Femme regardant un vase de fleurs

[Ndt: cette traduction est dédiée à Danielle Pinkstein]

 

Cette fois-là, ce fut comme si le tonnerre
Avait pris forme, sur l'aile du piano:
La fois où les grandeurs grossières et jalouses
Du soleil et du ciel vinrent se disperser
Au jardin, comme en oiseaux se dissout le vent,
Comme en filles à nattes se muent les nuages.
Ce fut comme la mer régurgitée encore
En vent d'est, martelant les volets dans la nuit.

Petite chouette, ulule, en son for intérieur,
Comment le bleu sans fond devint particulier
Dans la feuille et le bourgeon, et comment le rouge,
Chiquenaudé en éclats, pointes parmi l'air,
Devint — comment le rouge essentiel, central,
Échappa à sa propre ample abstraction, devint,
D'abord, été, puis saison de moindre importance,
Puis flancs de pêches, de poires crépusculaires.

Ulule comment ces coloris inhumains
Tombèrent en place auprès d'elle, où elle était,
À la manière de conciliations humaines,
Et, mieux, d'une réconciliation plus profonde,
D'un acte, d'une affirmation libre de doute.
La grossière et jalouse carence de formes
Devint et la forme et l'arôme de ces choses
Sans clairvoyance, dont elle se trouvait proche.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le barbu bien habillé

 

Après le non final, il apparaît un oui
Et de ce oui dépend le monde futur. Non
Était la nuit. Oui est le soleil d'à présent.
Si les choses rejetées, les choses niées,
Glissaient au dessus de la cataracte à l'ouest,
Mais qu'une, rien qu'une, une seule chose ferme,
Quand même elle ne serait pas plus haute qu'une
Corne de grillon, une pensée que l'on va
Réviser tout le jour, ou le discours d'une âme
Dont la vie doit se soutenir par le discours,
Qu'une chose, infaillible, restât suffirait.
Ah, douce campagna alors de cette chose!
Ah, si douce campagna, baume pour le cœur,
Vert dans le corps issus d'une phrase étriquée,
D'une chose qu'on croit, d'une chose affirmée:
La forme sur l'oreiller jasant quand on dort,
L'auréole sur la maison jasant...
                                             Jamais
L'esprit ne connaît de satisfaction, jamais.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

D'oiseaux bleus & brillants & du soleil de gala

 

Quelques choses, niño, quelques choses sont telles
Qu'elles sont aussitôt et d'elles-mêmes gaies
Et toi et moi en sommes, ô très misérables...

Pour un moment elles sont gaies et font partie
D'un élément, qui est pour nous le plus exact,
Où nous prononçons joie comme s'il s'agissait

D'un de nos mots. C'est là, pour nous les imparfaits,
Avec ces choses et, sans avoir rien appris,
Érudits en bonheur, qu'avec le plus de joie

Nous sommes qui nous sommes et pensons sans rien
Du labeur de penser, dans cet élément même,
Et nous trouvons emplis, sur un mode distinct,

Pour un moment — à croire qu'en dehors de nous
Il existait une étincelante scienza —
D'une gaieté qui vient de ce que c'est que d'être

Et ne provient plus du simple fait de savoir,
La volonté d'être et d'être total, par foi,
Provoquant un rire, un agrément, par surprise.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mme Alfred Uruguay

 

Et bien quoi dirent les autres et le soleil
Déclina et, dans les bleus bruns du soir, la dame
Dit au creux de l'oreille de l'âne «Je crains
Que l'élégance n'ait tout autant que le reste
À se battre.» Elle poursuivit son ascension
Jusqu'à ce que dans son giron le clair de lune,
Qui muait son velours, fît un avec sa robe
Et elle dit «À tout, j'ai opposé mon non,
De manière à parvenir à ce que je suis.
Je me suis décrottée du clair de lune comme
D'une fange. L'innocence de ton oreille
Et moi, si je te montais nue, sont ce qui reste.»

Le clair de lune se désagrégea alors
En formes dégénérées, comme elle approchait,
Sur son pic, du réel, avec ténèbres hautes.
L'âne était là, pour qu'on le montât, qu'on le tînt
Par l'oreille, bien qu'il soupirât d'un grelot,
Formant ses vœux en vue d'un grelot déformant.
Non que le clair de lune y eût pu rien changer.
Quant à elle, malgré le velours, jamais être
N'eût pu être davantage qu'être, jamais
Elle n'aurait pu qu'elle fût différemment.
Son non et non rendait impossible le oui.

Monté sur toute la volonté d'un cheval,
Qui fut-ce alors qui vint à passer en ce lieu?
Quelle effigie de l'imagination capable?
À qui le cheval dont retentit le chemin
Qu'elle gravissait, tandis qu'il le dévalait,
Aveugle à son velours et à ce clair de lune?
Fut-ce un cavalier soucieux du seul soleil,
Un jeune être, un amant au chef phosphorescent,
Pauvrement mis, arrogant du flux de ses forces,
Perdu dans l'intégration des os des martyrs,
S'éloignant au galop du réel, et capable?

Comme l'homme capable descendait la pente,
Les villages sommeillaient, le temps cravachait
Leurs horloges et les rêves étaient en vie,
Les gros gongs ajustaient des rebords à leurs bruits,
Comme le cavalier, sans rien de chevalere
Et d'une pauvre mise, cabrant aux grelots
Et aux formes de minuit, poussait sa monture,
Passés les palis de rocs, au bas de la route,
Et, capable, vainqueur éventuel, créait
Dans son esprit à partir des os des martyrs,
L'élégance absolue: la terre imaginée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Apartés sur le hautbois

 

Fin des prologues. Il va désormais s'agir
De l'ultime croyance. Eh bien, nous en dirons
Que l'ultime croyance devra se trouver
Au cœur d'une fiction. Voici le temps du choix.

I

Cette obsolète fiction du grand fleuve au cœur
D'un pays vide; les dieux que Boucher tua;
Et les héros de métal que le temps granule —
Lui seul, dans la rosée, l'homme des philosophes
Marche encore et encore sur le bord de mer
Murmure des versets laiteux ayant pour thème
Une imagerie immaculée. Si tu dis
Sur le hautbois que l'homme ne saurait suffire,
Qu'on n'en peut faire un dieu, qu'il est toujours en tort
À la fin, quelque nu ou grand qu'il soit, demeure
Tout de même toujours l'homme des philosophes,
L'impossible possible, l'homme disposant
De temps en suffisance pour avoir pensé,
L'homme au centre, le globe humain, sensible ainsi
Qu'un miroir doté d'une voix, l'homme de verre
Qui d'un million de diamants nous récapitule.

II

Il est la transparence du lieu où il est.
Au cœur de ses poèmes, nous trouvons la paix.
Il régente ce bric-à-brac de colporteur
Et crie, l'homme de verre, froid et dénombré,
Et il crie, dans l'été, d'une voix de rosée:
«Point n'es-tu l'Août avant que je ne t'aie fait tel,»
Des pas clandestins sur d'imaginaires marches
S'élèvent dans la nuit au chant de ses coucous.

III

Mort et guerre, une année, ont prévenu l'arôme
Des jasmins et les îles de jasmin ne furent
Que martyres en sang. Et qu'en fut-il alors
De cet homme central? Trouvâmes-nous la paix?
Nous trouvâmes la somme des hommes, trouvâmes,
Trouvant le mal central, le bien central. Les morts,
Nous les couchâmes sans couronne de jasmin.
Il n'était rien qu'il n'eût souffert; non plus que nous.

Ce n'est pas que le jasmin jamais fît retour.
Mais le globe de diamant et nous à la fin
Devînmes un. Nous avions toujours été un
En partie. Par la manière dont nous en vînmes
À le voir, nous ne fûmes plus qu'un seul total;
Par celle dont nous l'entendîmes qui chantait
Pour ceux qui reposaient enterrés dans leur sang
Par les forêts hantées de jasmin, nous connûmes
L'homme de verre, sans référence extérieure.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Extraits d'adresses à l'Académie des Belles-Idées

 

I

Un papier froissé fait un bruit brillant.
Les roses de papier tintent, ridées;
L'oreille est de verre que les bruits criblent,
Les fausses roses — Comparez la rose
Silencieuse du soleil et la pluie,
La rose-sang en vie dans son arôme,
Avec ce papier et cette poussière.
Voici l'argument établi.
                                *Messieurs*,
Ce monde est artificiel. Pour la rose
De papier, sa nature est de son monde.
La mer est quantité de mots écrits;
Le ciel est bleu, clair, couvert, sombre, haut,
Immense et rond; les montagnes s'inscrivent
Sur les murs. Sinon, la rose pluvieuse
Appartient aux hommes nus et aux femmes
Nues comme la pluie.
                               Où est cet été
Tiède assez pour s'avancer au milieu
Des poisons lascifs sans en être atteint,
Et dans quel havre sera-t-il possible
Que, nus, nous nous retrouvions par-delà
La connaissance de la nudité,
En tant que part de la réalité,
Mais dans l'au-delà de la connaissance
De ce qui est réel, en tant que part
D'une contrée au-delà de l'esprit?

La pluie est tyrannie insupportable
Et le soleil est façonneur de monstres,
Un oeil, rien qu'un oeil, un formeur de formes
Pour le seul oeil, d'objets sans plus de prix
Que des objets de papier, que des jours
De papier. Le vrai et le faux sont un.

II

L'œil croit et il reçoit sa communion.
L'esprit rit de voir l'œil croire et reçoit
Sa communion. Examinons ce point.
Que le Secrétaire des Porcelaines
Observe que le mal rendu magique,
(La catastrophe sera notre exemple)
S'il est proprement émaillé, devient
Tout ainsi que le fruit d'un empereur,
L'aubergine d'une altesse. Le bien
Est l'invention ultime du mal.
Ainsi, le fabricant de catastrophe
Invente l'œil et à travers cet œil
Rend égal à dix mille morts un seul
Abricot bien tempéré, ou, disons,
Une aubergine de bon air.
                                    Mes barbes,
Assistez à l'hilarité du mal:
Le ricanement farouche; entre deux,
Le féroce chut-chot-chut, les sanglots
Pour plus d'air afin de rire plus fort,
Les hoquets au plus profond soulevant
La rhétorique la plus exhaustive
Des rictus, les fugues qui s'acheminent
Des orteils jusqu'à la pointe des doigts...
C'est la mort qui est les dix mille morts
Et la male mort. Demeure tranquille
Dans tes blessures. C'est la bonne mort
Qui met fin à la male morte et meurt.
Demeure tranquille dans tes blessures.
L'astre conciliateur sera plus doux
Pour la mort que tu meurs; les philosophes
Qui sont sans secours vont encore dire
Des mots qui seront pourtant secourables.
Platon, fleur rougie, oiseau érotique.

III

Les chats chétifs des arches des clochers,
Tel est l'ancien monde. Dans le nouveau,
Tous les hommes sont des prêtres.

                                                  Ils prêchent
Et ils vont prêchant dans une contrée
Qui reste à décrire, et ils vont prêchant
Dans un temps qui reste aussi à décrire.
Évangélistes de quoi? S'ils pouvaient
Rassembler leurs ceux-ci en rien qu'un seul,
Rassembler leurs pensées en une seule,
En une unique pensée, de la sorte:
En une reine, en un intercesseur
Par rapport inné, en un roi bleu-nuit,
Un *roi tonnerre*, dont le seul fait d'être
Serait sa vaillance, Mammouchi
Et cœur central, esprit de tous esprits —
Ah, s'ils le pouvaient! Ou est-ce plutôt
Que la multitude des pensées même,
Comme insectes aux tréfonds de l'esprit,
Tue l'unique pensée — les multitudes
Des hommes tuent l'homme qui soit unique,
Tête de famine, un homme, leur pain
Et la ressouvenance de leur vin?

Les chats chétifs des arches des clochers
S'étalent au soleil où il leur semble
Être transparents et comme voulus
Par X, par le maître nobilissime.
Ils ont conscience de leur intention
Et savourent la lumière du jour.
Ils supportent plaisamment le dessin
Légèrement inexact qui d'un rien
Les dépasse et dont leur génie est fait:
C'est là les erreurs exquises du temps.

IV

Un des tout premiers dimanches d'avril,
Jour faible, il fut pris de curiosité
Quant aux collines d'hiver, s'inquiétant
De l'eau dans le lac. C'était en décembre
Qu'il avait commencé à faire froid.
La neige, d'abord au premier de l'an,
Avait tout recouvert jusqu'en avril.
Fondue depuis lors, elle avait laissé
Une herbe aussi grise qu'une paillasse
Fortement comprimée, et de la boue.
Le vent d'hiver soufflait dans le lieu vide.
Le vent d'hiver soufflait dans un lieu vide —
Il y avait cette différence entre
Un et le, la différence entre lui
Et nul homme, nul homme à écouter
Le vent dans un lieu vide. Il était temps
De redevenir lui-même pour voir
Si le lieu, malgré sa dessiccation,
Se tenait toujours dans la différence.
Il était curieux de savoir si l'eau
Était noire et ruait de tous côtés
Ou si le lac était toujours gelé.
Il y avait encore de la neige
Sous les arbres et les rochers au nord,
Les rochers défunts, non les rochers verts,
Les rochers vivants. Si, sous son regard,
L'eau escaladait l'air ou blanchissait
Au pourtour de la glace, l'abstraction
Serait rompue, l'hiver serait rompu
Et passé, et être à nouveau serait
Être lui-même, être, en se transformant
En regard, en émotion, en soi-même,
Voie d'eau noire s'ouvrant dans le réel.

V

La loi du chaos est la loi des idées même,
Des improvisations, des saisons de croyance.

Les idées sont des hommes. La masse du sens
Et la masse des hommes sont la même chose.

La masse du sens n'est pas le chaos, qui est
Trois ou quatre idées, ou disons cinq hommes, voire

Peut-être six. Ces assassins philosophiques
Dégainent pour finir chacun son revolver

Et tirent l'un sur l'autre. Il n'en demeure qu'un.
La masse du sens est de nouveau composée.

Celui qui est resté joue sur un instrument
Un juste traité entre la nuit et lui-même,

Un accord entre lui et la masse des hommes
Loin, loin au-delà des putatives canzones

De l'amour comme de l'été. Dans le chaos,
L'assassin chante et son chant est consolation,

Il est la musique de la masse du sens
Et cependant il est romance singulière,

Cette ardeur pour l'idée pure au sein du sang-monde,
Cette inaptitude à trouver un son qui tienne

À l'esprit, comme le fait ce juste son-là,
Cette chanson-là de l'assassin qui demeure

Et qui chante, dans la haute imagination,
Qui chante de manière toute triomphale.

VI

D'un penser systématique... Ercole,
Ô, épine et peau et ta chevelure,
Ercole, quel est, quand dans ta caverne
Tu gis, l'objet de ta pensée? Penser,
C'est penser la voie qui mène à la mort...

Cet autre a voulu penser, lui, la voie
Qui mène à la vie, sûr que le poème
Ultime est l'esprit, ou bien de l'esprit,
Ou bien de l'esprit dans ces Élysées,
Ces jours, demi-terre et demi-esprit;
Mi- soleil et mi- pensées du soleil;
À demi ciel et à demi désir
Pour l'indifférence devant le ciel.

Cet autre, il a voulu penser sa voie
Vers la vie et être heureux car les gens
Pensaient à l'être. Il leur fallait penser
Pour l'être. C'est cela qu'il a voulu,
Confronter la saison, sans pouvoir faire
Le départ entre ce qui en était
Lumière et ce qui y était pensée,
Dans ces Élysées, dans ces origines,
Cet endroit unique où nous nous trouvons
Et où nous demeurons, à l'exception
Des images que nous tirons de lui
Et pour lui, grâce auxquelles nous pensons
La voie, et dans le malheur, devisons
Du bonheur, et devisant du bonheur,
Comprenons qu'il implique que l'esprit
Est le terme et doit être satisfait.

Il ne peut être pour moitié la terre
Pour moitié l'esprit; à demi soleil
À demi la pensée; tant que l'esprit
N'a été satisfait, tant que pour lui,
Son esprit n'a pas été satisfait.
Le temps fait effort afin de produire
La pensée rédemptrice et y parvient,
Parfois, dans le somnolent d'un mi-jour,
Mais d'une manière trop vague pour
Se voir inscrite avec un caractère.

VII

Avoir satisfait l'esprit, se tourner pour voir
(Ce qui est l'entière mesure de la foi
Que nous puissions avoir), se tourner, regarder
Et dire qu'il n'y a rien de plus que cela,
Que c'est dans cela seul que je puis avoir foi,
Quoi que cela puisse être; alors ce que l'on croit
Résiste à chaque apocalypse du passé,
Rejette Ceylan, ne veut rien qui soit issu
De la mer, *la belle aux crinolines*, estompe
Les montagnes démentes.
                                     Cela que l'on croit
Seul compte. Les extatiques identités
Entre soi-même et la saison et chaque chose
De la saison sont la foi telle qu'on la porte
À son propre élément, les réunions fortuites,
Les abdications longuement soupesées,
Les dictons répétés selon lesquels rien d'autre
N'existe et qu'il suffit de croire à la saison,
Aux choses et aux hommes de cette saison
Et en soi-même, en tant que part de cet ensemble
Sans rien d'autre. Ainsi, si l'on allait dans la lune
Ou n'importe où, plus haut, en quelque autre élément,
On suffoquerait dans l'air de la différence,
Incapable de foi dans cette différence.
Alors, au retour de la lune, à respirer
Le froid du soir, dénué de parfum, de l'ombre
D'aucune femme, à dévisager la lueur
La plus ténue et la couleur la plus distante,
La plus unique, au moment qu'elle va changer,
Et, dans le dévêtement de toute illusion,
Dans le dénuement, parvenu au dénuement
Le plus ajusté, si l'on respirait alors
Le froid du soir, l'inhalation la plus profonde
Proviendrait du retour vers le centre subtil.

VIII

Nous vivons dans un camp... Stances de paix finale
Se trouvent dans le résidu du cœur... Amen.
Mais serait-ce l'amen, en chœurs, si autrefois
Nous étions morts au cours d'une guerre totale
Et si nous étions revenus, après mourir,
Incapables de mourir de nouveau, voués
À subir alors chaque blessure mortelle,
Par-delà une mort seconde, en male fin?
Ce n'est que par notre capacité de mort
Que nous échappons aux blessures. Toutefois,
Reposer enterré dans une male terre,
Si le mal n'a jamais de fin, c'est revenir
Au mal après la mort, sans la capacité
De mourir de nouveau, voué à endurer
Bien au-delà d'aucun terme mortel. Les chants
De la paix finale sont dans le résidu
Du cœur.
             Comment le chant serait-il donc possible
Si nous vivions dans le mal et gisions ensuite
Âprement enterrés dans son sol?
                                              Si la terre
Dissout après la mort ce qu'elle fut de mal,
Elle le dissout au moment que nous vivons.
C'est de là que les chants finals viennent, les chants
Du rêveur dans sa quête du plus juste terme
Du discours: transpercer le résidu du cœur
Et y trouver la musique d'un vers unique,
Égal au souvenir, un vers au sein duquel
La musique vitale formule les mots.

Voyez les hommes casqués, montés sur acier,
Décolorés, comment ils vont à la défaite.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Montrachet-le-jardin

 

Qu'y a-t-il à aimer de plus que je n'aimai?
Et s'il n'est rien de plus, ô brillant, ô brillant,
Le poussin, le ciron et la ciboule en pousses

Et grand-lune, grillon impresario, et, hoy,
Le passé impopulaire plaqué de pourpre,
Hoy, hoy, les grands bœufs bleus agenouillés de sieste.

Coucouac! tique l'horloge, s'il n'est rien de plus.
Mais si, mais s'il se trouve un plus qu'on puisse aimer,
Un quelque chose dans un vocable aujourd'hui

Dépourvu de tout sens, une ombre dans l'esprit,
Un florisseur de sons ressemblant à des sons,
Efflorissant, qui soit presque comme éprouver

Ou bien qui en découle, de ces autres ombres
Sises hors de l'esprit, joueuses d'aphonies,
Accordées depuis zéro jusqu'à par-delà,

Grumeaux des tripotages ribauds du futur,
Mais s'il reste quelque chose en plus à aimer,
Amen, aux émotions nées d'objets familiers,

Le faste bénit chu du yucca à rosée,
Amen à la pensée, notre étrange squelette,
Clin de sel, et amen aussi à la cellule

Qui nous est coutumière, ainsi qu'au clair de lune
Dans la cellule et aux mots qu'on lit sur ses murs.
Cette nuit, le murmure de la nuit s'approche,

Indéchiffrable, de l'ouïe du prisonnier;
Il devient gorge que la main peut attoucher,
Marbre ni bronze vert, mais gorge du héros

Dans laquelle les mots sont dits, et de laquelle
Le plain-chant s'avance en direction de l'oreille,
Issu de l'être du héros, libérateur

Qui libère le prisonnier avec ses mots,
Afin que le squelette au clair de lune chante,
Chante un monde héroïque par-delà ses murs,

Non, non parce qu'il croit, mais pour faire des murs
Un monde de héros dont il est le héros.
L'homme doit devenir le héros de son monde.

Le squelette salé doit se mettre à danser
Car il le doit, dans l'arôme des nuits d'été,
Violette licencieuse avec rose lascive,

Amour du mi d'été et silences très doux,
Climat des créatures de la nuit, sifflant
Tout le jour aussi bien, répétant en écho

Des rhétoriques plus vastes que nous n'avons.
Il entend les tout premiers poèmes du monde.
Où l'homme est le héros. Il entend les vocables

Avant que l'orateur ait eu le temps de prendre
Son souffle le plus jeune! Ne t'effraie jamais
Des nuages brutaux ni du stop hivernal,

Laisse la panse à eau de l'océan rugir,
Ni n'éprouve l'x exécration d'autres hommes,
Puisque dans le pays-héros où nous allons,

En approchant un peu par chaque multitude,
Où nous entrons comme en un commun biseauté,
Le poison dans le sang aura été purgé,

Miracle intérieur et sacrement-soleil,
Miracle parmi les plus grands, dont la tombée
Est comme d'une pomme, sans astronomie,

L'un des sacrements entre deux respirations,
Dont la magie tient au changement qu'ils produisent.
Le squelette déclara que la question porte

Sur l'homme nu, sur l'homme dénudé enfin,
Le héros le plus grand, le vir plus pompissime.
Considère la façon dont les dieux sans voix,

Invisibles, nous ont soumis à leur empire
Autrefois, de par l'au-delà de l'Asie, par
Notre plus mince appréhension de leur vouloir.

L'Asie doit regorger de pitié, de divins
Érudits dont les ombres penchent sur leurs livres,
Divines oraisons des sacristains étiques

Du bien, parlant du bien avec une voix d'hommes.
Tout homme peut en parler par la voix des dieux,
Mais parler du bien simplement, c'est comme aimer,

Comme égaler l'homme-racine et le surhomme,
L'homme-racine dans son troupeau que torture
Sa propre masse, et le surhomme à frisottis

Qui est à la fois possesseur et possédé.
Pour un temps de Terra Paradis j'ai rêvé,
Rivières en automne, silves verdoyantes

Et montagnes béates rehaussées de neige,
Mais dans ce rêve même s'éveillait sans cesse
Un poids de différence; un sens d'endeuillement

Faisait de vains efforts pour pouvoir y trouver
La saison de vivre ou l'élément de la mort.
*Châteaux* bâtards et damoiselles embrumées,

Du vent! Je suis à même de bâtir mes tours
Du haut desquelles je contemple et je proclame
Le fait dans son répons de libre gratitude

Et de grâce, d'où je projette l'homme nu
Dans un état de fait, au titre de vertu
La plus intense et de trouvaille par l'ascèse.

Item: les coqs criaillent et les oiseaux crient
Et le soleil s'étale, en répétition sur
Une seule corde, absolu, sans varier

Vers une inaccessible sonorité pure.
Item: jamais le vent n'est O s'arrondissant
Et, dépourvu d'image, il est le plus lui-même,

Donnant voix à son faux savoir de par l'espace.
Item: le pensif poisson vert des roseaux verts
Est un absolu. Item: quand les cataractes

En tant que faits tombent, elles tombent en trombes
De jouvence, tombant par le nu vers le nu,
Vers la créature aurorale qui rumine

Dans l'esprit. Item: souffle, souffle sur le centre
Du souffle les ultimes, les milliers de sens
De la vie, mais que ce sens soit le seul qui vaille.

Pourtant, à quoi bon les dévotions de la veille?
J'affirme et tout soudain, à minuit, le grand chat
Jaillit d'un bond de l'âtre et disparaît d'un coup.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les dépêches et la météo

 

I

Le soleil bleu paré de sa cocarde rouge
A aujourd'hui patrouillé les États-Unis,

D'une taille plus grande qu'un œil pût la voir
D'un âge plus assis qu'un homme pût l'avoir.

Il étreignait les drapeaux et les défilés
Des gens, autour des ateliers de mécanique:

Sa façon les astiquait. Il s'électrisait
Au chahut des serpentins. Il galvanisait.

Sa cocarde rouge chapeautait la parade.
Sa façon s'emparait de tout ce qu'il trouvait,

Dans les jaunets verdâtres qu'il jetait en l'air
Et les pianos à l'esprit qui lui résonnèrent.

II

Solange, le magnolia à qui j'ai parlé,
Un arbre nègre et doté d'un nom nègre, à quoi

J'ai parlé, auprès de quoi debout j'ai parlé,
Je suis Solange, euphonique ciguë, dit-elle.

Je suis un poison quand vient la fin de l'hiver,
Ingéré sur saison fanée, nuées fripées,

Pour étouffer l'esprit narquois dans sa misère.
Inhale la fragrance pourpre. Elle devient

Presque fragment nègre, mystique pour l'esprit
Que l'intelligence a réduit à l'impuissance.

Il existe, Solange, un moment dans l'année
Où le long soupir mande une autre année de vie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Métamorphose

 

Jônet, jônet, jônet,
Vieux ver, mon beau caprice,
Comme le vent épelle
Sep — tem — bre...

L'été est tout en os,
Le rouge-gorge à Caracas.
Fais o, fais o, fais o
Oct — octau — bre.

Et tombent les feuilles brutes.
La pluie tombe. Le ciel
Tombe et gît avec les vers.
Les lampadaires

Sont ceux-là que l'on pendit,
Ballottant d'un illogique
Va-et-va et vient et
Vient Ni — nil — imbe.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Thèses contraires (I)

 

Voici que les raisins sont les fastes des vignes.
Un soldat se promène au devant de ma porte.

Les ruches s'alourdissent du poids des rayons.
Au devant, au devant, au devant de ma porte.

Les séraphins se pressent sur les dômes ronds,
Et les saints sont fringants dans leur neuve futaine.

Au devant, au devant, au devant de ma porte.
Les ombres se font plus réduites sur les murs.

La nudité de la demeure fait retour.
Et les corridors s'emplissent d'un soleil sur.

Au devant, au devant. Du sang souille les chênes.
Un soldat est posté aux aguets à ma porte.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Phosphore lisant à son propre éclat

 

Il est dur de lire. La page est sombre.
Pourtant il sait ce que c'est qu'il attend.

La page est vierge ou bien cadre sans verre,
Ou bien verre vide quand il regarde.

La verdure de la nuit sur la page
Gît et va profond dans le verre vide…

Vois, réaliste, qui ne sais qu'attendre,
Le vert choit sur toi comme tu regardes,

Choit et forme et donne, et même des mots.
Tu penses que c'est ce que tu attends,

Cet élémental parent, la nuit verte,
Qui professe un alphabet basané.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La quête d'un son détaché du mouvement

 

De tout l'après-midi le gramophone
Parl-palabra de saison caraïbe.
Avec les feuilles zébrées et la mer,
Ensemble ils dégoisèrent d'unisson.

La mer aux maintes strophes et les feuilles
Ensemble ils dégoisèrent d'unisson.
Mais toi, toi tu fis usage du mot,
Ce que tu es en propre son honneur.

De tout l'après-midi le gramaphon,
De tout l'après-midi le gramaphon,
Le monde sous les espèces du mot,
Parl-palabra le typhon caraïbe.

Le monde vit comme toi-même vis,
Comme tu parles, parle en créature
Qui répétant ses mots vitaux, balance
Aussi la syllabe d'une syllabe.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jumbo

 

Aux arbres pizzicatant en barreaux de fer,
Jumbo, le large au général tonitruement
Chantonnait et chantonnait, libre sans contrainte.

Qui fut le musicien, adipeusement doux
Et libre sans contrainte, dont l'ergot griffu
À l'oreille éraillait ces consonantes-là?

Qui le transmutateur, lui même transmuté,
Dont le seul être et dont l'unique de sa forme
Étaient leurs ressemblances dérivés des nôtres?

Le compagnon accompagnateur en néant,
Tonitruant, général, large, adipeux, doux
Et libre et sans contrainte, l'homme secondaire,

Bouffon des bouffées, peintre bleu, soleil en cor,
Sommité des hauteurs, homme qui n'est jamais,
Celui-là, le rateur éreinté à mots rudes,

Ancêtre de Narcisse, celui qui est prince
Des hommes secondaires. Il n'est pas de rocs
Et de pierres, seulement cet imagier-ci.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Thèses contraires (II)

 

Une après-midi chimique de mi-automne,
Dans le proche des grandioses machineries
De la terre et du ciel, et jusques aux feuillages

Du caroubier qui jaunissaient, il s'en alla
Portant son fils d'un an juché sur son épaule.
Le soleil reluisait et le chien aboyait

Et l'enfant sommeillait. Les feuillages, et même
Ceux du caroubier, le caroubier verdoyant.
Il voulait et cherchait un refuge final,

Loin des intimations ampoulées de l'hiver
Et des martyrs *à la mode*. Il s'en allait vers
Un abstrait, dont le soleil, le chien, le garçon

Étaient des contours. La froidure transissait
Les cygnes d'ample allure. Les feuilles tombaient
Ainsi que font les notes issues d'un piano.

L'abstrait soudain fut là pour s'enfuir derechef.
Les nègres jouaient au football dans le jardin.
L'abstrait qu'il vit, comme les feuilles, uniment:

La prémisse dont tout était des conclusions,
La verve noble, alexandrine. Abeille et mouche
Pourchassaient toujours la senteur des chrysanthèmes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La main comme être

 

Dans le premier canto de l'ultime cantique,
Par trop conscient de bien trop de choses d'emblée,
Notre homme contempla, nue, la dame innommée,

S'en empara et s'étonna: pourquoi, sous l'arbre
Elle se tenait, main devant lui qu'il la vît
Dans l'air, à l'ondoyer à ses cheveux brillants.

Trop consciente de bien trop de choses d'emblée,
Dans le premier canto de l'ultime cantique,
Cette main le composa et composa l'arbre

Le vent s'était emparé de l'arbre et ha, ha,
Tint les membres agités de frissonnement,
Puis en baigna le corps dans le lac bondissant.

La main composa l'homme en main qui apparut,
D'un geste impersonnel, une main d'étranger.
Il était par trop conscient de bien trop de choses

Dans le premier canto de l'ultime cantique.
Elle lui prit la main et l'attira à elle.
Ses cheveux l'enveloppèrent et l'oiseau-mi

Fuit aux buissons plus vermeils du bout du jardin.
D'elle, d'elle seule il eut enfin connaissance
Et s'allongea dans l'ombre de l'arbre à son flanc.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Aux chênes sont feuilles en mains

 

Dans Hydaspie, près de Howzen,
Vivait dame Lady Lowzen,
Pour qui ce qui est était autre.

Naguère Flora elle était.
Elle était cette jouvencelle
Floride de masquerie fée,

Fugace et métamorphoride.
Mac Mort elle fut, dans l'antan,
Avec sa douzaine de pattes

Dans ses géhennes ancestrales,
Tissant, tissant de nombreux bras.
Et maintenant même, le centre

De quelque chose de tout autre,
Simplement en posant son front
Dans sa main, en contemplation

Des siècles sous forme d'écales.
Telle le gland va contemplant
Les chênes qui le précédèrent

En mémoriaux d'un son nordique,
Et débarrasse le réel
De son écume d'irréel,

Elle dans Hydaspie créée
Au mouvement de rares mots,
Flora Lowzen revigorait

D'aïeules occasions futures,
En mues à sept couleurs luisantes
En Howzen, Lowzen chromatique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Observation du héros en temps de guerre

 

I

La force est mon lot, non la grappe rose
De Rome *ni* d'Avignon *ni* de Leyde,
Et le froid, mon élément. La mort est
Mon maître et, sans lumière, j'ai demeure.
Là, la neige pend lourdement aux rocs,
Portée par un vent qui cherche un refuge
Contre la neige. Ainsi parlait chaque homme
Dans l'hiver. Pourtant chaque homme parlait
De la brillance des armes, disant
Que Rome croulait dans sa propre crasse,
Qu'Avignon était paix en temps de paix,
Et que toujours Leyde était l'autre idée.
Le brillant des armes, l'opposition
De la volonté au froid, le destin
Dedans sa caverne, ailes plus subtiles
Que toute merci, voici quel était
Le psautier sur quoi jouaient leurs sibylles.

II

Cestui Père que servons est capable
De nous délivrer. Bonne chimie, brave
Homme commun, quid du glaive angélique?
Créature de dix fois dix fois la
Dynamite, ange convulsif, briseur
Convulsif, fusil, clic, clic, cestui Père
Que servons est capable, encore, encore
De nous délivrer, est magique encore,
Encore mobile mais immobile
Dans la fumée, toujours uni à nous,
Dans le bruit d'ahan, capitaine encore,
L'homme de talent, le meneur expert,
Le créateur du coloris qui claque,
Du sortilège arc-en-ciel, l'arme fauve
Contre l'ennemi, presto, la tarasque,
Dont les chuchotis chatouillent l'esprit.

III

Ils sont dégoûtés de toutes les vieilles
Romances resservies, toutes les vieilles
Danses virevoltantes, la musique
Comme une euphonie dans un musée pour
Euphonies, peau de Nubie, hélio-cor.
Qu'étrange est le héros pour cet oeil-ci
Exact, et tout d'exigence. La vue
Pend le ciel d'une draperie éclair.
La vue est musée des choses qu'on voit.
La vue, dans la guerre, observe chaque homme
Avec une profonde attention.
Oui. Mais ces soudaines sublimations
Sont au combat ce que ses exaltations
Sont à l'inexplicable prophète ou
Toute furie envers ce noble centre.

IV

Pour saisir le héros, cet excentrique
À cheval, en avion ou au piano —
Au piano, gammes, arpèges, accords,
Exercices du matin; la lecture
L'après-midi; la nuit, la réflexion,
C'est ainsi qu'on produit un virtuose.
Le foret d'un sous-marin. Le voyage
Passés les lits d'huîtres, ombre indigo,
Remontant la grand-mer puis vers le bas,
Puis obscurément sous la volcanique
Tour-de-mer et les pinacles-de-mer
Et la montagne-de-mer. Le signal...
La tour-de-mer, ébranlée, vaguement
Se balance et les pinacles frissonnent.
La montagne croule. Chopiniana.

V

L'homme commun est le héros commun.
Et le héros commun est le héros.
Imprimatur. Mais il y a aussi
La fortune commune, induite par
Ce qu'il vous plaira: entrailles de chat,
Pacte avec le diable pour trois écus,
Femme agenouillée, adieu de la lune;
Et la fortune commune, que rien
N'induit, que rien ne souhaite, la chance,
La plus simple chevauchée de la brise,
La pluie tombant sur un septembre sec,
Les improvisations des coucous
Chez un horloger... Soldat, dans le noir,
Pense, répétant tes pas appointés
Entre deux stations de belle mesure,
Pense aux lieux communs moins bien mesurés.

VI

À moins que nous ne croyons au héros,
En quoi peut-on bien croire? Incisif quel,
Compagnon de quel bien. Avise-nous.
Façonne-le de boue jour après jour.
Mais de plus civile manière, avise,
Avise, et, le tirant du plus glacial
De l'hiver, façonne-le comme étoile
Polaire, centrale dans notre oubli,
De l'imagination d'été tiré,
Façonne-le salut d'or: pain et vin
De l'esprit, permis à l'ascèse en chambre,
À la table au rouge de nappe rouge,
Aux fenêtres caraïbes; puissance
La plus extrême qui soit et qui vive
À l'entour de nous et qui soit à nous,
Pareille à un compagnon familier.

VII

*Gazette guerrière*. Il peut arriver
Que d'aucun préfère *L'Observateur
De la paix*
: le héros de *La Gazette*
Et le héros de *L'Observateur*, l'un
Héros bourgeois, l'autre héros classique,
Ne diffèrent pas qu'un peu. Le classique
A changé. Il y en eut un grand nombre;
Un grand nombre aussi de héros bourgeois.
On compte plus de héros qu'on ne compte
De marbres d'après eux. Ils constituent,
Les marbres, des pinçons sur une idée,
Pourtant, cette idée, elle existe bien
Derrière les marbres, l'idée d'objets
Pour jardins publics, d'hommes assortis
Aux fougères publiques... Le héros
Glisse vers son rendez-vous en amant
Murmurant un secret passionnément.

VIII

Le héros n'est pas un individu.
Il faudrait que le marbre et l'épitaphe
De Xénophon exhibent Xénophon,
Ce qu'il était, puisque sa tête ni
Son cheval ni son couteau, sa légende,
Ne relevaient de ce qu'il était, formes
De nature morte, symboles, choses
Brunes dont penser dans des livres bruns.
Les marbres de ce qu'il fut ne s'érigent
Qu'au titre d'abstraction blanche, émotion
Dans une masse émue, une émotion
Sans objet, un anti-pathos, à moins
Que nous lui donnions pour nom Xénophon,
Sa mise en oeuvre et son acteur. Obscur
Satan, lève un patron de cet article,
De cette force. Transfère-la vers
Un barbarisme qui en soit l'image.

IX

Si le héros n'est pas individuel,
Son emblème, même si elle a nom
Xénophon, paraît de taille plus haute
Qu'un individu, et dotée d'un front
Plus large, d'yeux vastes et moins humains,
D'oreilles abruties: corps presque humain
D'un primitif. Il avance d'un pas
Plus adroit et plus délié. Ses bras
Pèsent lourds et son poitrail est grandeur.
Toutes ses harangues sont des prodiges
En phrases plus longues et ses pensées,
Engendrées aux sources claires, dans l'air
Apparemment, vont dévalant de lui
Ainsi que la chantrerie d'un poète
Abondant, comme si pour lui penser
Était une joie et qu'il fût contraint
De penser par quelque musique infuse.

X

Et si le phénomène, magnifié,
Est, sua voluntate, magnifié
Davantage, excédant sa circonstance,
Projeté vers le haut et vers le bas,
Vers les lointains, sur toute l'étendue,
S'opposant à la distance, en parades
Pareilles à maints équipages, peint
Par des fous et pris pour de la magie,
Foliolé en adjectifs au titre
De gloire privée, spéciale, adéquate,
Et même trônant sur des arcs-en-ciel
Sous les yeux des poissons de l'océan,
Des oiseaux de couleur et des gens qui peuplent
Cet air-terre bien trop volumineux —
Pouvons-nous vivre de descriptions sèches,
Sentir que tout meurt de faim, hors le ventre
Et nous sustenter de lubies en miettes?

XI

Mais parade profane, le basson
Va préludant pom-pom-pom-pi-pom pour
Celui qui a fourvoyé l'empereur,
Les trompettes naines en frisottis
À l'entour du clocher et de la foule,
Les éléphants du bruit, dans les trombones
Les tigres rugissant pour les enfants,
Les garçons ressemblant à des gâteaux,
Hip, hip, les gars en guise de légumes,
Hip, hip, foyer et champs chantent louange,
Hourrah, hip, hourrah. Éternel matin...
Chair sur os. Le squelette, ayant jeté
Sa croûte au loin, mange de cette viande,
Il se désaltère à ce tabernacle,
Cette communion, il dort au soleil
Et ne se rappelle de rien du tout.

XII

Il ne s'agit pas d'une image. C'est
Une émotion. Il n'existe pas
D'image du héros. Mais il existe
Une émotion qui vaut définition.
Profil ou dessein ou marbre souillé
De pigeons, quelle image pourrait-on
En offrir? Le héros est émotion,
Est homme vu comme si le regard
Était émotion, comme si, voyant,
Nous voyions notre impression dans l'objet
Du regard et que nous sauvegardions
Cette mystique contre la vision,
Contre la pénétration de l'œil pur.
En place d'allégorie, nous avons
Et sommes cet homme, somme capables
De ses braves verdeurs, de ces humaines
Accélérations semblant inhumaines.

XIII

Ces lettres de lui pour les minuscules
Spectres imaginatifs qui badinent
Avec le sel de vivre sur leurs lèvres
Dont ils apprécient la saveur, sécrètent
Trop de références au dedans d'elles.
C'est dans la réalité que l'action
Du héros prend place; il n'ajoute rien
À ce qu'il fait. Il est tout à la fois
L'acteur héroïque et l'acte héroïque,
Sans division. Qu'on ne le puisse pas
Concevoir provient de sa conception,
Puisqu'il est réel. Alors nous dirons
Du héros qu'il est sa propre nation
Qui devient en lui une seule chose,
Et en parlant ainsi nous détruirons
Toutes les références. Cet acteur
Est anonyme et n'y peut rien changer.

XIV

Mille cristaux aux voix carillonnant
Telles l'effet follet d'éclats virant
En éclats d'instants, fusionnent, en hymnes,
Au travers d'iridescents changements,
De la compréhension du héros.
Ces hymnes sont ainsi qu'un feu têtu,
S'approchant par les approches obscures
Du temps et du lieu, dont la certitude
S'accroît peu à peu tandis qu'il devient
Centre organique de toute réponse,
Franc d'entrave, et myriade de cristaux.
L'acte de méditer le plus haut homme,
Non pas le plus haut par supposition
Dans ce qu'il est ni au-delà de lui,
Crée, dans les perceptions les plus ravies,
Ce que l'unisson crée dans la musique.

XV

L'homme le plus haut, sans rien qui soit plus
Haut que lui, son être, l'être étreignant
L'être du héros, l'unique solaire,
Homme-soleil, homme-lune, homme-terre,
Homme-océan, compose des poèmes
Sur la syllabe fa ou bien bondit
Du haut du nuage, ou, par sa fenêtre
Voit sur février de piètres dorures...
L'homme-soleil, qui est héros, rejette
Ce faux empire... Tels sont les travaux
Et les passe-temps du plus haut de l'être:
Il étudie le papier sur le mur,
Les citrons sur la table. C'est ainsi
Que s'écoule sa journée. Sans rien perdre,
Il parvient à l'homme-homme qu'il voulait.
Ceci est sa nuit et ce qu'il médite.

XVI

Tout ce qui est faux finit. Le bouquet
De l'été bleuit; sur sa table vide
Il flétrit et son eau se décolore.
Le véritable automne alors surgit
Sur le seuil. À la suite du héros,
L'homme familier rend artificiel
Le héros. Pourtant l'été fut-il faux?
Le héros? Comment fûmes-nous conduits
À prendre l'automne pour la saison
Véritable, l'homme familier pour
L'homme véritable? Afin que l'été,
Crispant les plus fauves diamants, vêtu
De son cramoisi redoublé d'azur,
Puisse soutenir véritablement
Ses fortunes héroïques visant
La vaste, la solitaire figure.

 
 
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