tissées
Tout en vacillant.

Une haleine sur sa main
Assourdit la nuit.
Elle se retourna —
Une cymbale éclata
Et de mugissantes trompes.

III

Bientôt, dans un fracas comme de tambourins,
Survinrent ses valets, ses valets Byzantins.

Ils s'enquirent pourquoi Suzanne avait crié
Contre les vieillards assemblés à ses côtés;

Et comme ils chuchotaient, le refrain en semblait
Pareil à un grand saule par l'ondée giflé.

Mais bientôt, dans la flamme de leur lampe haute,
Fut révélée Suzanne, Suzanne et sa faute.

Et de s'enfuir alors, les mignards Byzantins,
De s'enfuir dans un bruit comme de tambourins.

IV

La beauté est chose éphémère dans l'esprit —
Le report capricieux d'un dessin de portique;
Mais dans la chair elle est, la beauté, immortelle.
Le corps meurt. La beauté du corps, elle, survit.
Ainsi meurent les soirs, dans leur en-allée verte,
En une vague interminablement roulant.
Ainsi meurt le jardin, dont l'odeur humble embaume
Le capuce d'hiver, sans plus de repentance.
Ainsi la vierge meurt, mais en célébration
Aurorale d'un chœur de vierges. La musique
De Suzanne caressa les cordes paillardes
De ces vieillards blanchis, mais, à y échapper,
Ne laissa de Mort que le crincrin ironique.
Et depuis lors et dans son immortalité,
Cette musique joue sur la claire viole
Du souvenir de Suzanne un sacre d'éloges.

 

   

 

   

 

   

Treize manières de regarder un merle

 

I

Entre vingt pics neigeux,
Tout était immobile
Hormis pour l'œil d'un merle.

II

J'avais trois idées en tête,
Comme un arbre
Où sont juchés trois merles.

III

Le merle tourbillonnait dans les vents d'automne —
Une petite partie de la pantomime.

IV

Un homme et une femme
Sont un.
Un homme et une femme et un merle
Sont un.

V

Je ne sais ce que je préfère
De la beauté des inflexions,
De celle des sous-entendus.
Le merle sifflotant,
Ou juste après.

VI

Des glaçons garnissaient la fenêtre allongée
De verre barbare.
L'ombre du merle la traversait
De part en part.
On sentait,
Tracée dans cette ombre,
Une indéchiffrable cause.

VII

Ô vous, minces hommes d'Haddam,
Pourquoi aller imaginer
Des oiseaux d'or? Mais voyez donc:
Le merle marche entre les jambes
Des femmes qui sont près de vous.

VIII

Je sais de fort nobles accents,
Des rythmes clairs, inéchappables;
Mais je sais, aussi, que le merle
Fait partie de ce que je sais.

IX

Lorsque l'œil le perdit de vue,
Le merle en vol marqua le bord
De l'un des cercles innombrables.

X

Apercevant des merles
En vol dans un jour vert,
Jusqu'aux macs d'euphonie
Qui poussent de hauts cris.

XI

Il passait le Connecticut
Dans une berline de verre.
La peur une fois le saisit:
Il prit l'ombre de ses coursiers
Pour des merles.

XII

La rivière est en branle.
Le merle doit voler.

XIII

Tout l'après-midi, il fit soir.
Il neigeait
Et il allait neiger sous peu.
Le merle restait
Perché dans les branches du cèdre.

 

   

 

   

 

   

Nomade exquis

 

De même que l'immense rosée de Floride
Met au jour
Le palmier à grosses nageoires
Et la vigne verte en rage de vivre,

De même que l'immense rosée de Floride
Met au jour et l'hymne et l'hymne
Issus du contemplateur,
Contemplant tous ces aspects verts
Et l'aspect d'or des aspects verts,

Et les matins bénis,
Guet du jeune oeil d'alligator,
Et les coloris de l'éclair,
De même en moi se vont heurtant
Formes et flamboiements et flocules de flammes.

 

   

 

   

 

   

L'homme au pharynx en mauvais état

 

La saison de l'année s'est faite indifférente.
Tas de neige et mildiou d'été dans la routine
Que je connais sont choses de même farine.
Je suis trop gourdement dans mon propre être pris.

Le vent concomitant aux venues des solstices
Vient souffler sur les persiennes des métropoles,
Sans troubler le sommeil du poète, et s'envolent
Sous son glas les grandioses idées des villages.

La maladie du quotidien... Mais que, peut-être,
L'hiver pénètre une fois, à travers ses pourpres
Jusqu'à l'ardoise ultime et qu'il y persiste, âpre,
Dans un halo glacé, il se pourrait, peut-être,

Qu'on baisse alors sa garde et que de ce mildiou
On distille une mouture moins corrompue,
Que du froid on dégoise un nouvel orémus.
Peut-être. Il se pourrait. Mais le temps tient rigueur.

 

   

 

   

 

   

La mort d'un soldat

 

La vie se contracte et la mort est attendue,
Comme en une saison où il s'agit d'automne.
Le soldat tombe.

Il ne devient pas personnage de trois jours,
Décidé à imposer sa séparation,
Voulant la pompe.

Mourir est absolu et sans mémorial,
Comme en une saison où il s'agit d'automne,
Quand le vent cesse,

Quand le vent cesse et qu'au-dessus des cieux s'en vont
Les nuages, que les nuages néanmoins
Vont leur chemin.

 

   

 

   

 

   

 Négation

 

Ohé! Le créateur est lui aussi aveugle,
Qui s'efforce d'atteindre son harmonieux tout,
Qui rejette les parties juste intermédiaires,
Les horreurs et les torts et les duplicités;
Maître incapable en charge de toute la force,
Trop vague idéaliste, qu'a bouleversé
Une afflation vaticinante qui persiste.
Pour cela, donc, nous endurons de brèves vies,
Ces symétries jaillies dans leur évanescence
Sous le pouce méticuleux de ce potier.

 

   

 

   

 

   

Les surprises du surhumain

 

Le palais de justice des soubrettes
Coiffe l'horizon de ses colonnettes.

Si nous étions perdus en Übermenschlichkeit,
Il se pourrait alors que notre piètre assiette

Soit rapidement remise d'aplomb.
Car il semble que les crânes canons

De ses rois accentuent ce qui va de travers
Dans le défectueux des humaines affaires.

 

   

 

   

 

   

Surface marine couverte de nuages

 

I

Au large de Tehuantepec, l'autre novembre,
La bavure marine une nuit s'apaisa.
Au matin, le soleil d'été teignait le pont,

Suggérant du chocolat rose, des ombrelles
D'or fin. Un vert de paradis gratifiait
De suavité l'engin de l'océan perplexe,

Qui reposait comme une eau limpide. Et qui donc
Dans cette latitude ambrosienne, fit naître
De la lumière ces fleurs mouvantes, et qui

Fit naître ces fleurs d'eau des nues qui embaumaient
Ce calme Pacifique? *C'était mon enfant,
Mon bijou, mon âme
*. Les nuées d'eau blanchirent

Bien au-delà du calme et, comme vont des fleurs,
S'en furent dans le vert nageur d'éclat aqueux
Tandis qu'en une ancienne réflexion roulait

La couleur de l'azur autour de ces flottilles.
Parfois, aussi, la mer déversait un iris
Scintillant sur cette luminescence bleue.

II

Au large de Tehuantepec, l'autre novembre,
La bavure marine une nuit s'apaisa.
Au matin, de la gelée veinulait de jaune

Le pont, suggérant du chocolat de gargote,
Des ombrelles en toc. Puis, un vert comme toc
Huppa le semble-été sur l'engin d'océan

Tendu, étalé là, platitude sinistre.
Qui, alors, étudiant la levée des nuages
Qui passaient, submergés dans ce lustre néfaste,

Qui vit les mortels massifs de ces floraisons
D'eau se mouvant sur l'eau-parquet? *C'était mon frère
Du ciel, ma vie, mon or
*. Et le fracas des gongs

Fut repris par les brames venteux qui l'ioulèrent
Dans les floraisons océanes obscurcies.
Les gongs cessèrent. L'azur jeta sur la mer

Ses pendentifs cristallins tandis que fuyait
Tout le macabre des accablements de l'eau
En une seule ondulation gigantesque.

III

Au large de Tehuantepec, l'autre novembre,
La bavure marine une nuit s'apaisa.
Une pâleur d'argent vint orner de motifs

Le pont, suggérant du chocolat-porcelaine
Et des ombrelles pies. Un vert d'incertitude,
D'un poli de piano, soutint l'engin en transes

De l'océan, comme on tient sans fin un prélude.
Qui, voyant les pétales d'argent des fleurs blanches
S'ouvrant parmi les flots, se sentant assuré

Du lait au cœur de la plus salée des euphorbes,
Ouït la mer s'ouvrir dans les nues naufragées?
*Oh! C'était mon extase et mon amour*. Les nues

Étaient naufragées si avant, que les linceuls,
Les ombres en linceul, noircirent les pétales
Jusqu'à ce que le ciel, roulant, les rendît bleus,

D'un bleu au-delà de la hyacinthe pluvieuse,
Et, frappant d'un grand coup les crevasses des feuilles,
Fît choir sur l'océan une trombe saphir.

IV

Au large de Tehuantepec, l'autre novembre,
La longue nuit bavée de la mer s'apaisa.
Sur le pont, un matin guimauve sommeillait

Suggérant chocolat musqué, frêles ombrelles.
Un vert trop fluide fit qu'on soupçonna malice
Dans l'engin sec de l'océan, qui soupesait

Un stratagème moite. Qui, dans les figures
Des nuages, perçut des fleurs qu'avait cloîtrées
La marine épaissie? Des fleurs? Mais des damas

Qui tombaient, secoués des ceintures défaites
Au milieu du moût pailleté. *C'était ma foi,
La nonchalance divine
*. La nudité

Allait pouvoir jaillir, devenir brusquement
Masques de sel à barbe et bouches à braiments,
Allait — Mais plus brusquement le ciel fit rouler

Ses plus bleues nues de mer au vert réfléchissant,
Et la nudité devint la plus vaste fleur,
Mauve d'une lieue cajolée d'un soleil-mauve.

V

Au large de Tehuantepec, l'autre novembre
La nuit apaisa la bave de mer. Le jour
Parut, courtois et volubile, sur le pont,

Brave clown... On pensa au chocolat de Chine,
À de larges ombrelles. Un vert de bigarrure
Vint suivre le glissement de l'engin obèse

De l'océan, rendu parfait dans l'indolence.
Qui fut pistache ingénieuse et drôle pour voir
Dans les nues souveraines quelque jonglerie

Et dans la mer Sambo sous turban de turquoise,
Si fort au jet d'assiettes — mer douant les nues?
*C'était mon esprit bâtard, l'ignominie*.

La nuée souveraine s'amassait. La conque
De conjuration loyale soufflait. Le vent
Des fleurs vertes tournant crispait la bigarrure

En claire opalescence. Puis mer et azur
Roulèrent d'un seul bloc, duquel alors jaillirent
Les transfigurations neuves d'un bleu très neuf.

 

   

 

   

 

   

 Les révolutionnaires font halte pour de l'orangeade

 

Capitán profundo, capitán geloso
N'exige pas que nous chantions en plein soleil,
Dos toisonnant et bras bandés,
Corsetés sur de larges braies.
La musique n'a pas de moelle
Sauf en quelque chose de faux.

Bellissimo et pomposo,
Chante une chanson d'ophidien,
Les cous parmi les mille feuilles,
Les langues à l'entour du fruit.
Chante avec des bottes clownesques
Sanglées et bouclées brillamment.

Vêts les haut-de-chausses d'un masque,
Habit mi-gigot, mi-galon;
Revêts un casque sans raison,
Crêté de huppe à plume oblique,
Entame le chant d'une voix
Rauque plus qu'un schiste qu'on creuse.

Pends près de ton œil un plumet,
Dodine, adopte un air roué.
C'est là la voix de la pitié,
Plus pénétrante qu'un couplet
Plus vrai, du réel qui divise,
Du vif dans sa goguenardise.

 

   

 

   

 

   

Vers de Nouvelle Angleterre

[NdT: cette traduction est dédiée à Gervasio Fierro]

 

I

Le monde entier, y compris l'orateur

Pourquoi, Dom Dom, d'Hercule les idées railler?
Dilate ton sens. Tout, au soleil, soleil est.

II

Le monde entier, l'orateur non compris

Il m'appert qu'entre lever et coucher de lune
Le monde est rond. Mais je n'y ai eu part aucune.

III

*Soupe aux perles*

Et santé!, lorsque fromage et gingembre enchantent
La vile antithèse entre paupérisme et rente.

IV

*Soupe sans perles*

En '38 à bord du Flèche d'Ouest j'ai passé.
Tout dépend du sens passé, dit la belle-à-thé.

V

Boston avec calepin

Inscrivez une Iliade, encyclopédistes fluets.
Il est une weltanschauung du peu coûteux carnet.

VI

Boston sans calepin

Érigeons au Bassin un jet d'eau imposant.
L'esprit, téteur d'étangs, brigue un pic ruisselant.

VII

Artiste en Tropique

De Phébus Potard la prime béatitude:
Béni, qui de sa nation est la multitude.

VIII

Artiste en Arctique

Et de Phébus Tailleur le dicton deux arpège:
Béni, de qui la barbe est caban face aux neiges.

IX

Statue sur ciel dégagé

Homme cendré sur pic cendré en surplomb des ohé salés,
Ô amiral cendré du bleu acéré de l'azur hâlé.

X

Statue sur ciel nuageux

Des châssis, des chevalements se hissent des roseaux aux nues
Méditant le vœu des humains en foules de formes rompues.

XI

Pays du caroubier

Patriarche et patron des couplets, flâne
Au fleurant ardent du disert des fanes.

XII

Pays du pin et du marbre

La civilisation doit être anéantie. Dans le septentrion,
Les saints velus se sont par leurs complaintes acquis ce brimborion.

XIII

Le nu masculin

Obscur cynique, baigne et bée, nu, à loisir.
Sans toque ou brassard, tu restes cynique sire.

XIV

Le nu féminin

Ballatta somnolait au frais du sofa paille
Chez soi, quasi hétaïre à la fine taille.

XV

*Scène flétrie*

La toge pourpre dans l'automne et l'exhalaison du beffroi
Évoquaient l'automnal adieu d'un académique trépas.

XVI

*Scène fleurie*

Un fruit parfait dans le parfait de l'atmosphère.
Nature en Pinacothèque! Chut! Chantecler…

 

   

 

   

 

   

 Paraphrase lunaire

 

La lune enfante le pathos et la pitié.

Quand, à la fin la plus épuisée de novembre,
Son antique lueur s'émeut avec les branches,
Faiblement, lentement, s'en reposant sur elles;
Quand le corps de Jésus baigne dans la pâleur
En humanité proche, et l'aspect de Marie,
Retouché de gelée, s'affaisse dans l'abri
Que les feuilles, pourries et tombées, ont formé;
Quand par-dessus les toits, une illusion dorée
Évoque une saison de quiétude antérieure
Et, chez les dormeurs dans le noir, des rêves quiets —

La lune enfante le pathos et la pitié.

 

   

 

   

 

   

Anatomie de la monotonie

 

I

Si nous sommes issus de la terre, elle était
Une terre qui portait notre appartenance
À tout ce qu'elle enfante et était plus lascive
Qu'elle ne l'est. Notre nature est sa nature.
Il s'en suit que, puisqu'il est de notre nature
De vieillir, la terre fait de même. Nous sommes
En parallèle avec le décès de la mère.
Elle arpente un automne de plus grand volume
Que le vent ne crie pour nous, plus froid que le gel
Ne pique nos esprits à la fin de l'été,
Et, plus loin que le désert spacieux de nos ciels,
Voit un ciel plus désert qui ne se courbe pas.

II

Le corps s'avance hardiment nu dans le soleil
Et, par tendresse ou chagrin, le soleil accorde
Ses conforts, de façon que d'autres corps s'en viennent,
Gémellant nos moyens et notre fantaisie,
Adroits en mouvements, en sons et en touchers
Aux fins variées, afin d'instiller dans le corps
La convoitise du désir d'accords plus fins
Encor, plus implacables. Qu'il en soit ainsi.
La spaciosité, pourtant, et la lumière
Qu'arpente le corps et par quoi il est dupé,
Tombent de ce fatal, de ce ciel plus désert,
Ce que l'esprit perçoit et dont il se chagrine.

 

   

 

   

 

   

La place publique

 

Une taillade de noirs anguleux
Ainsi qu'un édifice fissuré
Qu'étayaient des obliquités de bleu
Dans un état comateux de la lune.

Une taillade et l'édifice a chu,
Pylône et piédroit se sont écroulés.
Un nuage bleu-mont s'est élevé
Comme une chose en quoi ils ont croulé,

Croulé lentement: ainsi dans la nuit
Un homme de guet languide promène
Sa lanterne parmi les colonnades
Et l'architecture alors s'évanouit.

Tout s'est fait et froid et muet. Ensuite
La place a commencé de s'éclairer.
Bijou d'Atlas, la lune attardait seule
Un regard égrillard de porcelaine. 

 

   

 

   

 

   

Sonatine pour Hans Cristian

 

Si tout canard dans tout ruisseau,
Ridant les eaux
Jusqu'à ton pain,
Te parut la fille impuissante

De quelque mère
Au regret de l'avoir portée;
Ou bien d'une autre,
Bréhaigne, qui la voulait tant;

Qu'en est-il donc de la colombe,
La grive, ou le chant des mystères?
Quoi donc des arbres
Et des intonations des arbres?

Quoi de la nuit
Qui allume et éteint les astres?
Le sais-tu donc, ô Hans Christian,
Maintenant que tu vois la nuit? 

 

   

 

   

 

   

 Au temps lumineux des grappes

 

Les montagnes entre nos terres et la mer —
Cette jonction des monts, de la mer et nos terres —
Me suis-je interrompu pour y penser déjà ?

Quand je pense à nos terres, je vois la maison
Et la table qui porte un compotier de poires,
Vermillon maculant du vert, pour le décor.

Mais ce bleu brut au-dessous du roulis des bronzes
Réduit à rien ces empâtements si choisis.
Fruits plus bariolés ! Chiqués, lune et soleil,

S'ils ne disent rien d'autre. Pourtant, ils le disent.
Et les montagnes et la mer. Aussi, nos terres.
Et l'embrouillé du gel et les cris du renard.

Bien plus que tout cela. Les passes automnales
Gisent sous le surplomb des rochers dans leurs ombres
Et ses narines nimbent chaque homme de sel.

 

   

 

   

 

   

Deux à Norfolk

 

Tondez l'herbe dans le cimetière, noirauds,
Étudiez les requiescat et les symboles,
Mais laissez un parterre à l'en dessous des myrtes.
Ce squelette eut un fils, celui-là une fille.

En son temps, celui-ci n'eut presque rien à dire,
Le plus doux mot faisait pripriac dans son crâne.
La lune était toujours dans la Scandinavie
Pour lui, et sa fille un objet d'étrangeté.

Et celui-là jamais ne fut homme de cœur:
Se fabriquer un fils fut un devoir de plus.
Quand le garçon musiqua tel une fontaine,
Il rendit grâce à Johann S., comme il convient.

Les ombres noires des magnolias funéraires
Bourdonnent des chants de Charlotte et Jamanda,
La fille et le fils, qui viennent à la noirceur,
Lui pour son sein brûlant et elle pour ses bras.

Et ces deux-là jamais dans l'air si plein d'été
Ne se rencontrent, se touchent, même touchant
De près, sans s'évader aux laps de leurs baisers.
Faites un parterre et préservez-y l'iris. 

 

   

 

   

 

   

 Indian River

 

L'alizé ramage les anneaux sur les filets des chevalets aux pontons d'Indian River.
C'est le même ramage de l'eau entre les racines sous les berges des palmettes,
C'est le même ramage du cardinal dont le bréchet fend les orangers au sortir des cèdres.
Or il n'est pas de printemps en Floride, non plus en bocage *perdu* que sur les plages à nonnerie. 

 

   

 

   

 

   

Thé

 

Quand dans le parc l'oreille-d'âne
Se ratatina sous le gel,
Quand les feuilles sur les sentiers
S'égaillèrent comme des rats,
Le feu de ta lampe tomba
Sur des coussins étincelants
Couleur de mer, couleur de ciel,
Comme parapluies à Java.

 

   

 

   

 

   

Au vent rugissant

 

Quelle syllabe cherches-tu,
Vocalissimus,
Dans les distances du sommeil?
Dis-la.

 
 
  Suite
 
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