Architecture
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I
Quelle façon de bâtiment bâtirons-nous?
Allons, concevons un castel *de chasteté.
De pensée*…
Ne cessons jamais de déployer la structure.
Gardons les travailleurs qui s'épaulent de plinthes.
Passons la vie toute en oreillant ce que coupe
Le martel des tailleurs qui détaillent les pierres.
II
Sous ce toit, quelle façon d'énoncer
faut-il?
Quels seront, paradisiaques, son dithyrambe,
Sa cantilène?
Quels, les gargouillis dans leurs formes chicanières?
Le discours y sera de quoi,
En cette ébrasure de marbre
Et d'obédience des pilastres?
III
Sous quelle livrée viennent ceux-là qui s'y
livrent?
Dans la laideur de leurs relances?
Ou le panache des tulipes?
Tandis qu'ils gravissent les marches
Menant au groupe Flore Chouchoutant Hécube?
Tandis qu'à des degrés gravis
Ils arrivent jusques aux clauses
En paliers de saisons entières?
IV
Allons, bâtissons le bâtiment de lumière.
Bandons-nous que les tours se haussent
Jusques aux faîtes coquelins.
Voici les conjointures de notre édifice,
Lesquelles, à l'instar d'une palme de pompe,
Viendront hupper le lieu commun.
Voici ce dont l'appui de la fenêtre est fait
Sur quoi le clair de lune tranquille s'allonge.
V
Comment y irons-nous pour cliver le soleil,
Le fendre et fabriquer des blocs,
Dont bâtir un palais vermeil?
Comment dégrossirons-nous la lune violette
Dont inciser tout à sa taille?
Décidons de fixer des portails, est et ouest,
Abhorrant nord vert-bleu autant que sud bleu-vert.
Notre dôme au premier chef, damoiselle d'or.
Lançons l'intérieur de rais surabondants,
Dans la diversité des chambres.
Lançons, aussi, par contreforts d'air corallien
Et par des poutres purpurines,
Les diversités argentées,
Ces embossages dans le ciel.
VI
Pour finir, érigeons des gardiens pour les
glèbes,
Des grommeleurs dans la grisaille et le lugubre.
Car nul fiérot, nul à collet monté,
Nul solennel, nul hâve de couleur,
Nul barguigneur, n'aura droit de venir
Barbouiller les bégonias ni vexer
D'embarras béats ou sublimes
Le kremlin de toutes kermesses.
VII
Seuls les gaillards et seuls les prolifiques
Auront licence d'arpenter
Les grands-places qui abondent de bronze
Et l'atticisme des parvis.
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La femme qu'elle a eu plus
de bébés que ça
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I
Un acrobate à la bordure de la mer
Observait les vagues, la lame et le rouleau
Et le premier trait remontant l'arène; encore
La lame et le rouleau, la préparation
Et le premier trait pétillant au sable; encore
La lame et le rouleau, l'éclat du premier trait,
Comme au bal une jupe en tulipe s'apaise.
Jour après jour, cette répétition. Les vagues
Étaient mécaniques, musculaires. Jamais
Elles ne changeaient, jamais elles ne cessaient,
Une répétition allant se répétant
De façon continue - Il y a une femme
Qu'elle eut plus de bébés que tout ça. Sur la grève
Du sec et du sel, la roue simplement girant
Revient et s'en revient. Il y a une mère
Dont les enfants sont en besoin de plus que ça.
Elle n'est pas la mère des panoramas
Mais de cela questionnant la répétition
Sur la grève, en écoute de toute la mer
À y attendre un son par défaut ou excès,
Ascétiquement repu de chants *amicaux*.
L'acrobate, observant l'engin universel,
Perçut là le besoin qu'il y eût une thèse,
Une musique constante aux motions émues.
II
*Berceuse*, transatlantique. Les enfants sont
Hommes, vieux hommes, qui, à rêver et parler
De l'homme central, du bourdon de l'homme au centre,
Du tout du son de la mer, du bourdon central
De la mer, sont des hommes vieux qu'a exhalés
Une voix maternelle, sont enfants, vieillards
Et philosophes, chacun tête sans cheveux
Avec la voix de sa mère encore aux oreilles.
On est un cloître empli de bruits ressouvenus
Et de voix, comme d'elle, oubliés de si loin
Qu'ils sont, s'en revenant, méconnus. Ce qu'on est
Détecte le son d'une voix doublant la sienne,
Aux images du désir, aux formes parlantes,
Aux idées lui venant avec le vœu d'en dire.
Les vieux, les philosophes sont hantés de cette
Voix maternelle, cette explication la nuit.
Ils sont plus que parts de l'engin universel.
Leur besoin dans la solitude: tel, il est
Le besoin, le désir, de l'ardente berceuse.
III
Si cette tête d'elle, qu'elle s'érigeât,
Haute et froide, sur une plaine toute marbre;
Que ses yeux fussent crevées, de moineaux bâties;
Qu'elle fût sourde d'herbe chue dans ses oreilles -
Or il y a plus qu'un chef de marbre, massif.
Ils la trouvent dans la nuit d'été crépitante,
Dans le Duft des cités, près d'une vitre, auprès
D'une lampe, en un jour de la semaine, au temps
D'avant le printemps, une façon de marcher,
Fruit jaune, une demeure, quelque rue. Elle est
Dotée d'une tête surnaturelle, aux lèvres
De qui les mots familiers deviennent les mots
D'une élévation, un élixir du tout. |
La vie à bord d'un
bâtiment de guerre
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Le rapt de la bourgeoisie accompli, les
hommes
Revinrent à bord du Masculin. La nuit même,
Le capitaine énonça:
«La guerre entre classes
Est en préliminaire, est phase provinciale
De la guerre entre individus. En temps voulu,
Quand la terre sera devenue paradis,
Elle sera paradis bourré d'assassins.
Supposons que je m'empare de ce vaisseau,
Que je le fasse mien et, petit à petit,
M'empare des chantiers et m'empare des quais,
Des hangars à machines ainsi que des hommes,
Comme d'autres l'ont fait, et puis, qu'à leur contraire,
Au lieu que le chantier soit pour vaisseaux, en nombre,
Je n'y bâtisse qu'un, nuage sur la mer,
La plus large des machines qui soit possible,
Divinité d'acier, dont je sois capitaine.
Étant donné ce que j'ai l'intention de faire,
Ce vaisseau deviendrait donc le centre du monde.
Ma cabine comme centre du vaisseau, moi
Comme centre de cette cabine, le centre
De l'être divin, l'esprit de l'être divin,
L'esprit du monde n'aurait qu'à s'anneler, pof!
C'en serait fait. Si, pour mon plaisir solitaire,
J'énonçais que les hommes dussent arborer
Des masques de pierre et, pour que l'on respectât
L'édit, je canonnasse par dix mille gueules
En mi-Atlantique, mugissant, commandeur,
C'en serait fait. Une fois l'affaire emballée,
Une fois les assassins sous masques de pierre
Observant le moindre de mes vœux, une fois
Qu'ils seraient culbutés au moment où mon souffle
Les cinglerait ou eussent incliné leur torse,
Au moment que j'aurais tourné mon chef, alors
Le chagrin du monde, exception faite de l'homme
En tant que naturel, atteindrait à sa fin.»
II
Dans ce même esprit, le capitaine esquissa
Des règles du monde, regulae mundi,
En tant que disciple de Descartes:
Primo.
Les simplifications grandioses se réduisent
À une.
Il énonça, à ce propos, ceci:
«C'est une loi moindre que celle qui est l'une,
À moins qu'elle ne soit l'une même, ou à moins
Que Le Masculin, tant magnifié, ce nuage
Sur la mer, ne soit loi et preuve tout en un,
Qu'est l'ultime simplification censée être.
Il est clair qu'elle n'est pas une loi morale.
Elle appert être ce qu'est vivre compressé
En son illustration même, un être divin
Comme tout autre, rex par le droit de couronne,
De la barbe gemmée, la baguette mystique,
Et imperator pour de la mort opposer
L'illustre armée, les cors symboliques, le rouge
Pour le combat, la pourpre victorieuse. Or si
Elle est l'absolue pourquoi lui faut-il donc être
Ce grandiose immémorial, pourquoi pas plutôt
Quelque coque de noix, trivial emblème auguste
De par sa force ultime, une chose invincible
Par plus qu'en phrase? Là est le masculin vrai,
L'anneau et le sceau de l'esprit, le cœur à nu.»
C'était une question de rabbin. Qu'y répondent
De ce fait les rabbins. Elle implique un défaut
Dans le bâtiment de guerre, quelque défaite
Comme d'un mentir-vrai.
III
Secundo. La partie
Est l'égale du tout.
Le capitaine dit:
«Les éphèbes énoncent que seul est le tout,
La race, la nation, l'état. C'est une phase
Pourtant que la société. Nous nous approchons
D'une société sans aucune société,
D'où les politiciens s'en seront déguerpis,
Comme en l'île de Calypso ou en Citare,
Où soit moi, soit on, soit quelqu'une partie est
En égal au tout. D'une douzaine d'orchestres
Le son peut bien se ruer pour noyer le thème,
Basses de clapper et crincrins de s'escrimer,
Cors de réer et flûtes de bouter le feu,
La partie n'en est pas moins l'égale du tout,
À moins que la société soit masse mystique.
Voici quelque chose à même de nasarder
Un sommeil de philosophe, voici un vide
Que la douzaine d'orchestres puisse combler,
La meule du temps de plus haute antiquité,
Collation à Paris, flonflons, folie et fange,
La perspective se tortillant à tenter
D'assumer une forme, le panorama
Tordu qui brûle, une chose envoyée dinguer
Jusqu'au-delà du toit, caressée par la berge.
Sur Le Masculin, on atteste et on canonne.
Mais on vit de penser à la presse et la pousse
De la vie, le lierre, à la racine, ce lierre
De Key West, esbroufeur, qu'un matin voit couvert
De bleu, et l'autre matin voit couvert de blanc,
Venu de l'Orient, s'imposant à l'Occident,
Jungle de la partie et du tout tropicaux.»
IV
Les deux premières règles sont
réconciliées
En une troisième: il ne peut pas exister
De tout sans ses parties. Ainsi: c'est par le nombre
De ses pensées que le penseur tient son savoir.
L'homme de main armé de la commune tue
La commune.
Capitaine, haut capitaine,
Qu'en advient-il, dès lors, de notre affaire en propre,
De notre destinée, de notre ripopée?
Vos canons ne sont point des strophes rhapsodiques,
Rouges et vraies. Ce bien, cette vigueur, le sceptre
Passe de connétable à dieu, de terre à air,
Son cercle gagnant en largeur s'élargissant
Tandis qu'il passe, s'avançant vers une main
Qui échoue à s'en emparer. Haut capitaine,
Si les simplifications grandioses approchent
De l'ultime, elles n'y touchent cependant pas,
Bien qu'elles en soient les parties. Dépourvu d'elles,
Il ne saurait exister. Ça, c'est notre affaire,
Ça, c'est cette grandeur de bâtiment de guerre
À votre sens et vos Regulae mundi…
Voilà autant qui aura été déblayé.
Si le sceptre fait retour sur terre, en passage
Encore, précieux des lieux de la main encore,
Encore avivé de pieuse imagination
Et de taches des martyrs, pour être arrogant
Dans notre besoin, il sera tout notre avoir.
Notre lot est le nôtre: notre bien, duquel
Viennent se déverser les strophes rhapsodiques,
Par prophètes et par successions de prophètes,
Dont les prophéties gagnent en largeurs plus larges.
Notre lot est le nôtre: de la main, il faut
Qu'elle soit la main du on, qu'elle soit la main
D'un homme, qui de notre vigueur fait la sienne,
Qui la fera sienne à n'être plus que le sceptre
Au long du long désir, n'être plus que le centre
D'un cercle, s'évasant jusqu'à la vague ultime,
Une terminaison sans nulle rhétorique.
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