Les créations du son

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1. NdT : "Seulement, sachons n'existerait pas le vers: lui, philosophiquement rémunère le défaut des langues, complètement supérieur. " Mallarmé, CRISE DE VERS.

 

 

Si la poésie d'X était musique,
Qu'elle lui vînt donc de son propre accord,
Sans entendement, émanant du mur

Ou au plafond, sur des sons non choisis
Ou fruits d'un choix prompt, d'une liberté
Qui fût leur élément, nous ne saurions

Qu'X est une obstruction, qu'il est un homme
Trop exactement lui-même et qu'existent
Des mots mieux lotis s'ils n'ont pas d'auteur,

S'ils n'ont pas de poète, ou si, l'ayant,
Un auteur alors qui soit séparé,
Un poète différent, accrétion

Issue de nous-mêmes, intelligent
Au-delà de l'intelligence, un homme
Artificiel et distant, scoliaste

Secondaire, être de sons, qu'on approche
Au moyen d'aucune exagération.
C'est de lui que la collection nous vient

Dis à X que la parole n'est pas
Le crasseux silence rendu plus clair.
C'est silence fait plus crasseux encore.

C'est plus qu'une imitation pour l'oreille.
Cette vénérable complication
Fait défaut chez lui de qui les poèmes

Ne sont pas la seconde part de vivre.
Ils n'aident pas à rendre un rien ardu
Le visible à voir ni, réverbérant,

Ne rémunèrent1 sur tubas spéciaux
Le défaut de l'esprit, issus eux-mêmes
De la rémunération qui provient

Spontanément des sons particuliers.
Nous ne nous disons pas dans les poèmes
De cette façon. Nous nous y disons

Avec des syllabes, sur des syllabes
Qui s'élèvent du plancher, s'élevant
En un parler que nous ne parlons pas.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vacances dans la réalité

 

I

Ce fut un choc de voir que leur blanc différait,
Dur comme badigeon blanc d'un jour de janvier;

Un choc de sentir que c'était un autre jaune
Qu'ils voulaient, moins Aix que Stockholm, à peine un jaune,

Une vibrance qu'on ne pouvait croire acquise,
Issue du soleil d'un ciel froid, presque incolore.

Ils avaient su que même un langage commun
N'existait pas, palabre d'un homme commun

Qui n'existait pas. Pourquoi ne voyaient-ils pas
Que ce qu'ils avaient, ils le possédaient en propre

Comme chacun avait sa femme singulière
Et son toucher? Après tout, pour être réel,

Ils savaient que chacun devait trouver pour soi
Et sa terre et son ciel et sa mer. Et les mots

Dont les nommer et les couleurs qu'ils possédaient.
On ne pouvait respirer chez Durand-Ruel.

II

Le Judée fleurissant pousse à partir du ventre
Ou nullement. Le sein est couvert de violettes.

C'est une ramure verte. Le printemps est
Ombilical, sinon ce n'est pas le printemps.

Le printemps est vérité du printemps ou rien,
Imposture, déchet. Les arbres que voici

Et leurs argentins, leurs branches de noire épice,
Croissent à partir de l'esprit ou ne sont rien

Que fantastiques poudres. Le bourgeon de pomme
Est désir, l'éboulis d'or, glouglou d'oiseau-chat

Au matin mi-éveillé — Ils ne sont réels
Que si je les fais tels. Sifflez pour moi, pour moi

Verdoyez: alors, vous sifflant et verdoyant,
D'intangibles traits vibrent et piquent la peau

Et à la racine de la langue je goûte
L'irréalité de ce qui est le réel.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

*Esthétique du mal*

 

I

Il se trouvait à Naples et y écrivait
Des lettres à ses proches, lisant entre-temps
Des paragraphes sur le sublime. Vésuve
Avait, de tout un mois, grondé. C'était charmant
D'être assis là, tandis que les fulgurations
Par touffeurs de brasillements gravaient des angles
Dans le verre. Il pouvait décrire la terreur
Du bruit car le bruit était ancien. Il voulut
Se souvenir des phrases: douleur faite audible
À midi, et douleur se torturant soi-même,
Douleur tuant douleur juste au point de douleur.
Le volcan frissonnait en un second éther,
Comme tremble le corps à la fin de la vie.

L'heure du déjeuner allait bientôt sonner.
La douleur est humaine. Il y avait des roses
Dans le frais du café. Son livre répondait
De la plus correcte catastrophe. Vésuve,
Si ce n'était pour nous, pourrait bien consumer
La terre en ses confins d'un brasier résolu
Sans en avoir douleur (ignorant tous ces coqs
Dont les chants nous éveillent à mourir). Cela
Fait partie du sublime que nous déclinons.
Pourtant, hormis pour nous, le passé tout entier
N'éprouva rien au moment de sa destruction.

II

Dans la ville où croît l'acacia, il reposait
Sur son balcon, la nuit. Les ramages se firent
Trop sombres, trop lointains et trop fort les accents
D'un sommeil affligé, trop les mêmes syllabes
Qui, nées de soi-même, en temps venu, publieraient
L'intelligence de son désespoir, disant
Ce que la méditation jamais n'atteignit.

La lune se leva comme s'il n'avait su
La méditer. Elle déjoua son esprit.
Elle faisait partie d'une suprématie
Toujours au haut de lui. La lune était toujours
Libre de lui, comme l'était aussi la nuit.
L'ombre l'effleura, ou n'eut que l'air de le faire,
Tandis qu'il se lançait dans la profération
D'un genre d'élégie qu'il trouva dans l'espace:

C'est la douleur qui est indifférente au ciel,
Malgré le jaune des acacias, leurs senteurs
Qui pèsent toujours si fortement parmi l'air
Au chenu de la nuit qui pèse. Peu lui chaudent
Cette suprématie et cette liberté;
Jamais elle ne voit, tandis qu'elle hallucine,
Que c'est ce qui l'exclut qui, à la fin, la sauve.

III

Comme ruche en enfer ballait sa dure strophe,
Ou dans ce que l'enfer était, puisque l'enfer
Et le ciel sont aujourd'hui tout un, et ici

Ô terra infidel. Et la faute en incombe
À un dieu trop humain, fait homme par pitié,
Qui ne doit pas être distingué, quand la peine

Nous fait pleurer, notre plus vieux parent, et pair
De la populace du coeur, seigneur très rouge
Qui avant nous s'en est allé dans l'expérience.

Que ne peut-il rabattre sa pitié pour nous,
Qui réduit notre sort et soulage nos maux
Grands et petits, compagnon constant du destin,

Dieu trop, trop humain, lignée de l'apitoiement
Sur soi et genèse incourageuse... Peut-être,
Alors, la santé du monde saurait suffire

Et le miel de l'été commun saurait suffire,
Les rayons d'or seraient part d'une subsistance
Qui en soi suffirait, et l'enfer, modifié

De la sorte, aurait disparu, et la douleur,
N'étant plus désormais simagrée satanique,
Mais supportable, nous trouverions notre voie.

IV

*Livre de Toutes Sortes de Fleurs d'après Nature*.
Toute sortes: voilà le sentimentaliste.
Quand B. vint au piano et qu'il y produisit
Transparence où nous entendions de la musique,
Où nous faisions de la musique et entendions
Des sons transparents, était-ce donc qu'il jouait
Toutes sortes de notes? Ou n'en jouait-il
Rien qu'une dans l'extase de ses associées,
Variations sur les tons d'un seul son, le dernier,
Ou bien sons si uniques qu'ils n'en semblaient qu'un?

Et puis cet Espagnol de la rose, elle-même
Au capuchon de braise et aux veines de brou,
A secouru la rose contre la nature
Chaque fois qu'il la vit, et, comme il la voyait,
A fait qu'elle existât dans son oeil especial.
Se peut-il concevoir que son secours soit moindre,
Qu'il loupe la patronne pour ses caméristes,
Sacrifiant la passion la plus nue pour les flirts
Nu-pieds?... Le génie de l'infortune n'est pas
Un sentimentaliste. Il est ce mal lui-même,
Ce mal au coeur de l'âme, d'où, par geste fruste
Et consécration désespérée, tout est pris
Dans les retombées de la faute: le génie
De l'esprit, dont notre être est fait et qui a tort,
Et le génie du corps, qui est tout notre monde,
Épuisé aux engagements faux de l'esprit.

V

Qu'ils viennent doucement, ceux de vraie sympathie,
Sans les inventions du chagrin, sans le sanglot
D'au-delà de l'invention. À l'intérieur
De ce que nous permettons, au coeur du présent,
Et du tiède, et du proche, une unité si vaste
Qu'elle est félicité, nous lie à nos amours.
Pour cet intime, ce frère même dans l'oeil
Du père, pour ce frère à mi voix dans la gorge
De la mère et pour ces regalia, pour ces choses
Révélées, ces éclats nébuleux dans les yeux
Les plus menus du plus profond chérir de l'être,
Nous renonçons à la plainte, nous abdiquons
De notre propre chef le aï-aï de parades
Dans des lisières plus obscures. Viens plus près,
Sois près de moi, touche ma main, ces phrases
Renforcées d'un tendre commerce, deux fois dites,
Une fois par la lèvre, une par les services
Du sens central, ces détails importent bien plus
Que nues, que bienveillances, que têtes distantes.
Ils sont à l'intérieur de notre permission,
In-barre au dénuement exquis contre les astres
D'ex-barre, in-barre conservant les attributs
Dont nous avons jadis vêtu les formes d'or
Et la mémoire incarnate des formes d'or
Et la fleur d'ex-barre et le feu des festivals
De la mémoire incarnate des formes d'or,
Avant ce temps où nous sûmes qui nous étions
Et devînmes enfin entièrement humains.

VI

Le soleil, qui n'est pas un clown, en jaune clown
Porte le jour à sa perfection, puis échoue.
Il habite une consommation à son comble
Et désire pourtant une consommation
Plus achevée. Pour le mois lunaire, il s'adonne
À la recherche la plus tendre, captivé
Par une transmutation qui, lorsqu'on la voit,
Paraît boiteuse. Et l'espace s'emplit des ans
Qu'il a rebutés. Un gros oiseau le picore,
En quête de pitance. L'appétit étique
Du gros oiseau est tout aussi insatiable
Que celui du soleil. L'oiseau a pris naissance
D'une imperfection qui lui était personnelle
Pour se nourrir de la fleur jaune du fruit jaune
Chu des feuilles turquoise. Dans le paysage
Du soleil, son appétit grossier perd un peu
De sa grossièreté. Pourtant, même amendé,
Il cède à ses étranges écarts, ses lueurs,
Ses divinations de sereine indulgence
En dehors même de toute vision céleste.

Où qu'il soit, le soleil est le pays. L'oiseau,
Au coeur du paysage le plus lumineux,
Pirouette vers le bas, dédaigneux de chacune
Des maturations astringentes, déclinant
Le point de la rougeur, ne trouvant pas son fait
Dans un repos d'une heure, une saison, une ère
Des couleurs du pays en presse contre lui,
Puisque l'esprit de l'herbu jaune d'or demeure
Toujours aussi immense et toujours prometteur
De tant de perfections projetées au loin.

VII

Combien rouge, la rose qui est la blessure
Du soldat, la blessure de nombreux soldats,
De tout soldat tombé, ensanglanté de rouge,
Soldat du temps en masse qui devint sans mort.

Une montagne où jamais l'on ne trouve d'aise,
Sauf si l'indifférence à la mort plus profonde
Est l'aise, est dans le noir, une colline d'ombres
Où le soldat du temps trouve repos sans mort.

Des cercles concentriques d'ombres, immobiles
De leur propre chef, mais que le vent fait mouvoir,
Forment des spires mystiques dans le sommeil
Du soldat rouge du temps, sans mort sur son lit.

Les ombres de ses pairs font cercle autour de lui
Dans le creux de la nuit; l'été sur eux exhale
Son arôme, pesante torpeur, et exhale
Pour le soldat du temps un sommeil estival,

Où bonne est sa blessure, car vivre fut bon,
Car jamais rien en lui n'appartint à la mort.
Une femme se lisse le front de la main,
Et le soldat du temps gît en paix sous ces doigts.

VIII

La mort de Satan fut, pour l'imagination,
Tragédie. Une négation capitale
Le détruisit dans sa tenure et, avec lui,
Nombre de phénomènes bleus. Cette fin-là
N'était pas celle dont il avait eu prescience.
Il savait que sa revanche avait engendré
Des revanches filiales. Puis, la négation
Fut excentrique: rien du coup d'éclair Julien,
L'assassine lueur grondante... Il fut nié.
Que vous reste-t-il donc, fantômes? Quel sous-sol?
Quel endroit dans lequel être ne suffit pas
Pour être? Vous allez, pauvres spectres, sans lieu,
Pareils à l'argent dans la gaine du regard,
Au fermer des paupières... Qu'elle est donc glaciale,
La vacance, quand s'en sont allés les fantômes
Et que le réaliste abasourdi découvre
Pour la première fois la réalité.
Le Non mortel a ses aspirations tragiques,
Son propre vide. Toutefois, la tragédie
Peut bien avoir repris dans la neuve reprise
Qu'en fait l'imagination, qu'en fait le Si
Du réaliste qui le dit parce qu'il lui faut
Dire Si, qui le dit parce que sous tout Non
Gît une ardeur pour Oui que rien ne sut briser.

IX

Panique sur les traits de la lune — effendi
Replet, ou phosphoreux du sommeil qu'il arpente
En étranger, ou plat de majolique empli
De piles de fruits phosphoreux que, par bon coeur,
Il fait présenter à qui s'approche — panique
Car la lune n'est plus ni cela ni rien d'autre
Et qu'il n'en reste rien qu'une laideur comique
Ou quelque inanité satinée. Effendi,
Qui perdit le délire de lune devient
Le prince des proverbes du pur dénuement.
Perdre ce que disent les sens, voir ce qu'on voit
Comme si le voir même n'était pas doté
De sa miraculeuse épargne à soi, entendre
Ce que l'on entend, une signification
Sans plus, comme si n'était plus le paradis
Le paradis de toute signification,
C'est cela que veut dire être dans l'indigence.
C'est le ciel lorsqu'on lui a ôté ses fontaines.
Ici, dans l'occident, d'indifférents grillons
Chantent à pleine voix au milieu de nos crises
Indifférentes. Nous exigeons cependant
Un chant tout autre, qui soit une incantation,
Comme en une genèse tout autre, ultérieure,
Musique usant des formes de son éventuel
Alcyon pour en souffleter le hagard... Une eau
Vaste et retentissante écume dans la nuit
Et submerge le bruit des grillons de sa voix.
Elle est déclaration, extase primitive,
Elle est faveurs du vrai exhibées à grand bruit.

X

Il avait étudié les nostalgies, cherchant
En elles le plus épaissement maternel,
La créature qui avait su l'apaiser
Le plus fécondement, la femme la plus douce
Sous son ombre de moustache, non pas la mauve
*Maman*. Son anima aimait son animal
Et l'aimait libre de tout joug, en telle sorte
Que son foyer devînt retour vers la naissance,
Qu'il consistât en une deuxième naissance
Au coeur de la sévérité la plus féroce,
Qu'il fût, plein d'un désir farouche, enfant au corps
Habité d'une mère farouche habitant
Son esprit de façon encore plus farouche,
Sans la moindre indulgence pour que s'accomplît
La vérité dans l'intelligence du fils.
Il est vrai qu'existaient d'autres mères, aux formes
Singulières, amantes du sol et du ciel,
Louves, tigresses des forêts, femmes mêlées
À la mer. Mais celles-là étaient fantastiques.
Il existait aussi des foyers ressemblant
À des submersions avec leurs bruits engloutis,
Qui jamais ne connaissaient une paix totale.
La femme la plus douce, parce qu'elle est telle
Qu'elle était, la réalité, féconde, épaisse,
Le garantit contre le contact de la peine
Impersonnelle. La réalité donnait
Des explications. C'était là la nostalgie
Dernière: qu'il dût comprendre. Qu'il pût souffrir
Ou pût mourir était l'innocence de vivre
Si la vie même était innocente. À le dire,
Il se désemmêla des plus mielleux soulas.

XI

Vivre est aspic amère. Nous ne sommes pas
Au centre d'un diamant. Et les parachutistes
Tombent à l'aube et, tombant, fauchent le gazon.
C'est par vagues de gens que le vaisseau naufrage
Et l'écume de closses que sa cloche clame
Toque au clocher du village. Aigrettes géantes,
Les violettes fusent des maisons enterrées
De pauvres malhonnêtes pour qui le clocher
Sonna depuis longtemps adieu, adieu, adieu.

Natifs de dénuement, enfançons du malheur,
La gaieté du langage est notre seul seigneur.

Un homme d'appétit amer n'a que mépris
Pour la scène apprêtée où les parachutistes
Élisent leurs adieux; il méprise de même:
Le roulement du vaisseau sur un océan
À façon, le temps rose et le vent en motion;
De même: un clocher casquant les arrangements
Du classique soleil ainsi que l'exhumo
Des violettes. Ces exacerbations, la langue
Les caresse. Elles la pressent de gourmandises,
Mais distinctes de son essentielle saveur,
Comme faim se gavant de sa propre famine.

XII

Il aménage le monde en catégories:
L'habité et l'inhabité. Dans l'une et l'autre,
Il est seul. Mais dans le monde habité se trouve,
En sus des gens, la connaissance qu'il en a,
Et dans l'inhabité celle qu'il a de soi.
Quel est le plus désespéré, dans les moments
Où la volonté veut que soit vrai ce qu'il pense?

Est-ce lui-même en eux qu'il connaît, ou bien eux
En lui? Si c'est lui-même, ils n'ont aucun secret
Pour lui. Et si c'est eux en lui, il n'en a pas
Pour eux. Cette connaissance d'eux et de soi
Détruit donc les deux mondes, sauf dans ces moments
Où il s'échappe. Être seul, ce n'est ni connaître
Ce qu'ils sont, ni connaître ce qu'il est lui-même,

D'où s'ensuit la création d'un troisième monde
Dépourvu de connaissance, où nul n'a regard,
Et où la volonté n'a aucune exigence.
Elle accepte tout ce qui est comme étant vrai,
Y compris la douleur qui, sinon, serait fausse.
Dans ce troisième monde, alors, point de douleur.
Certes, mais quel amour a-t-on dans de tels rocs,
Quelle femme, connue ou non, au coeur du coeur?

XIII

Il se peut que la vie soit une punition
Pour une autre vie, comme ce que vit le fils
Est la punition de ce que vécut le père.
Mais ceci ne concerne que les caractères
Secondaires, et dans le tout universel,
C'est une tragédie fragmentaire. Le père
Et mêmement le fils sont mêmement dissous,
Par la nécessité d'être, chacun, lui-même,
Par la nécessité inaltérable d'être
Cet inaltérable animal. Cette violence
De la nature en action est la tragédie
Majeure. C'est la destinée sans embarras,
Le plus joyeux ennemi. Il se peut encore
Que dans son cloître en Méditerranée, un homme
Alité, soulagé du désir, établisse
Le visible, une zone de bleu et d'orange
Versicolores, et qu'il établisse un temps
Où contempler la mer feindre d'être le feu,
Qu'il en dise que c'est le bien, le bien ultime,
Certain de la réalité de la plus longue
Des méditations, le maximum, la scène
De l'assassin. Dans le mal, le mal est relatif.
L'assassin se révèle de soi-même au jour,
Et la violence qui nous détruit se révèle
Être, au coeur de ce maximum, une aventure
À subir dans l'impuissance la plus polie.
Ay-mi, dans notre sang, on en sent le mouvoir.

XIV

Victor Serge disait: «Tout son raisonnement,
Je l'ai suivi avec ce malaise vacant
Que l'on ressent en face d'un dément logique.»
C'est de Konstantinov qu'il parlait de la sorte.
La révolution est affaire de déments
Logiques. La politique de l'émotion
Doit paraître être une structure intellectuelle.
Toute cause crée une logique indistincte
De la démence... On veut pouvoir se promener
Au bord du lac de Genève et considérer
La logique, pouvoir penser aux logiciens
Dans leur tombeau, à tous ces mondes de logique
Dans leur mausolée. Un lac est plus raisonnable
Qu'un océan. Il s'en suit qu'une promenade
Parmi les pompes de l'esprit, au bord d'un lac,
Où les nuages semblent lueurs au milieu
D'immenses tombes, fait éprouver l'impression
D'un malaise vacant, comme si l'on allait
Tomber sur Konstantinov qui ferait irruption
Dans toute sa démence. Il n'aurait pas conscience
Du lac. Il serait le fou d'une seule idée
Dans un monde d'idées, qui voudrait que chacun
Vécût, oeuvrât, souffrît, mourût dans cette idée
Dans un monde d'idées. Il n'aurait pas conscience
Des nuages jetant les martyrs de logique
Dans le brasier de leurs incendies de blancheur.
Sa logique à l'extrême serait illogique.

XV

Le plus grand des dénuements, c'est de ne pas vivre
En un monde physique et, face à son désir,
De ne pouvoir le distinguer du désespoir.
Après mourir, dans le paradis non physique,
Peut-être que les gens, eux-mêmes non physiques,
Ont par hasard licence d'observer le blé
En herbe qui scintille, et que leur expérience
Est le mode mineur de ce que nous sentons.
Celui qui s'aventura dans l'humanité
N'a pas conçu de race purement physique
Dans un monde physique. Le blé vert scintille
Et les métaphysiques gisent, affalés
Dans les modes majeurs de la brûlure d'Août,
Les émotions pansues, paradis inconnu.
Voici la thèse notariée avec délice,
Le psaume aux mille échos et le choral exact.

D'aucun eût pu penser à la vision, mais qui
Peut penser à ce qu'elle voit, pour tout le vil
Qu'elle voit? La parole, elle, a trouvé l'oreille
Pour tout le son du mal, mais l'italique obscure
N'a pas su concevoir. Et avec ce qu'on voit
Avec ce qu'on entend, avec ce qu'on ressent,
Qui eût pu penser faire un si grand nombre d'âmes
Et de mondes voluptueux, comme si l'air,
L'air du mi-jour se trouvait à foison empli
Des changements métaphysiques qui surviennent
Simplement en vivant comme et où nous vivons.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le lit du vieux John Zeller

Cette structure d'idées, ces séquences, spectres
De l'esprit, n'aboutissent jamais qu'au désastre.
Il s'ensuit, poète casuel, que ce n'est

Qu'en rajouter que d'y ajouter ton désordre.
Combien facile d'espérer une structure
D'idées qui soit autre et combien commun de dire

Qu'il doit exister d'autres séquences spectrales,
Des séquences, alors, qui seraient lumineuses,
Pensée parmi les sphères du vieux pic de nuit:

Voilà ce que c'est, l'habitude d'espérer,
Comme si ton grand-père dormait dans ton cœur
Et qu'il voulût encore comme il sut vouloir,

Refusant de dormir dans ce lit de désordre,
À parler de séquence spectrales qui fussent
Un sommeil dans le roulis du tic-taquement,

De manière qu'il pût lentement oublier.
Combien plus difficile il est de résister
À cette tradition d'espérer, acceptant

La structure des choses en tant que structure
Des idées. Au creux de ces nuits du moins, c'était
La structure des choses à quoi l'on pensait.

 

 

 

 

 

 

De moins en moins humain, ô esprit féroce

S'il faut que dans la maison il y ait un dieu,
S'il faut — qui dans les chambres et dans l'escalier

Bavarde, qu'il se déplace de la façon
Dont l'éclat du jour progresse sur le plancher,

Ou le clair de lune, en silence, tel le spectre
De Platon ou bien le squelette d'Aristote.

Que ce soit sur le mur qu'il accroche ses astres.
Sa résidence doit avoir lieu dans le calme.

Il doit être dépourvu de parole, enclos
Comme le sont ces choses: comme la lumière

En dépit de toutes ses circulations, l'est;
La couleur, même la plus proche de nous, l'est;

Les formes, qui pourtant nous augurent, le sont.
C'est l'humain qui est le seul étranger, l'humain

Qui ne possède pas de cousin dans la lune,
L'humain qui exige que sa langue lui vienne

Des bêtes ou de l'incommunicable masse.
S'il faut que dans la maison il y ait un dieu,

Que c'en soit alors un qui ne nous puisse entendre
Alors que nous parlons: une fraîcheur, un rien

Vermillonné, tel ou tel fétu de la masse
Dont nous sommes une part, mais bien trop distante.

 

 

 

 

 

 

Canards sauvages, gens et distances

La vie du monde dépend de cela qu'il est
Un vivant, de cela que les gens sont vivants,
De cela qu'il y ait village, et d'eux village,
Sans égard pour cette embrumée-là, et loin d'elle.

Escomptions-nous vivre dans d'autres vies? Si vite,
Bien trop vite, nous nous sommes accoutumés
À la terre même comme élément; au ciel,
Comme élément. Il se peut qu'il y ait partage

Entre les gens, mais eux-mêmes jamais ne furent
Un élément, ainsi que la terre et le ciel.
C'est alors qu'il ne devint rien d'autre et qu'eux-mêmes
N'étaient rien d'autre. L'année tirait à sa fin

L'envoi des canards sauvages avait eu lieu.
Le temps était au froid. Pourtant, dans l'en dessous
De ces migrations filant vers la solitude,
Demeurait la fumée des villages. Leur feu

Était central dans des distances impossibles
À couvrir par les canards sauvages, en quoi
N'existait nulle espèce de temps saisonnier,
Hors le temps d'autres vies, duquel n'était possible

Aucune migration. C'était qu'ils fussent là
Qui contenait les distances: et les villages
Contenaient les fatales distances finales,
Entre nous-mêmes et le lieu où nous étions.

 

 

 

 

 

 

La pure bonté de la théorie

I

Tous les préludes à la félicité

C'est le temps qui bat dans la poitrine, le temps
Qui canonne l'esprit, silencieux et fier,
L'esprit qui sait bien qu'il est détruit par le temps.

Le temps est un cheval au galop dans le cœur,
Un cheval sans monture, à la nuit, sur la route.
L'esprit se tient à l'écoute et l'entend passer.

C'est quelqu'un dans la rue qui marche d'un pas vif.
L'homme près de la fenêtre a fini son livre
Et le tardif des sons lui dit l'heure qu'il est.

Même respirer, c'est le battage du temps,
En l'espèce: un ralentir de la canonnade,
Un cheval ridiculement roide, un marcheur

Tel une ombre en mi-terre... Si nous proposons
Une personne platonique, sculptée large,
Libre du temps, si nous imaginons pour elle

Le langage qu'elle ne peut tenir, alors
Une forme à l'abri de cette canonnade
A des chances de mûrir: un être capable

A des chances de remplacer et le cheval
Ténébreux et le marcheur marchant à pas vifs.
Félicité! Le temps est l'ennemi sous cape,

Il est la musique inamicale, l'espace
D'enchantement dans lequel d'enchanteurs préludes
Sont eux aussi susceptibles d'avoir leur place.

II

Description d'une personne platonique

Brésil alors parut afin d'alimenter
Le romantique émacié avec le rêve
De son avoirdupoids, une clairière verte

Aux serpents tels des z de fleuves frémissants,
Clairière verte et villégiature et monde
Du futur, où la mémoire avait déserté

Toute chose, pavoisant le fanion du nu,
Sur la villégiature le fanion du nu.
Mais il y avait, dans cette clairière verte

Un invalide et sous ce mouchoir de drapeau,
Signal, sévère, un être issu de solitude
Qui était cela que les gens avaient été

Et qu'ils étaient encore, qui gardait le lit
Sur le mur occidental de la mer, souffrant
D'une question ainsi que d'une maladie,

Souffrant dans sa pensée d'une question constante,
Malcontent quant au sens du bonheur. Qu'était-il —
Rien qu'un sens, passant outre à tout entendement?

Le futur pourrait-il reposer sur un sens
Et passer l'entendement? Sur quoi le présent
Repose-t-il? Cette personne platonique

Fit dans le monde la découverte d'une âme
Qu'alors elle étudia dans sa villégiature.
C'était un Juif d'Europe, ou bien ç'aurait pu l'être.

III

Monstres de feu dans le cerveau laiteux

L'homme, qui n'est pas né de femme mais de l'air,
Qui vient jusqu'ici dans le chariot solaire,
Tel une rhétorique au narratif de l'œil —

Nous savions qu'un de nos parents avait été
Assurément divin, Adam de *beau regard*,
Venu d'une Élysie dodue, que son esprit

Malforma cette métaphore du matin,
Tandis que de l'or ruisselait de chaque feuille.
Durant son sommeil, son esprit fit le matin.

Il s'éveilla alors dans une métaphore,
Qui était métamorphose du paradis,
Malformé, le monde — paradis malformé...

Tantôt, l'oreille suit avec concentration
Les variations de cette musique précaire,
Le changement de clé qui, lors du changement,

Ne fut pas bien perçu, tantôt ce qu'elle suit
C'est la différence dans sa difficulté.
Dire du chariot solaire «c'est du toc»

N'est pas une variation, mais une fin.
Mais voir le monde entier comme une métaphore
C'est toujours s'en tenir aux dedans de l'esprit,

Et au désir de croire en quelque métaphore.
C'est tenir au plus doux du savoir de la foi,
Où l'objet dans lequel elle a foi n'est pas vrai.

IV

Des oiseaux secs palpitent dans des feuilles bleues

Ce n'est jamais la chose, c'en est la version:
Le parfum de la femme et non pas ce qu'elle est,
Ce qu'elle est selon soi, non pas le bloc solide,

Le jour dans sa couleur, non pas temps soupesant,
Le temps dans sa saison, notre vrai suzerain,
La saison dans les mots, les mots en sons du son.

Ces dévastations sont les divertissements
D'un spirituel en destruction qui digue-un-dogue,
Qui piaule dans son trou pour que les chiots accourent,

Qui s'élance, étant large, et qui, dans la poussière,
Étant petit, inscrit des alphabets féroces,
Qui vole en chauve-souris que son vol dilate

Jusqu'à ce que ses ailes aient pu l'emporter
Sur la sorcière intermédiaire de la nuit;
Tout en restant le même, animal de lumière,

Qui geint par gutturale à moitié exploitée
La soif de son élément, la soif sans égale
D'un accès sans égal à son propre élément —

D'un accès qui est comme la page d'un livre
À tonsure que vient brusquement effleurer,
Pour un moment, le flamboiement universel,

Pour un moment, au cours duquel nous puissions lire
Et puissions aussi répéter les éloquences
Qui relèvent des facultés de la lumière.

 

 

 

 

 

 

Un mot avec José Rodríguez-Feo

En tant que l'un des secrétaires de la lune,
La reine de l'ignorance, vous déploriez
La façon dont elle préside aux imbéciles.
La nuit rend tout grotesque. Est-ce parce qu'elle est
La nature du for intérieur de l'homme?
La Havane lunaire est-elle Cuba de l'âme?

Nous devons hardiment pénétrer dans ce for
Y récolter les relaxations du connu.
Par exemple, ce vieux vendeur d'oranges dort
Près de sa hotte. Il ronfle. Son souffle bouffi
Trébuche. Quel transit mal discerné d'idées
Passe fripé par un passage à la façon

Du cri d'un embryon? L'esprit fatigue, il s'est
Depuis longtemps fatigué de telles idées.
Il dit qu'il existe un grotesque absolument.
Il existe une nature qui est grotesque
Au long des boulevards aux généraux. Pourquoi
Irions-nous dire que tel est le for de l'homme

Ou, au vu des formes inconscientes, recrues,
De la nuit, les juger formes d'un conscient autre?
Le grotesque n'est pas une visitation.
Il n'est pas apparition, mais aspect, partie
De cette géographie simplifiée en quoi
Le lever du soleil est dépêches d'Afrique.

 

 

 

 

 

 

Chronique païsante

Quid des hommes majeurs? Tous les hommes sont braves
Tous les hommes endurent. Le grand capitaine
Est fruit du hasard. À terme, l'enterrement
Le plus solennel est chronique païsante.
Les hommes vivent pour être admirés des hommes;
Tous les hommes vivent, donc, pour que les admirent
Tous les hommes — les nations, pour que les admirent
Des nations. La race est brave. La race endure.
Les pompes funéraires de la race sont
Une foule de pompes individuelles
Et la chronique de l'humanité résulte
De chroniques païsantes additionnées.
Des hommes majeurs - il en va différemment.
Ils sont des figures au-delà du réel
Dont ils sont composés. Il sont l'homme fictif
Créé à partir des hommes. Ils sont des hommes
Mais des hommes artificiels. Ils ne sont rien
En quoi il n'est pas possible que l'on ait foi,
Plus que le héros contingent, plus que Tartuffe
En qualité de mythe, le plus Molière,
La projection facile longtemps prohibée.

Le poète baroque peut bien qu'il y voie
Un homme tout autant que l'est Virgile, abstrait.
Mais voie-le par toi-même, cet homme fictif.
Il est peut-être assis dans un café. La table
Porte peut-être un plat de fromages rustiques
Avec un ananas. Il doit en être ainsi.

 

 

 

 

 

 

Croquis du politicien suprème

Ultime bâtisseur du bâtiment total,
Il est l'ultime rêveur du rêve total,
Ou le sera. Bâtir et rêver sont tout un.

Il existe un rêve total comme il existe
Un bâtiment total. Il existe des mots
À ce propos, des mots, au sein d'une tempête,

Qui tourbillonnent en flagelles sur les formes.
Il existe une tempête presque semblable
Au vent en pleurs, des mots qui s'échappent de nous

Mais en mots d'en-dedans, mais tels que des rancoeurs
Au fil de maintes vies, qui n'ont pas fait de bruit.
Lui sait les entendre, comme des gens aux murs,

Filant dans les inflexions du parler commun,
Pleurant quand ce parler choit comme pour échouer.
Un bâtiment existe, qui se tient debout

Dans la dévastation d'une tempête, un rêve
Césurant le passé, issu de nos abords,
De ce lieu qui n'est pas encore où nous vivons.

 

 

 

 

 

 

Chute du volant

Cet homme a échappé aux destins répugnants
Sachant en mourant qu'il mourait avec noblesse.

Ténèbres et néant de l'humaine après-mort
Recueillez-le dans les profondeurs de l'espace —

Profundum, tonnerre physique, dimension
Où nous avons foi, sans foi, dépassant la foi.

 

 

 

 

 

 

Jouga

Sans signification est le monde physique
Cette nuit, et cependant il n'en est point d'autre.
Il y a Ha-eé-mé qui, ayant pris un siège,

Joue de sa guitare. Ha-eé-mé est une bête.
Ou bien c'est sa guitare qui est une bête
Ou peut-être qu'ils sont des bêtes tous les deux.

Mais de même espèce — deux bêtes conjugales.
Ha-eé-mé est la bête mâle... un imbécile,
Dont les coups font du bruit. La guitare, autre bête,

Sous son rataplaplan est celle qui répond.
Deux bêtes, mais de la même espèce et enfin
Aucune bête — et pas vraiment de même espèce.

Ici, c'est comme ça. Il y a plein de bêtes,
De ce genre de bêtes qu'on ne voit jamais,
Dont l'allure est légère au point de n'être rien.

Le vent, la mer étaient comme ça aujourd'hui —
Au bout de quelque temps, quand Ha-eé-mé sommeille
Un grand jaguar courant ne fait qu'un peu de bruit.

 

 

 

 

 

 

Débris de vie et d'esprit

Il est si peu de choses qui soient proches, chaudes.
C'est comme si jamais nous ne fûmes enfants.

Assieds-toi dans la chambre. Il est vrai qu'à la lune,
C'est comme si jamais nous n'avions été jeunes.

Nous ne devrions pas être éveillés. De là
Vient que va surgir une femme rouge vif

Qui, debout d'ors violents, brossera ses cheveux.
Pensive, elle récitera les mots d'un vers.

Elle y pensera, sans pouvoir bien les chanter.
D'ailleurs, quand le ciel est si bleu, les choses chantent

D'elles-mêmes, pour elle aussi, déjà pour elle.
Elle tendra l'oreille et elle sentira

Que sa propre teinte est une méditation,
Et la plus gaie qui soit, même si elle n'est

Pas aussi gaie qu'elle avait coutume de l'être.
Reste ici. Parle un temps de choses familières.

 

 

 

 

 

 

Description sans place

I

Il est possible que sembler — cela soit être,
Comme le soleil semble être et est quelque chose.

Le soleil est un exemple. Ce qu'il en semble,
Il l'est et tout dans cette semblance prend place.

Ainsi les choses sont telles qu'une semblance
Du soleil ou une semblance de la lune,

Ou bien encore de la nuit ou du sommeil.
Et ce fut au fait d'une reine que l'on dut

De l'avoir fait sembler par le néant illustre
De son nom. Son esprit vert a fait que le monde

Autour d'elle fût vert. La reine est un exemple...
Dans la semblance de l'été de son soleil,

Cette reine verte par sa propre semblance
Fit que l'été changeât. Dans la vacance d'or

Elle s'en vint, elle s'en vient, elle semble être
Dans la profération que l'on fait de son nom.

Son temps redevient, comme il l'était devenu,
Couronne et coronal quotidien de sa gloire.

II

De pareilles semblances sont les véritables:
La façon dont les choses semblent chaque jour,

Chaque matin, ou le style propre à la reine,
Celle-ci ou cette autre, le moindre semblant

Original dans l'élan aveugle de l'œil
Qui, dans son repli, voit la plus grande semblance

De l'esprit majeur. Tout âge est une manière
Qui fut glanée auprès d'une reine. Tout âge

Est vert ou rouge. Tout âge croit ou réfute.
Tout âge est esseulement ou bien barricade

De l'incalculable pluriel contre l'homme
Singulier. Il s'en suit que son identité

Est au plus cela qui semble, dans la semblance
D'un original dans l'œil, dans la manière

Majeure de la reine, la verte, la rouge,
La reine d'argent. Si ce n'était pas le cas,

Quelle subtilité aurait l'apparition?
Au plat de l'apparence nous serions, serions,

N'étaient de délicats cliquetis sans raison.
Ces semblances-là sont les véritables, celles

Que nous voyons, entendons, sentons, connaissons.
C'est ainsi que nous les sentons et les savons.

III

Il existe aussi des semblances en puissance,
Arrogantes à être, comme sur la page

Du très jeune poète ou le musicien sombre,
Qui écoute afin de saisir plus brillamment

Les accords qui s'ingénient. Il est des semblances
En puissance, agitées, dans la mort d'un soldat,

Comme la volonté ultime, le cliché
Bien plus qu'humain du sang, le souffle qui d'un coup

Fuse vers les hauteurs et puis soudain n'est plus,
Un autre souffle émergeant issu de la mort,

Qui profère pour lui le genre de semblances
Qu'octroie la mort. Il se peut qu'il existe aussi

Un changement plus vaste que les métaphores
Du poète, en quoi être au vrai se produirait,

Un point dans le feu de la musique où l'éclat
Cède au clair et nous observons, et observer

Se fait achèvement et nous sommes comblés,
Dans un monde réduit à un tout immédiat,

Sans que nous ayons à le comprendre, achevé
Sans les arrangements secrets qu'en fait l'esprit.

Il se peut qu'il existe dans la crêpelure
Du printemps un élément de soubresaut pourpre

Faisant sitôt mousser la masse de l'azur
De son semble-t-il-pas, les desseins d'un esprit

Qui n'est pas encore connu, qui est l'esprit
D'un résidant au creux d'une graine, lui-même

Le fruit imprévisible et mûr de cette graine.
Les choses sont ainsi qu'elles en ont semblé

À Calvin ou à Anne d'Angleterre ou bien
À Pablo Neruda à Ceylan, ou à Nietzsche

À Bâle, ou à Lénine assis au bord d'un lac.
Mais les intégrations du passé sont ainsi

Qu'un Museo Olimpico, si fortement
Si peu, notre propre affaire, qui est l'affaire

Du possible: les semblances qui doivent être,
Semblances dont il est possible qu'elles soient.

IV

De ces décolorations, Nietzsche a étudié
Le bassin d'eau profonde, à Bâle, maîtrisant

Le mouvement et le mouvement de leurs formes
Dans le mouvoir moult moucheté du temps vacant.

Sa rêverie était la profondeur de l'eau,
Était le bassin même, ses pensées étaient

Les formes de couleur, souvenirs excentriques
D'humains contours, emmitouflés de leurs semblances,

Foule sur foule surprenante, en une espèce
D'abondance totale, et première et finale,

Couleurs dans une rêverie assujetties
À un grandiose inné, une lumière innée,

Le soleil de Nietzsche dorant la pièce d'eau,
Oui: dorant des manies telles que des essaims

Dans leur révolution perpétuellement...
Lénine sur un banc près du lac perturba

Les cygnes. Il n'était pas l'homme pour les cygnes.
Son corps voussu et son allure n'étaient pas

D'accord dans la plus suave des unissons.
Les souliers, les habits, le chapeau s'accordaient

À la décadence des silences du lieu,
Parmi lesquels il s'était assis. Les chariots

Avaient sombré tous et les cygnes s'avançaient
Sur l'eau inhumée où ils reposaient. Lénine

Prit du pain dans sa poche puis il l'émietta —
Les cygnes s'élancèrent aux bords éloignés

Comme s'ils avaient eu vent de grèves distantes;
Puis ils furent dissous. Les distances du temps

Et de l'espace n'en formèrent qu'une seule
Et les cygnes au loin furent cygnes futurs.

L'œil de Lénine saisit les contours lointains.
Son esprit releva les chars de leur naufrage

Et distances, bords, régions de demain devinrent
Pensée toute de légions d'apocalypse.

V

Si la semblance est une description sans place,
L'univers de l'esprit, alors un jour d'été,

Même la semblance d'une journée d'été,
Est une description sans place. Elle est un sens

Auquel nous renvoyons l'expérience, une science
Incognito, la colonne dans le désert

Où se pose la colombe. La description
Se compose d'une vision indifférente

À l'œil. Elle est une expectative, un désir,
Une palme surgie au-delà de la mer,

Un peu différente de la réalité,
De cette différence que nous apportons

Dans ce que nous voyons et de nos mémoriaux
De cette différence, en constellations

Étincelantes des détails issus du ciel.
Et le futur est une description sans place,

L'arc et le prédicat catégorique. Il est
Un éclat décati d'astres qui rajeunit

Où les astres anciens se forment les planètes
Matinales et neuves dans les descriptions

Les plus brillantes de la journée qui s'annonce,
Avant son arrivée, juste anticipation

Des créatures appropriées, jubilantes,
Formes qui dans le peu de l'air sont attentives.

VI

Description est révélation. Elle n'est pas
La chose décrite ou fac-similé trompeur.

C'est une chose artificielle qui existe,
Dans sa propre semblance, évidemment visible,

Sans être de trop près le double de nos vies
Cependant, plus intense qu'une vie de fait

Ne pourrait jamais l'être, un texte pour lequel
Il vaudrait d'être né rien qu'afin de le lire,

Un texte plus explicite que l'expérience
Que nous avons du soleil ou bien de la lune,

Le livre de la réconciliation, le livre
D'un concept possible dans la description seule,

En canon qui se trouve être central en soi,
La thèse du Jean de la plus grande abondance.

VII

C'est donc que la théorie de la description
Importe au plus haut point. Elle est la théorie

Du mot pour qui le mot est fabrique du monde,
Monde bourdonnant et firmament zézayant.

C'est un monde de mots jusque dans ses confins,
Où rien de solide n'est d'essence solide.

Ainsi, les hommes se forment leur propre dire:
Le dur hidalgo vit dans l'aspect escarpé

De son dire et dans ce miroir d'escarpement
L'Espagne acquiert la connaissance de l'Espagne

Et du chapeau de l'hidalgo — une semblance
De l'Espagnol, un style de vie, l'invention

De toute une nation par le biais d'une phrase,
Par description évidée d'un vide brillant,

L'artificier de sujets toujours à mi-nuit.
Elle importe, car tout ce que nous avançons

Quant au passé est description sans place, coup
De dés de l'imagination, jeté au bruit;

Car tout ce que nous avançons quant au futur
Doit devoir augurer, doit être empli de vie

Par ses propres semblances, semblant alors être
Comme rubis rougis par rubis rougeoyants.

 
 
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