1943-1944 RAFLES ET ARRESTATIONS DANS LES BATIMENTS UNIVERSITAIRES 25 novembre 1943 : GRANDE RAFLE contre l'ensemble des Facultés |
Au cours de l'été 1943 la Gestapo multiplia des actions simultanées contre Mithridate et l'ORA. En juillet Hugo Geissler avait réussi à arrêter à Vichy deux agents de Mithridate, qui devaient aller implanter une nouvelle antenne à Rennes et qui transportaient des documents, des armes et des appareils radio. Cela lui avait permis d'accumuler des informations, qui aboutirent au mois d'octobre à plus d'une quinzaine d'arrestations, dont notamment celles des deux chefs régionaux : André Aalberg et Paul Gaubin. Aalberg, qui tentait de s'enfuir, fut grièvement blessé et mourut à l'Hôtel-Dieu, sans pouvoir être interrogé par la Gestapo. Parallèlement, Geissler développait des opérations contre l'ORA. En ce même mois d'octobre, il investit des locaux de la 13° région militaire, à Clermont-Ferrand, Royat et Romagnat, saisit un certain nombre d'archives et arrêta 32 personnes, dont 16 officiers, parmi lesquels se trouvaient le chef régional, le Lieutenant-Colonel Jacques Boutet et son adjoint le commandant Henri Madelin. II est plus que certain que des agents au service de la Gestapo avaient été infiltrés dans les deux réseaux. Cependant, il y avait des étudiants alsaciens-lorrains parmi les personnes arrêtées au cours de ces différentes opérations : Ernest Unguerrer à Mithridate, François Marzolff et Henri Weilbacher à l'ORA. Ces présences justifiaient pour la Gestapo l'organisation d'une opération de police, mais dans la réalité, ce fut une véritable opération militaire, qui fut menée contre l'Université française de Strasbourg "nid d'espions", pour la démanteler. Pour mener à bien l'ensemble de cette opération, la Gestapo avait demandé l'appui d'une unité de la Lufwaffe et pour ne pas attirer l'attention le convoi devait partir d'Aulnat où stationnaient les aviateurs allemands. Les Facultés, bibliothèques et services administratifs, qui constituaient l'Université étaient répartis sur une surface délimitée d'un côté par le boulevard de Gergovie, de l'autre par l'avenue Carnot, autour d'un axe médian representé par le cour Sablon. Le jeudi 25 novembre 1943, tous les effectifs disponibles de la Gestapo de Clermont-Ferrand et de Vichy, ceux de Sicherei Dienst et du Sonder Kommando auxquels étaient adjoint une unité spéciale de la Luftwaffe de 200 hommes sous le commandement d'un colonel nommé Elsatz, encerclèrent et pénétrèrent en même temps dans l'ensemble des bâtiments. Afin de mener sur place dans les meilleurs délais les interrogatoires, qui devaient suivre les arrestations de masse, la Gestapo avait envoyé en renfort à Blumenkampf et Ursula Brandt, six hommes spécialistes en ce genre de travail : Kaltseis, Roth, Bisinius, Krabbe, Gothry et Buhler. Mais, il y avait aussi un septième homme : Georges Mathieu. Si l'on se réfère a la déposition de Mathieu lors de son procès, voici le plan de l'opération : "ll fut décidé que les effectifs de la Gestapo seraient répartis de la façon suivante : A la grande Université : Blumenkampf, Brandt, Roth, Bisinius et moi-même. A la bibliothèque universitaire : Krabbe et deux autres dont je ne me rappelle plus les noms. A la Faculté de Droit : Gothry. A l'Universitè Vercingétorix : Buhler. Enfin pour la Gallia : pas de membre de la Gestapo. II s'agissait de mener l'opération suivante : 1°) Arrêter les personnes figurant sur la liste des 17 noms fournis par les interrogatoires, entre autres : Eppel, Sadron, Fush et son fils, Girard et Melle Kuder. J'avais personnellement parlé de l'activité de Melle Kuder, parce qu'arrêtée avec une carte au nom de Murat delivrée par le secrétariat de l'Université où Melle Kuder était chargée de la délivrance des cartes d'identité. Il y avait les noms de Thomas, Floret, professeur Weiss de la Faculté de Médecine, ceux de Fournier et Papes, membres de l'organisation Masson. Il y avait d'autres noms dont je ne me souviens plus, 2°) Arrêter tous les étudiants étrangers, quelle que soit leur nationalité et tous les Juifs. 3°) Arrêter tous les Alsaciens-Lorrains de 18 à 30 ans susceptibles d'oeuvrer dans la Résistance pour vérifier leur activité. 4°) Arrêter les doyens de la Faculté". Dès son entrée dans le bâtiment principal qui était alors appelé "la grande université" Mathieu accompagné de Roth et de Kalteiss, revolver au poing, se rendit immédiatement au secrétariat pour se saisir des adresses des professeurs. Un professeur de la Faculté de lettres Paul Collomp, qui par hasard se trouvait dans les locaux, tenta de s'opposer à cette intrusion. Il fut abattu d'un coup de feu par Kaltseiss. Sans plus s'en préoccuper Mathieu et ses acolytes laissèrent le cadavre près de la porte et s'emparèrent des adresses des professeurs figurant sur la liste des 17 noms, car si un d'entre eux ne faisait pas de cours, ce jour-là, la mission était d'aller le chercher à son domicile. Tel fut le cas du professeur Robert Eppel de la Faculté de théologie protestante. Kaltseiss se rendit immédiatement chez lui dans la banlieue proche et le blessa grièvement d'un coup de revolver au ventre au moment de son arrestation. Par ailleurs à l'université Vercingétorix, Buhler avait tué un jeune collégien Louis Blanchet âgé de 15 ans, qui tentait de s'enfuir par une fenêtre et blessé deux autres étudiants. Pendant ce temps, de toute part étaient amenés dans la cour de la grande Université, les professeurs, les étudiants et également le personnel administratif, à pied ou transportés par camions, s'ils appartenaient à l'université Vercingétorix, la bibliothèque et la Faculté de droit, mais toujours sous escorte militaire et policière. Vers midi 1200 personnes étaient parquées dans cet enclos et les soldats Allemands aux fenêtres des étages, fusils à l'épaule, prenaient des photos. Les interrogatoires commencèrent alors ; sur le palier du ler étage, on avait installé une table et trois sièges, sur lesquels prirent place Mathieu, entouré de Bisinius et d'Ursula Brandt. Les prisonniers devaient y monter un à un pour présenter leurs papiers, et ceci dans l'ordre hiérarchique : le corps enseignant, les fonctionnaires et à la fin les étudiants. L'examen portait à la fois sur l'appartenance à la Résistance et le contrôle des cartes d'identité. La plupart des étudiants Alsaciens-Lorrains et des "numerus clausus" (les 3/100 d'étudiants d'origine juive admis à suivre les cours en application de la loi du 21 juin 1941 de Vichy) avaient des fausses cartes d'identité, que nous avions pu établir dans le groupe "propagande" à Combat-Etudiant et Mathieu était parfaitement au courant puisqu'il venait les réclamer chez Feuerstein, deux ou trois fois d'ailleurs en passant par mon intermédiaire. Mathieu fit preuve du plus grand zèle et signala un certain nombre de porteurs de fausses cartes d'identité, qui avaient échappés à un premier contrôle de Bisenius. Ce fut le cas notamment d'un étudiant nommé Dumas, à qui Mathieu avait lui-même remis amicalement, quelques jours auparavant cette fausse carte d'identité. Mathieu dénonca également tous ceux qui de près ou de loin avaient participé à son mouvement de Résistance. Au bout de plusieurs heures, les 1 200 prisonniers avaient défilé ; dans le hall, il y avait deux groupes, à gauche environ 400 personnes en majorité des Clermontois, qui allaient être libérés, à droite environ 800 personnes, en majorité des Alsaciens-Lorrains, qui devaient être transférés à la prison du 92. Un nouveau triage eu lieu à la prison même. A 2 heures du matin, Mathieu, Blumenkampf, Ursula Brandt et Roth procédèrent à de nouvelles vérifications d'identité, qui se poursuivirent avec des pauses jusqu'au lendemain. Finalement, furent imcarcérés et par la suite déportés, ceux qui appartenaient à un des trois groupes suivants : Etre soupçonné d'avoir des relations avec la Résistance, être Alsaciens-Lorrains de 18 à 30 ans, être d'origine juive ou avoir un nom à consonnance étrangère. Les autres furent libérés et Blumenkampf salua le départ des Doyens, en disant d'un ton jovial "Allons on va renvoyer les vieux Messieurs chez eux" Le 9 décembre 1942. Abetz envoya un télégramme à Berlin, sous le numéro d'immatriculation "7595 secret" et qui est le communiqué du résultat de l'action entreprise à l'encontre de l'Université Française de Strasbourg : Le vice-Recteur Danjon, toujours indomptable, adressa alors une protestation énergique à Pierre Laval , Président du Conseil, dans laquelle il s'étonnait, qu'une telle opération ait pu être menée contre l'Université de Strasbourg, où les Résistants n'étaient pas plus nombreux qu'ailleurs. II récusait également le principal chef d'accusation à savoir le nombre élevé d'étudiants d'origine juive ou étrangère, en déclarant, qu'il n'était pas plus grand, que dans les autres Universités. (Une loi de Vichy du 21.06.1941 permettait à des étudiants Français d'origine juive, qui répondaient à certains critères d'accéder aux études dans la limites de 3/00 des effectifs ; on les appelait "numerus clausus".) II est évident, que tout ceci était inexact,le taux maximum était atteint à l'Université mais c'était pour la bonne cause, que le vice Recteur Danjon avait camouflé la vérité. Ceci fit impression à Vichy et l'Université Française de Strasbourg ne ferma pas ses portes. Voici en quels termes dans sa déposition Mathieu relate les suites immédiates de la Grande Rafle. "Un rapport du Doyen Danjon fut adressé à Laval, et Laval le fit transmettre à Geissler s'étonnant qu'une telle opération ait été menée contre l'Université de Strasbourg, qui ne comptait pas plus de résistants. Danjon ajoutait que le nombre de Juifs et d'étrangers était le même dans toutes les universités et il ajoutait que les arrestations avaient été faites selon une liste de 17 noms et les autres arbitrairement par moi-même ; ce qui était complètement faux. Deux jours après cette opération, les dossiers des étudiants furent saisis et transférés à la Gestapo. Blumenkampf ordonna que l'on chercha dans ces dossiers, d'après les dates d'immatriculation, la liste des évadés d'Alsace-Lorraine, ce qui fut fait. J'ai personnellement, un mois et demi plus tard brûlé le dossier d'un étudiant recherché. Les autres dossiers restèrent dans le coffre au 2 bis avenue de Royat, où ils se trouvaient encore à mon départ le 13 août. Quatre jours environ après l'affaire de l'Universite le Stumbenfurher Lang, dont le cousin était bibliothécaire à l'Université de Strasbourg vint à Clermont-Ferrand ouvrir une enquête sur le Centre des Hautes Etudes Germaniques. Il commença par réprimander Blumenkampf parce qu'aucun membre de ce centre n'avait été arrêté. Je sais qu'il alla perquisitionner à l'Université dans le bureau de M. Martin, secrétaire du Centre. Il découvrit certains documents concernant en particulier le Colonel Rivet, commandant le 2ème Bureau d'Alger, le Commandant Mercier du même service et différents officiers français du Service de Renseignements. Aucun de ces officiers, dont certains se trouvaient déjà en Afrique du Nord ne furent inquétés. La fermeture de l'Université de Strasbourg fut demandée au gouvernement allemand, par le B.D.S. (gestapo), mais refusée. Une nouvelle tentative faite dans ce sens en avril 1944 aboutit à un nouvel échec, et il n'en fut plus question" Le jour de la Grande Rafle, ce jeudi 25 novembre 1943, Cauchi était à Paris, Feuerstein à Lyon et moi-même en premiàre année de Doctorat, j'avais quitté la Faculté à 10 heures, où je travaillais en bibliothèque. Aux environs de 11 heures 30, je me trouvais place de Jaude et des étudiants sont arrivés en criant: "il y a des Allemands, qui encerclent les Facultés et arrêtent tout le monde". Nous sommes partis aux renseignements. J'ai vu des troupes de la Wehrmacht boulevard de Gergovie et avenue Carnot, mais de loin, on ne pouvait pas passer, car il y avait des barrages. En fin d'après-midi, on a commencé à avoir pêle mêle des renseignements par ceux qui avaient été relachés ; on a appris la mort du Professeur Collomp, celle du collégien Blanchet, les arrestations de tous les présents, le rassemblement dans la cour suivi des interrogatoires. Quand, j'ai appris, que dans le trio, qui y procédait à côté de deux membres de la Gestapo figurait Georges Mathieu, j'ai tout d'abord refusé d'y croire. Mais les témoignages s'accumulaient: Mathieu dénonçait tous ceux, qui avaient échappé à un premier contrôle de la Gestapo. Je ne suis pas rentrée chez moi et j'ai quitté Clermont-Ferrand le lendemain. Je suis revenue le 15 décembre 1943. les cours avaient repris et j'ai vu le Doyen Delpech pour lui dire, que vu ma situation, il me serait impossible de les suivre. En considération des circonstances, le Doyen m'a accordé une dispense, que je possède toujours. On peut y lire notamment : C'était à la fois dérisoire et sublime, car cet acte de routine administrative signifiait, que quoiqu'il arrive l'Université Française de Strasbourg continuerait d'exister. |
8 MARS 1944 : Arrestations à l'Hôtel-Dieu |
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