Les cadavres aux bras levés dans la peinture militaire

(analyse d'un archétype des peintures de la guerre de 1870)

 

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Décembre 2002 - Sur plusieurs tableaux que j'eus l'occasion d'analyser pour une étude sur la représentation de la guerre j'ai pu observer la présence de cadavres dans une position surprenante : couchés sur le dos, ces morts avaient les bras dressés vers le ciel, d'une manière qui, d'emblée ne m'a pas paru naturelle... Je fus d'autant plus intrigué que peu de temps après avoir fait cette observation, je découvrais dans un journal la photo d'un noyé qui présentait la même particularité. La ressemblance entre le cadavre de cette photo et ceux peints par Édouard Detaille ou Alphonse de Neuville était si frappante qu'elle m'obligeait à considérer que les deux maîtres de la peinture militaire sur 1870 n'avaient rien inventé. Ils avaient certainement observé le détail lors des campagnes auxquelles ils participèrent. Un certain nombre de questions,cependant, s'imposèrent peu à peu, qui m'ont conduit à approfondir ma recherche sur la représentation de la guerre en France ou en Allemagne, voire à d'autres époques ; à consulter également les médecins légistes. L'article ci-dessous est le résultat de cette enquête. 

Article suivi de les cadavres de 1914, analyse comparée, réalisé en mai 2003.

Point de départ de l'étude : l'observation d'un détail...

fig.1 : étude pour la charge de Mosbronn - Detaille

 

fig.2 : la défense de Longboyau - de Neuville

fig.3 : le cimetière de Saint-Privat - de Neuville

 

... et la confrontation avec deux autres images

    fig.4 : Deux héros 

Les bras du cadavre tombent "mollement vers le sol...  

noyé.jpg (162645 octets)

fig.5 : la photo d'un noyé

 

 

 

 

...mais ceux du noyé sont tendus vers le ciel 

 

 

La guerre de 1870 a inspiré de nombreux artistes spécialisés dans la production d'œuvres de peinture militaire, dont Alphonse Deneuville et Édouard Detaille sont les maîtres incontestés en France. Comme peintres de la guerre, ils traitèrent cependant d'un sujet très classique à l'heure où s'affirmait une véritable révolution dans le petit univers de la peinture. Contemporains des impressionnistes, ils souffrent, aujourd'hui, de la comparaison avec les Manet, Renoir et autres Boudin qui leur volent la vedette dans l'estime du public. Pour autant, leurs oeuvres ne sauraient laisser l'historien indifférent parce qu'elles traduisent une sensibilité, un état d'esprit, une volonté propres à leur époque. Travaillant sur la mémoire de l'année terrible (1870), sa déréalisation d'une part mais aussi son rôle dans la préparation de la Revanche, nous avons été naturellement amenés à nous intéresser à leur production.

 

1. La question des "cadavres aux bras levés"

 

L'analyse attentive des tableaux illustrant la guerre de 1870 permet d'observer une curiosité (cf. les reproductions ci-dessus) : la représentation (placée en général au 1er plan de l'œuvre) d'un (voire deux) cadavre(s) allongés sur le dos, les bras dressés vers le ciel dans une position qui paraît, de prime abord, peu naturelle. Ce détail apparaît dans au moins sept tableaux d'Édouard Detaille (Prisonniers - Froeschwiller ; En retraite ; Un coup de mitrailleuse ; L'étude pour la charge de Morsbronn ; Attaque de cuirassiers prussiens ; Combat d'artillerie ; La mort du commandant Bergebier) et sept fois également chez de Neuville (Défense de la gare de Styring près de Forbach ; Le four à chaux, Champigny ; La Platrière - Champigny ; Le combat de Chennevières ; Le panorama de Rezonville ; La défense de la porte de Longboyau et Le cimetière de Saint-Privat). Un faible nombre d'œuvres (soit 14) au regard de l'ample production de ces deux artistes ? Certes ! Toutefois, quand on ramène ce chiffre au nombre de tableaux représentant des scènes de combats ou de champ de batailles au terme de celle-ci (au moins 22, la plupart des autres oeuvres présentant des scènes de la vie militaire, des types de combattant ou des situations avant le combat), cela fait quand même les deux tiers des cas possibles. La proportion cesse ainsi d'être marginale. 

 

Plus encore : non seulement le détail est très présent dans les tableaux de ces deux artistes, mais on le retrouve dans au moins 24  peintures de cette époque (sur 150 pouvant y donner lieu), produites essentiellement par des artistes français (voir annexe 1). Cette fois, la proportion tombe nettement (15% seulement des cas possibles) mais le caractère stéréotypé du détail (la position du cadavre, sa place dans le tableau, le fameux bras levé) laisse supposer une influence des deux maîtres du genre sur leurs contemporains. 

 

Ce détail - qui prend ainsi l'allure d'un véritable archétype - soulève plusieurs questions. A commencer par celle de sa véracité. Celle-ci apparaît première dans le sens où c'est elle qui, d'emblée, mobilise notre curiosité : comment expliquer une position aussi peu "naturelle" a priori ? Existe-t-il un phénomène physique qui permît une telle particularité contraire au principe élémentaire de la gravitation ? Elle est également "première" dans la mesure où elle en appelle d'autres non moins intéressantes. Entre Detaille et Deneuville (si tant est que ce soit l'un d'eux), lequel est l'inventeur de l'archétype ? Un renvoi à la chronologie des tableaux devrait aider à répondre ; mais cette interrogation amène aussitôt la suivante : comment l'inventeur de l'archétype a-t-il observé le phénomène ? En quelle occasion ? La question, cette fois, renvoie aux méthodes de travail suivies par les artistes concernés. 

 

Quand on considère le nombre de "cadavres aux bras levés" dans les peintures de la guerre de 1870 alors que ce détail n'apparaît pratiquement pas sous le pinceaux des artistes des périodes antérieures et beaucoup moins dans les oeuvres allemandes de la même époque, une autre série d'interrogations s'imposent. Pourquoi ce macabre détail a-t-il été ainsi reproduit par la peinture militaire française d'après 1870 alors que les Allemands semblent beaucoup moins soucieux de le reprendre ? Le mimétisme ou l'influence de quelques maîtres ne peuvent suffire à expliquer une telle différence. L'idée que les Allemands aient pu être moins bons observateurs que les Français pas davantage. Faut-il donc envisager une fonction particulière à ce cadavre, qui justifierait la différence nationale ? S'agit-il seulement d'une marque de réalisme, caractère auquel les artistes dont nous parlons étaient attachés ? Mais si c'est le souci "réaliste" qui justifie le détail, celui-ci ne renvoie-t-il pas à la question première de l'authenticité de la posture ? En d'autres termes :  ce qui serait le produit d'un souci de réalisme est il bien réaliste ?  

 

 

2. Essais d'explications

 

La position du cadavre ? Hypothèses médico-légales.

 

... / ... Pour avoir accès à la suite de cet article, écrivez moi à l'adresse suivante : jflecaillon@noos.fr

 

l'inventeur de l'archétype ? Comment l'a-t-il observé ? Les peintres combattants.

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3- Quelques réflexions, encore, sur un détail

 

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    Jean-François Lecaillon        

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Annexe 1 : les tableaux figurant au moins un cadavre aux bras levés (liste non exhaustive, mise à jour le 24/05/2003) [liste complétée en novembre 2005 grâce à l'aimable collaboration de M. Walther]

ARUS, R  

BAADER

Buzenval

L'heure des fauves

BENOIT-LEVY, J

La défense de Rambervillers

BIRKMEYER

Pendant la campagne

BLOCH, A

Mort du comte de Dampierre, Bagneux

BRAUN, L

En reconnaissance

CHAPERON, E

A l’aube

CHIGOT, A

Devant un héros - Orléans

DAVID, A

Au drapeau

DAVID, A

Attaque d’un village en Picardie

DELAHAYE, E. J

Sedan (charge)

DETAILLE, E

DETAILLE, E

DETAILLE, E

DETAILLE, E

DETAILLE, E

DETAILLE, E

DETAILLE, E

Prisonnier

La charge de Morsbronn (étude)

Un coup de mitrailleuse

En retraite

attaque des cuirassiers prussiens

La mort du commandant Bergebier

Combat d'artillerie

GROLLERON

Châtillon 13/10

FABER du FAUR

Woerth

LECLERCQ, M

Combat de Sapignies

MERLETTE, C

Mort du capitaine Baudoin (Mouzon)

MERLETTE, C  

NEUVILLE, A

NEUVILLE, A

NEUVILLE, A

NEUVILLE, A

NEUVILLE, A

NEUVILLE, A

NEUVILLE, A

Bazeilles  

Défense de la gare de Styring

Le cimetière de Saint-Privat

Défense de Longboyau

Le four à chaux - Champigny

La Platrière - Champigny

Combat de Chennevières

Panorama de Rezonville

MOROT, Aimé

Charge des 8è et 9è cuirassiers à Reischshoffen (2 versions)

PALLANDRE

PHILIPPOTEAUX, F

Les Allemands au pont des Roches

La barricade tournée

ROBIQUET

Matin calme

ROECHLING, C

Les badois à Lisaine

ROECHLING, C

Charge du 70è à St-Quentin

ROUFFET, J

Les cuirassiers à Rezonville

ROYER, Lionel

Pour la Patrie !

ROYER, Lionel

Le soir du deux décembre

SERGENT, L  

ZIMMER, Ernst

ZIMMER, Ernst

L’arrière garde - armée du nord

Froeschwiller, 7 août 1870

Saint-Privat

 

 

 DIX, Otto : Deux exemples de cadavres au bras levé, signalés par Élodie Tissier

      

et encore :

       

 

Annexe 2 : ce que disent les médecins légistes.

"Lors de la mort, il existe un relâchement musculaire complet auquel fait suite la "rigidité cadavérique" qui débute environ 3 heures après la mort et qui atteint son maximum après 12 heures. Cette rigidité disparaît par la suite en 12 à 24 heures. Elle fixe la position du corps, si une personne décède dans une voiture et qu'elle est retrouvée 18 heures plus tard, le corps aura une attitude en position assise difficilement réductible." Dr J-S- Rauls, Médecine légale de Strasbourg.

"Les ouvrages de Médecine légale du début du siècle font régulièrement référence au "spasme cadavérique" (différent de la "rigidité" classique) qui fige le corps dans la position où il se trouvait lors du décès dans certains cas de morts violentes, notamment sur les champs de bataille. (Dr Jean-Luc Chopard, Médecine légale de Besançon)"

"Il est connu depuis l'antiquité que la mort entraîne une période de flaccidité puis de rigidité partielle ou complète qui à son tour disparaît lorsque les signes de décomposition se manifestent.

La chronologie de ces évènements est tellement variable que cela n'est qu'un indicateur peu précis de l'heure du décès.

En moyenne, il est permis de dire que:

la période de flaccidité survenant immédiatement après le décès dure en moyenne de 3 à 6 heures,

la rigidité est détectée après 3 à 6 heures, en premier au niveau des petits muscles, comme la mâchoire (cependant, il est possible que la rigidité débute après une demie heure selon les conditions de l'environnement),

la rigidité s'étend et atteint son maximum après 6 à 12 heures et dure de 18 à 36 heures.

Les facteurs qui influencent la rigidité sont:

La température: plus il fait froid, plus la rigidité mettra du temps à être détectée,

L'activité physique avant la mort: de violents efforts (soldats sur un champ de bataille) raccourcissent le temps d'apparition de la rigidité.

Le spasme cadavérique:

Il s'agit d'une forme rare de rigidité qui se constitue à la mort sans être précédée de période de flaccidité.

Bien que l'importance de ce phénomène soit controversée, il semble survenir après une période intense d'activité physique ou de vives émotions au moment du décès.

En résumé, il serait important de connaître les conditions météorologiques sur le champ de bataille.

En effet, si le temps est chaud, la rigidité pourrait survenir après 30 minutes. Si la bataille dure longtemps, il est possible que les soldats soient morts depuis quelques heures avant que le peintre fixe l'image du champ de bataille.

D'autre part, si la température permet le gel, il est possible que la position des corps soient dues au gel et non à la rigidité." Dr Guillaume Perret, Médecine légale de Genève.

 

La rigidité cadavérique est le résultat de l'absence de réversibilité de la liaison des fibres d'actine et myosine.
Elle affecte l'ensemble des muscles de l'organisme :
- Muscles squelettiques
- Cœur
- Iris
- Diaphragme
- Sphincters
La rigidité touche également les muscles lisses d'où la possibilité d'éjaculation, émission de matières, urine en post-mortem.
La rigidité débute environ 3 heures après la mort, son maximum se situe vers 12 heures.
Elle commence aux muscles du cou, de la nuque, et des masséters, pour s'étendre au tronc, membres supérieurs et membres inférieurs.
La rigidité s'installe progressivement et prédomine :
- aux fléchisseurs aux membres supérieurs
- aux extenseurs aux membres inférieurs
Sa disparition se fait dans le même ordre :
La rigidité tibio-tarsiennes disparaît entre la 24ème et la 36ème heure.
Si elle est rompue avant la 12ème heure, elle peut se reconstituer.

Attention :
Lorsque l'organisme est sidéré, par exemple, en cas de décapitation, fulguration, la rigidité intervient quasi immédiatement. La fixation du corps se fait dans la position qu'il occupait. 
Site de l'université de Rennes 1 :
http://www.med.univ-rennes1.fr/etud/medecine_legale/la_mort.htm

 

 

 

Notes : 

(1) : WALSH (Stephen), Stalingrad 1942-43 : le chaudron infernal. Paris, l'Archipel, 2001 ; p.158.

(2) Les arbres sans feuille, la brume matinale et l'équipement des soldats témoignent par ailleurs d'une scène hivernale, dans des conditions météorologiques glaciale qui peuvent amplifier le phénomène.

(3) "Légende" dit Georges de MOUSSAC, in Dans la mêlée ; journal d'un cuirassier de 1870-1871. Paris, Perrin et Cie, 1911. D'après ce témoin, le capitaine De la Carre aurait été tué avant la charge.

(4) Sur les deux peintres, voir CHABERT (Philippe), Alphonse de Neuville - l'épopée de la défaite. Paris, Copernic 1979 ; CHANLAINE (Pierre), Edouard Detaille. Paris, André Bonne éditeur, 1962 ; VENNESSON (Pascal), "Guerre moderne et stratégie picturales; la guerre de 1870 vue par Detaille, Deneuville et Meissonnier", Revue historique des Armées, n°1, 1993, pp.17-28.

(5) Raison pour laquelle, la proportion de scènes de combats et de "cadavres au bras dressé" peut paraître faible au regard de l'œuvre totale. 

(6) Cf. SCHELER (Lucien), Robida. Album du siège et de la Commune, Paris 1870-1871. Paris, Lucien Scheler, 1971 ; 2 volumes.

(7) Rapporté par Chanlaine, Ibid., p.31.

(8) Voir la représentation de la guerre de 1870.

(9) CHABERT, Ibid., p.18.

(10) Voir G. Goestchy, les jeunes peintres militaires, 1878 ;cité par CHABERT, p.30. 

(11) ROBICHON (François), L'armée française vue par les peintres. Paris, Herscher, ministère de la Défense 1998 ; 151 pages. 

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LES CADAVRES AU BRAS DRESSE DE 1914

(analyse comparée avec ceux de 1870)

Jean-François Lecaillon

  

Influencés par les maîtres du genre (Edouard Detaille et Alphonse Deneuville), les peintres militaires de la fin du 19ème ont représenté la guerre de 1870 selon un style « réaliste » dans lequel les « cadavres au bras dressé » apparaissent comme un archétype ayant double vocation, à la fois technique et patriotique. Retrouve-t-on ce détail dans la représentation de la guerre de 1914 ? La vérité du cliché photographique qui s’affirme alors permet-elle de dénoncer l’exagération d’un détail ou confirme-t-elle son authenticité ? Dans quelle mesure la perpétuation et/ou transformation progressive d’un archétype permet-elle, par ailleurs, de mieux cerner l’évolution de la sensibilité ou les transformations de la guerre ?

L’analyse des « cadavres au bras dressé » de 1870 conduit tout naturellement à interroger la représentation de ceux de 1914-1918. Cette nouvelle étude confirme-t-elle les conclusions auxquelles nous étions parvenus ?

 

Sources d’analyses et résultats statistiques : la permanence de l'archétype

 

D’emblée, quand on se penche sur la manière dont les artistes ont peint la Grande Guerre et qu’on la confronte à celle des peintres ayant illustré celle de 1870-1871, la différence saute aux yeux ; une différence telle que tout travail comparatif semble vain a priori ; surtout s’il s’agit de se concentrer sur un détail comme les « cadavres au bras levé ». Le style futuriste, expressionniste, cubiste…etc. des avant-gardes propose des représentations sans commune mesure avec celles du passé[1]. La tentation est grande, alors, d’admettre que tout a changé (les moyens d’expression comme le sujet de représentation) et de se dispenser d’une analyse qui ne saurait aboutir à quelque conclusion pertinente que ce soit.

Le travail comparatif semble inutile ; sauf si on met en parallèle des œuvres réalisées dans des perspectives semblables. Dès lors ce n’est pas Fernand Léger, Félix Vallotton, Umberto Boccioni ou Otto Dix qu’il faut opposer à Detaille, Deneuville ou Grolleron, mais les « peintres officiels », ces artistes qui reçurent, dès 1914, mission du ministère de la Guerre d’illustrer celle-ci et de collecter toutes les œuvres s’y rapportant. Ils furent ainsi une douzaine autorisés à « visiter » le front pour en rapporter des « images », à commencer par François Flameng (président de la société des peintres militaires fondée en 1913) ou Georges Scott. A l’instar de leurs prédécesseurs, ils ont accompagné les troupes sur le terrain et croqué les scènes offertes à leur regard dans un but tant de témoignage (si ce n’est plus) qu’à des fins artistiques. Cette remarque ne revient pas à porter un jugement de valeur esthétique ou technique sur les œuvres de ces artistes, seulement à souligner une vocation spécifique qui justifie la préférence que nous leur accordons[2].

 

Pour analyser la représentation de la guerre de 1870, nous avions principalement travaillé sur la base de deux ouvrages susceptibles de fournir un panel représentatif des œuvres du genre. D’une part, l’Histoire de la guerre franco-allemande du lieutenant-colonel Rousset, parue en 2 volumes et illustrée par plus de 500 images (tableaux ou dessins) ; d’autre part, L'armée française vue par les peintres de François Robichon édité par le ministère de la Défense en 1998. La Grande Guerre nous propose deux livres pouvant nous offrir une même base de travail : L’album de la Guerre 1914-1919, publiée par l’Illustration en 1925, qui propose un corpus d’images comparable à celui rassemblé par Rousset ; et La première guerre mondiale vue par les peintres, publiée en 1998 par Frédéric Lacaille[3]. Par leur nature et leurs approches historiographiques semblables, ces ouvrages autorisent le travail comparatif.

 

L’analyse de l’album de la guerre 1914-1919 permet de recenser 86 « images » montrant des vues d’un champ de bataille où figurent des cadavres

 

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Une réalité instrumentalisée

 

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De 1870 à 1914, des différences significatives

 

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[1] Voir sur Internet le site sur l’art et la Grande guerre, http://www.art-ww1.com/fr/visite.html

[2] De même, l’analyse des tableaux représentant la guerre de 1870 s’appuie-t-elle sur les spécialistes de la peinture militaire et non sur les avant-gardes impressionnistes de l’époque.

[3] éditions Citédis.

[4] L’Episode de la bataille de la Marne d’Eugène Chaperon, La tranché de Zillebecke d’André Mare, Cadavre allemand dans une tranchée de William Orpen, ainsi que Craonne et Notre Dame de Lorette de François Flameng (bien que le détail ne soit pas criant dans ces deux derniers cas). On y ajoute la photographie de Le Miroir du 8 octobre 1916.

[5] Lacaille, Ibid., p.17.

[6] Par « observation » nous entendons un regard à des fins artistiques, carnet de croquis à la main, approche méthodique qui n’exclue en rien l’observation naturelle, en direct, ordinaire (mais non croquée).

[7] Voir L’Illustration, Ibid., p.83 et 127.

[8] Voir Fernand Léger, la partie de carte, 1917 ou Marcel Gromaire, la guerre, 1925.

[9] Cf. Lacaille, Ibid., p.25 (Craonne) et p.53 (Notre Dame de Lorette).

[10] L’Illustration, pp.254-255.

 

 

Paroles de soldats : 

 

« et je me rappelle avec une ironie que l’heure présente rend douloureuse, les descriptions de champs de bataille des littérateurs et des poètes, bonnes gens qui n’y ont pas été voir, dans lesquelles la mort guerrière nous est représentée auréolée de beauté »

 André Maginot, Carnets de patrouilles, p.74.

 

« les morts bougeaient. Les nerfs se tendaient dans la raideur des chairs pourries et un bras de levait lentement dans l’aube. Il restait là, dressant vers le ciel sa main noire tout épanouie » 

Jean Giono, le grand troupeau, p.115.

 

simont.jpg (213067 octets)

Le crépuscule sur le champ de bataille (vue partielle)

Jean Simont.

 

 

 

Hubert Walther m'écrit de Woerth :

"les poings serrés et les bras mi-pliés , il s'agit de la position type de quelqu'un mort par asphyxie. Cela peut être une chute de cheval qui a coupé la respiration ou la poitrine écrasée par un sabot de cheval."

L'observation est intéressante puisqu'elle nous offre une autre explication des bras levés, sans rapport avec la raideur cadavérique survenant plus de 12 heures après le décès ; elle justifie surtout la représentation du phénomène pendant la bataille comme dans le cas du spasme cadavérique produit par la violence d'un choc, et ce tout particulièrement dans les oeuvres figurant des charges de cavalerie (Les cuirassiers de Morsbronn de Detaille, par exemple). 

On notera toutefois qu'Édouard Detaille ou Alphonse de Neuville n'étaient pas dans la cavalerie (à ce titre, ils étaient mal placés pour observer le phénomène à chaud)  et que la plupart des cadavres qu'ils représentent les bras levés sont rarement des victimes supposées d'une mort par asphyxie en contexte équestre puisque, dans la majorité des cas, il s'agit de fantassins (comme dans Le cimetière de Saint-Privat), d'artilleurs (Panoramas de Rezonville) ou des victimes d'un Coup de mitrailleuse frappés par une balle ou un coup de baïonnette. Cette mort par asphyxie à l'occasion d'une chute de cheval ou d'un écrasement brutal de la poitrine par un sabot est encore plus improbable dans la représentation des cadavres de 1914-1918, conflit au cours duquel nous n'avons plus de charge de cavalerie. 

Si la remarque de monsieur Walther renforce donc le caractère "réaliste" des cadavres aux bras levés, le contexte dans lequel les peintres les placent renforcent au contraire l'idée d'une instrumentalisation archétypale à des fins tant technique que politique.

 

Le docteur A. Levecq précise (13 octobre 2004) :

"Les corps des noyés sont pratiquement toujours flottant avec la face dirigée vers la surface et les bras écartés du corps . C'est dû au fait que la plupart du temps il y a eu "in fine" remontée sans expulsion d'air, or le volume d'air inhalé à 10 m est de 2 fois celui de la surface, à 20 m de 3 fois, etc... ce qui fait que (généralement les accidents surviennent dans les 20 ou 30 m), le plongeur revient en surface avec un volume d'air énorme qui "fait bulle" , ses poumons se déchirent partiellement, mais le volume d'air restant est toujours suffisant pour faire flotter le corps et écarter les bras ."

 

Hubert Walther précise (5 avril 2005) :

"Je me permets de rappeler que le diamètre des balles de fusils, Dreyse ou Podewils, et leur vitesse initiale ne permettaient pas une pénétration des chairs à certaine distance. La mort pour  ce type d'armement intervenait souvent par absorption de l'inertie du projectile, celui-ci en atteignant des parties dures de la poitrine ou du dos pouvaient couper le souffle et donc entraîner la suffocation."

 

Jean-Loup Gassend m'écrit (juillet 2005)

"J’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre article sur les cadavres aux bras levés. Je me permets de vous apporter ma contribution, car je me suis posé la même question. Je suis étudiant de médecine comptant devenir médecin légiste, et je suis aussi collectionneur d’objets militaires, et notamment d’objets de 14-18.

Tout a commencé il y a 3 ans lorsque j’ai demandé à des médecins légiste comment il se faisait que des morts puissent mourir les bras levés, après avoir vu des photos montrant de tels cadavres sur des champs de bataille. Ils m’ont tout simplement dit que ce n’était pas possible, sauf dans le très rare cas de la rigidité immédiate, sois disant souvent observable sur les champs de bataille, mais que aucun d’entre eux n’avait jamais pu observer.

J’ai donc fait ma petite enquête, observant des centaines de photos de cadavres, et voici mes conclusions sur le sujet. Je me suis rendu compte que les photos montrant les bras levé étaient beaucoup plus rares que j’en avais eu l’impression, et je n’en ai trouvé aucune qui n’était pas explicable par les hypothèses ci dessous.

 

1) Les corps fouillés ou déplacés. Je pense que l’explication pour la majorité des spécimens de corps aux bras levés est une des deux suivantes.

Corps fouillés : Un soldat meurt dans une position naturelle, sur le dos avec les bras posés sur sa poitrine. Ensuite, des camarades ou des pillards, cherchant des papiers d’identité, des portefeuilles, etc., devrons, pour fouiller les poches du mort et déboutonner sa veste, déplacer ses bras de sur sa poitrine. Il suffit que la rigidité post mortem ait eu le temps de s’installer, et le résultat sera un corps avec les bras dans une position plus ou moins levée. Les peintres observant le champ de bataille quelques heures après auront sûrement vu beaucoup de ces corps.

Corps déplacés : Il y a de nombreuses possibilités de positions naturelles de mort, où si le corps est ensuite déplacé ou retourné, il donnera l’impression d’être mort avec un, ou les bras levés. Par exemple si une personne meurt allongé sur le ventre, les mains appuyées au sol, et qu’il est ensuite retourné (pour être fouillé par exemple), ses bras se retrouveront dans une position levée.

 

2) Les corps décomposés ou brûlés. Lorsqu’un corps allongé sur le dos se décompose ou est brûlé, il adoptera une position typique (dit « position du lutteur » pour les brûlés) avec les bras mis levé, et les jambes partiellement fléchies. Les champs de bataille étant parsemés de corps de ce type, il est possible qu’ils aient fait impression sur les peintres, et que ceux ci aient ensuite représenté des corps « frais » avec des positions de corps décomposés.

 

 

3) La chance. Enfin, il est possible qu’un bras se trouve en position levée tout simplement parce qu’il est resté en équilibre dans cette position lorsque la victime est décédée, soit par chance, soit parce que le bras était pris dans un équipement, ou était appuyé contre quelque chose.

 

En conclusion, je dirais que d’après moi, la rigidité immédiate ne serait pas suffisante pour garder un bras dressé, mais seulement pour garder une main crispée sur une arme par exemple, ce qui est déjà rare. Les réponses des médecins légistes que vous avez interrogé sont techniquement exactes, mais il leur manque la connaissance des moeurs du champ de bataille. A noter que l’un d’eux a parlé du gel. En effet, si un corps gèle dans la neige, et que la neige est ensuite déplacée, il peut s’ensuivre des positions des plus bizarres. "

 

écrire à Jean-Loup Gassend : jean-loup@gassend.com

 

NB : M. Gassend m’a adressé son texte en l’accompagnant de photographies illustrant son propos. Pour des raisons techniques, je n’ai pas mis ces documents en ligne. Je les garde toutefois à la disposition de toute personne intéressée par le sujet.

 

 

Hubert Walther m'écrit (novembre 2005) :

 

Je viens de découvrir un récit intéressant dans le livre de Franz Kühlich

"Die deutsche Soldatenim Krieg von 1870/71"pg 413,414

aux éditions Peter Lang de Francfort/Main

La traduction est mienne :

 

L'auteur est Dietrich Freiherr von Lasberg, lieutenant au premier régiment d'infanterie bavaroise, la description est celle du champ de bataille de Sedan le 2 Août 1870.

En parlant des cadavres :

"........certains avec un petit trou dans la poitrine ou dans la tête les bras levés ou au dessus de la tête avec les poings crispés......."

 

Puis en parlant des peintres militaires

"...la plus belle mort est celle sur un champ de bataille , mais ce n'est pas là que se voyent les plus morts...

les peintres adoucissent, idélisent, la mort jusquu'à nous donner envie de se trouver à leur place(celle des morts)

mes ces morts  idéalisés n'existent pas ."

 

 

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