Parts of a World

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Thème de clocher

 

Des poneys à longues queues flairent les pinèdes,
Poneys de Parisiens tiraillant aux collines.

Le vent souffle. Dans le vent, les voix ont des formes
Qui ne sont pas encore pleinement soi-même

Mais des bruits qu'un souffleur souffle en formes, souffleur
Aminci jusqu'au mi du fausset le plus grêle.

Les chasseurs courent çà et là. Les arbres lourds,
Le branle maugréant des branches, la robuste

Antiquité nocturne du bleu-vert des pins
Amplifient les émotions jusqu'à l'inhumain.

Ceux-ci sont la forêt Cette santé est sainte,
Ce sus, sus, sus qui s'entend au-dessus des cris

De ceux qui d'une pièce carrée font foyer,
De ceux que les statues torturent et soumettent.

Cette santé est sainte, ce déchant d'une âme,
Ce barbare péan de la vigueur, ce brame.

Mais rédemption ici? Quid alors des crécelles
De baguettes battant des baquets de fer-blanc?

Quid aussi des chevaux dévorés par le vent?
Quand s'en viendra le printemps et que les squelettes

Des chasseurs s'étireront avant de dormir
Dans leur premier soleil estival, le printemps

Arborera une santé qui sera sienne,
Sans rien dans son pelage du sus de l'automne.

Que la santé succède à la santé de près.
Rédemption là: rien n'est qui soit la vie soi-même,

Ou s'il en est, c'est plus vite que les saisons,
Qu'aucun personnage. Elle est plus qu'aucune scène:

De guillotine ou gibet aguichant. Les gars,
Rapiécez-moi le monde, mais non de vos mains.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La poésie est une force destructrice

 

La misère, c'est cela,
C'est de n'avoir rien à cœur.
C'est d'avoir ou ce n'est rien.

C'est une chose à avoir,
Un lion, un bœuf en son sein,
De l'y sentir respirer.

Corazon, chien corpulent,
Bœuf jeune, ours à patte arquée,
C'est ce sang, non sa salive,

Qu'il goûte. Il est comme un homme
Dans le corps d'un violent fauve
Dont les muscles sont les siens...

Le lion repose au soleil.
Son mufle est entre ses pattes.
Il peut massacrer un homme.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les poèmes de notre climat

 

I

Eau claire dans un vase brillant, œillets blancs
Et roses. Lumière de la pièce semblable
À quelque air tout neigeux, reflétant de la neige.
Neige chue récemment, à la fin de l'hiver
Au moment que reviennent les après-midi.
Œillets roses et blancs — mais ce que l'on désire
Est bien plus que cela. La journée elle-même
Est simplifiée: un vase formé de blancheur,
Froid, froide porcelaine, basse et circulaire
Qui ne renferme rien que les présents œillets.

II

Même si l'on dit que cette simplicité
Parfaite a évincé les tourments dont l'on souffre,
Camouflant le funeste, vital composite
Du Je, le rafraîchissant dans un monde blanc,
Dans un monde d'eau claire aux rebords scintillants,
On voudrait davantage, il faudrait davantage
Que cet univers blanc aux effluves neigeux.

III

Il resterait toujours l'esprit jamais en paix,
De telle façon qu'on voudrait fuir, revenir
À cela qui fut si longuement composé.
C'est l'imperfection qui est notre paradis.
Notons que dans cette amertume, le délice,
Puisque l'imperfection nous tient si fort à cœur,
Réside dans des mots fautifs, des sons têtus.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Prélude aux objets

 

I

S'il deviendra le ciel après sa mort,
Si, tandis qu'il vit, il s'entend soi-même
Mis en musique, si le soleil est,
Trombeur, la couleur que revêt un être
Tout aussi sûrement que la nuit est
La couleur d'un être; sans sentiment,
S'il est ce qu'il entend et voit et si,
Sans pathos, il ressent ce qu'il entend
Et ce qu'il voit, n'étant rien autrement,
N'ayant rien autrement, aucun besoin
Pour lui d'aller se contempler au Louvre.
Attendu que chaque image est un verre,
Que les murs sont miroirs multipliés,
Et les marbres des pastiches poisseux,
Les escaliers le mouvement tournant
D'une impossible élégance, la vue
Notoire qu'on a depuis les fenêtres
Cires éperdues, monarchies passant
Le paquebot Normandie, attendu
Que c'est toujours soi que l'on voit et sent,
Le hasard n'a rien à y voir. De fait,
Il faudrait écrouer et ligoter
Le Je guérilla. Ses mystiques nègres
Contre des perruques devraient troquer
Leurs bonnets d'âne. Des académies
Qui seraient à une science tragique
Consacrées devraient être édifiées.

II

Poète, tapotant plus grand non-sens
Vomi dans l'écume de mer, conçois
Pour les voûtes de ces académies
Plus divine salubrité qui soit
Exposée selon des formes communes.
Agence le noir coriace, l'image.
Façonne la touche. Établis le calme.
Ô toi le plus paillard de nos ancêtres,
Viens-t'en prendre la place des parents.
Nous sommes conçus dans tes concetti.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Étude de deux poires

[NdT: cette traduction est dédiée à Simon Mourier]

 

 

I

Opusculum paedagogum.
Les poires ne sont point des violes,
Ni des bouteilles ni des nus,
Et ne ressemblent à rien d'autre.

II

Ce sont des formes jaunes
Que composent des courbes
Renflées près de leur base,
Touchées d'un rien de rouge.

III

Ce ne sont point surfaces plates
Cernées d'un contour fait de courbes.
Elles sont rondes
Et s'amenuisent par le haut.

IV

Telles qu'elles sont modelées
On décèle des riens de bleu.
Une feuille sèche et durcie
Demeure attachée à la tige.

V

Le jaune scintille.
Il scintille par divers jaunes,
De citron, d'orange, de verts
Fleurissant sur toute la peau.

VI

Les ombres des poires projettent
Des pâtés sur la nappe verte
Et les poires ne sont pas vues
Comme le veut l'observateur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le verre d'eau

 

Que le verre en vienne à fondre dans la chaleur,
Que l'eau en vienne à se figer dans la froidure,
Montre que cet objet est au plus un état,
Un parmi d'autres, entre deux pôles. De même
Dans le métaphysique, il y a ces deux pôles.
Ici se tient le verre, au centre. La lumière

Est le lion qui descend pour s'abreuver. Là-bas
Et dans cet état-là, le verre est un étang.
Rougeâtres sont ses yeux et rougeâtres ses griffes
Quand descend la lumière humecter sa mâchoire
Écumante et dans l'eau des algues torses virent.

Et là et dans un autre état — les réfractions,
Les metaphysica, les éléments plastiques
De poèmes se fracassent dans l'esprit — Mais,
Mon Jocundus dodu, inquiet de ce qui est
Là, au centre, non pas le verre, mais au centre
De nos vies, ce moment, ce jour, c'est un état,

Ce printemps-ci au milieu de politiciens
Jouant aux cartes. Dans un village indigène,
Il faudrait tout autant découvrir. Qu'on se trouve
Entre et fientes et chiens, on n'en serait pas moins
Contraint d'en découdre encore avec ses idées.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À ajouter à la rhétorique

 

Comme c'est disposé, c'est disposé
Qui dans la nature simplement croît.
Les pierres posent dans la nuit tombante;
Et les mendiants s'affaissant à dormir,
Ils se posent ainsi que leurs haillons.
Zut alors… la lune lavande tombe.
Les bâtiments posent contre le ciel
Et, comme tu vas peignant, les nuages,
Grisaille, perlages, profondeurs — pff…
De la manière même dont tu parles
Tu arranges et disposes la chose,
Qui dans la nature simplement croît.

Au jour de demain lorsque le soleil,
En dépit de tout ton barda d'images,
Surgira soleil, toréeur igné,
Tes images n'auront pas laissé d'ombre.
Les poses du discours, de la peinture,
De la musique — Son corps étendu
Est recru, d'un bras ballant jusqu'à terre
Avec ses doigts qui effleurent le sol.
Au-dessus d'elle, à gauche, un frottis blanc,
De l'obscur, la lune faite informelle,
Un œil avec frange dans une crypte.
Le sens est le créateur de la pose.
C'est en elle qu'il se meut et discourt.
La figure en résulte, qui n'est pas
Quelque métaphore sur quoi s'enfuir.

Ajoutez ceci. Ce doit s'ajouter.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Miche sèche

 

Cela revient à vivre en un pays tragique
Que de vivre en un temps tragique. Considère
Maintenant les rochers pentus et montagneux,
Le fleuve canonnant son lit sur les cailloux,
Considère les bouges de ceux qui y vivent.

Voilà ce que j'ai peint derrière cette miche,
Les rochers que n'a pas même touchés la neige,
Les pins près du fleuve et les hommes secs soufflés
Du brun du pain, pensant à des oiseaux fuyant
Les pays en feu, les grèves de sable brun,

Oiseaux qui survenaient comme une eau sale en vagues
Coulant au haut des rocs, coulant de par le ciel,
Comme s'il était un courant les charriant,
Les répandant ainsi qu'aux grèves font les vagues,
Dont les flots un à un dénudent les montagnes.

C'était le canon des tambours que j'entendais
C'était la faim, c'était les cris des affamés
Et les flots, les flots étaient des soldats en branle,
Qui marchaient et marchaient au cœur d'un temps tragique
Au-dessous de moi, sur l'asphalte, sous les arbres.

C'était soldats en marche de par les rochers
Mais toujours les oiseaux survenaient, meute aqueuse,
Car c'était le printemps: il leur fallait venir.
Et les soldats devaient sans nul doute être en marche
Et les tambours devaient rouler, rouler, rouler.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Idiome du héros

 

J'entendais deux travailleurs dire: «Ce chaos
Sera sous peu abrégé.»

Ce chaos ne sera pas abrégé,
Ni cette maison rouge et la bleue mélangées,

Abrégé non, jamais et jamais abrégé,
Ni l'homme en faiblesse n'en sera corrigé,

L'homme qui est pauvre quand la nuit vient,
Soulagé

Comme l'est l'homme riche en droit de son maintien.
Les grands hommes réfutent d'être mélangés…

Je suis le plus pauvre de tous.
Je sais que je ne peux pas être corrigé,

Par les simples nuages, enflure de l'air,
Desquels du moins je suis en ami érigé.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'homme du dépotoir

 

Le jour traîne à tomber. La lune à monter traîne.
Et le soleil est bourriche de fleurs que Blanche,
La lune, place là, en bouquet. Ho, ho, ho,
Le dépotoir est empli d'images. Les jours
Passent comme des journaux issus d'une presse.
Les bouquets viennent ici dans ces mêmes feuilles.
C'est donc que le soleil, la lune également
Y viennent, et les poèmes de chaque jour
Qu'écrit le concierge, et l'emballage des poires
En conserve, le chat dans son sac de papier,
Le corset, et la caisse reçue d'Esthonie:
La cassette tigrée, pour le thé.
                                             La fraîcheur
De la nuit a été fraîche pour bien longtemps.
La fraîcheur du matin, la soufflerie du jour,
On en dit qu'elle pouffe de même façon
Que Cornelius Nepos lit, qu'elle pouffe tant
Ou plus, ou moins, ou qu'elle pouffe ci et ça.
Le vert claque dans l'oeil, la rosée dans le vert
Claque comme de l'eau fraîche dans un baril,
Comme l'océan dans une noix de coco —
Combien d'hommes pour leurs boutons ont copié
La rosée, combien de femmes se sont couvertes
De rosée, robes de rosée, pierres et chaînes
De rosée, têtes des fleurs les plus floriantes
Enrosées de la rosée la plus enrosante.
On en vient à haïr toutes ces choses, sauf
Sur le dépotoir.

                      Maintenant qu'il fait printemps
(Azalées, trilliums, myrte, jonquilles, phlox bleus,
Viornes), entre ce dégoût-ci et celui-là,
Entre ce qui se trouve dans le dépotoir
(Azalées et le reste) et ce qui y viendra
(Azalées et le reste), on fait l'expérience
De la purification du changement.
On rejette la camelote.

                                    C'est alors
Que la lune entreprend son ascension rampante
Dans l'ébullition des bassons, et c'est alors
Qu'on observe les nuances éléphantesques
Des pneus. Tout a été mis au rebut; la lune
Survient en tant que lune (toutes ses images
Sont dans le dépotoir) et tu vois en tant qu'homme
(Et non en tant qu'une image d'homme), tu vois
La lune qui s'élève dans le ciel vacant.

On s'assied et d'un bidon, d'un seau de saindoux,
On se fait un tambour que l'on bat et l'on bat
Pour ce en quoi l'on croit, qui est ce dont on veut
S'approcher. Se pourrait-il que cela ne fût,
Après tout, rien que soi mais supérieurement
Comme l'est l'ouïe pour la clameur du corbeau?
Le rossignol fut-il tortionnaire d'oreille,
Encaqua-t-il le cœur, érailla-t-il l'esprit?
L'oreille trouve-t-elle sa consolation
Par oiseaux pleurnicheurs? Est-ce paix, est-ce lune
De miel pour philosophe que le dépotoir
Fournit? S'agit-il de prendre place parmi
Les paillasses des morts, des bouteilles, des poêles,
Des souliers et de l'herbe afin de murmurer:
Veille la plus choisie; s'agit-il d'écouter
Les jacasseries des quiscales et de dire:
Prêtre invisible; s'agit-il d'évacuer,
De dépiauter le jour en miettes en criant:
Stance ma pierre? Où donc entendit-on parler
Pour la première fois de vérité? Le le.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sur le chemin du retour

 

Ce fut quand je dis
«La vérité n'est pas quelque chose qui soit»,
Que les raisins parurent plus replets.
Le renard détala de sa tanière.

Toi… Tu dis,
«Les vérités sont nombreuses,
Mais elles ne sont pas les parties d'une vérité.»
L'arbre, alors, dans la nuit, commença de changer,

Fumant au travers du vert et fumant en bleu.
Nous étions deux figures dans un bois.
Nous dîmes que nous étions seuls.

Ce fut quand je dis
«Les mots ne sont pas les formes d'un mot unique.
Dans le tout des parties, ils ne sont que parties.
Le monde doit être mesuré à l'œil»;

Ce fut quand tu dis:
«Les idoles ont vu de nombreux dénuements,
Des serpents et de l'or et des poux,
Mais non la vérité»;

Qu'en cet instant le silence fut le plus ample
Et le plus long, la nuit fut la plus arrondie,
L'arôme de l'automne le plus ardent,
Le plus proche et le plus prééminent.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le dernier homme libéré

 

Fatigué des anciennes descriptions du monde,
Le dernier libéré se leva à six heures
Et s'assit au rebord de son lit, déclarant:
«Je suppose que ce paysage est doté
D'une doctrine. Pourtant, venant d'échapper
À peine à la vérité, l'aurore est couleur
Et brume, et c'est assez: pluie et mer du moment
Et soleil du moment (l'homme fort aperçu
Vaguement) devançant de tout ce paysage
La doctrine. De lui comme de ses travaux
Je suis sûr. Il baigne dans cette brume en homme
Qui n'a pas de doctrine. Tout ce qu'il éclaire —
C'est comment il éclaire. C'est comment il brille,
Levé sur les docteurs encore dans leur lit,
Sur ces lits même...»
                              Ainsi parlait le libéré.
Ce fut comme le soleil brilla dans sa chambre:
Être, sans description de ce que c'est que d'être,
Pour un moment, au lever, au rebord du lit,
Être, voir la fourmi de ce que l'on est soi
Changée en bœuf avec ses mugirs organiques,
Être changé, du docteur que l'on est, en bœuf,
Avant le lever, savoir que ce changement
Et cette bataille à la semblance d'un bœuf
Sont issus de cette force qui est la force
Du soleil, qu'elle soit directement issue
Ou le soit du soleil. C'était comme il fut libre.
C'était comme sa liberté lui fut donnée.
C'était être sans description, en étant bœuf.
C'était l'importance des arbres au dehors,
La fraîcheur des feuilles de chêne, non pas tant
Qu'elles fussent de chêne, plutôt que leur air.
C'était tout devenu plus réel, et lui-même
Au centre de la réalité, l'y voyant.
C'était tout enflé, flambant, joufflu en soi-même,
Le bleu dans le tapis, de portrait de Vidal,
*Qui fait fi des joliesses banales*, les chaises.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ladies Unies d'Amérique

 

Je tâche, en restant exact, d'être poète.
Jules Renard

Il n'y a pas assez de feuilles pour couvrir
Le visage qui l'orne. C'est de cette sorte
Que s'exprima l'orateur: «La masse n'est rien.
Le nombre des hommes composant une masse
D'hommes n'est rien. La masse n'est pas supérieure

À l'homme singulier de la masse. Les masses
Produisent chacune leur propre paradigme.»
Il n'y a pas assez de feuilles pour celer
Le visage de l'homme de ce poids mort-ci
Et cette masse-là. Il se peut que le vent

Se gonfle de visages, comme il fait de feuilles,
Et se mette à souffler en rafales de bouches,
Et de bouches criant, qui crient jour après jour.
Serait-ce qu'elles sont nous-mêmes, notre trompe,
Nos visages cernant un visage central

Puis de nouveau plus rien, qu'une fuite effacée?
Un visage pourtant fait sans cesse retour
(Ce n'est jamais le bon), le visage de l'homme
De la masse, mais qui n'est jamais le visage
Qu'aurait dévisagé sur son jusant de sable

L'ermite, qui n'est jamais le politicien
Dénudé dont les sages avaient discouru.
Il n'y a pas de feuilles assez qui recouvrent,
Qui couronnent, recouvrent, couronnent – suffit! –
L'acteur déclamateur enfin de notre fin.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mots du cru

 

Dans un canton, j'étais chantant,
Coup de coquin, ô coq coucou
Dans un canton de Balthazar
À Balthazar, rocher putride
Et pilier d'un peuple putride,
Au pied d'un saule, là, debout,
J'ai chanté et j'ai rempli l'air.

C'était un vieux chant de rebelle,
Bord de chant qui jamais n'éclaire;
Mais qu'il le fît... Que le nuage
Qui pèse au cœur, cercle l'esprit,
S'éclaircît du nord et qu'alors
Dans ce pic parût le soleil
Pour rougir du grand Balthazar
Le sourcil, ô suzerain, rude
Par rubis, lors, assiste-moi.

Que recherche mon sentiment?
C'est de tout ce qu'il a touché,
Laissé de côté ou derrière
Que provient mon savoir. Il veut
Que soit vif le pivot diamant
Il veut voir Balthazar bien lire
Les pages faites de lumière
Sur son genou, concernant être
Plus que naître ou mourir. Il veut
Des mots faits virils par son souffle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le nain

 

C'est maintenant septembre et la toile est tissée.
Or la toile est tissée et tu dois l'endosser.

L'hiver est façonné et tu dois l'endurer,
La toile d'hiver, l'hiver tissé, bise et bise,

Pour toutes les pensées d'été qui l'accompagnent
Dans l'esprit, pupe de paille, chiffon de mioche.

Or c'est l'esprit qui est tissé, l'esprit qui fut
Cahoté, fagoté par la foudre à pas lents

Et le soleil brisé. C'est tout ce que tu es,
L'ultime nain de toi, qui est tissé, tissé,

Attendant qu'on l'endosse, non pas comme un masque,
Non pas comme un habit, plutôt comme une essence,

Arrachée à l'été dépourvu de saveur,
Pour le miroir du froid, placé près de ta lampe,

Où ce n'est plus dès lors que citron à chiquer
Et café chipoté... Le gel est dans le chaume.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un lapin pour roi des fantômes

 

La difficulté de penser quand meurt le jour,
Quand l'ombre informe couvre le soleil et rien
Ne reste, hormis cette lueur dans ton pelage —

Tout le jour il y eut un chat versant son lait,
Chat dodu, langue rouge, esprit vert et lait blanc
Et août tout autour, le plus paisible des mois.

Être dans l'herbe, dans l'heure la plus paisible,
Sans tout ce monument de chat,
Le chat oublié dans la lune;

Sentir que la lumière est lumière-lapin,
Où tout expressément est fait pour toi et rien
N'a plus besoin d'être expliqué;

Plus rien dès lors à quoi penser.
Tout vient de soi-même et l'est file à l'ouest, et l'ouest
Se rue au bas, et après? L'herbe est plénitude

Et pleine de toi. Les arbres autour: pour toi,
Le tout de l'immensité de la nuit: pour toi;
Être qui étreins tous les rebords, tu deviens

Un être qui remplit les quatre coins de nuit.
Le chat rouge est tapi dans la lueur-pelage
Et t'y voici arqué, grande bosse, haute bosse,

Bossu toujours plus haut et d'un noir de rocher —
Assis, ta tête est une sculpture d'espace
Et le petit chat vert est, dans l'herbe, un insecte.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Solitude à Jersey City

 

Le daim et le teckel valent tout un.
Après tout, les dieux sourdent du climat.
Les être humains sourdent du climat
Et les dieux sourdent des êtres humains.
*Encore, encore, encore les dieux…*

La distance entre le clocher obscur
Et la borne dix mille et trois est plus
Que ne peut arpenter une chenille
Longue de sept pieds sous la lune en juin.

Chut, chats: car le daim et le teckel valent
Tout un. Ma fenêtre est la deux neuf trois
Et fenêtre assez pour ce qu'il me faut.
Les clochers sont vides, les gens aussi,
Il n'y a vraiment rien de rien à voir
Sauf des Polaques passant en auto
Ou au concertina toute la nuit.
Ils se figurent que ça va fort bien
Puisque daim et teckel valent tout un.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tout peut être beau si on le dit tel

 

Au pied de l'églantine
Vibrait la concubine
Disant «Macache! Bouh!»
Elle murmurait «Pff!»

Comme le demi-monde
Depuis la mezzanine
Disait «Macache!» itou,
Et «Comment-zallez vous !»

À l'abeille le doux
Pour son miel hisse et haut,
Pris à l'églantier beau.

Et ces lustres, vraiment c'est fou…
Quoique, leurs mignards feux marbrés!
Nous avons froid, crient les perruches,
Dans un endroit aussi madré.

Le vin Johannisberger, Hans.
J'aime les raisins métalliques,
L'aspect de rouille et de relique
Qu'ont les poires et le fromage

Et le jour citrin de la vitre,
La volonté même des nerfs,
Le verre fendu du carreau,
La poussière au long du rebord.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un esprit faible dans les montagnes

 

Là se trouvait la main du boucher.
Il forma le poing et le sang
Gicla d'entre les doigts
Et roula sur le sol.
Après quoi, le corps roula.

Par la suite, dans la nuit
Le vent d'Islande et
Le vent de Ceylan,
S'unissant, empoignèrent mon esprit,
L'empoignèrent et harponnèrent mes pensées.

Le vent noir de la mer
Et le vent vert
Tournoyants, fondirent sur moi.
Le sang de l'esprit roula
Sur le sol. Je dormis.

Or il se trouvait en dedans de moi un homme
À même de s'élever jusques aux nuages,
À même de toucher jusques à ces vents-là,
Et les plier à soi et les assujettir,
À même de se découper contre le ciel.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les bagatelles les madrigaux

 

Où, serpent, est-ce que tu penses,
Où te loves-tu, quand il neige,
Et, les yeux clos, respires-tu
Au creux d'une trouée de terre?

En quel in camera ton goût
Du poison, en quelle ténèbres
Sertis-tu l'éclat des écailles
À darder la langue pointue?

Et où donc est-ce, vous, humains,
Où donc pensez-vous, effarés
Des déchets de la vie, au cours
Du jour méditatif d'hiver?

Dans quelle trouée trouvez-vous
Le front du froid, l'œil en dépit
De voir ce qui est refusé,
Rancuniers, dans l'ombre des gestes

De la vie qu'aucun ne vivra,
De jours qui ne seront que friches,
De nuits qui ne seront pas plus
Que masques destructeurs et rogues?

(Telle l'une de ces pensées
De l'esprit qui est formée par
L'ensemble de tous les esprits,
En chant de cette dominance.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Fille en chemise de nuit

 

Plus besoin de lampes. Stores levés.
Un regard jeté au temps qu'il fera.
Tout le printemps, il y eut ce fracas,
Ce refrain à l'entrée des boulevards.

Ceci, c'est le silence de la nuit,
C'est ce qui n'a pas pu être ébranlé,
Empli d'astres et d'images des astres –
Et ce fracas qui lancine et qui glace,

Comme on titube, et tombe, et c'est la fin,
Encore et encore, et toujours c'est là,
Masse de tambours et buccins de plomb,
Perçus d'émotion et non de raison,

Une révolution de collisions.
Phrases! Mais d'effroi, de fatalité.
La nuit devrait être tiède en quoi la fortune
Des ramages jouerait dans les arbres de l'aube.

Tel ce fut jadis, le repos nocturne,
Fut un lieu, lieu sûr, en quoi s'endormir.
Le voici branlant, prêt à s'embraser
Aujourd'hui, demain ou le jour d'après.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Connaisseur en chaos

 

I

A. Un ordre violent est un désordre; et
B. Un grand désordre est un ordre. Ces deux
Ne forment qu'un. (Pages d'illustrations.)

II

Si tout le vert du printemps était bleu — il l'est;
Si les fleurs d'Afrique du Sud étaient brillantes
Aux tables du Connecticut — elles le sont;
Si les Anglais vivaient à Ceylan sans leur thé —
Ils le font; si tout cela suivait son chemin
De manière ordonnée, et c'est d'ailleurs le cas;
Une loi d'opposés inhérents, d'unité
Essentielle, est aussi plaisante qu'un porto,
Aussi plaisante que les traces de pinceau
D'une ramure, d'un rameau particulier
Et sis dans les hauteurs, chez Marchand par exemple.

III

Le joli contraste, après tout, de vie et mort
Prouve que ces deux choses opposées relèvent
D'une seule; du moins c'était la théorie
Lorsque les livres des évêques fournissaient
La solution du monde. Nous ne pouvons pas
La faire à nouveau nôtre. Si l'on ose dire,
Les esquives des faits passent l'esprit squameux.
Il apparaît cependant une relation,
Une relation ténue qui va s'accroissant
Comme l'ombre, sur le sable, d'une nuée,
D'une forme sur le versant d'une colline.

IV

A. Eh bien, un ordre ancien est un ordre violent.
Cela ne prouve rien et il ne s'agit là
Que d'une vérité de plus, d'un élément
De plus au désordre immense des vérités.
B. Il fait avril tandis que j'écris et le vent
Souffle après bien des jours d'averse continue.
Tout cela va, bien sûr, aboutir à l'été
Dans quelque temps. Mais supposons que le désordre
Des vérités aboutisse un jour à un ordre,
Plantagenêt à l'extrême, fixe à l'extrême...
Un grand désordre est un ordre. Cela étant,
A et B ne sont pas ainsi que statuaire,
Placés au Louvre pour le plaisir du coup d'œil.
Ils sont crayonnés à la craie sur le trottoir
Pour permettre à l'homme pensif de pouvoir voir.

V

L'homme pensif... Il voit l'aigle en son vol plané
Pour qui sont un seul nid les Alpes intriquées.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les bâtiments bleus dans l'air de l'été

 

I

Cotton Mather mourut quand j'étais un enfant.
Les livres qu'il lisait, jour et nuit, chaque nuit
N'avaient servi de rien. Le doute subsistait
Qui l'entraînait à prôner de façon sonore,
Désireux d'une église où son art oratoire
Pût noyer ce mulot du mur, après le prêche.

II

Sur Boston empesée, l'apparat byzantin
Était tout ce qu'était Cotton Mather, et plus.
Or la foudre émanant du mulot éminent,
Le rongement ronflant aux arches de l'église,
Le plâtre qui s'écaille, voire qui s'écroule,
Le mulot, le moussu, la femme sur la grève…

III

Si le mulot venait à gober le beffroi,
En son temps… L'aiguille était de théologien,
Trop pointue pour ce faire. Mer, soleil, grève,
Leur diaprure au travers du treillage, amputèrent
Les lustres, aux glacis matutinaux jonchant
Les murs comme le sol de pâtés opalins.

IV

Cotton Mather, jette un œil en bas, de tes limbes.
Le ciel fut-il où tu le pensas? Il doit l'être.
Il doit être où tu le penses, dans la lumière
Sur la literie, dans la pomme sur un plat.
Il est le rayon de miel de l'homme qui voit.
Il est la feuille au vaisseau que l'oiseau rapporte.

V

Va, mulot, va grignoter Lénine en sa tombe.
N'es-tu pas *le plus pur*, ô toi le plus antique?
Abats l'été pour trouver le rayon de miel.
Tu es l'un… Va chercher du miel dans ses cheveux.
Tu es l'un des mulots qui ne sont pas nombrables
Jour et nuit dans leur quête du rayon de miel.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dézembrum

[NdT: Cette traduction est dédiée à Marco Lupoli]

 

I

Il n'y a cette nuit que les astres d'hiver.
Le ciel n'est plus une échoppe de bric-à-brac,
Bourrée de vols piqués et de vieux feux grégeois,
Et de triangles et de noms de jeunes filles.

II

De façon répétée, tu n'as cessé de dire,
Ce grand monde, il se scinde par soi-même en deux:
Une partie est homme, l'autre partie dieu:
L'homme imaginé, le masque monial, la face.

III

Les astres cette nuit sont comme des visages
En foule circulant dans le ciel et chantant
Et s'esclaffant, une foule composée d'hommes,
Dont le chant est l'un des modes de s'esclaffer,

IV

Mais jamais anges, rien en eux qui soit de mort,
Visages dont peupler le brillant de la nuit,
Tout à s'esclaffer, à chanter, à être heureux,
Comblant par là l'imagination en besoin.

V

Dans cette pièce roide, un plus intense amour,
Non pas des amusettes, non pas des trucmuches —
Elle ne peut donner, la raison, rien du tout
Qui approche ce qu'est la réponse au désir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Poème écrit au matin

 

La Poussiniana complète de ce beau jour
Le divise de soi. C'est ceci, c'est cela
Et ce n'est pas.
                         Par la métaphore tu peins
La chose. Ainsi l'ananas était fruit de cuir,
Fruit pour des plats d'étain, piquant, palmé et bleu,
À servir par des hommes de glace.
                                                Les sens
Peignent par métaphore. Le suc en était
Plus parfumé que la plus aqueuse cannelle.
Il était comme poires criblées où perlait
Une sève matutinale.
                               En vérité,
Sans doute on ne voit pas, on éprouve, on ressent,
L'œil bien en chair sans doute n'est que l'élément
De la chose totale, un informe géant
Qui se voit obligé de gagner la hauteur.
Vertes étaient les boucles qui ornaient ce chef.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tonnerre selon le musicien

 

Sans que ça fasse un pli, s'avançant, le tonnerre
S'est transformé en hommes, dix mille, des hommes
En cascade, équarris, plèbe aux dix mille chocs,
De ci comme de là.

Lentement, un seul homme, âpre plus que le reste,
S'est élevé, colossal, dans le soleil noir,
S'est érigé d'un bloc dans l'air, pour abolir
L'emprise de tout autre.

Et, aux dires du compositeur, ce boucher,
À sa main l'œuf-diamant exquis qui rutila
(Ainsi qu'une musique vicieuse achevée
En accords transparents).

Il aurait mieux valu, aux conceptions du temps,
Qu'on lui eût fait tenir à la main — tenir quoi?
Son bras aurait tremblé, lui-même eût été faible,
Malgré ses hurlements.

Le ciel eût été plein de corps comme une stère.
Il y aurait eu les voix hurlantes des morts
Et le vivant aurait parlé, ainsi qu'un être
Tirant sa vie de soi.

Il aurait mieux valu qu'elles fussent, ses mains,
Convulsées, demeurées les mains d'un plus farouche
Que le reste (ainsi qu'une musique épointée,
Et néanmoins sonore).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La vie commune

 

Là-bas, c'est la frise du centre ville,
Avec, surtout, le clocher de l'église,
Trait noir à côté d'un autre trait blanc;
Et l'évent de la centrale électrique,
Trait noir tracé sur l'air sans épaisseur.

C'est une lumière morbide
Sur quoi leurs formes sont dressées,
Ainsi qu'une ampoule électrique
Sur une page par Euclide.

Dans cet éclairage, un homme est un résultat,
Quelque chose qui se démontre, et une femme,
Dépourvue de la rose et sans la violette,
Ces ombres que l'on ne trouve pas chez Euclide,
N'est pas une femme pour aucun homme.

Le papier est plus blanc
Pour ces tracés de noir.
Il luit sous les résilles
Des câbles, de l'encre en figures,
Les plans qui devraient avoir du génie,
Les volumes pareils à des ruines de marbre
Silhouettés et dotés d'un alphabétique
Ordre de scolies et de notes.
Le papier est plus blanc.
Les hommes sont dépourvus d'ombre
Et les femmes n'ont qu'un côté.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le sens du prestidigitateur

 

Les envolées qu'on a, les bains dominicaux,
Les claironnements qu'on pousse aux noces de l'âme
Surviennent comme ils surviennent. C'est de la sorte
Que le bleuâtre des nuages survenait
Au-dessus de la maison vide et que les feuilles
Des rhododendrons faisaient crépiter leur or,
Comme si quelqu'un eût vécu là. Tant de crues
De blancheur fulminante émanaient des nuages.
C'est de la sorte encore que le vent jetait
Les contorsions de sa force au pourtour du ciel.

Aurais-tu pu dire que le geai bleu, soudain,
Allait fondre? Ils forment une roue, les rayons
Qui cernent le soleil. La roue survit aux mythes.
L'œil de feu dans les nuages survit aux dieux.
Comme cela survient, d'un œil de grenadine,
Penser des pins qui sont cornets, une colombe
Et un îlot peuplé d'étoiles et de jars:
Il se peut que ce soit l'homme ignorant, lui seul,
Qui connaisse la chance d'apparier sa vie
Au vivre, à l'épouse nacrée, la sensuelle,
La vie qui reste fluide au plus hiver du bronze.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La chandelle un saint

 

Verte est la nuit, vert d'embrasement et d'atours.
C'est elle qui parmi les astronomes passe,

À grands pas au-dessus du lapin et du chat,
En altière figure, issue du ciel, allant

Parmi les dormeurs, parmi les hommes, parmi
Ceux qui sont allongés, chantant verte est la nuit.

Verte est la nuit et tissue elle est de démence,
De la même démence qu'ont les astronomes

Et celui qui voit, plus loin que les astronomes,
Le lapin de topaze et le chat d'émeraude,

Qui voit au-delà d'eux, voit sur eux s'élever
Cette altière figure, cette ombre essentielle,

Qui est et qui avance, l'image à sa source,
L'abstraite reine archaïque. Verte est la nuit.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un plat de pêches en Russie

 

Avec tout mon corps, je goûte ces pêches,
Je les sens et je les touche. Qui parle?

Je les absorbe comme l'Angevin
Absorbe l'Anjou et comme un amant

Je les vois, comme un jeune amant qui voit
Les premiers bourgeons du printemps, ou comme

Le noir Espagnol joue de sa guitare.
Mais qui parle? Il faut donc que ce soit moi,

Cet animal, ce Russe, cet exil
Pour qui les cloches des chapelles font

Des pullulements sonores au cœur.
Les pêches sont grosses, elles sont rondes

Elles sont, ah!, rouges; ah, elles ont
Un duvet de pêche; elles sont juteuses;

Et leur peau est douce. Leurs couleurs sont
Celles de mon village et du beau temps,

De l'été, de la rosée, de la paix.
La pièce est tranquille où elles se trouvent.

Et toutes les fenêtres sont ouvertes.
Le soleil emplit les rideaux. Or même

Les ondoiements des rideaux me dérangent,
Si faibles qu'ils soient. Je ne savais pas

Que de telles férocités pouvaient
Arracher à soi, comme font ces pêches.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Arcades de Philadelphie la passée

 

Seuls les riches se remémorent le passé,
Les fraises d'un beau jour dans les monts Apennins,
Philadelphie que les araignées dévorèrent.

C'est là qu'ils siègent, tenant leurs yeux dans leurs mains.
Bizarre, dans cette Vallombrosa de larmes,
Qu'ils n'aient jamais entendu parler du passé.
Voir, entendre, toucher, goûter, humer relèvent
De ce qui est ici, maintenant. Touchent-ils
La chose qu'ils voient, sentant les frôler son souffle
Et humant sa poussière? Ils ne la touchent pas.
Jamais les sons ne s'élèvent de ce qu'ils voient.
Ils polissent leurs yeux dans le creux de leurs mains.
Ce fut longtemps après que les lilas survinrent.
Mais la ville et l'arôme jamais ne s'unirent,
Bien que les buissons bleus fussent en floraison —
Et sont en floraison, fleurissent dans l'agate
Des yeux, d'un rouge bleu, rouge mauve, jamais
Rouge d'un seul tenant. La langue, la narine,
Les doigts sont rebut comique, et fange est l'oreille;
Mais les yeux sont des hommes au creux de la main.

Ce qui est ici? L'homme doit être bien pauvre
Doté d'un sens unique, alors même qu'il hume
Les nuages, soit pour voir dimanche la mer,
Soit pour toucher une femme cadavéreuse,
D'une pauvreté qui ressemble à une terre,
Afin de goûter les secondes desséchées
Et les tiers insipides, de s'entendre soi
Et de ne pas parler. Les fraises un beau jour
Dans les monts Apennins... Voici que l'on dirait
Qu'elle sont un rien peintes, et, quant aux montagnes,
Les voici éraillées, usées, chiqué patent.

 

 

 

 
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